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Dossier : 2011-2341(IT)G

ENTRE :

ALLAN O. PROCHUK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 11 mars 2013, à Vancouver (Colombie‑Britannique),

et le 13 juin 2013 par conférence téléphonique, à Ottawa (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimée :

Me Nadine Taylor Pickering

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie à l’endroit de l’appelant au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2007 est rejeté, avec dépens, en partant du principe que l’appelant n’a pas droit à une déduction au titre d’une perte autre qu’une perte en capital vu qu’il ne faisait pas le commerce de valeurs mobilières et qu’il ne participait pas à un projet comportant un risque ou à une affaire de caractère commercial.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de janvier 2014.

 

 

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour d’avril 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 17

Date : 20140116

Dossier : 2011-2341(IT)G

ENTRE :

ALLAN O. PROCHUK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge D’Auray

 

Introduction

 

[1]             En 2005, M. Prochuk a investi 250 000 $ dans un fonds d’opérations sur devises étrangères auprès de Sabourin and Sun Group of Companies (« SSGC »).

 

[2]             Selon les parties, le fonds d’investissement de SSGC s’est avéré un stratagème de placements frauduleux.

 

[3]             Par conséquent, M. Prochuk a demandé une déduction de 186 250 $ au titre d’une perte d’entreprise pour l’année d’imposition 2007, à savoir la différence entre les 250 000 $ qu’il avait investis et les 63 750 $ qu’il a reçus de SSGC.

 

[4]             L’intimée est d’avis que M. Prochuk n’a pas droit à une déduction au titre d’une perte d’entreprise parce qu’il ne faisait pas le commerce des valeurs mobilières et que le fonds d’investissement de SSGC ne constituait pas un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Elle fait valoir que la perte que M. Prochuk a subie était une perte en capital.

 

La preuve

 

[5]             M. Prochuk est ingénieur civil. Jusqu’en 1985, il travaillait pour BC Hydro. En 1985, BC Hydro a décidé de retarder l’exécution d’importants projets hydroélectriques, en conséquence de quoi M. Prochuk a été mis à pied. Il a reçu une indemnité de départ, qu’il a placée dans son régime enregistré d’épargne‑retraite (« REER »).

 

[6]             M. Prochuk a toujours eu de l’intérêt pour le domaine financier. Après avoir quitté BC Hydro, il a suivi des cours de finance en vue d’obtenir l’autorisation d’exercer la profession de courtier et il a commencé à travailler pour des sociétés de placement.

 

[7]             De 1986 jusqu’aux environs de 1999, il a travaillé dans le domaine de la finance. En 1986, il a travaillé pour Evergreen Futures, et il a plus tard travaillé pour Mustard Seed Capital et pour Yaletown Futures Group. M. Prochuk a déclaré que le fait d’avoir travaillé pour ces sociétés lui avait donné une excellente expérience du monde financier. Toutefois, pour une raison ou pour une autre, ses efforts n’ont pas été couronnés de succès, et vu que ses placements dans son REER portaient leurs fruits, il a décidé d’arrêter de travailler pour des tierces parties et de s’occuper de ses propres finances. Il a déclaré que, de 1987 à 1999, il était parvenu à multiplier par huit le capital de son REER.

 

[8]             M. Prochuk a déclaré que, depuis 2000, il vivait des gains qu’il réalisait avec son REER. La preuve a montré qu’il avait retiré la somme de 250 000 $ de son REER au cours de l’année d’imposition 2005, la somme de 100 000 $ au cours de chacune des années d’imposition 2006, 2007, 2008 et 2009, et les sommes de 95 000 $ et de 70 000 $ au cours des années d’imposition 2010 et 2011, respectivement.

 

[9]             À partir de 2000, le revenu que M. Prochuk a déclaré provenait des sommes qu’il avait retirées de son REER ainsi que des sommes qu’il recevait au titre du Régime de pensions du Canada et de la Sécurité de la vieillesse (depuis 2006). Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2007 tout comme dans ses déclarations pour les autres années d’imposition, M. Prochuk n’a déclaré aucun revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien.

 

[10]        En 2003, M. Prochuk a rencontré MM. Len Zielke et Shane Smith. Ces derniers lui ont fait la promotion de différentes stratégies d’investissement, qu’ils ont appelées [traduction] « stratégies de réduction ».

 

[11]        Sur les conseils de MM. Zielke et Smith, M. Prochuk a versé la somme de 20 000 $ à Global Learning Systems, obtenant en retour un reçu pour don d’un montant de 120 000 $. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé à M. Prochuk la déduction de ce don. Au moment de l’audience, la question avait été réglée.

 

[12]        En 2004, une fois encore sur les conseils de MM. Zielke et Smith, M. Prochuk a investi de l’argent dans un stratagème impliquant la déclaration de pertes d’entreprise. M. Prochuk a ainsi demandé à déduire des pertes d’entreprise de 220 000 $ et de 210 000 $ pour les années d’imposition 2004 et 2005, respectivement, et ce, bien qu’il n’ait déboursé que 42 000 $ et 44 000 $. Le ministre lui a refusé la déduction de ces pertes. Au moment de l’audience, la question faisait toujours l’objet d’un appel auprès de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »).

 

[13]        Ce sont MM. Zielke et Smith qui ont parlé à M. Prochuk de SSGC. Dans son témoignage, M. Prochuk s’est exprimé en ces termes :

 

[traduction]

 

[…] pour ce qui est des promoteurs, il s’agissait des mêmes personnes qui m’ont entraîné dans des manœuvres d’évitement fiscal des plus douteuses, ou, je ne sais pas, dans des « stratégies de réduction » comme ils les appelaient […].

 

[14]        En 2005, après que MM. Zielke et Smith l’ont présenté aux représentants de SSGC et qu’il a été informé du type de placements que SSGC effectuait, M. Prochuk a décidé d’investir auprès de SSGC. À cette fin, il a retiré la somme de 250 000 $ de son REER.

 

[15]        Le 6 janvier 2005, M. Prochuk et sa femme, Mme Prochuk, ont signé un formulaire de demande de service de la division de la gestion des investissements (îles Vierges britanniques) de SSGC. Aux termes de cette demande, les Prochuk ont convenu d’investir la somme de 250 000 $ dans un fonds d’opérations sur devises étrangères. La date d’émission était le 7 janvier 2005 et la date d’échéance le 7 mai 2007.

 

[16]        Par une lettre datée du 31 janvier 2005, SSGC a confirmé aux Prochuk qu’elle garantissait le capital de 250 000 $ ainsi que le rendement du capital investi/intérêt annuel de 17,52 %, payable sur une base semestrielle.

 

[17]        Les Prochuk ont reçu de SSGC trois paiements s’élevant à un total de 63 750 $, à savoir 18 750 $ le 4 août 2005, 22 500 $ le 7 février 2006 et 22 500 $ le 13 septembre 2006. Les Prochuk n’ont pas reçu d’autres paiements de SSGC.

 

[18]        M. Prochuk a déclaré qu’il ne pouvait pas savoir que le placement dont SSGC faisait la promotion était frauduleux. La présentation faite aux investisseurs était élaborée et la liste de leurs prétendus clients était très impressionnante. Il a affirmé qu’il avait effectué à l’endroit de SSGC un contrôle préalable et qu’il était convaincu d’investir auprès d’une société torontoise de bonne réputation.

 

[19]        Le 10 février 2011, les Prochuk ont reçu une lettre de la division de la lutte contre l’escroquerie de la police provinciale de l’Ontario qui les informait que M. Sabourin faisait l’objet d’une enquête criminelle portant sur ses pratiques en matière de placements. En fait, M. Sabourin et ses associés ont omis de comparaître dans le contexte de diverses poursuites judiciaires.

 

[20]        Quand il a produit sa déclaration de revenus pour 2007, M. Prochuk a demandé à déduire la somme de 186 250 $ à titre de perte en capital. Le 10 avril 2010, M. Prochuk, dans un avis d’opposition, a qualifié sa perte de perte autre qu’une perte en capital. Manifestement, les Prochuk ne récupéreront jamais le solde de la somme qu’ils ont investie auprès de SSGC.

 

Les questions en litige

 

[21]        La question en litige en l’espèce est de savoir si M. Prochuk a droit à une déduction de 186 250 $ au titre d’une perte d’entreprise pour l’année d’imposition 2007.

 

[22]        À cette fin, M. Prochuk doit établir qu’il faisait le commerce des valeurs mobilières ou qu’il s’était engagé dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial eu égard à son investissement auprès de SSGC.

 

Les thèses des parties

 

La thèse de l’appelant

 

[23]        M. Prochuk a soutenu que la preuve montrait qu’il faisait le commerce des valeurs mobilières. Il a ajouté qu’il devrait être autorisé à déduire ses pertes de son revenu de toute manière, vu qu’il satisfaisait les critères énoncés dans le bulletin d’interprétation IT-459, Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial.

 

[24]        Il a fait valoir qu’il avait passé sa vie à faire le commerce des valeurs mobilières et que, depuis 2000, il avait exploité une entreprise avec son REER. Il vivait des bénéfices découlant des opérations effectuées dans son REER. Il a déclaré qu’il avait dû verser un impôt à la source de 30 % sur les sommes qu’il avait retirées de son REER.

 

[25]        Il a affirmé que ses gains importants montraient qu’il faisait activement le commerce des valeurs mobilières. Quand il a transféré son REER de la Banque Royale à Altamira le 14 mai 1999, il a transféré une somme de 886 000 $. Au 31 mai 2004, M. Prochuk avait une somme de 1 348 636 $ dans son REER.

 

[26]        Il a soutenu que, quand SSGC lui avait proposé d’investir dans un fonds d’opérations sur devises étrangères en lui garantissant le capital ainsi qu’un taux de rendement du capital investi de 17,52 % par an, son intention était de réaliser des profits. Il a ajouté qu’il avait agi à l’égard de l’investissement auprès de SSGC de la même manière que pour les autres placements qu’il avait faits dans son REER. Il ne comptait renouveler l’investissement auprès de SSGC qu’après avoir été assuré d’avoir un bon rendement du capital investi et uniquement si rien de mieux ne se présentait.

 

[27]        Il a fait valoir que les 17,52 %, que SSGC était censé lui verser chaque année, à raison d’environ 9 % sur une base semestrielle, ne correspondaient pas à un revenu en intérêts, mais au rendement du capital investi. Il a insisté sur le fait que le terme « intérêts » n’apparaissait pas dans le contrat que lui et sa femme avaient signé avec SSGC le 6 janvier 2005. Le terme employé est en fait [traduction] « rendement du capital investi » annuel de 17,52 %. Il a déclaré que je ne devrais pas tenir compte de la lettre de SSGC datée du 31 janvier 2005 qui faisait référence au revenu comme à des intérêts vu que la personne qui avait signé la lettre au nom de SSGC avait commis une erreur en parlant d’« intérêts » de 17,52 %.

 

[28]        Il a également ajouté qu’il avait les « caractéristiques commerciales » auxquelles la juge Campbell a fait référence dans la décision Corvalan c. La Reine, 2006 CCI 200, 2006 DTC 2907.

 

[29]        Quoi qu’il en soit, il a affirmé que s’il ne faisait pas le commerce des valeurs mobilières, ce qui l’avait motivé à investir auprès de SSGC était la perspective de réaliser un profit. Par conséquent, il satisfaisait aux exigences du bulletin d’interprétation IT-459.

 

La thèse de l’intimée

 

[30]        L’intimée est d’avis que la perte de 186 250 $ que l’appelant a enregistrée était une perte en capital. Elle a souligné le fait que le placement en cause visait à générer un revenu. Aux paragraphes 11 et 12 de ses observations écrites, elle s’est exprimée de la manière suivante :

 

[traduction]

 

11. La distinction entre un bien figurant à l’inventaire et une immobilisation se fonde essentiellement sur le type de revenu que le bien générera.

 

12. Les actifs susceptibles de générer un revenu sont généralement considérés comme des investissements et les profits découlant d’opérations faisant intervenir ces types d’actifs sont généralement qualifiés de gains en capital, et, par voie de conséquence, les pertes connexes sont généralement qualifiées de pertes en capital.

 

[31]        L’intimée a également fait valoir que les déclarations de revenus que M. Prochuk avait produites ne reflétaient aucunement un niveau d’activité correspondant à une entreprise de commerce des valeurs mobilières. Il n’a jamais déclaré de revenus ou de pertes découlant de ce commerce. L’intimée a ajouté qu’en cas de cession des fonds de SSGC, l’objectif de M. Prochuk était de réaliser un gain en capital, et quand le gain ne s’est pas matérialisé, il a plutôt déclaré une perte autre qu’une perte en capital.

 

[32]        Elle a affirmé que le REER était un instrument unique procurant des avantages fiscaux et que le fait de faire le commerce des valeurs mobilières avec les fonds détenus dans un REER ne revenait pas à exploiter une entreprise.

 

[33]        L’intimée a également fait valoir que M. Prochuk n’avait pas agi à titre de courtier en ce qui a trait aux 250 000 $ qu’il a investis auprès de SSGC. Il ne pouvait pas vendre son investissement pendant au moins 28 mois. Il était un participant passif.

 

[34]        En outre, l’intimée a déclaré que M. Prochuk avait l’intention de conserver son placement auprès de SSGC à long terme, en tant qu’instrument générateur de revenus qui lui permettrait de toucher des revenus d’intérêts garantis. Elle a fait valoir qu’il ressortait clairement du témoignage de M. Prochuk qu’il aurait renouvelé son investissement dans le fonds s’il ne s’était pas avéré qu’il s’agissait d’une opération frauduleuse à la date d’échéance. Par conséquent, il n’avait aucune « caractéristique commerciale ».

 

[35]        L’intimée a également fait valoir que M. Prochuk ne s’était pas engagé dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Elle a soutenu qu’il ne satisfaisait pas au critère défini dans l’arrêt Canada Safeway Limited c. Canada, 2008 CAF 24, 2008 DTC 6074 (CAF) à l’égard d’un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Elle a affirmé que M. Prochuk avait investi auprès de SSGC avec l’intention de conserver son placement et d’en tirer un revenu, et non pas pour le revendre rapidement. Par conséquent, l’investissement auprès de SSGC était imputable au capital.

 

Analyse

 

M. Prochuk faisait-il le commerce des valeurs mobilières?

 

[36]        L’intimée a fait valoir que le bien en litige était une immobilisation par nature et que la perte dont M. Prochuk avait demandé la déduction était une perte en capital.

 

[37]        Je conviens avec l’intimée qu’habituellement, un actif qui génère un revenu est une immobilisation. Par exemple, les actions d’une société génèrent des dividendes, et le revenu tiré de la disposition d’actions constitue généralement un gain en capital. Toutefois, les actions peuvent également être considérées comme des biens figurant à l’inventaire si la personne qui en est propriétaire fait le commerce d’actions. La nature de l’actif est un indice qui permet d’établir s’il convient de qualifier celui‑ci d’immobilisation ou de bien figurant à l’inventaire. C’est pourquoi je dois établir si M. Prochuk est un courtier en valeurs mobilières.

 

[38]        La question de savoir si M. Prochuk était un courtier en valeurs mobilières est une question de fait. Un certain nombre de facteurs pertinents doivent être pris en considération.

 

[39]        Dans l’arrêt unanime de la Cour d’appel fédérale Canada c. Vancouver Art Metal Works Ltd., [1993] 2 CF 179, 93 DTC 5516 (CAF), le juge Létourneau a énoncé plusieurs critères à prendre en considération pour établir si une personne fait le commerce des valeurs mobilières. À la page 5519, il s’est ainsi exprimé :

 

Je ne doute aucunement que le contribuable dont la profession ou l’entreprise consiste à acheter et à vendre des valeurs mobilières est un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières au sens de l’alinéa 39(5)a) de la Loi. Comme l’a dit le juge Cattanach dans l’arrêt Palmer, MA c. La Reine [1973] CTC 323 (C.F. 1re inst.), « [o]n reconnaît qu’une personne qui accomplit de manière habituelle des actes susceptibles d’engendrer des bénéfices s’est engagée dans un commerce ou une entreprise » Id., à la p. 325. La question de savoir si une série d’actes équivaut à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise constitue toutefois une question de fait. Chaque cas sera jugé selon les faits qui lui sont propres. Il est évident que les facteurs tels que la fréquence des opérations, le temps pendant lequel les valeurs ont été conservées (pour réaliser un bénéfice rapide ou pour en faire un placement à long terme, par exemple), l’intention d’acheter pour revendre à profit, la nature et la quantité des valeurs mobilières détenues ou qui font l’objet de l’opération, le temps consacré à l’activité en question, sont tous des facteurs pertinents et qui aident à déterminer si une personne exerce un commerce ou une entreprise de courtage.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[40]        M. Prochuk a déclaré qu’il était un courtier actif en ce qui concerne les fonds détenus dans son REER. Il a souligné qu’il avait procédé à 512 opérations sur valeurs avec les fonds détenus dans son REER en 2007.

 

[41]        L’avocate de l’intimée a soutenu que je ne pouvais pas tenir compte des opérations sur valeurs auxquelles M. Prochuk avait procédé dans son REER vu qu’il s’agissait d’un instrument unique au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). J’en conviens. On ne peut pas considérer qu’une personne exploite une entreprise simplement parce qu’elle effectue des opérations sur valeurs dans son REER. Par conséquent, il n’est pas possible de tenir compte des opérations auxquelles M. Prochuk a procédé dans son REER. J’expliquerai plus tard dans mes motifs les raisons pour lesquelles j’estime que le fait d’effectuer des opérations sur valeurs dans un REER n’est pas assimilable à l’exploitation d’une entreprise.

 

[42]        Après avoir pris en considération les critères définis par le juge Létourneau dans l’arrêt Vancouver Art Metal Works, je conclus que M. Prochuk n’était pas un courtier en valeurs mobilières pour les raisons suivantes :

 

        la fréquence des opérations : depuis 2000, la seule opération que M. Prochuk a effectuée en dehors de son REER a été le placement auprès de SSGC;

        le temps pendant lequel les valeurs ont été conservées : le placement de M. Prochuk était bloqué pendant une période de 28 mois et il ne pouvait pas le vendre avant la date d’échéance, à savoir le 7 mai 2007;

        l’intention d’acheter pour revendre à profit : M. Prochuk a souvent déclaré que, quand il avait investi auprès de SSGC, sa principale motivation était la même que lorsqu’il effectuait des opérations sur valeurs dans son REER, à savoir l’intention de réaliser un profit. Si un placement plus avantageux s’était présenté, il n’aurait pas renouvelé son investissement auprès de SSGC;

Bien que l’intention de réaliser un profit soit un élément important, il ne suffit pas à établir qu’une personne exploite une entreprise, vu que tant les investisseurs que les courtiers veulent réaliser un profit. En l’occurrence, il est clair que l’intention de M. Prochuk, au moment où il a investi, était de conserver son placement à long terme, à titre d’instrument de production d’un revenu, et d’obtenir un rendement du capital investi/des intérêts de 17,52 % par an. En cas de revente de son placement, l’objectif de M. Prochuk était de réaliser un gain en capital;

        la nature et la quantité des valeurs détenues ou qui font l’objet de l’opération : le placement auprès de SSGC a été la seule opération que M. Prochuk a effectuée en dehors de son REER. Il est aussi important de noter que, quand M. Prochuk effectuait des opérations sur valeurs dans son REER, à l’exception d’un placement qu’il a conservé pendant quatre  ans, la durée pendant laquelle il conservait ses placements était comprise entre une heure et quatre mois. Les opérations qu’il effectuait dans son REER étaient par conséquent différentes du placement auprès de SSGC, qu’il devait garder pendant au moins 28 mois. En outre, le placement auprès de SSGC avait un rendement élevé, ce qui n’était pas le cas des placements qu’il avait faits dans son REER. Comme je l’ai dit plus tôt, par sa nature, le fonds était une immobilisation;

        le temps consacré à l’activité en question : M. Prochuk était un participant passif en ce qui avait trait au placement auprès de SSGC. Il n’avait rien à faire pour obtenir de SSGC le rendement du capital investi/les intérêts de 17,52 % par an. SSGC lui garantissant tant son capital que le rendement du capital investi/les intérêts.

 

Le fait d’effectuer des opérations sur valeurs dans un REER

 

[43]        Le législateur a institué le régime relatif aux REER pour permettre aux particuliers de reporter le paiement de l’impôt et de mettre des revenus de côté dans une fiducie en vue d’augmenter leur revenu à la retraite. Le REER est un régime unique et les dispositions de la Loi relatives aux REER sont propres à ces derniers.

 

[44]        Les particuliers qui cotisent à un REER bénéficient de mesures d’incitation fiscale. Ces personnes peuvent déduire leurs cotisations à un REER de leurs impôts, et ainsi payer moins d’impôt sur le revenu. Les fonds peuvent faire l’objet d’opérations au sein du REER sans que cela n’entraîne de conséquences fiscales. Tant que les fonds sont détenus dans un REER, il est possible d’y accumuler du revenu sans avoir à payer d’impôt.

 

[45]        Les placements effectués dans un REER doivent être des « placements admissibles » au sens de la Loi. En outre, le détenteur d’un REER ne peut pas posséder de titres à son nom; ces titres doivent être inscrits au nom du fiduciaire.

 

[46]        Quand un contribuable retire des fonds de son REER, ces fonds sont imposés conformément aux dispositions de l’alinéa 56(1)t) et du paragraphe 146.3(5) de la Loi.

 

[47]        Toute personne qui réalise un revenu d’entreprise au moyen d’opérations sur valeurs doit déclarer au fisc l’intégralité de son revenu d’entreprise chaque année, et son bénéfice sera calculé conformément aux dispositions de l’article 9 de la Loi. Par contre, vu que les fonds accumulés dans un REER ne sont pas imposables, un contribuable ne doit payer de l’impôt à leur égard que lorsqu’il les retire de son REER. En fonction de ses autres revenus pour une année d’imposition donnée, un particulier peut choisir de retirer une somme qui lui permettra de rester dans une certaine fourchette d’imposition.

 

[48]        Il ressort de ce qui précède que la Loi traite visiblement un contribuable qui effectue des opérations sur valeurs avec les fonds détenus dans son REER différemment d’un contribuable qui fait le commerce des valeurs mobilières. Pour cette raison, les opérations sur valeurs effectuées dans un REER ne constituent pas un élément pertinent quand il s’agit de décider si une personne fait le commerce des valeurs mobilières.

 

[49]        L’avocate de l’intimée a renvoyé à la décision Deep c. La Reine, 2006 CCI 315, 2006 DTC 3033, du juge C. Miller de la Cour, pour étayer son hypothèse selon laquelle le fait d’effectuer des opérations sur valeurs dans un REER ne revenait pas à réaliser un revenu d’entreprise.

 

[50]        Dans l’affaire Deep, il y avait un certain nombre de questions en litige, y compris la question de savoir si M. Deep faisait le commerce des valeurs mobilières ou d’instruments financiers. En ce qui a trait au commerce des valeurs mobilières dans un REER, le juge Miller s’est ainsi exprimé, au paragraphe 51 :

 

[…] Le docteur Deep n’a fourni aucune preuve indiquant que de nombreuses opérations avaient été conclues au cours de ces années, et ses déclarations de revenus n’indiquent pas non plus un niveau d’activité montrant qu’il faisait le commerce de valeurs mobilières. Le docteur Deep a lui‑même témoigné s’être livré à ses activités boursières dans le cadre de son REER. Ce n’est pas là exploiter une entreprise.

 

[51]        Par conséquent, je suis convaincue que le fait d’effectuer des opérations sur valeurs mobilières dans un REER n’équivaut pas à faire le commerce des valeurs mobilières.

 

[52]        Comme je l’ai dit plus tôt, M. Prochuk n’a jamais déclaré de revenus d’entreprise dans ses déclarations de revenus. M. Prochuk a souvent déclaré qu’il vivait de son REER. Selon moi, cela concorde avec la raison pour laquelle le législateur a institué les REER, à savoir aider les gens à économiser et à gagner de l’argent en prévision de leur retraite.

 


Un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial

 

[53]        La seconde question en litige qu’il me faut trancher est de savoir si les activités de M. Prochuk constituaient un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial.

 

[54]        Les tribunaux se sont à de nombreuses reprises penchés sur le concept de projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Une des décisions qui fait autorité dans ce domaine est l’arrêt Canada Safeway Limited c. Canada, 2008 CAF 24, 2008 DTC 6074, dans lequel le juge Nadon, au paragraphe 41, s’est ainsi exprimé :

 

[41]  Dans l’arrêt Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, le juge Major, qui écrivait au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, fait observer, à la page 115, que la notion de projet comportant un risque de caractère commercial est une création jurisprudentielle visant à départager les opérations d’achat et de vente qui sont de nature commerciale de celles qui tiennent d’une immobilisation. Le juge Major précise ensuite que la première condition de l’existence d’un projet comportant un risque de caractère commercial est qu’il comporte un « plan visant la réalisation d’un bénéfice ».  À son avis, le contribuable doit avoir l’intention légitime de tirer un bénéfice de l’opération. À ce propos, il cite le bulletin d’interprétation IT‑459, intitulé « Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial » (8 septembre 1980), qui énumère les facteurs jurisprudentiels permettant de déterminer si une opération constitue un projet comportant un risque de caractère commercial. Voici ce qu’on trouve au paragraphe 4 du bulletin IT-459 :

 

Pour déterminer si une opération en particulier représente un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, les tribunaux ont établi que toutes les circonstances entourant l’opération doivent être prises en considération et qu’aucun critère unique ne peut être formulé. De façon générale, cependant, les principaux critères qui ont été appliqués sont les suivants :

a)   le contribuable a-t-il traité le bien qu’il avait acquis de la même manière qu’un négociant aurait habituellement traité un tel bien;

b)   la nature et la quantité des biens excluent-elles la possibilité que leur vente soit la réalisation d’un investissement ou soit, par ailleurs, une réalisation de capital, ou que les biens puissent avoir fait l’objet d’une disposition autrement que par une opération commerciale; et

c)    l’intention du contribuable, établie par les faits ou par déduction, est-elle dans la même ligne que d’autres preuves indiquant une motivation commerciale.

 

[55]        Compte tenu du critère énoncé dans l’arrêt Canada Safeway Limited visant à établir si une personne participe à un projet comportant un risque ou à une affaire de caractère commercial, je suis d’avis que :

 

a)       M. Prochuk n’a pas agi de la même manière qu’une personne faisant le commerce des valeurs mobilières. Il était un investisseur passif, et à l’époque où il a effectué le placement auprès de SSGC, il avait l’intention de le conserver à long terme. Il s’attendait à ce que son placement produise un rendement annuel de 17,52 %, lequel lui serait versé sur une base semestrielle. Manifestement, à l’époque où il a effectué ce placement, son intention n’était pas de revendre à profit rapidement. Quoi qu’il en soit, il ne pouvait pas vendre ce placement parce qu’il était bloqué pendant 28 mois;

 

b)      toute revente du placement effectué auprès de SSGC aurait produit un gain en capital. Dans une lettre datée du 26 octobre 2006, M. Prochuk a écrit à l’ARC pour savoir à quel traitement fiscal un gain éventuel serait assujetti; à la page 2 de sa lettre, il s’est ainsi exprimé :

 

[traduction]

 

[…]

 

2.  Si je récupère tout mon capital et que j’enregistre des gains et que cela arrive quelque part en 2007, je/nous devrions déclarer la totalité du gain en capital (tout le capital reçu au fil des années moins mon investissement de départ) dans ma/notre déclaration de revenus pour 2007. Nous est-il possible, à ma femme ou à moi, de déclarer le gain en capital, en le partageant à notre guise, ou devons-nous diviser ce gain en parts égales?

 

[…]

 

c)       à l'époque où il a investi auprès de SSGC, l’intention de M. Prochuk était de réaliser un gain en capital et d’obtenir un rendement du capital investi. Il a affirmé qu’il aurait procédé au renouvellement de son investissement si les conditions du contrat avaient été respectées. En outre, dans la même lettre datée du 26 octobre 2006 qu’il a adressée à l’ARC, il a déclaré que les activités de SSGC étaient axées sur la réalisation de gains en capital.

 

[56]        Après avoir examiné ces critères ainsi que la jurisprudence relative au concept de projet comportant un risque ou affaire de caractère commercial que l’intimée a produite, je suis d’avis que M. Prochuk ne participait pas à un projet comportant un risque ni à une affaire de caractère commercial.

 

Conclusion

 

[57]        Compte tenu de ma conclusion selon laquelle M. Prochuk ne faisait pas le commerce des valeurs mobilières et ne participait pas non plus à un projet comportant un risque ni à une affaire de caractère commercial, il n’a pas droit à une déduction au titre d’une perte autre qu’une perte en capital pour l’année d’imposition 2007.

 

[58]        Pour finir, je voudrais dire que M. Prochuk est malheureusement une autre victime d’un stratagème vendu aux contribuables sous la promesse d’un rendement élevé du capital investi.

 

[59]        L’appel est rejeté, avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de janvier 2014.

 

 

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour d’avril 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 17

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2011-2341(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Allan O. Prochuk c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Vancouver (Colombie-Britannique)

                                                          et Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 mars 2013 et le 13 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Johanne D’Auray

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 16 janvier 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Nadine Taylor Pickering

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

               Nom :

 

               Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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