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Dossier : 2011-1872(GST)G

ENTRE :

SALAISON LÉVESQUE INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 3 et 4 septembre 2013, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Louis Tassé

Me Marie-Claude Marcil

 

Avocat de l’intimée :

Me Eric Labbé

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

        L’appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (L.R.C. 1985, c. E-15), pour la période du 7 août 2006 au 29 août 2009, dont l’avis est daté du 13 avril 2010, est accueilli et la cotisation est annulée, le tout avec frais en faveur de l’appelante.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de février 2014.

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

 

Référence : CCI 2014 36

Date : 20140204

Dossier : 2011-1872(GST)G

ENTRE :

 

SALAISON LÉVESQUE INC.,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Tardif

 

[1]             L’appelante fait appel d’une cotisation fondée sur les articles 165, 169, 280, 285 et 298 de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »)[1] relativement aux périodes du 7 août 2006 au 29 août 2009. La somme réclamée par le ministre du Revenu national (le « ministre ») est de 20 430,32 $, incluant les intérêts et pénalités.

 

[2]             L’intimée soumet que l’appelante n’avait pas le droit de réclamer les crédits de taxe sur intrants (« CTI ») en vertu du paragraphe 169(4) de la LTA relativement aux montants versés aux Agences Alina, Production Plus inc. et Entreprises A. Bustos, alléguant que les dispositions règlementaires pour réclamer les CTI en question n’ont pas été respectées.

 

[3]             D’entrée de jeu, la position de l’intimée est nébuleuse. D’une part, elle soutient que les factures litigieuses seraient de fausses factures. D’autre part, elle admet que le travail correspondant au descriptif des mêmes factures a bel et bien été exécuté.

 

[4]             Pour réconcilier les deux thèses, l’intimée semble prétendre que ceux qui ont effectué le travail ne sont pas les personnes qui ont préparé et présenté les factures à l’appelante.

 

[5]             Pour éviter toute mauvaise interprétation de la position de l’intimée, il m’apparait pertinent de reproduire les prétentions de l’intimée telles que mentionnées à la réponse à l’avis d’appel aux paragraphes suivants :

 

d)     Une somme de 12 443,34 $ a été cotisée pour des CTI refusés quant à des factures de complaisance;

 

g)      L’intimée a refusé les CTI réclamés puisqu’elle considère que les sous‑traitants en cause sont des fournisseurs de factures d’accommodation et que les travaux n’ont pas été réalisés ou ne l’ont pas été par ces sous‑traitants;

 

j)        Les sous-traitants accommodateurs n’ont pas les capacités, l’expertise et les ressources matérielles, financières et humaines pour fournir la main‑d'œuvre se rapportant aux paiements qui lui ont été faits;

 

n)      À l’exception de certaines factures, aucune autre preuve démontrant la sous‑traitance de la main-d’œuvre;

 

[6]             L’intimée soutient que la condition exigeant que le nom du fournisseur soit indiqué sur les factures n’est pas respectée, étant donné que seuls les noms des Agences y figuraient.

 

[7]             Selon l’intimée, les Agences en question n’avaient pas les capacités, l’expertise et les ressources matérielles, financières et humaines pour fournir la main-d’œuvre se rapportant aux paiements qui leur ont été faits. Par conséquent, l’intimée prétend que les services n’auraient pas été rendus par les Agences en question, mais plutôt par d’autres sous-traitants et que ce sont donc leurs noms qui auraient dû être indiqués sur les factures au lieu de ceux des Agences.

 

[8]             Malgré certaines incohérences, il incombe à l’appelante de démontrer que les factures en lien avec les CTI réclamés respectent les conditions obligatoires prescrites par le Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (le « Règlement »)[2] et plus précisément, qu’il y a bel et bien eu de véritables transactions commerciales entre elle et les Agences.

 

Le droit applicable

 

[9]             Voici les articles de la LTA et du Règlement qui sont pertinents à la compréhension du litige :

 

*                   (1) L.T.A. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe calculée au taux de 5 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

*                    

(1) L.T.A. La personne qui effectue une fourniture taxable doit, à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada, percevoir la taxe payable par l’acquéreur en vertu de la section II.

 

*                   169(4) L.T.A. L’inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

*                    

a)   il obtient les renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

*         

 Les renseignements visés à l’alinéa 169(4)a) de la Loi, sont les suivants :

 

a)   lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de moins de 30 $ :

 

(i)                 le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire,

(ii)               si une facture a été émise pour la ou les fournitures, la date de cette facture,

 

      […]

 

               (iv)       le montant total payé pour la ou les fournitures;

 

b)   lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 30 $ ou plus et de moins de 150 $ :

(i)      le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire et le numéro d’inscription attribué, conformément au paragraphe 241(1) de la Loi, au fournisseur ou à l’intermédiaire, selon le cas,

 

[…]

 

c)   lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 150 $ ou plus :

 

(i)    les renseignements visés aux alinéas a) et b),

(ii)     soit le nom de l’acquéreur ou son nom commercial, soit le nom de son mandataire ou de son représentant autorisé,

(iii)    les modalités de paiement,

(iv)    une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

 

(1) L.T.A. Sous réserve des autres dispositions de la présente sous-section, la taxe nette pour une période de déclaration donnée d’une personne correspond au montant, positif ou négatif, obtenu par la formule suivante : A – B où :

A         représente le total des montants suivants :

 

ales montants devenus percevables et les autres montants perçus par la personne au cours de la période donnée au titre de la taxe prévue à la section II;

*         

*        […]

*         

B         le total des montants suivants :

 

al’ensemble des montants dont chacun représente un crédit de taxe sur les intrants pour la période donnée ou une période de déclaration antérieure de la personne, que celle-ci a demandé dans la déclaration produite en application de la présente section pour la période donnée;

*         

*        […]

*         

 Sous réserve du présent article et de l’article 281, la personne qui ne verse pas ou ne paie pas un montant au receveur général dans le délai prévu par la présente partie est tenue de payer des intérêts sur ce montant, calculé au taux réglementaire pour la période commençant le lendemain de l’expiration du délai et se terminant le jour du versement ou du paiement.

 

 Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, une demande, un formulaire, un certificat, un état, une facture ou une réponse — appelés « déclaration » au présent article — établi pour une période de déclaration ou une opération, ou y participe, y consent ou y acquiesce, est passible d’une pénalité de 250 $ ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 25 % de la somme des montants suivants :

 

a) si le faux énoncé ou l’omission a trait au calcul de la taxe nette de la personne pour une période de déclaration, le montant obtenu par la formule suivante : A – B où :

*                                                                    

A         représente la taxe nette de la personne pour la période,

 

B         le montant qui correspondrait à la taxe nette de la personne pour la période si elle était déterminée d’après les renseignements indiqués dans la déclaration;

 

[…]

 

298(4) L.T.A. Une cotisation peut être établie à tout moment si la personne visée a :

 

a) fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire;

 

b) commis quelque fraude en faisant ou en produisant une déclaration selon la présente partie ou une demande de remboursement selon la section VI ou en donnant, ou en ne donnant pas, quelque renseignement selon la présente partie;

 

Les faits

 

[10]        L’appelante est un inscrit conformément aux dispositions prévues par la partie IX de la LTA.

 

[11]        L’appelante est une entreprise familiale fondée en 1967, qui se spécialise dans la fabrication de jambon sous de multiples facettes et présentations; dans le cadre de ses opérations, elle détient la certification « Hazard Analysis Critical Control Point – Méthode et les principes de gestion sanitaire des aliments ». Depuis sa création, elle n’a jamais fait l’objet de rappel de nourriture et ce, bien qu’il s’agisse d’une production extrêmement sensible et vulnérable en matière de salubrité. Une telle réalité démontre à quel point l’entreprise est alerte et prudente au niveau du contrôle de la qualité.

 

[12]        Les produits de l’appelante sont vendus dans plusieurs supermarchés canadiens, ainsi qu’à l’étranger. Son chiffre d’affaires annuel se situe entre 15 et 18 millions.

 

[13]        L’entreprise de l’appelante est exploitée à longueur d’année, mais il y a certains moments dans l’année où la demande est plus forte, notamment lors des grandes fêtes telles Noël et Pâques. Comme les produits transformés et vendus par l’appelante sont périssables, ses clients exigent de très courts délais de livraison sanctionnés par des pénalités importantes pour tout délai ou retard.

 

[14]        L’entreprise de l’appelante emploie environ 75 personnes à temps plein; lors des périodes de pointe au nombre de plus ou moins quatre par année, l’appelante doit avoir recours à un surplus important de main-d’œuvre.

 

[15]        Pour combler la pénurie de main-d'œuvre ponctuelle, dans un premier temps, elle a essayé de recruter directement le personnel requis en faisant paraître régulièrement des annonces dans les journaux.

 

[16]        Toutes les initiatives ont échoué et les attentes n’ont jamais donné les résultats désirés. Pour remédier à ce criant besoin de main-d'œuvre ponctuel, l’appelante s’est vue contrainte d’avoir recours à des Agences de placement qu’elle a recrutées, ou dont elle a accepté les offres de service. L’appelante a aussi indiqué avoir eu recours à l’internet (Jobboom) ainsi qu’aux Pages jaunes.

 

[17]        Au cours des périodes en litige, l’appelante a notamment retenu les services de quatre Agences de placement soit : Placement Tout Azimut, Alina, Production Plus inc. et Entreprises A. Bustos («les Agences»).

 

[18]        L’appelante a versé aux Agences les montants totaux suivants :

 

Période

Montant

2005

83 494 $

2006

262 778 $

2007

242 611 $

2008

188 787 $

Total

777 767 $

 

 

 

 

[19]        L’appelante a retenu les services des Agences pour les périodes suivantes :

 

Nom de l’Agence

Période

Placement Tout Azimut

8 octobre 2005 au 30 août 2008

Alina

7 avril 2007 au 3 octobre 2008

Production Plus inc.

Septembre 2008 à mai 2009

Entreprises A. Bustos

Septembre 2008 à août 2009

 

[20]        De façon générale, dans le cours de ses opérations la majorité des dépenses effectuées par l’appelante auprès des Agences de placement ont été acceptées par l’intimée.

 

[21]        La relation d’affaires avec les Agences se déroulait comme suit :

 

a)  Un représentant de l’appelante prenait contact avec l’Agence de placement sélectionnée pour négocier le contrat de service de personnel; le taux horaire, la méthode de paiement étaient notamment discutés (il y avait un contrat écrit seulement avec Production Plus inc.);

b)  Une fois l’entente intervenue entre l’appelante et l’Agence, le contremaître de l’appelante contactait l’Agence pour confirmer le nombre d’employés requis à une date et heure données sur les lieux de l’entreprise de l’appelante (le jour même ou le lendemain);

c)  Les employés de l’Agence (composés essentiellement d’immigrants) se présentaient à la réception de l’appelante à la date et à l’heure convenues;

d)  Leur numéro d’assurance-sociale ou une pièce d’identité n’était pas demandé; 

e)  Tous les travailleurs recevaient une formation obligatoire sur les normes d’hygiène et de sécurité et ils signaient un formulaire attestant qu’ils avaient reçu cette formation. Cela permettait ensuite aux contrôleurs de l’appelante de faire un suivi sur qui avait déjà suivi la formation et ainsi de voir qui pourrait avoir besoin d’une mise à jour;

f)  Les employés d’Agence devaient poinçonner à l’entrée et à la sortie de l’usine une carte de temps;

g)  L’Agence transmettait, par télécopie ou par courriel, hebdomadairement à l’appelante la liste des employés qui avaient travaillé la semaine précédente, pour valider le nom et les heures travaillées par chaque employé de l’Agence;

h)  L’Agence émettait par la suite à l’appelante une facture, laquelle était acquittée par chèque.

 

[22]        Quelques chèques émis aux Agences ont été encaissés dans des centres d’encaissement; il s’agissait toutefois d’exceptions puisque la majorité transitait par la voie habituelle.

 

[23]        Avant de retenir les services d’une Agence de placement, l’appelante vérifiait toujours l’exactitude et la véracité des numéros d’inscription en TPS auprès des autorités.

 

[24]        Toutes les Agences avaient un numéro valide d’inscription en TPS au cours des périodes en litige, sauf Placement Tout Azimut qui indiquait sur ses factures qu’elle allait obtenir prochainement son numéro d’inscription en TPS. Logique et cohérente, l’appelante a alors décidé de ne pas payer les taxes sur ces factures et n’a d’ailleurs pas réclamé les CTI afférents.

 

[25]        L’appelante n’a pas vérifié auprès du registraire des entreprises du Québec le statut des Agences; elle n’a pas obtenu de lettre de conformité de la CSST relative à ces Agences. L’appelante n’a jamais visité les lieux d’affaires des Agences ou demandé des références.

 

[26]        Elle communiquait par téléphone, par télécopie ou par courriel avec les dirigeants des Agences. Elle a également rencontré personnellement M. Aristide Bustos des Entreprises A. Bustos.

 

[27]        Le taux horaire exigé par les Agences était en moyenne de 12 $ de l’heure pour du temps simple et de 18 $ de l’heure pour du temps double (Entreprises A. Bustos : 11 $ de l’heure, Placement Tout Azimut : 9,50 $ de l’heure, Production Plus inc. : 12 $ de l’heure et Alina : 14,25 $ de l’heure).

 

[28]        Le salaire horaire versé aux Agences correspondait sensiblement au salaire que versait l’appelante à ses propres employés.

 

[29]        La marge de profit réalisé par les Agences était plutôt marginale si on présume que les entreprises en question payaient le salaire minimum d’une part; d’autre part, dans l’éventualité où le salaire minimum était respecté, ce qui est peu probable, les entreprises en question détournaient manifestement les taxes perçues à leur profit ce qui leur permettait de tirer avantage de la situation au détriment de travailleurs très vulnérables et de l’État.

 

[30]        À l’occasion l’appelante a recruté certains travailleurs des Agences qui sont, par la suite, devenus des employés permanents.

 

[31]        Lors de vérifications plutôt sommaires, l’intimée a fait les constats suivants :

 

            Placement Tout Azimut inc.

-          Cette société a été fondée en 2004;

-          L’actionnaire majoritaire est M. Youcef Balmed, également président de la société;

-          À chaque année en cause, sa société et lui déclaraient de faibles revenus;

-          Il n’y avait pas de réelle place d’affaires de la société à partir de 2008;

-          L’adresse sur les factures n’est pas la même que celle sur les chèques;

-          Les chèques sont datés parfois le lendemain de la date de facturation;

-          La société disait qu’elle n’avait pas encore obtenu de numéro de taxes, mais en fait, elle en avait un qui était valide du 2 décembre 2004 au 1er juillet 2008. C’est que la société faisait affaires avec cinq clients différents et à certains, elle a donné son numéro de taxes et à d’autres, non;

-          Il est impossible à Revenu Québec de retracer les employés déclarés sur les feuilles de temps (ne trouve pas leur numéro d’assurance sociale);

-          La société n’a pas déclaré la plupart de ses revenus pour la période de 2005 à 2008. Elle n’a donc pas, en conséquence, déclaré le bon montant de taxes et de salaires;

-          M. Balmed a fait faillite, peu de temps après le début de la vérification de sa société. Il a donc été impossible de récupérer les sommes dues à l’État, soit de la part de la société, soit de la part de son administrateur, malgré des cotisations à cet effet;

-          Lorsque la vérificatrice agissant dans le dossier de la société a contacté l’appelante pour avoir des précisions sur leur relation d’affaires et que l’appelante a ensuite contacté la société pour demander ce qui se passait, plus aucun employé de l’agence ne s’est présenté par la suite pour travailler.

 

Entreprises A. Bustos

-          Cette société a été fondée en 2007;

-          L’actionnaire majoritaire est M. Bustos Aristides, également le président de la société;

-          Cette société a été vérifiée suite à la vérification de l’appelante;

-          La société a une place d’affaires;

-          La société n’avait aucun numéro de retenue à la source et ne déclarait aucun employé avant janvier 2008;

-          La société ne déclarait pas le bon montant de salaires;

-          La société est inscrite en taxes, mais elle n’a pratiquement jamais produit de rapport de taxes;

-          M. Bustos a déclaré au vérificateur de Revenu Québec qu’il avait embauché son premier employé le 16 janvier 2008;

-          M. Bustos a également avoué avoir payé des employés au noir et il dit n’avoir aucune coordonnée de ses employés, que c’est l’appelante qui les avait;

-          M. Bustos prétend que l’appelante était au courant qu’il n’avait pas de numéro de retenue à la source et que cela ne la dérangeait pas;

-          M. Bustos prétend que l’appelante pouvait contacter les employés de son agence directement sans passer par lui;

-          M. Bustos prétend qu’il préparait une facture basée sur les heures envoyées par l’appelante (celle-ci lui disait qui était venu travailler[3]) et qu’il l’envoyait par internet à l’appelante. Ensuite, il se rendait le jour même aux bureaux de l’appelante pour obtenir le chèque, allait l’encaisser pour obtenir de l’argent comptant et payait ses employés en argent dans le stationnement ou la cafétéria de l’appelante;

-          M. Bustos devient par la suite introuvable;

-          Il est impossible à Revenu Québec de retracer la plupart des employés déclarés sur les feuilles de temps. Mme Soledad Segoviano Trujillo a été rejointe et a mentionné avoir travaillé chez l’appelante en 2008. Elle dit avoir été payée comptant par M. Bustos et qu’un des dirigeants de l’appelante était au courant de la situation. Elle a également dit que l’appelante pouvait directement la contacter pour aller travailler;

-          Mme Trujillo n’a jamais déclaré ses revenus provenant de l’agence;

-          Bien que des cotisations ont été émises à la société et à M. Bustos pour sommes non remises et sommes non perçues, il n’a jamais été possible à l’intimé de recouvrer ces sommes.

 

Production Plus inc.

-          Une recherche au REQ a permis de retrouver quatre entreprises différentes qui utilisaient ce nom;

-          La société 9195-7753 Québec inc. a été retenue et elle a été vérifiée avant l’appelante;

-          Lorsque l’appelante a été contactée par la vérificatrice du dossier de la société et qu’elle a ensuite demandé à la société les numéros d’assurance sociale de ses employés, elle n’a eu aucun retour d’appel de la société et c’est ainsi qu’elle a cessé toutes ses relations d’affaires avec elle;

-          L’actionnaire majoritaire et administrateur de la société est Mme Mélina Sandoval;

-          La société a une place d’affaires (il y avait une salle d’attente, une secrétaire-réceptionniste à un bureau et Mme Sandoval à un autre bureau);

-          La société collaborait avec des gens reconnus par l’intimé comme étant des fournisseurs de factures de complaisance;

-          La société est inscrite en taxes, mais son numéro lui a été retiré du 26 novembre 2008 au 19 février 2009, au motif qu’elle n’avait fourni aucune preuve d’activité commerciale;

-          Elle a produit ses déclarations de taxes en 2008, mais pas en 2009;

-          Elle a déclaré ses salaires en 2008, mais pas en 2009;

-          La société n’a jamais déclaré de revenu;

-          Il y avait un contrat entre la société et l’appelante, mais l’adresse figurant sur le contrat n’est pas la même que celle figurant sur les factures;

-          Les chèques ont la même date que les factures;

-          Revenu Québec n’a pas été en mesure de retracer les employés déclarés sur les feuilles de temps;

-          La société a été cotisée pour sommes non remises et sommes non perçues, mais l’intimé n’a pu recouvrer ces sommes de la société ou de son administrateur.

 

Alina

-          Cette société a été fondée en 2006;

-          L’actionnaire majoritaire est M. Ricardo Hernandez et il est également le président de la société. M. Yorge Luna est le vice-président de la société;

-          Cette société a été vérifiée suite à la vérification de l’appelante;

-          La société a une place d’affaires;

-          La société n’a pas déclaré la plupart de ses revenus, même si elle a produit des déclarations de 2006 à 2008;

-          Elle a déclaré ses taxes et ses salaires de 2006 à 2009, mais les montants déclarés ne sont pas en conformité avec les revenus de l’entreprise;

-          Le paiement des factures émises par la société se faisait à l’intérieur d’une semaine;

-          Revenu Québec n’a pas été en mesure de retracer les employés déclarés sur les feuilles de temps;

-          La société a fait faillite, peu de temps après le début de la vérification;

-          Il a donc été impossible à l’intimé de recouvrer les sommes dues par la société, malgré l’avoir cotisé à cet effet ainsi que ses administrateurs.

 

[32]        À la lumière de ces multiples constats, il m’apparait raisonnable de conclure qu’il était manifeste qu’il s’agissait d’entreprises non fiables et malhonnêtes, de véritables fraudeurs ayant pour seul objectif de s’enrichir au détriment de la société et exploitant sans doute des personnes vulnérables et sans défense.

 

[33]        Dans un tel contexte, toute information provenant de ces entreprises n’était ni fiable, ni crédible; bien plus le modus operandi exigeait l’absence de données, d’informations et de documents. Ces entreprises, de par leur façon de faire, avaient tout intérêt à ne pas avoir de registres, documents ou autres pièces susceptibles de les incriminer.

 

[34]        Il est étonnant et tout à fait bouleversant que l’intimée détenant d’aussi puissants pouvoirs se soit contentée de faire une vérification peu élaborée et superficielle. Il est encore plus étonnant que l’intimée tire des conclusions aussi farfelues et loufoques qu’à défaut de registres de paye et d’employés, cela démontrait ou prouvait que les Agences n’avaient effectivement pas de travailleurs à leurs emplois. De plus et manifestement, l’intimée a aussi tenu pour acquis que les Agences en question payaient le salaire minimum à leurs salariés.

 

[35]        À écouter les vérificateurs, ce que le tribunal a très soigneusement fait, les entreprises parasites enquêtées ont fourni des informations dignes de foi quant à l’absence de travailleurs. L’intimée a tenu pour acquis comme étant plausibles et raisonnables certaines données tout à fait douteuses et non fiables pour établir les fondements des cotisations qui font l’objet de l’appel.

 

[36]        Plutôt que de pousser leur enquête et de prendre certaines initiatives de nature pénale, voire même criminelle, l’intimée a choisi la voie facile et rapide en s’attaquant à l’appelante. La LTA prévoit d’ailleurs très clairement, au paragraphe 329(1) des mesures susceptibles de ralentir sinon freiner les ardeurs de ces escrocs.

 

[37]        Voyant qu’elle ne pouvait recouvrer des Agences les sommes dues par elles, l’intimée a décidé de cotiser l’appelante. Tout d'abord, elle a commencé par refuser les dépenses d’entreprises reliées aux paiements faits aux Agences pour ensuite les accepter en majorité.

 

[38]        Elle a ensuite cotisé l’appelante pour ne pas avoir effectué des retenues à la source, prenant pour acquis que les employés des Agences étaient plutôt ses propres employés.

 

[39]        Plus tard dans le temps, elle a reconnu que des services avaient bel et bien été rendus à l’appelante, et, conséquemment, la cotisation fut, encore là, annulée.

 

[40]        Finalement, l’intimée a cotisé l’appelante pour les motifs invoqués dans le dossier faisant l’objet de l’appel, soit non remise du montant approprié de taxe nette du fait que les CTI réclamés sur les paiements faits aux Agences ont été refusés et cela bien qu’il n’y ait strictement rien dans la preuve soumise de part et d’autre qui démontre une certaine connivence entre l’appelante et les Agences de placement concernées.

 

[41]        Les relations d’affaires étaient usuelles et tout à fait conformes aux règles de l’art. Cette même preuve n’a rien fait ressortir qui puisse mettre en doute la bonne foi de l’appelante ou même une quelconque négligence. Dans le genre d’activités commerciales de l’appelante, il était normal, approprié et sage de procéder comme elle l’a fait.

 

[42]        Plusieurs entreprises du Québec requièrent les services d’Agences de placement pour combler leurs besoins en main-d’œuvre et la demande est de plus en plus grande[4]. Il s’agit d’une réalité connue de l’intimée, d’où l’importance et voire urgence de mettre en place les outils requis pour s’assurer que les dispositions de la LTA sont rigoureusement respectées.

 

[43]        Revenu Québec impose certaines obligations aux Agences de placement[5]; cette industrie n’était pratiquement pas règlementée et plusieurs profitaient de la situation pour s’enrichir sans égard à leurs obligations fiscales.

 

[44]        La jurisprudence en matière de sociétés faisant affaires avec des Agences de placement identifie quatre situations pour justifier le refus de leurs CTI :

 

- il n’y a pas eu de réel service rendu à la société cliente (il s’agit donc d’une facture d’accommodation, qui selon la définition traditionnelle implique que la société cliente n’aurait pas payé les taxes sur le supposé service reçu, mais réclamerait tout de même les CTI afférents);

- le numéro d’inscription en TPS n’était pas indiqué sur la facture, il y avait usurpation du numéro d’inscription en TPS ou le numéro d’inscription en TPS n’était pas valide durant la période en cause;

- la facture ne contenait pas une description suffisante de la fourniture; et

- le nom du fournisseur indiqué sur la facture n’était pas le bon (par exemple, parce que la société cliente aurait accepté de payer un tiers sur ordre de l’Agence, alors que celui-ci n’était nullement impliqué dans la fourniture).

 

[45]        Toute référence à la jurisprudence commande la prudence mais aussi et surtout la prise en compte des faits particuliers à chaque dossier et leur contexte. Comme l’indiquait le juge Archambault, dans la décision Systematix Technology Consultants Inc. c. La Reine, une décision qui concerne le numéro d’inscription en TPS n’est pas pertinente à un dossier où c’est le nom du fournisseur qui est en litige[6].

 

[46]        Dans un premier temps, l’intimée invoque que les Agences avec lesquelles l’appelante transigeait n’exerçaient pas d’activité commerciale, étant donné qu’elles n’avaient pas les capacités, l’expertise et les ressources matérielles, financières et humaines pour fournir la main-d’œuvre se rapportant aux paiements qui leur ont été faits par l’appelante.

 

[47]        Cet argument est sans fondement d’autant plus que l’intimée a elle-même reconnu que les Agences exerçaient une activité commerciale, puisqu’avant de cotiser l’appelante, elle a d’abord cotisé les Agences pour taxes de vente non perçues et non remises et pour revenus non déclarés.

 

[48]        Si les Agences de placement concernées n’exploitaient pas une entreprise, pourquoi les avoir cotisées dans un premier temps? À cet effet, le procureur de l’appelante soumet une nuance fort pertinente en affirmant qu’il y a une nette distinction entre le concept d’absence de ressources et celui de ressources non déclarées.

 

[49]        À la lumière des nombreux constats effectués lors de la vérification des Agences de placement, il était évident qu’il s’agissait là d’entreprises délinquantes dont le seul but était de tirer le maximum de profit au détriment de ses propres employés, en les payant sans doute un salaire ridicule et l’État, en empochant les montants de TVQ et TPS qui leur étaient payés.

 

[50]        Devant une telle évidence, pourquoi l’intimée n’a-t-elle pas été plus déterminée, plus sévère et plus vindicative? Au contraire, elle a tenu pour acquis qu’à défaut de registres, leurs employés étaient payés au salaire minimum, et ce qui est encore plus invraisemblable qu’il n’y avait tout simplement pas d’employés puisqu’il n’y avait pas de registres.

 

[51]        En outre, il est tout aussi surprenant que l’intimée ait, dans un premier temps, cotisé les Agences pour les déductions à la source non remises. Ayant échoué dans sa tentative de récupérer les sommes dues, elle cotise, dans un second temps, l’appelante sous prétexte que les employés en question étaient à son emploi.

 

[52]        À la face même des faits, l’appelante a été cotisée essentiellement parce que l’intimée n’a pu recouvrer des Agences les sommes dues.

 

[53]        L’intimée se doit d’être cohérente dans ses prétentions. Le manque de cohérence flagrant fait en sorte que l’appelante a réussi à établir prima facie que les présomptions de l’intimée à la base de la cotisation étaient fausses. Elle ne peut pas ajuster les fondements d’une cotisation, non pas à partir des faits réels, mais à partir du but ultime qui est de récupérer le montant cotisé.

 

[54]        La preuve de l’intimée quant à ses prétentions à l’effet que les factures émises par les Agences à l’appelante étaient des factures de complaisance au motif que le nom du fournisseur indiqué sur les factures n’était pas le bon, ne passe pas le test de la prépondérance. En effet, l’intimée elle-même reconnaît que ce sont bel et bien les Agences qui ont effectué les fournitures à l’appelante et non d’autres sous-traitants non identifiés, puisqu’elle les a cotisées pour taxes non perçues et non remises, pour revenus non déclarés et pour déductions à la source non remises.

 

[55]        Il ne s’agit donc pas de factures de complaisance si ce n’est pour l’entreprise qui les a préparées, puisque l’objectif ultime était de détourner à son seul profit et bénéfice les taxes perçues de l’appelante. Le stratagème illégal ne peut être imputé directement ou indirectement à l’appelante, qui dans un premier temps, l’ignorait et dans un second temps, a toujours été de bonne foi.

 

[56]        L’argument de l’intimée à l’effet que les Agences n’ont pas effectué les fournitures en question, mais qu’il s’agit plutôt de sous-traitants non identifiés de celles-ci ne change pas ma conclusion puisque l’alinéa 3a) du Règlement permet qu’il soit inscrit sur la facture le nom commercial du fournisseur ou celui de son intermédiaire. L’intimée ne peut donc pas prétendre que le sous-traitant qui facture des travaux doit être celui qui exécute les travaux.

 

[57]        La notion d’intermédiaire n’est pas définie dans la LTA ni dans le Règlement[7] et il n’existe aucune décision des tribunaux fédéraux sur la question. La juge Lamarre a affirmé que lorsque le nom de l’intermédiaire figure sur la facture, cela doit être spécifié sur la facture qu’il agit en tant que tel[8]. Avec respect, pour cette interprétation, je m’interroge sur cette position étant donné que cette condition n’est pas indiquée dans le texte du Règlement; de plus, en matière de fiscalité on ne peut exiger des contribuables plus que ce que la loi leur impose comme obligations[9].

 

[58]        L’intimée a accepté les dépenses d’entreprise inhérentes aux paiements effectués par l’appelante aux Agences; conséquemment, il est dans l’ordre des choses d’accepter les CTI réclamés par l’appelante quant à la taxe payée sur ces mêmes fournitures, le tout conformément aux objectifs du législateur.

 

[59]         En effet, l’étude d’impact qui a accompagné le Règlement modifiant le Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxes sur les intrants prévoyait que l’entrée en vigueur des nouvelles conditions règlementaires aurait un impact mineur, puisque les documents requis pour justifier les demandes de CTI seraient les mêmes que ceux que les entreprises conservent déjà afin de pouvoir justifier leurs déductions de dépenses en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu[10].

 

[60]        Certes l’intimée a établi très clairement que les Agences étaient des délinquantes fiscales de haut niveau en ce qu’elles ne remettaient pas les taxes perçues, ne tenaient aucun registres et ne gardaient rien qui puisse permettre une vérification en cette matière.

 

[61]        Face à cette problématique, les lois fiscales en matière de TPS ne contiennent aucune disposition spécifique permettant aux autorités fiscales de tenir une entreprise responsable de la fraude fiscale de l’un de ses fournisseurs, contrairement, par exemple, à l’article 316 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[11] qui spécifie clairement et spécifiquement qu’une entreprise peut être tenue responsable des contributions à la CSST qui n’ont pas été faites par l’un de ses sous-traitants.

 

[62]        Si le législateur avait voulu que le contribuable faisant affaires avec un sous‑traitant délinquant soit tenu solidairement responsable des sommes dues par ce dernier à l’État, il l’aurait expressément prévu comme il l’a prévu au niveau des contributions dues à la CSST. Il n’appartient pas à la Cour de se substituer au législateur.

 

[63]        En l’absence de mesures spécifiques, on ne peut être tenu responsable des obligations fiscales non respectées par un partenaire fiscal, à moins évidemment d’avoir été de connivence avec ce partenaire. Il semble que les autorités fiscales ont tendance à prendre pour acquis qu’un certain degré de négligence ou même l’absence de vigilance équivaut à la connivence. En d’autres termes, l’intimée voudrait imposer une charge ou une responsabilité qui se traduit par une véritable obligation d’enquête ou d’investigation pour les entreprises qui transigent avec d’autres.

 

[64]        La mission première d’une entreprise est de générer des revenus se traduisant par la profitabilité et non pas d’agir comme police de la fiscalité.

 

[65]        Dans la décision Voitures Orly inc. c. La Reine, la Cour d’appel fédérale a rappelé qu’un inscrit ne peut prétendre avoir droit au remboursement s’il connaît ou ne peut ignorer la fausseté des affirmations figurant sur les pièces justificatives que son fournisseur lui remet ou s’il est de connivence dans les opérations fictives[12].

 

[66]        En l’espèce, la preuve soumise ne permet pas de conclure que l’appelante aurait été de connivence avec les Agences. D’ailleurs, l’intimée n’a pas mis en doute la véracité des identités figurant sur les feuilles de temps ou les formulaires signés par les employés des Agences à l’effet qu’ils avaient reçu les formations exigées. Elle a essentiellement soulevé que l’appelante n’avait pas d’information quant aux travailleurs que lui référaient les Agences dont notamment les noms véritables, leur adresse et numéro d’assurance-sociale.

 

[67]        Cette même preuve démontre que l’appelante n’a tiré aucun avantage du fait que les Agences n’ont pas respecté leurs obligations fiscales. La preuve de l’appelante a établi d’une manière incontestable qu’il s’agissait d’une entreprise très bien structurée ayant une réputation et une crédibilité sans reproche. Au fil des ans, elle a acquis une telle envergure qu’il eut été surprenant et tout à fait déraisonnable de conclure qu’elle ait mis en péril une telle renommée par le biais d’une imprudence grossière en s’associant à un stratagème douteux.

 

[68]        L’appelante devait composer avec de telles ressources que sont les Agences de placement pour combler ses besoins de main-d’œuvre ponctuels. Elle a agi normalement dans le cours des affaires en s’assurant de la validité des numéros de TPS apparaissant sur les factures. De plus, elle a refusé d’acquitter la TPS à l’endroit de l’entreprise qui ne détenait pas un tel numéro valide.

 

[69]        Il s’agit d’ailleurs là d’une approche qui se compare à celle retenue dans l’affaire 9088-2945 Québec Inc. c. La Reine[13] par mon collègue, le juge Paris.

 

[70]        Malgré cela, l’intimée soutient que l’appelante n’a pas été suffisamment diligente; selon l’intimée, si l’appelante avait été prudente et vigilante, elle aurait pu constater certaines irrégularités, voire faussetés, de certaines pièces justificatives relatives aux fournitures. Or, cette preuve n’est pas convaincante du fait que les faussetés auxquelles fait référence l’intimée découlent de sa perception et de son interprétation; les faits ne permettent pas de tirer une telle conclusion.

 

[71]        Rien dans la LTA ne prévoit qu’une entreprise doive agir comme police ou enquêteuse pour s’assurer que l’entreprise dont on a retenu les services respecte la LTA.

 

[72]        En plus de vérifier la validité des numéros d’inscription en TPS des Agences et d’avoir été en contact avec les dirigeants ou administrateurs des Agences, l’intimée voudrait que l’appelante :

 

-  ait vérifié leur existence légale auprès du REQ;

-  se soit rendue au siège social des Agences pour voir s’il y avait de véritables activités commerciales;

-  ait échangé avec toutes les Agences des documents contractuels;

-  ait demandé à tous les employés des Agences qui sont venus travailler pour elle des pièces d’identité et leur numéro d’assurance-sociale;

-  ait obtenu des lettres de conformité de la CSST pour s’assurer que les heures travaillées par les employés des Agences étaient bien déclarées;

-   ait vérifié si les Agences avaient des véhicules enregistrés à la Société d’assurance-automobile du Québec (« SAAQ »);

-   ait analysé les endos de chèque émis en paiement pour découvrir ceux qui avaient été négociés dans des centres d’encaissement;

-   ait vérifié le respect de la suite numérique des factures d’une même Agence;

-   ait analysé les écarts de prix facturés pour déterminer les « fausses » Agences des « vraies »; et

-   ait porté attention à la calligraphie sur les factures pour tenter de détecter des différences entre celles d’une même Agence.

 

[73]        Indirectement, l’intimée voudrait que l’appelante fasse son travail. Une des vérificatrices ayant agi dans le dossier de l’appelante et qui a témoigné à l’audience, Mme Diane Deluga, a même affirmé que les entreprises qui faisaient affaires avec des Agences de placement de main-d’œuvre avaient plus de moyens et de pouvoirs que l’intimée pour s’assurer que les Agences agissent en conformité avec la loi et ses règlements.

 

[74]        L’Agence du revenu du Québec (ARQ) a non seulement accès aux informations confidentielles des Agences, ce qui n’est pas le cas pour l’appelante, mais elle dispose, en plus, de nombreuses ressources. Elle possède notamment des logiciels de vérification sophistiqués qui lui permettent de recouper les informations contenues dans différents registres. Elle a les outils, le personnel et les ressources techniques et matérielles pour découvrir et sanctionner les fraudeurs.

 

[75]        Elle a également des employés compétents dont le travail consiste essentiellement à vérifier les entreprises. Elle ne peut exiger d’une simple petite ou moyenne, voire grande entreprise qu’elle fasse la même chose.

 

[76]        Ce ne serait tout simplement pas réaliste et cela pourrait déstabiliser le marché financier en entier, surtout qu’il a été démontré que l’appelante engageait à cette période entre 700 et 800 sous‑traitants. Il est d’ailleurs de plus en plus fréquent de recourir à la sous-traitance, et ce, dans tous les domaines.

 

[77]        Il est vrai que sur les factures émanant de l’Agence Placement Tout Azimut le numéro d’inscription en TPS n’était pas inscrit. Au début, l’Agence en question mentionnait qu’elle était en instance de recevoir son numéro, mais ne l’avait jamais eu mois après mois, démontrant ainsi un réel problème.

 

[78]        L’intimée reproche à l’appelante son absence d’intensité dans le suivi. Or, je ne partage aucunement cette position, car il a été démontré que l’appelante n’avait jamais payé de taxes à cette Agence et que, conséquemment, elle n’avait jamais réclamé les CTI afférents. Par conséquent, je ne vois pas en quoi l’intimée aurait été lésée par cette situation, puisque l’effet est neutre; oui, l’appelante n’a pas payé de taxes relativement à ces fournitures, mais elle aurait eu, de toute façon, le remboursement complet des taxes qu’elle aurait versées si elle l’avait fait. Encore là, il semble que l’administration fiscale veuille imposer aux entreprises qui retiennent les services de sous-traitants un rôle d’ingérence dans les affaires d’autrui.

 

[79]        L’intimée prétend que l’appelante aurait dû être suspecte à l’endroit des Agences, notamment à cause du taux horaire chargé, le profit ayant pu être tout à fait marginal dans l’hypothèse où les Agences respectaient la Loi sur le salaire minimum, ce qui peut être mis en doute.

 

[80]        Je ne retiens pas cet argument; la définition de la notion d’activité commerciale prévue à l’article 123 de la LTA stipule clairement que lorsque nous sommes en présence d’une entreprise exploitée par une société, il n’est pas nécessaire de prouver qu’il y avait une attente raisonnable de profit pour conclure que la société exploitait une activité commerciale :

*       Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

*        al’exploitation d’une entreprise (à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers) […];

                        b) les projets à risque et les affaires de caractère commercial (à l’exception de quelque projet ou affaire qu’entreprend, sans attente raisonnable de profit, un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers) […].

 

[81]        L’intimée reproche à l’appelante de ne pas avoir fait témoigner les employés et les dirigeants d’Agences de placement. Certes, le fardeau de la preuve incombait à l’appelante, mais l’intimée aurait très bien pu également faire venir ces mêmes individus d’autant plus, que leur témoignage aurait pu permettre de comprendre la confusion de certaines allégations dans la réponse à l’avis d’appel. De plus, les vérificateurs ont eux-mêmes fait état des difficultés, voire de l’impossibilité, de contacter ces personnes. Encore là, l’intimée voudrait imposer à l’appelante une obligation soit rejoindre les individus concernés, alors, que malgré ses moyens exceptionnels, la plupart des individus en question n’ont pas pu être localisés.

 

[82]        D’autre part, à la lumière de la preuve, je suis convaincu que leur apport ou témoignage n’aurait été ni fiable ni crédible. Il est d’ailleurs très surprenant que les vérificateurs aient donné foi aux informations obtenues lors des vérifications des entreprises délinquantes.

 

[83]        L’appelante est une entreprise sérieuse et la preuve ne permet pas de mettre en doute la crédibilité des témoignages de ses représentants; il a été reconnu qu’un témoignage crédible du contribuable peut parfois suffire à combattre l’exactitude de la présomption avec succès[14].

 

[84]        Pour valider ses griefs quant au comportement de l’appelante, l’intimée reproche à l’appelante de ne pas avoir obtenu de lettres de conformité de la CSST concernant les Agences de placement; la responsabilité de l’appelante quant à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, est prévue à l’article 316 de cette loi est une toute autre question.

 

316. La Commission peut exiger de l'employeur qui retient les services d'un entrepreneur le paiement de la cotisation due par cet entrepreneur.

 

Calcul du montant.

 

Dans ce cas, la Commission peut établir le montant de cette cotisation d'après la proportion du prix convenu pour les travaux qui correspond au coût de la main‑d'oeuvre, plutôt que d'après les salaires indiqués dans la déclaration faite suivant l'article 291.

 

 

Remboursement.

 

L'employeur qui a payé le montant de cette cotisation a droit d'être remboursé par l'entrepreneur concerné et il peut retenir le montant dû sur les sommes qu'il lui doit.

 

Lorsqu'un employeur démontre qu'il retient les services d'un entrepreneur, la Commission peut lui indiquer si une cotisation est due par cet entrepreneur.

 

[85]        L’appelante traitait directement avec les administrateurs des Agences et elle communiquait régulièrement avec eux. Elle pouvait constater que les services étaient bien rendus par les Agences, puisque des employés de celles-ci se présentaient aux dates et heures convenues sur les lieux de son entreprise. Elle payait les taxes dues sur les fournitures reçues. Elle a vérifié la validité de leur numéro d’inscription en TPS et pour l’Agence qui ne l’avait pas encore obtenu, elle n’a ni payé ni demandé de CTI correspondants. Tout cela dénote qu’elle a été suffisamment diligente dans ses relations avec les Agences; finalement elle n’avait aucune raison de croire que celles-ci étaient des délinquantes fiscales.

 

[86]        L’intimée souligne que la récente jurisprudence en matière de refus des CTI augmente le devoir de vérification des sociétés qui font affaires avec des Agences de placement de main-d’œuvre et que c’est maintenant le contribuable ou le donneur d’ouvrage qui doit supporter les risques liés à la fraude et aux actes illicites de ses sous-traitants; il s’agit là d’une interprétation qui se doit d’être nuancée.

 

[87]        Dans un premier temps, il est opportun de remettre dans leur contexte les décisions sur lesquelles l’intimée s’appuie. Certaines décisions font état que des fournitures n’ont pas été livrées. En pareil cas, il est tout à fait normal de refuser à un inscrit sa demande de CTI lorsqu’il sait très bien qu’il n’a jamais payé de TPS sur les fournitures qu’il prétend avoir acquises puisqu’il faisait partie d’un stratagème de fausse facturation.

 

[88]        En l’espèce, les deux parties reconnaissent que des services ont bel et bien été rendus. Ces décisions ne peuvent donc s’appliquer à notre cas.

 

[89]        Dans un second temps, il est aussi fort pertinent de prendre en compte le contenu notamment de deux décisions, soit les affaires Systematix Technology Consultants Inc. c. La Reine[15] et 9088-2945 Québec Inc. c. La Reine[16]. Ces décisions ont trait à la validité du numéro d’inscription en matière de TPS et de TVQ; plusieurs hypothèses sont alors possibles, soit le numéro est invalide, soit il n’existe tout simplement pas, ou, pire encore, il s’agit d’un numéro usurpé qui a été émis au nom d’une autre entreprise. Par le biais d’une simple vérification auprès des autorités concernées, il est possible d’une manière rapide et peu coûteuse de découvrir pareille l’irrégularité.

 

[90]        Lors d’une telle situation, il m’apparaît tout à fait approprié de refuser la demande de CTI du contribuable; d’ailleurs la Cour d’appel fédérale, dans la décision Systematix Technology Consultant Inc., ci-dessus, a été très claire à l’effet que ces situations ne respectent pas les paragraphes 169(4) et 241(1) de la LTA, ainsi que les conditions prescrites par le Règlement :

-   aucun numéro d’inscription ne figure sur les factures;

-   les factures comportent un numéro d’inscription qui n’était valide qu’avant la période en cause parce qu’il avait été révoqué par le ministre avant cette période;

-   les factures comportent un numéro d’inscription au nom du fournisseur qui était bel et bien valide, mais la date de validité est subséquente à la période en cause; et

-   le numéro d’inscription indiqué sur les factures n’est pas valide parce qu’il n’est pas répertorié dans la base de données du ministre[17].

 

[91]        Il en est ainsi lorsqu’un contribuable fait affaires avec un sous-traitant qui s’est approprié non seulement l’identité commerciale d’une autre société, mais également son numéro d’inscription en TPS; en pareil cas, il ne pourra pas réclamer des CTI afférents aux fournitures qu’il a acquises, et ce, même s’il a payé la TPS sur ces fournitures.

 

[92]        En effet, dans ce cas, on ne peut dire que le nom du fournisseur sur la facture est bon, parce que ce n’est pas cette société qui a rendu le service. On ne peut dire également qu’elle a fait affaires avec un intermédiaire autorisé, car le sous‑traitant qui a volé son identité n’était nullement son mandant ou son mandataire.

 

[93]        Pour cela, il aurait au moins fallu qu’elle ait connaissance que le sous-traitant frauduleux utilisait son identité et son numéro, ou sinon qu’elle ait posé des gestes laissant croire aux tiers de bonne foi que le sous-traitant en question était son représentant.

 

[94]        En l’absence de preuve confirmant cette situation, on ne peut conclure à l’existence d’un mandat apparent, tel que défini à l’article 2163 du Code civil du Québec[18]. C’est donc à mon avis ce que voulaient dire les juges Lamarre-Proulx et Boyle de cette Cour, dans les décisions Ribkoff c. La Reine[19] et Comtronic Computer Inc. c. La Reine[20] lorsqu’ils ont mentionné que le risque de fraude des sous-traitants, dans ce contexte, incombait au contribuable – donneur d’ouvrage.

 

[95]        Finalement, l’intimée se réfère à certaines décisions qui traitent de la même question en litige que celle soulevée en l’espèce, lesquelles sont favorables aux contribuables. Elles disent que si le contribuable a vérifié le numéro d’inscription en TPS de l’Agence de placement de main-d’œuvre et qu’il n’avait aucune raison de croire que l’Agence n’avait pas les ressources pour rendre les services acquis, il s’est comporté de façon suffisamment diligente pour pouvoir réclamer des CTI relatif à l’acquisition de ces services[21].

 

[96]        L’appelante contactait l’Agence de placement, vérifiait l’exactitude du numéro apparaissant sur la facturation. En contrepartie, les Agences répondaient à l’appel en dirigeant sur les lieux le nombre d’employés requis qui exécutaient le travail à la satisfaction de l’appelante.

 

[97]        Rien dans la preuve ne me permet de conclure à la mauvaise foi, à la négligence, à l’insouciance, à la témérité ou même à l’imprudence de la part de l’appelante.

 

[98]        Également, il est vrai que l’ARQ, dans un de ses bulletins d’interprétation, a mentionné que l’inscrit qui détient au soutien de sa demande de CTI une facture émise par un accommodateur pourrait se voir refuser le droit à son CTI s’il s’avère qu’il n’était pas de bonne foi[22]. L’ARQ considère généralement « qu’il n’était pas de bonne foi s’il ne pouvait, en personne raisonnable, diligente et avisée dans son domaine d’activités, entretenir la croyance légitime que l’auteur de la facture était le véritable fournisseur des biens ou des services qu’il a acquis »[23]; nulle part dans la LTA ou dans le Règlement ne figure une telle exigence. C’est l’ARQ qui l’a édictée et cet organisme n’a pas les pouvoirs de transformer des politiques administratives en lois.

 

[99]        Nous évoluons dans une société où la primauté de la règle de droit est omniprésente. Les contribuables doivent pouvoir s’appuyer sur les lois et les règlements pour déterminer ce qu’ils peuvent et doivent faire. Dans un tel contexte, le rôle des tribunaux est d’interpréter et d’appliquer les lois et les règlements et non pas d’en créer ou d’en édicter de nouvelles.

 

[100]   Le monde des affaires est assujetti à de multiples règles et règlements qui ont souvent pour effet d’alourdir la gestion, d’entraîner des coûts faramineux, le tout affectant directement et d’une manière significative la productivité mais aussi la rentabilité.

 

[101]   Or, pour réussir et espérer un essor dans un marché qui dépasse les frontières et où la compétition féroce vient de partout, il est tout à fait essentiel et fondamental de réduire au minimum les frais de gestion qui ne concernent aucunement la vocation de l’entreprise.

 

[102]   Il ne s’agit pas là d’une approche doctrinale, mais d’une réalité qui rejoint généralement tous les intervenants.

 

[103]   Or, par son approche, l’intimée s’inscrit exactement dans la contradiction de cette réalité en voulant imposer des obligations non prévues par le législateur d’une part et, d’autre part, en imposant une lourde et dispendieuse responsabilité qui consisterait à enquêter sur la solvabilité, la fiabilité, la conformité et la légalité de leurs fournisseurs.

 

[104]   Le mandat à titre gratuit imposé aux entreprises doit pouvoir compter sur la structure qui a l’expertise, les ressources et surtout le pouvoir de soutenir la mission imposée aux entreprises par l’État.

 

[105]   Les autorités fiscales semblent imputer à leurs mandataires des obligations qui ne sont pas prévues par la loi. Bien plus, il s’agit d’une approche tout à fait contraire aux règles prévues au Code civil du Québec.

 

[106]   Certes, les mandataires ont des obligations notamment d’agir de bonne foi et de se comporter en bon fiduciaire avec obligations de rendre compte. En contre‑partie,  le mandant, soit l’intimée en l’espèce, a aussi des obligations à l’endroit des mandataires.

 

[107]   La première obligation est certes de faciliter le travail du mandataire d’autant plus qu’il s’agit d’un mandat à titre gratuit.

 

[108]   Cette obligation est d’autant plus importante que le mandant a les effectifs humains, les ressources techniques, matérielles et financières pour la mise en place, le suivi et contrôle de manière à faciliter le travail du mandataire dont la vocation première est l’exploitation d’une entreprise et non de percevoir des taxes pour l’État.

 

[109]   De plus, toute personne, ce qui inclut évidemment le mandataire, est présumé de bonne foi en vertu de l’article 2805 du Code civil du Québec. Or, les autorités fiscales ne peuvent à partir de spéculations et interprétations conclure à la mauvaise foi du mandataire pour le cotiser à partir de fondements essentiellement hypothétiques. La mauvaise foi, la complicité, la négligence et ou l’aveuglement volontaire ne se présument pas, il s’agit là de griefs qui doivent être prouvés et ce fardeau est sur les épaules de l’intimée.

 

[110]   En l’espèce, la preuve est à l’effet que l’appelante a toujours agi de bonne foi et agi correctement dans ses relations avec les sous-traitants.

 

[111]   À la lumière des réponses obtenues des vérificateurs dans le présent dossier, il m’apparaît évident que l’intimée voudrait plutôt forcer les entreprises à investir dans cette direction. Si tel est le cas, ils devront convaincre le législateur pour que ce dernier crée les dispositions prévoyant un tel fardeau pour les entreprises.

 

[112]   La Cour suprême du Canada a été très claire à cet effet. Par exemple, dans la décision Ludmer c. M.R.N.[24], elle a dit que « les tribunaux appelés à interpréter la Loi de l'impôt sur le revenu doivent se rappeler qu'ils jouent un rôle distinct de celui du législateur. En l'absence d'un texte législatif clair, il n'est pas souhaitable que les tribunaux innovent ». La promulgation de nouvelles règles de droit fiscal doit plutôt être laissée au législateur. Ce n’est donc pas aux tribunaux de renforcer les dispositions de la loi alors qu’il est loisible au législateur d’être précis quant aux méfaits à prévenir.

 

[113]    Tel que mentionné plus haut, si le législateur avait voulu tenir responsable une société qui fait affaire avec un délinquant fiscal des fraudes fiscales commises par lui à son insu, il l’aurait expressément mentionné comme il l’a fait en matière de contributions à la CSST.

 

[114]   Également, le fait qu’il ait renforcé les exigences de déclarations pour les Agences de placement de main-d’œuvre démontre possiblement que cette industrie n’était pas adéquatement réglementée.

 

[115]   Enfin, pourquoi le législateur aurait-il créé des règles de publicité et d’opposabilité aux tiers de bonne foi dans la Loi sur la publicité légale des entreprises[25] et dans la Loi sur les sociétés par actions du Québec[26], ce qui codifie en droit civil québécois le concept d’« indoor management »[27] qu’on retrouve en common law, s’il ne voulait pas que les contribuables se fient aux registres publics?

 

[116]   S’il fallait qu’une entreprise soit tenue responsable de la fraude fiscale de son partenaire alors qu’elle n’était pas de connivence avec lui ou n’avait aucune raison de douter qu’il était un délinquant fiscal, cela va changer au complet les principes de taxation canadiens. En effet, comme les petites et moyennes entreprises n’ont pas les ressources pour se doter d’un bureau interne de vérification et de gestion de risque, elles ne voudront plus prendre le risque de payer les taxes à un mandataire de la Couronne en espérant que ce dernier les remettra ensuite à la Couronne. Elles voudront plutôt faire de l’autocotisation comme cela est permis en importation[28].

 

[117]   En 2009, la Cour suprême du Canada a expliqué clairement la nature de la TPS :

[10] Mise en œuvre en 1990 par une loi modifiant la LTA (L.C. 1990, ch. 45), la TPS a remplacé l’ancienne taxe fédérale sur les ventes des fabricants. La TPS peut être considérée comme une taxe sur la valeur ajoutée. Elle est prélevée à toutes les étapes de la fabrication et de la mise en marché des produits et des services et est exigible de l’acquéreur, qui est considéré comme le débiteur de l’obligation fiscale à l’égard de l’État (art. 165 LTA). Cependant, le fournisseur demeure responsable de la perception et de la remise de la taxe (par. 221(1) LTA). Il est réputé détenir les montants perçus en fiducie pour Sa Majesté (par. 222(1) et (3) LTA). Il doit produire des déclarations et faire des remises périodiques. Par ailleurs, la loi établit, à chaque étape de la commercialisation ou de la fourniture du produit, un système de crédits pour intrants, correspondant aux taxes que chaque fournisseur a dû verser à ses propres fournisseurs (art. 141.01 et par. 169(1) LTA). Le dernier acquéreur supporte le poids entier de la taxe (R. Brakel & Associates Ltd., Value-Added Taxation in Canada : GST, HST, and QST (2e éd. 2003), p. 2-3). Notre Cour a confirmé la validité de cette forme d’exercice du pouvoir de taxation du Parlement du Canada (Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services [1992] 2 R.C.S. 445)[29].

 

[118]   Accepter ou souscrire aux arguments et prétentions de l’intimée aurait pour effet de nier ou écarter l’enseignement édicté par cette décision de la Cour suprême du Canada.

 

[119]   Au moment d’implanter le régime de la TPS, l’objectif du législateur ciblait le consommateur ou l’acheteur final d’un produit comme payeur de la TPS due à l’État; à toutes les étapes de la chaîne de production, la TPS doit être payée; elle est remboursée au moment où le consommateur final achète le produit.

 

[120]   Il s’agit d’une taxe basée sur la « destination » versus « l’origine ». En d’autres mots, c’est la destination des biens et services qui détermine l’imposition de la taxe.

 

[121]   Pour toutes ces raisons, je conclus que l’appelante a démontré avoir fourni à l’ARQ tous les renseignements prescrits par la LTA et le Règlement pour avoir droit aux CTI litigieux; elle ne peut pas perdre ces mêmes CTI du seul fait d’avoir traité avec des Agences de placement de main-d’œuvre qui se sont révélées être des délinquantes fiscales. L’appel est donc accueilli et la cotisation est annulée.

 

[122]   L’appelante a soumis qu’elle souhaitait s’exprimer dans l’hypothèse que cette Cour ferait droit à son appel. À cet effet, il n’y a aucun doute que l’objectif d’une telle demande visait à obtenir un montant supérieur à celui prévu par le tarif dans un dossier d’une telle catégorie, le tout en vertu du paragraphe 147(3) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale).

 

[123]   Dans un premier temps, je reconnais que le dossier a fait l’objet d’un intérêt fort particulier qui s’est sans doute traduit par un plus grand nombre d’heures qu’à l’habitude; quant à la présentation devant le tribunal, encore là le travail a été tout à fait impeccable.

 

[124]   Du côté de l’intimée, il est manifeste que sa position prend ses assises sur une interprétation de la jurisprudence qui semble favoriser sa position.

 

[125]   Dans de telles circonstances, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un dossier particulier qui justifie l’adjudication de dépens supérieurs à ce qui est prévu. L’adjudication d’un montant forfaitaire ou de toute autre bonification du tarif statutaire requiert des circonstances et un contexte exceptionnel où le cheminement du dossier a fait ressortir des éléments d’abus, de frivolité et/ou de mauvaise foi.

 

[126]   En l’espèce, certes le jugement dénonce la façon de faire de l’intimée; par contre, cette façon de faire n’a rien d’abusif en ce qu’il s’agissait essentiellement d’un dossier traité à partir de la jurisprudence.

 

[127]   Pour ces raisons, je ne crois pas que le dossier justifie l’octroi de dépens autres que ceux prévus par le tarif applicable lesquels sont d’ailleurs accordés à la partie appelante.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de février 2014.

 

 

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :                                 CCI 2014 36

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-1872(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            SALAISON LÉVESQUE INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 3 et 4 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 4 février 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Louis Tassé

Me Marie-Claude Marcil

 

Avocat de l’intimée :

Me Eric Labbé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                   Noms :                           Me Louis Tassé

                                                          Me Marie-Claude Marcil

 

                 Cabinet :                           Couzin Taylor, s.r.l.

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1] L.R.C. 1985, ch. E-15.

[2] D.O.R.S./91-45.

[3] D’un autre côté, M. Bustos a également affirmé que l’appelante ne savait pas le nombre et les noms des employés qui étaient venus travailler pour elle durant la semaine et qu’elle lui demandait toujours après coup ces informations. Ses dires sont donc incohérents.

[4] « Selon Statistique Canada, les revenus d’exploitation des Agences ont augmenté de 42 % au Canada, entre 2001 et 2007 passant de 5.1 MM$ à 8.9 MM$, de 34 % au Québec, passant de 0.8 M$ à 1.2 M$, dans la même période » : référence tirée de Nicolas SIMARD, Agences de placement – diverses questions juridiques et fiscales, en ligne : Spiegel, Sohmer http://www.spiegelsohmer.com/documents/simard/1747636.pdf, 9 pages, à la page 1.

[5] Depuis janvier 2011, les Agences de placement doivent non seulement, à titre d’employeurs, retenir sur la rémunération versée à leurs employés l’impôt du Québec ainsi que les cotisations au Régime de rentes du Québec (RRQ) et au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), mais elles doivent aussi effectuer des versements périodiques à Revenu Québec pour la CSST. De plus, elles doivent remettre à Revenu Québec leurs cotisations d’employeur au RRQ, au RQAP, au Fonds des services de santé, au Fonds de développement et de reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre et pour le financement de la Commission des normes du travail. Finalement, elles doivent tenir des registres relatifs à leur entreprise et conserver toutes les pièces justificatives à l’appui des renseignements qu’ils contiennent, notamment en ce qui concerne la gestion des employés. Dans leurs registres, elles doivent consigner le nom de leurs employés, leur date de naissance, leur adresse, leur occupation et leur numéro d’assurance sociale : REVENU QUÉBEC, Obligation des agences de placement, Nouvelles fiscales, 29 novembre 2011, en ligne : http://www.revenuquebec.ca/fr/salle-de-presse/nouvelles-fiscales/2011/2011-11-29.aspx.

[6] 2006 CCI 277, au para. 23, conf. en appel : 2007 CAF 226.

[7] Le mot « intermédiaire » est cependant défini à l’article 201R1 du Règlement d’application, L.R.Q., chapitre T-O.1 et R.1, qui stipule ceci : être intermédiaire d’une personne signifie, à l’égard d’une fourniture, un inscrit qui, agissant à titre de mandataire de la personne ou en vertu d’une convention conclue avec la personne, lui permet d’effectuer la fourniture ou en facilite la réalisation.

[8] Filotech c. La Reine, dossier no 2010-1583(GST)I.

[9] Système intérieur G.P.B.R. Inc. c. A.R.Q., 2013 QCCQ 12689.

[10] DORS 2000-180, Gazette officielle du Canada, 1991 partie II, vol. 125, nº2, 957 p., aux pages 199 et 201.

[11] L.R.Q., chapitre A-3.001.

[12] 2005 CAF 425.

[13] 2013 CCI 58, para. 12.

[14] Système intérieur G.P.B.R. Inc. c. A.R.Q., précitée à la note 9.

[15] Précitée à la note 6.

[16] Précitée à la note 13.

[17] La Cour d’appel fédérale cite avec approbation les propos tenus par le juge de première instance dans cette affaire aux paragraphes 4 à 7 de sa décision.

[18] L.R.Q., chapitre C-1991.

[19] 2003 CCI 397, au para. 95.

[20] 2010 CCI 55, au para. 33.

[21] Système intérieur G.P.B.R. Inc. c. A.R.Q., précitée à la note 9; 9188-7646 Québec Inc. c. La Reine, 2013 CCI 85, 9183-2899 Québec Inc. c. La Reine, 2013 CCI 8; Bijouterie Almar Inc. c. La Reine, 2010 CCI 618; Vêtement de sport Chapter One Inc. c. S.M.R.Q., 2008 QCCA 598; Sport Collection Paris Inc. c. La Reine, 2006 CCI 394.

[22] T.V.Q. 201-1/R2, Remboursement de la taxe sur les intrants — Renseignements insuffisants — Fausse facturation—Exigences documentaires en matière de remboursement de la taxe sur les intrants, annulé le 30 juin 2010.

[23] Ibid., para. 9.

[24] [2001] 2 S.C.R. 1082, para. 38.

[25] Article 98. L.R.Q., chapitre P-44.1.

[26] Article 13. L.R.Q., chapitre S-31.1.

[27] Ce concept exempte généralement les entreprises de faire enquête sur leurs cocontractants, avant de conclure un contrat avec eux, dans l’intérêt d’accélérer le cours des affaires et d’éviter que celui-ci ne soit perturbé indûment par un processus d’enquête coûteux et peu pratique : définition tirée du texte de Paul RYAN, les Agences de main‑d’œuvre dans Congrès 2012 de l’Association de Planification fiscalet et financière, Montréal, à la p. 1.

[28] Voir les articles 217 et ss. LTA.

[29] ARQ c. Caisse populaire Desjardins de Montmagny, 2009 CSC 49, [2009] 3 R.C.S. 286.

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