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Dossier : 2012-2210(IT)G

 

ENTRE :

 

LA SUCCESSION DU DÉFUNT RAYMOND KRENBRINK,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu le 9 décembre 2013, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L'honorable juge David E. Graham

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jonathan M. Aiyadurai

Avocate de l'intimée :

Me Shannon M. Currie

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et les dépens sont adjugés à l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de janvier 2014.

 

 

« David E. Graham »

Le juge Graham

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de mars 2014.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 22

Date : 20140127

Dossier : 2012-2210(IT)G

 

ENTRE :

 

LA SUCCESSION DU DÉFUNT RAYMOND KRENBRINK,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Graham

 

[1]             Raymond Krenbrink est décédé. Au moment de son décès, il était rentier d'un fonds enregistré de revenu de retraite (le « FERR ») ayant une juste valeur marchande de 228 164 $. L'exécutrice testamentaire de M. Krenbrink était sa fille, Diana Brown. Quand Mme Brown a produit une déclaration de revenus pour M. Krenbrink pour la période se terminant à la date du décès de celui‑ci (la « déclaration finale »), elle n'a pas inclus la juste valeur marchande du FERR dans le calcul du revenu de son père, en contravention du paragraphe 146.3(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »). Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une cotisation à l'égard de M. Krenbrink en fonction de la déclaration finale, telle qu'elle avait été produite. Le ministre a par la suite établi une nouvelle cotisation à l'égard de M. Krenbrink de manière à inclure le FERR dans le calcul du revenu de celui-ci. Le ministre a établi cette nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation.

 

[2]             L'appelante ne conteste pas le fait que la juste valeur marchande du FERR aurait dû être incluse dans le calcul du revenu de M. Krenbrink. Toutefois, l'appelante affirme que le ministre a maintenant dépassé le délai prévu par la Loi pour établir une nouvelle cotisation. L'intimée fait valoir que l'appelante a fait une présentation erronée des faits, par négligence ou inattention, en omettant de déclarer la juste valeur marchande du FERR, et par conséquent, elle affirme que la nouvelle cotisation n'est pas frappée de prescription.

 

Les témoins

 

[3]             Madame Brown et Rob McGregor, vérificateur de l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC »), ont tous deux témoigné. J'ai trouvé que M. McGregor était un témoin crédible. Mme Brown n'avait que de très vagues souvenirs des évènements. Il était visiblement pratique pour Mme Brown de ne plus se souvenir de faits essentiels, mais je lui ai néanmoins accordé le bénéfice du doute en considérant que ses souvenirs approximatifs découlaient du fait que beaucoup de temps s'était écoulé depuis les évènements, et non du fait qu'elle désirait se soustraire aux questions qui lui étaient posées.

 

Les faits

 

[4]             À un certain moment avant 2001, M. Krenbrink a donné à Mme Brown une procuration pour gérer ses affaires. Mme Brown a déclaré que cette procuration lui donnait tout contrôle sur les affaires de son père, mais qu'en général, elle faisait simplement ce que son père lui demandait.

 

[5]             Monsieur Krenbrink avait un régime enregistré d'épargne‑retraite (le « REÉR »). En 2001, M. Krenbrink a transféré les actifs qu'il détenait dans son REÉR dans un FERR géré par Talvest Fund Management (« Talvest »). Mme Brown a été nommée bénéficiaire à 50 p. 100 du FERR de M. Krenbrink lors de son décès. M. Krenbrink a dû signer un formulaire de demande pour l'ouverture du FERR (pièce R‑2). M. Krenbrink et Mme Brown ont tous deux signé le formulaire[1]. Mme Brown a déclaré qu'elle savait que son père avait des actifs d'une valeur approximative de 230 000 $ dans son FERR.

 

[6]             Monsieur Krenbrink est décédé le 3 juillet 2004. Le 17 août 2004, Mme Brown a signé une lettre dans laquelle elle demandait à Talvest de transférer sa part de 50 p. 100 du FERR dans un compte de placement à son nom[2].

 

[7]             Un cabinet d'avocats a aidé Mme Brown à administrer la succession de M. Krenbrink. Mme Brown a affirmé qu'elle n'avait pas retenu les services du cabinet, mais il ne fait aucun doute que le cabinet est intervenu. Le cabinet a invité Mme Brown à réunir les relevés d'impôt de son père et à demander à un professionnel de préparer la déclaration finale. Mme Brown était fâchée de devoir faire cela.

 

[8]             Madame Brown a rassemblé tous les relevés d'impôt de son père dans un dossier. Elle ne les a pas examinés. Un de ces relevés était un feuillet T4RIF de Talvest (pièce R-3). Le feuillet T4RIF faisait état de trois montants clés. Le premier montant se trouve dans la case 16 du relevé. Cette case est intitulée « Montants imposables ». La somme de 6 058,92 $ y apparaît. Le deuxième montant se trouve dans la case 18. Cette case est intitulée « Montants réputés reçus par le rentier ». La somme de 228 164,20 $ y apparaît. Le troisième montant se trouve dans la case 28. Cette case est intitulée « Impôt sur le revenu retenu ». La somme de 58,92 $ y apparaît.

 

[9]             Madame Brown a déclaré qu'une fois qu'elle avait été en possession de tous les relevés d'impôt de son père, elle était sortie de chez elle et avait conduit jusqu'à ce qu'elle voie l'enseigne d'un commerce spécialisé dans l'établissement de déclarations de revenus. Elle était entrée dans le premier commerce qu'elle avait croisé. Il s'appelait « FAST TAX returns done for u inc. ». Mme Brown avait remis tous les relevés d'impôt au spécialiste en déclarations de revenus. Celui‑ci avait alors préparé la déclaration finale. Mme Brown avait signé la déclaration. Elle ne se rappelait plus si elle avait examiné la déclaration avant de la signer. Elle ne se rappelait pas non plus si elle avait discuté avec le spécialiste en déclarations de revenus. Après avoir signé la déclaration, Mme Brown l'avait envoyée aux avocats s'occupant de la succession, qui l'auraient envoyée à l'ARC. Elle avait envoyé la déclaration aux avocats plutôt que de l'envoyer directement à l'ARC parce qu'elle était fâchée d'avoir dû faire établir la déclaration, et le fait de l'envoyer aux avocats était, pour reprendre ses termes, sa façon de dire : [TRADUCTION] « C'est fait. Faites‑en ce que vous voulez. »

 

[10]        Le spécialiste a manifestement commis une erreur quand il a rempli la déclaration de revenus. Seules deux des trois sommes dont il était fait état dans le feuillet T4RIF ont été reportées dans la déclaration de revenus. La somme de 6 058,92 $ a été déclarée à la ligne 115 et la somme de 58,92 $, à la ligne 482. La somme de 228 164,20 $ n'a été déclarée nulle part. Par conséquent, le revenu total déclaré n'était que de 20 056,10 $ (soit moins de 10 p. 100 de ce qu'il aurait dû être).

 

Les questions en litige

 

[11]        L'appelante a soulevé de nombreuses questions :

 

a)       L'appelante a‑t‑elle fait une présentation erronée des faits?

 

b)      Si l'appelante a fait une présentation erronée des faits, le paragraphe 152(9) permet‑il à l'intimée de soutenir que l'appelante a fait la présentation erronée des faits par inattention ou par négligence, ou l'intimée doit‑elle se limiter à faire valoir que l'appelante a fait la présentation erronée des faits par inattention?

 

c)       Si le paragraphe 152(9) permet à l'intimée de prétendre que l'appelante a fait la présentation erronée des faits par inattention ou négligence, l'intimée doit‑elle renoncer à se prévaloir de cette possibilité parce qu'elle a omis d'inclure le paragraphe 152(9) dans la liste des dispositions légales sur lesquelles elle s'est fondée dans la réponse?

 

d)      Si le paragraphe 152(9) autorise l'intimée à prétendre que l'appelante a fait la présentation erronée des faits par inattention ou négligence, et qu'elle ne doit pas renoncer à cette possibilité parce qu'elle a omis d'inclure le paragraphe 152(9) dans la liste des dispositions légales sur lesquelles elle s'est fondée dans la réponse :

 

(i)      quelle est la norme de soin minimale dont l'appelante devait faire preuve et à laquelle le ministre doit prouver qu'il n'a pas été satisfait?

 

(ii)     existe‑t‑il une norme de soin moins élevée pour les exécuteurs testamentaires?

 

(iii)    l'appelante a-t-elle satisfait à la norme de soin applicable?

 

La présentation erronée des faits

 

[12]        L'appelante n'a pas admis qu'elle avait fait une présentation erronée des faits. Toutefois, elle convient du fait qu'elle aurait dû inclure la juste valeur marchande du FERR dans le calcul du revenu de son père, et elle n'a présenté aucun élément de preuve ou argument qui donnerait à entendre qu'il n'y avait pas eu de présentation erronée des faits. Je conclus que le fait d'omettre la somme de 228 164,20 $ dans le calcul du revenu de M. Krenbrink constituait une présentation erronée des faits.

 

Le paragraphe 152(9)

 

[13]        Le sous‑alinéa 152(4)a)(i) définit les circonstances pertinentes dans lesquelles le ministre peut rouvrir une année frappée de prescription :

 

Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l'impôt pour une année d'imposition [...]. Pareille cotisation ne peut être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année que dans les cas suivants :

 

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

 

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

 

[...]

 

[14]        Aux termes de ce sous‑alinéa, si le ministre veut rouvrir une année frappée de prescription, il lui incombe de prouver que le contribuable a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire.

 

[15]        Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante en tenant pour acquis que celle‑ci avait fait une présentation erronée des faits par inattention. L'appelante fait valoir qu'il est interdit à l'intimée d'invoquer de nouveaux motifs de cotisation. L'appelante soutient qu'en prétendant maintenant qu'elle a fait une présentation erronée des faits par inattention ou négligence, l'intimée invoque un nouveau motif de cotisation.

 

[16]        Le paragraphe 152(9) définit les circonstances dans lesquelles le ministre peut soulever un nouvel argument à l'appui d'une cotisation. Le paragraphe 152(9) est ainsi libellé :

 

Nouvel argument à l'appui d'une cotisation. Le ministre peut avancer un nouvel argument à l'appui d'une cotisation après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation, sauf si, sur appel interjeté en vertu de la présente loi :

 

ad'une part, il existe des éléments de preuve que le contribuable n'est plus en mesure de produire sans l'autorisation du tribunal;

 

bd'autre part, il ne convient pas que le tribunal ordonne la production des éléments de preuve dans les circonstances.

 

[17]        L'appelante soutient qu'en vertu du paragraphe 152(9), le ministre peut avancer un nouvel argument à l'appui d'une cotisation, mais qu'il ne peut pas invoquer un nouveau motif de cotisation.

 

[18]        La distinction entre un nouveau motif de cotisation et un nouvel argument à l'appui d'une cotisation est une pure question de sémantique. C'est la transaction sous‑jacente ainsi que le montant de la cotisation qui importent (voir l'arrêt R. c. Anchor Pointe Energy Ltd, 2003 CAF 294).

 

[19]        Dans l'arrêt Walsh c. La Reine, 2007 CAF 222, la Cour d'appel fédérale a défini les conditions à remplir pour l'application du paragraphe 152(9). Au paragraphe 18 de cet arrêt, le juge en chef Richard s'est ainsi exprimé :

 

Les conditions suivantes sont applicables lorsque le ministre veut invoquer le paragraphe 152(9) de la Loi :

 

1)         Le ministre ne peut pas inclure de transactions non comptées dans la nouvelle cotisation du contribuable.

 

2)         Le droit du ministre de proposer un autre argument à l'appui d'une cotisation est assujetti aux alinéas 152(9)a) et b), qui ont trait au préjudice causé au contribuable.

 

3)         Le ministre ne peut pas invoquer le paragraphe 152(9) pour établir une nouvelle cotisation au‑delà du délai prévu au paragraphe 152(4) de la Loi ou pour percevoir un impôt dépassant le montant de la cotisation contestée.

 

[20]        L'intimée soutient qu'elle n'a pas soulevé un nouvel argument. Je n'ai pas à me prononcer sur la question de savoir si l'intimée a soulevé un nouvel argument parce que, même si c'était le cas, il a été satisfait aux trois conditions qui ont été définies dans l'arrêt Walsh :

 

a)       Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante en ce qui a trait à l'inclusion d'un revenu réputé provenant d'un FERR à la suite d'un décès. C'est la même « transaction » à laquelle le ministre donne suite en l'espèce.

 

b)      L'appelante n'a donné aucune indication du fait qu'elle aurait subi un préjudice décrit au paragraphe 152(9). L'appelante a été avisée de la position de l'intimée à partir du moment où celle‑ci a produit sa réponse. Dans sa réponse, l'intimée déclarait clairement qu'elle adoptait la position selon laquelle l'appelante avait fait une présentation erronée des faits par inattention ou négligence. Par conséquent, je ne suis au courant de l'existence d'aucun élément de preuve que l'appelante n'aurait pas été en mesure de produire sans l'autorisation de la Cour.

 

c)       Pour finir, le montant de la cotisation n'a pas été modifié du fait que le ministre a changé de position, soutenant que l'appelante avait fait une présentation erronée des faits par inattention ou négligence.

 

Les dispositions légales invoquées

 

[21]        L'appelante fait valoir que, même si l'intimée peut, en vertu du paragraphe 152(9), ajouter la négligence comme constituant une cause de la présentation erronée des faits, il devrait lui être interdit d'invoquer cette disposition parce que, en contravention de l'alinéa 49(1)g) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), le paragraphe 152(9) n'apparaissait pas dans la liste des dispositions légales invoquées dans la réponse de l'intimée. L'intimée soutient qu'il n'était pas nécessaire d'ajouter le paragraphe 152(9) à cette liste parce que le fait d'ajouter la négligence comme étant une des causes de la présentation erronée des faits n'équivaut pas à présenter un nouvel argument. À titre subsidiaire, l'intimée affirme que l'appelante n'a subi aucun préjudice que ce soit du fait que le paragraphe 152(9) n'apparaissait pas dans sa liste.

 

[22]        Encore une fois, je n'ai pas à établir si le fait d'ajouter la négligence comme étant une cause de la présentation erronée des faits équivalait à présenter un nouvel argument, vu que je conclus que, même s'il s'agissait d'un nouvel argument, l'appelante n'a subi aucun préjudice du fait que le paragraphe 152(9) n'apparaissait pas dans la liste des dispositions énumérées dans la réponse.

 

[23]        L'appelante s'est fondée sur la décision que la Cour a rendue dans l'affaire Bibby c. La Reine, 2009 CCI 588. Dans cette décision, il était question d'une nouvelle cotisation que le ministre avait ratifiée en se fondant sur le paragraphe 15(1) de la Loi; à l'audience, sans l'avoir mentionné dans sa réponse, le ministre a tenté d'invoquer l'article 6 de la Loi. Le juge Bowie a empêché l'intimée d'agir ainsi. Au paragraphe 23, il s'est ainsi exprimé :

 

Le paragraphe 49(1) des Règles de procédure générale exige que la réponse indique :

 

g)         les dispositions législatives invoquées;

 

h)         les moyens sur lesquels l'intimée entend se fonder.

 

Ces exigences visent à assurer que les points litigieux soient définis de façon appropriée aux fins de l'interrogatoire préalable et de l'instruction, de façon que l'appelant sache à quels arguments il doit répondre et qu'il soit en mesure d'organiser et de présenter sa preuve en conséquence. Il ne s'agit pas d'une simple formalité dont on peut omettre de tenir compte si elle n'a pas été respectée; il s'agit d'un élément crucial du processus d'instruction, et l'intégrité de ce processus serait minée si l'on ne faisait aucun cas du manquement : voir Glisic c. La Reine [[1988] 1 C.F. 731 (C.A.F.); voir également Fortino et al. v. The Queen, 97 DTC 55 (C.C.I.); confirmée 2000 DTC 6060 (C.A.F.)].

 

[24]        Il ressort clairement de ce qui précède que, quand il a interprété l'alinéa 49(1)g) des Règles, le juge Bowie était soucieux de préserver l'équité de l'instruction. Les montants que les actionnaires reçoivent d'une société sont imposables en application du paragraphe 15(1). Le revenu d'emploi est quant à lui imposable en application de l'article 6. Par conséquent, je peux voir comment le juge Bowie en est arrivé à conclure que le fait de ne pas invoquer l'article 6 causerait un préjudice significatif à un appelant s'attendant à ce que l'appel porte sur le paragraphe 15(1).

 

[25]        Par contre, j'ai du mal à voir comment le fait que le paragraphe 152(9) n'a pas été invoqué aurait pu causer un préjudice à l'appelante, ou avoir des répercussions sur l'équité de l'instruction. L'appelante savait quelles seraient les questions en litige à l'audience et à quels arguments elle devrait répondre. Dans la réponse, l'intimée a défini quelles étaient les dispositions d'imposition sur lesquelles elle se fondait (l'article 146.3 et le paragraphe 56(1)) ainsi que la disposition sur laquelle elle se fondait pour affirmer que le ministre pouvait établir une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription (le paragraphe 152(4)). L'intimée a également précisé qu'elle adoptait la position selon laquelle l'appelante avait fait une présentation erronée des faits par négligence ou inattention. En outre, l'avocat de l'appelante n'a en aucune manière expliqué comment l'ajout du paragraphe 152(9) à la liste des dispositions légales sur lesquelles l'intimée se fondait aurait amené sa cliente à produire d'autres éléments de preuve à l'audience. L'ajout du paragraphe 152(9) aurait simplement attiré l'attention de l'appelante sur les moyens procéduraux grâce auxquels l'intimée avait le droit de formuler un nouvel argument, si l'on considère que l'ajout de la négligence consistait à formuler un nouvel argument. Vu que c'est l'avocat de l'appelante, et non l'avocate de l'intimée, qui a invoqué le paragraphe 152(9) dans sa plaidoirie, l'application possible de ce paragraphe n'était manifestement pas un point qu'il fallait porter à l'attention de l'appelante[3].

 

[26]        En plus de ce qui précède, je suis conscient du fait que, jusqu'à un certain point, l'appelante dit une chose et son contraire. L'appelante affirme que l'intimée ne peut adopter la position selon laquelle la présentation erronée des faits a été faite par négligence parce que cette position équivaudrait à présenter un nouveau motif de cotisation. Pourtant, l'appelante n'a pas soulevé cette question dans ses actes de procédure. Il est vrai qu'elle n'a eu connaissance du problème qu'au moment où elle a reçu la réponse. Toutefois, une fois que l'appelante a lu la réponse et qu'elle a compris que l'intimée avait l'intention d'invoquer la négligence à l'appui de la nouvelle cotisation, l'appelante aurait dû, par souci d'équité pour l'intimée, produire un avis d'appel modifié dans lequel elle aurait soulevé la question. Essentiellement, l'appelante affirme qu'il est injuste que l'intimée, qui n'était pas au courant de la question que l'appelante soulèverait, n'ait pas invoqué le paragraphe 152(9), et ce, en dépit du fait que le paragraphe 152(9) n'aurait même pas été le principal moyen de défense que l'intimée aurait invoqué pour répondre à cette question imprévue, mais plutôt son moyen de défense subsidiaire.

 

[27]        Compte tenu de tout ce qui précède, même s'il est nécessaire pour l'intimée d'invoquer le paragraphe 152(9), je ne suis pas prêt à l'en empêcher.

 

La norme de soin applicable aux exécuteurs testamentaires

 

[28]        Les parties conviennent du fait que, pour prouver qu'il y a eu négligence, l'intimée doit prouver que l'appelante n'a pas agi avec un degré raisonnable de soin (Venne c. La Reine, [1984] A.C.F. no 314 (QL) (C.F. 1re inst.); Gebhart (Succession) c. La Reine, 2008 CAF 206). Elles s'accordent aussi à dire que la norme à l'égard de laquelle un contribuable est normalement jugé est celle de la personne sage et prudente. Toutefois, l'appelante soutient que la norme de la personne sage et prudente ne devrait pas s'appliquer aux exécuteurs testamentaires. L'appelante renvoie à l'arrêt que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire Fales c. Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 R.C.S. 302, pour soutenir que le soin qu'on exige des exécuteurs testamentaires est celui qu'une personne de prudence normale apporte à l'administration de ses propres affaires, et non celui d'une personne sage et prudente.

 

[29]        Je ne souscris pas à la thèse de l'appelante. Dans l'arrêt Fales, la Cour suprême du Canada a décrit le soin qu'un fiduciaire administrant une fiducie doit exercer pour les bénéficiaires de la fiducie, et non le soin qu'un exécuteur testamentaire produisant des déclarations de revenus doit exercer pour le ministre. Je ne vois aucune raison pour laquelle le soin qu'un exécuteur testamentaire doit exercer pour le ministre serait de quelque manière différent du soin que les autres contribuables doivent exercer. L'appelante ne m'a renvoyé à aucune jurisprudence fiscale qui militerait en faveur de l'application de la norme qui a été définie dans l'arrêt Fales aux décisions en matière d'impôt sur le revenu.

 

La négligence

 

[30]        La seule question qui reste est de savoir si la présentation erronée des faits, soit l'omission de l'appelante de déclarer le revenu du FERR de 228 164,20 $, est imputable à la négligence. Je conclus que oui.

 

[31]        En omettant d'examiner les relevés d'impôt qu'elle a reçus pour la succession (y compris le feuillet T4RIF), Mme Brown a fait preuve d'imprudence. Un exécuteur testamentaire faisant preuve de diligence raisonnable aurait examiné le feuillet T4RIF, aurait remarqué qu'une somme de 228 164,20 $ y apparaissait, et, après avoir vu ce montant, aurait fait l'effort minimal de le chercher dans la déclaration de revenus. Ne voyant pas la somme dans la déclaration de revenus, un exécuteur testamentaire faisant preuve de diligence raisonnable aurait alors interrogé le spécialiste. Un exécuteur testamentaire faisant preuve de diligence raisonnable aurait même pu regarder le verso du feuillet T4RIF, prendre note de la description suivante relative à la case 18 et posé les questions qui s'imposaient :

 

Case 18 — Il s'agit de la juste valeur marchande de tous les biens détenus dans le FERR au moment du décès du rentier. Pour en savoir plus sur la façon de déclarer ce montant, consultez le guide T4040, REER et autres régimes enregistrés pour la retraite.

 

[32]        Il est important de prendre acte du fait que le feuillet T4RIF n'était pas un formulaire d'importance relativement minime portant sur un aspect secondaire de la succession. Le FERR représentait plus de 70 p. 100 de tous les biens qui ont été distribués aux bénéficiaires du fait du décès de M. Krenbrink[4]. Mme Brown était parfaitement consciente de l'importance du FERR. Elle en était la bénéficiaire à 50 p. 100. Bien qu'elle ait déclaré qu'elle ne se souvenait plus du montant qu'elle avait reçu du FERR, elle se souvenait bien qu'elle avait reçu de l'argent après le décès de son père. J'accepte le fait qu'il est possible qu'elle ne se souvienne plus du montant qu'elle a reçu, mais je conclus qu'elle aurait été informée de ce montant à l'époque où elle l'a reçu. Tout ce qu'elle aurait eu à faire pour établir la valeur du FERR aurait été de multiplier par deux la somme qu'elle avait reçue. Par conséquent, il ne fait aucun doute dans mon esprit que Mme Brown était parfaitement au courant du montant précis qu'elle a reçu aussi bien au moment où elle l'a reçu en 2004 qu'en 2005, quand elle a signé la déclaration finale. Par conséquent, elle aurait dû savoir qu'il était important d'examiner le feuillet T4RIF.

 

[33]        Il n'y a aucune preuve quant à la question de savoir si Mme Brown a examiné la déclaration finale. Mme Brown a déclaré que, bien qu'elle ait déjà produit ses propres déclarations de revenus, elle n'avait jamais produit de déclarations à titre d'exécutrice testamentaire ou pour le compte de personnes décédées. Ainsi, elle a affirmé que, si elle avait examiné la déclaration en cause, elle n'aurait pas pu dire si elle était exacte. Cependant, le fait est que, vu qu'elle n'avait pas regardé le feuillet T4RIF, Mme Brown n'aurait pas été en mesure de cerner des erreurs ou de poser plus de questions, et ce, même si elle avait examiné la déclaration de revenus. C'est en premier lieu sa décision de ne pas regarder le feuillet T4RIF qui est preuve d'imprudence.

 

[34]        Madame Brown a déclaré qu'elle s'attendait à devoir payer des impôts à titre personnel à l'égard du FERR quand elle a produit sa propre déclaration de revenus. Elle n'a pas expliqué comment elle en était arrivée à cette conclusion. Elle a simplement affirmé qu'il s'agissait [TRADUCTION] d'« une hypothèse de [s]a part ». Elle n'a pas cherché à obtenir de conseils sur ce point. Mme Brown a déclaré qu'elle préparait et qu'elle produisait elle-même ses propres déclarations de revenus. La déclaration de revenus de Mme Brown pour l'année d'imposition 2004 n'a pas été produite en preuve. J'en tire une inférence défavorable. Je conclus que, si Mme Brown avait produit cette déclaration en preuve, la déclaration n'aurait pas montré que Mme Brown avait essayé de déclarer le revenu manquant provenant du FERR. En me fondant sur cette inférence défavorable, je conclus qu'il importait peu à Mme Brown que le revenu tiré du FERR fasse l'objet d'une déclaration en bonne et due forme, que ce soit dans sa déclaration de revenus personnelle ou dans la déclaration finale de M. Krenbrink.

 

[35]        Je note qu'en parvenant à la conclusion selon laquelle Mme Brown a fait preuve de négligence, j'ai accordé un poids faible à ce qui pourrait être qualifié d'attitude négative de Mme Brown dans le processus de préparation de la déclaration, comme le montrent sa colère à l'égard des avocats de la succession quand ils l'ont obligée à faire préparer la déclaration, la méthode qu'elle a employée pour choisir le spécialiste en déclarations de revenus et sa décision d'envoyer la déclaration de revenus aux avocats plutôt qu'à l'ARC. Bien qu'aucun de ces gestes ne soit dérangeant en soi, vus collectivement et en parallèle avec la décision de Mme Brown de n'examiner aucun des relevés d'impôt, ils trahissent une volonté générale d'investir aussi peu d'efforts que possible dans la préparation de la déclaration de revenus.

 

L'inattention

 

[36]        L'appelante affirme qu'il y a une différence entre la négligence et l'inattention et que la norme à laquelle il est nécessaire de satisfaire pour prouver qu'il y a eu inattention est plus élevée que la norme relative à la négligence. Compte tenu des conclusions que j'ai rendues ci‑dessus, je n'ai pas à me pencher sur cette question.

 

Résumé

 

[37]        Compte tenu de tout ce qui précède, l'appel est rejeté avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de janvier 2014.

 

 

« David E. Graham »

Le juge Graham

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de mars 2014.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 22

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2012-2210(IT)G

 

INTITULÉ :                                      La succession du défunt Raymond Krenbrink c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 9 décembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L'honorable juge David E. Graham

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 27 janvier 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

MJonathan M. Aiyadurai

Avocate de l'intimée :

M Shannon M. Currie

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

          Nom :                             Jonathan M. Aiyadurai

          Cabinet :               Johns, Southward, Glazier, Walton & Margetts

                                      Victoria (Colombie‑Britannique)

 

          Pour l'intimée :     William F. Pentney

                                       Sous‑procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1]           Bien qu'on ait laissé entendre qu'il était possible que Mme Brown ait signé le formulaire en tant que bénéficiaire éventuelle, je conclus qu'elle l'a fait à titre de mandataire de M. Krenbrink. Rien dans le formulaire n'exigeait que les bénéficiaires le signent, les autres bénéficiaires ne l'ont pas signé, et Mme Brown a apposé sa signature à côté de celle de son père dans la partie du formulaire réservée à la signature du rentier.

 

[2]           En fait, la lettre fait référence à Primerica PFSL Investments Canada Ltd. À l'audience, on n'a pas établi clairement si Talvest était une division de Primerica ou s'il s'agissait de deux entités distinctes. Aucune question ne repose sur ce point.

 

[3]           Vu qu'il incombait à l'intimée de prouver qu'elle pouvait rouvrir l'année frappée de prescription, l'avocate de l'intimée a présenté ses observations en premier.

 

[4]           La somme d'environ 90 000 $ a été distribuée par la succession de M. Krenbrink, en plus de la somme de 228 164,20 $ provenant du FERR.

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