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Dossier : 2010-3374(IT)G

ENTRE :

9028-0157 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Denis Lajeunesse (2010-3382(IT)G),

les 6, 7 et 8 mai 2013, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Marc-André Paquin

Avocate de l’intimée :

Me Anne-Marie Desgens

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel de 9028-0157 Québec Inc. est admis sur la base que le ministre du Revenu national n’aurait pas dû inclure dans le calcul du revenu de 9028-0157 Québec Inc. un montant de 20 000 $ à titre de revenu d’entreprise pour l’année d’imposition 2005. Les pénalités imposées sur les montants de 20 000 $ et de 90 105 $ pour l’année 2005, sur un montant de 109 828 $ pour l’année 2006 et sur un montant de 71 032 $ pour l’année 2007 sont supprimées. Pour le reste, les cotisations à l’égard de 9028-0157 Québec Inc. demeurent inchangées.

 

          Le tout avec frais, en faveur de l’intimée.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 28e jour de février 2014.

 

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray


 

 

 

 

Dossier : 2010-3382(IT)G

ENTRE :

DENIS LAJEUNESSE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

9028‑0157 Québec Inc., (2010-3374(IT)G),

les 6, 7 et 8 mai 2013, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Marc-André Paquin

Avocate de l’intimée :

Me Anne-Marie Desgens

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005 et 2006 est rejeté.

 

        Le tout avec frais, en faveur de l’intimée.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 28e jour de février 2014.

 

 

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray


 

 

 

Référence : 2014 CCI 61

Date : 20140228

Dossier : 2010-3374(IT)G

ENTRE :

9028-0157 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Dossier : 2010-3382(IT)G

 

 

ENTRE :

DENIS LAJEUNESSE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge D’Auray

 

 

INTRODUCTION

 

[1]             Dans les présents appels, cette Cour a ordonné le 5 octobre 2011, la réunion de l’avis d’appel de M. Denis Lajeunesse (« M. Lajeunesse ») avec l’appel logé par 9028-0157 Québec Inc. (« 9028 ») et M. Luc Lavoie. En date du 4 mai 2013, M. Lavoie a déposé un désistement auprès de cette Cour. Conséquemment, les appels de M. Lajeunesse et de 9028 ont procédé sur preuve commune.

 

COTISATIONS À L’ÉGARD DE 9028

 

[2]             9028 conteste les nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (« ministre ») pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007. Le ministre a ajouté au revenu de 9028 des montants de 130 365 $ pour 2005, de 614 828 $ pour 2006 et de 71 032 $ pour 2007 à titre de revenus non déclarés en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, (la « Loi »). Le ministre fait valoir que les dépôts « inexpliqués » dans les comptes bancaires personnels des actionnaires doivent être inclus dans le calcul du revenu de 9028, car ces montants proviennent de 9028 :

 

Actionnaires

2005

2006

2007

Denis Lajeunesse

 20 260 $

481 000 $

 

Serge Lajeunesse

 

  24 000 $

 

Luc Lavoie

 90 105 $

109 828 $

71 032 $

Alain Martel

 20 000 $

 

 

Total

130 365 $

614 828 $

71 032 $

 

[3]             Des pénalités ont aussi été imposées à 9028 en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

 

COTISATIONS À L’ÉGARD DE M. LAJEUNESSE

 

[4]             M. Lajeunesse conteste les cotisations établies par le ministre pour les années d’imposition 2005 et 2006. Dans le calcul du revenu de M. Lajeunesse, le ministre a ajouté des montants de 495 260 $ pour 2005 et de 6 000 $ pour 2006 à titre d’avantages conférés à un actionnaire en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi.

 

[5]             Le montant de 495 260 $ en 2005 représente deux dépôts « inexpliqués » de 10 000 $ et de 10 260 $ au compte bancaire personnel de M. Lajeunesse, et deux placements pour des montants de 195 000 $ et de 280 000 $, tous avec la Banque CIBC.

 

[6]             Des pénalités ont aussi été imposées à M. Lajeunesse en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

9028

 

[7]             Le ministre a-t-il correctement inclus les montants de 130 365 $, de 614 828 $ et de 71 032 $ aux revenus de 9028 à titre de revenus non déclarés pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007 respectivement? De plus, le ministre avait-il raison d’imposer des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi?

 

M. Lajeunesse

 

[8]             Le ministre a-t-il correctement inclus dans les revenus de M. Lajeunesse les montants de 495 260 $ et de 6 000 $ à titre d’avantages conférés à un actionnaire en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi pour les années d’imposition 2005 et 2006 respectivement? De plus, le ministre avait-il raison d’imposer des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi?

 

FARDEAU DE LA PREUVE

 

[9]             Dans les affaires de nature fiscale, le fardeau de la preuve repose sur le contribuable. Ce dernier doit réfuter les faits tenus pour acquis par le ministre. Ainsi, 9028 doit prouver que le ministre a incorrectement inclus dans le calcul de ses revenus les dépôts personnels de ses actionnaires. M. Lajeunesse pour sa part doit prouver que les dépôts « inexpliqués » dans son compte bancaire personnel n’émanent pas de 9028.

 

[10]        Le ministre a cependant le fardeau de la preuve quant aux pénalités imposées selon le paragraphe 163(2) de la Loi. Le ministre doit démontrer que 9028 et M. Lajeunesse ont sciemment, ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans leurs déclarations de revenus pour les années 2005 et 2006, ainsi que pour l’année 2007 dans le cas de 9028.

 

LA PREUVE

 

[11]        Durant les années en litige, soit 2005, 2006 et 2007, 9028 opère sous le nom de Gufort Électrique à titre d’entrepreneur électricien. 9028 est incorporée fin 1995 ou en 1996.

 

[12]        À ce moment, les actionnaires de 9028 sont M. Lajeunesse, M. Serge Lajeunesse, M. Alain Martel et M. Luc Lavoie.

 

[13]        M. Lajeunesse est l’actionnaire majoritaire et le président de 9028. M. Lajeunesse détient un baccalauréat en immobilier. M. Serge Lajeunesse est le frère de M. Lajeunesse. Il est électricien, il est responsable du secteur résidentiel de 9028. M. Martel est aussi électricien, il est responsable du secteur commercial de 9028. M. Lavoie est le comptable et contrôleur de 9028.

 

[14]        Le chiffre d’affaires (« CA ») et le bénéfice non réparti (« BNR ») de 9028 sont :

 

au 31 octobre 2005,

CA    5 109 322 $

BNR      817 099 $

au 31 octobre 2006,

CA    6 664 533 $

BNR      924 636 $

au 31 octobre 2007,

CA    9 150 972 $

BNR   1 102 881 $

 

[15]        M. Lajeunesse est très impliqué dans 9028 et y consacre presque tout son temps. Il est toujours à la recherche de nouveaux projets. Entre autres, il est présent sur les chantiers, il est responsable de la préparation de devis pour les projets, de gérer les projets, d’acheter le matériel requis pour les projets et de vérifier les factures relatives aux projets. Son objectif est clair, faire rouler 9028 afin que celle-ci soit profitable et qu’elle continue de prospérer.

 

[16]        Lors de l’audience, M. Lajeunesse est décrit comme une personne travaillante, économe et prudente avec son argent. Il investit son argent avec prudence et il ne dépense qu’à bon escient. Son comportement ne change pas à l’égard de 9028; il est aussi économe et prudent avec l’argent de 9028 qu’avec son propre argent.

 

[17]        M. Lajeunesse ne connaissait pas M. Lavoie quand il l’a embauché en 1995 à titre de comptable et contrôleur de 9028. Il lui avait été recommandé par un entrepreneur en construction pour lequel M. Lavoie travaillait en comptabilité. Selon M. Lajeunesse, il est tellement pris par son travail qu’il n’a pas le temps de s’occuper de la « paperasse » interne de 9028, ainsi il se fie sur M. Lavoie pour l’aspect comptable de 9028.

 

[18]        Les tâches de M. Lavoie pour 9028 consistent à préparer les états de compte pour les clients, à percevoir ces comptes, à payer les fournisseurs, à payer les états de compte, comme les cartes de crédit corporatives, à préparer les paies des employés, à vérifier les comptes bancaires et à faire les conciliations bancaires. En soi, M. Lavoie doit s’occuper de toutes les tâches comptables et remettre les états financiers de 9028 afin qu’ils soient finalisés par le comptable externe, M. Fournier.

 

[19]        M. Fournier est un comptable agréé, il transige principalement avec M. Lavoie et rencontre une fois par année M. Lajeunesse pour la signature des états financiers. Les données incluses dans les états financiers sont fournies par M. Lavoie.

 

[20]        M. Lajeunesse indique faire confiance à M. Lavoie et à M. Fournier pour tout le travail comptable de 9028. Il n’examine pas les états financiers de 9028 préparés par M. Fournier. M. Lajeunesse signe les états financiers de 9028 à l’endroit où M. Fournier lui indique de signer. Il n’examine pas non plus les déclarations de revenus de 9028 avant de les signer.

 

[21]        M. Lavoie, pour sa part, indique que bien qu’il s’occupe de la comptabilité et de l’administration de 9028, il doit rendre des comptes à M. Lajeunesse. Par exemple, tous les matins, M. Lajeunesse lui donne les priorités pour la journée. De plus, tous les chèques pour 9028 sont signés par M. Lajeunesse notamment les chèques de paye et les comptes à payer des fournisseurs. Selon M. Lavoie, bien qu’il ait l’autorité de signer les chèques, M. Lajeunesse tient à signer tous les chèques pour 9028.

 

[22]        M. Lajeunesse, M. Serge Lajeunesse et M. Martel, lors de leurs témoignages respectifs, indiquent que durant les années en litige, il était difficile d’obtenir des réponses claires de M. Lavoie. M. Lavoie était évasif quand il répondait aux questions des actionnaires ou encore il indiquait qu’il était débordé et qu’il fallait lui faire confiance que tout était sous contrôle. Quand les actionnaires demandaient à voir les états de compte, M. Lavoie refusait et leur indiquait à nouveau de lui faire confiance. Les actionnaires ont constaté des enveloppes contenant des états de compte de cartes de crédit non ouvertes sur une pile de paperasse près de l’ordinateur de M. Lavoie.

 

[23]        M. Lavoie quitte 9028 le 8 octobre 2007 sans aviser M. Lajeunesse ni les autres actionnaires. M. Lavoie souffre d’une dépression et est hospitalisé.

 

[24]        L’Agence du revenu du Canada (« ARC ») se présente à la place d’affaires de 9028 le 9 octobre 2007, dans le cadre d’une vérification. Ni M. Lajeunesse, ni les autres actionnaires n’ont été avisés par M. Lavoie que l’ARC avait entrepris une vérification et qu’un vérificateur allait se présenter à la place d’affaires de 9028 le 9 octobre 2007.

 

[25]        À la lumière de cette vérification, M. Lajeunesse embauche un fiscaliste, Me Paradis[1], et un comptable agréé, Mme Payeur, pour s’occuper de la vérification avec l’ARC. Selon M. Lajeunesse, plusieurs irrégularités comptables sont constatées. On s’aperçoit que M. Lavoie a encaissé des chèques reçus par des clients de 9028 pour un montant de 75 000 $ à 100 000 $. On constate aussi que M. Lavoie a utilisé la carte de crédit de 9028 pour payer environ 19 000 $ de ses dépenses personnelles. Toujours selon M. Lajeunesse, M. Lavoie se serait aussi attribué un boni pour un montant de 225 000 $.

 

[26]        Lors de l’audience, M. Lavoie admet avoir encaissé des chèques tirés à l’ordre de 9028 pour un montant équivalant à environ 75 000 $ et avoir payé des dépenses personnelles avec la carte de crédit de 9028. Les liens entre M. Lavoie et les autres actionnaires sont rompus et M. Lavoie n’est plus à l’emploi de 9028 depuis octobre 2007. Aucune poursuite n’a été entamée par les actionnaires de 9028 contre M. Lavoie.

 

[27]        M. Fournier n’a pas non plus été réembauché par M. Lajeunesse à titre de comptable externe de 9028. M. Lajeunesse est d’avis que M. Fournier aurait dû se rendre compte des irrégularités comptables.

 

[28]        Mme Piché de l’ARC témoigne pour l’intimée. Elle est CPA-CGA et travaille pour l’ARC depuis 2001. Les dossiers lui ont été assignés à la lumière des revenus modestes déclarés par les actionnaires comparativement au chiffre d’affaires de 9028. De plus, Mme Piché constate un revenu d’intérêts élevé dans le compte bancaire personnel de M. Lajeunesse pour l’année d’imposition 2005, alors qu’il n’a pas déclaré des revenus d’intérêts dans ses déclarations de revenus antérieures.

 

[29]        Mme Piché procède donc à une analyse par la méthode des dépôts pour chacun des actionnaires de 9028. Elle demande à chaque actionnaire des explications quant à la provenance des dépôts. Les cotisations établies par le ministre pour 9028 représentent des dépôts qui, selon Mme Piché, n’ont pas été justifiés par les actionnaires, soit les dépôts « inexpliqués ».

 

[30]        En mars 2010, Me Paradis, à titre de procureur de 9028, de M. Lajeunesse, de M. Serge Lajeunesse et de M. Alain Martel, fait des observations écrites auprès de l’ARC en ce qui a trait aux pénalités imposées à ses clients en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Bien que les observations diffèrent pour chacun des actionnaires, Me Paradis fait valoir que M. Lajeunesse, M. Serge Lajeunesse et M. Martel se fiaient entièrement aux comptables, M. Lavoie et M. Fournier pour déclarer adéquatement leurs revenus et les revenus de 9028. Ainsi, ils ne doivent pas être pénalisés en vertu du paragraphe 163(2) surtout que ces derniers n’ont aucune formation ou expérience en comptabilité. Me Paradis ne conteste pas que les dépôts « inexpliqués » doivent être inclus dans les revenus de ses clients. Il fait plutôt valoir que les pénalités doivent être supprimées. À cet effet, en date du 4 mars 2010, Me Paradis, à titre de procureur de M. Lajeunesse, écrit à l’ARC ce qui suit :

 

D’autre part, le contribuable a eu l’intention de produire des déclarations volontaires. Mais, ses nouveaux représentants lui ont déclaré que nonobstant le fait que sa démarche était fort louable, celle-ci serait veine puisqu’un processus de vérification fiscale était déjà engagé. Vous comprendrez l’inconfort de mon client.

 

LÉGISLATION

 

[31]        9028 a reçu une cotisation en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi, soit le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise pour une année d'imposition.

 

[32]        Les actionnaires de 9028 ont reçu une cotisation en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi à titre d’avantages conférés aux actionnaires, c’est-à-dire en vertu de la valeur de l'avantage que 9028 a conféré à chacun des actionnaires de 9028.

 

[33]        Le ministre a imposé des pénalités à 9028 et aux actionnaires en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, soit toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde, fait un énoncé ou une omission dans une déclaration de revenu est passible d’une pénalité qui sans être inférieure à 100 $ peut atteindre 50 % de l’impôt à payer sur les montants non déclarés.

 

Prétentions et preuve applicable à M. Lajeunesse

 

[34]        Les dépôts en litige pour M. Lajeunesse pour l’année d’imposition 2005 sont les suivants :

 

          un dépôt de 10 260 $ en date du 21 octobre 2005;

          un dépôt de 10 000 $ en date du 26 octobre 2005;

          un certificat de dépôt de 195 000 $ en date du 16 novembre 2005;

          un certificat de dépôt de 280 000 $ en date du 7 décembre 2005.

 

[35]        Le dépôt en litige pour M. Lajeunesse pour l’année d’imposition 2006 est le suivant :

 

          un dépôt de 6 000$ en date du 28 février 2006.

 

[36]        M. Lajeunesse prétend que les sommes déposées dans ses comptes bancaires personnels ne proviennent pas de 9028. Il explique que les montants déposés dans ses comptes proviennent de liquidités qu’il a accumulées au fil du temps.

 

[37]        Selon M. Lajeunesse, une partie de ses liquidités émane de transactions immobilières qu’il a effectuées seul ou avec d’autres personnes entre 1983 et 1988. Cependant, la preuve révèle que sur six immeubles détenus par M. Lajeunesse durant ces années, trois immeubles ont été repris par des institutions financières. M. Lajeunesse fait valoir que malgré la reprise par les institutions financières de ces immeubles, il a augmenté ses liquidités avec les montants refinancés. Il a expliqué qu’il a utilisé une partie des montants refinancés pour rénover les immeubles et il a conservé le reste en liquidités. Ne faisant pas confiance aux institutions financières, il a conservé ces sommes en argent comptant chez lui. Il n’a pas jugé approprié d’aviser le syndic responsable de sa faillite qu’il détenait de l’argent comptant au moment de la cession de ses biens en 1997.

 

[38]        M. Lajeunesse indique que ses liquidités proviennent aussi d’un dépanneur qu’il aurait opéré pendant environ un an et demi. À cet effet, il a admis ne pas avoir déclaré tous les revenus de ce dépanneur, ni les 20 000 $ reçus en comptant lors de la vente de ce dépanneur.

 

[39]        Quant aux gains en capital sur les immeubles qu’il a vendus, il ne se souvient pas s’il a déclaré des gains en capital sur ces immeubles.

 

[40]        Quant au certificat de dépôt de 195 000 $ en date du 16 novembre 2005, il provient d’une donation de Mme Gaboury, que M. Lajeunesse qualifie comme sa deuxième mère, ayant passé une partie de sa jeunesse avec la famille Gaboury. C’est en 2002 ou en 2003 que Mme Gaboury, alors atteinte d’un cancer, donne une enveloppe d’argent comptant à M. Lajeunesse afin que ce dernier veille sur son fils qui a des problèmes de jeu et d’alcool. M. Lajeunesse ne se souvient pas du montant précis qu’il a reçu de Mme Gaboury. Cette dernière est décédée l’année après avoir remis l’enveloppe d’argent à M. Lajeunesse. Lors de l’audience, M. Lajeunesse a indiqué avoir reçu entre 150 000 $ et 195 000 $ de Mme Gaboury.

 

[41]        Dépendamment du montant reçu de Mme Gaboury (soit entre 150 000 $ et 195 000 $), le certificat de dépôt de 195 000 $ est composé du montant donné par Mme Gaboury ou d’une partie du montant donné par Mme Gaboury et une partie des liquidités détenues par M. Lajeunesse.

 

[42]        Quant à l’autre certificat de dépôt de 280 000 $, en date du 7 décembre 2005, M. Lajeunesse explique que le montant de 280 000 $ provient de M. Yves Bélanger, promoteur de Prescon. Prescon vend des condominiums à Laval, « le projet Martingal ». M. Lajeunesse explique que Prescon devait vendre un certain nombre de condominiums aux fins de financement bancaire. M. Bélanger lui demande d’acheter un condominium afin d’augmenter les ventes du projet Martingal. À cet effet, M. Bélanger remet 280 000 $ comptant à M. Lajeunesse afin que ce dernier achète un condominium dans le projet Martingal. M. Lajeunesse et M. Bélanger conviennent que M. Lajeunesse rendrait ce montant à M. Bélanger dans les mois suivants. M. Lajeunesse indique avoir signé une reconnaissance de dette en faveur de M. Bélanger. Dans les mois qui suivent, Prescon fait cession de ses biens. M. Lajeunesse s’enrichit de 280 000 $ car M. Bélanger n’a jamais tenté de récupérer ce montant de M. Lajeunesse.

 

[43]        Quant aux dépôts de 10 260 $ en date du 21 octobre 2005, de 10 000 $ en date du 26 octobre 2005 et de 6 000 $ en date du 28 février 2006, ils proviennent des liquidités accumulées par M. Lajeunesse depuis 1983 par le refinancement et les ventes d’immeubles.

 

[44]        Ainsi, M. Lajeunesse fait valoir que la preuve présentée lors de l’audience a démontré que les dépôts dits « inexpliqués » pour ses années d’imposition 2005 et 2006 n’émanent pas de 9028.

 

ANALYSE - M. LAJEUNESSE

 

[45]        Le paragraphe 15(1) de la Loi impose l’actionnaire d’une société qui bénéficie d’un avantage conféré par une société. Dans l’arrêt Chopp v R, [1998] 1 CTC 407, 98 DTC 6014, le juge Denault a confirmé l’interprétation du paragraphe 15(1) de la Loi donnée par le juge Mogan de cette Cour, soit qu’un avantage peut être conféré sans qu’un actionnaire soit informé si les circonstances sont telles que l’actionnaire aurait dû savoir qu’un avantage était ainsi conféré et qu’il n’a rien fait pour annuler cet avantage:

 

4. En accueillant l'appel du contribuable, le juge Mogan de la C.C.I. a interprété le paragraphe 15(1) de la manière suivante:

 

« Je pense qu'un avantage peut être conféré, au sens du paragraphe 15(1), sans qu'on ait eu l'intention de le faire ou sans que l'actionnaire ou la société en ait été véritablement informé si les circonstances sont telles que l'actionnaire ou la société aurait dû savoir qu'un avantage était ainsi conféré et n'a rien fait pour annuler cet avantage, si on n'avait pas l'intention de le donner. Je parle de sommes d'une certaine importance. [...] Il ne faut pas encourager les actionnaires à mettre à l'épreuve les limites du paragraphe 15(1) pour ensuite faire valoir qu'ils n'avaient pas l'intention de conférer un avantage ou qu'ils n'étaient pas au courant ».

 

[...]

7. Quant à l'interprétation qu'a donnée le juge Mogan du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, nous ne voyons pas de raison d'intervenir.

[Je souligne.]

 

[46]        À la lumière de la preuve, je suis d’avis que M. Lajeunesse aurait dû savoir qu’un avantage lui était conféré par 9028.

 

[47]        Lors de l’audience, M. Lajeunesse a soulevé des hypothèses sans pour autant les étayer par une preuve adéquate. Il n’a donc pas réussi à réfuter les faits tenus pour acquis par le ministre relativement à l’avantage conféré.

 

[48]        Par exemple, M. Lajeunesse fait valoir qu’il a accumulé des liquidités avec les ventes des immeubles, mais en vertu de la preuve présentée, il m’est impossible de déterminer le profit qu’il a fait avec la vente des immeubles. L’analyse que j’ai faite des immeubles qui n’ont pas été repris par les institutions financières et dont j’ai la preuve documentaire ne prouve pas une accumulation de liquidités importante.[2]

 

[49]        Il m’est impossible de déterminer si les refinancements des immeubles ont produit des liquidités et si oui, quelle est la valeur monétaire attribuable à ces refinancements. Je n’ai aucune preuve, ni documentaire, ni testimoniale quant à la valeur monétaire de ces refinancements.

 

[50]        M. Lajeunesse indique qu’il garde chez lui de 100 000 $ à 200 000 $ en liquidités, cependant lors du témoignage de son ex-conjointe de fait, Mme St‑Laurent répond de la façon suivante quant aux liquidités de M. Lajeunesse :

         

Me Paquin

Q.        Expliquez au tribunal ce que vous avez vu.

R.        Bien, vous voulez dire de l’argent?

Q.        Oui.

R.        Oui. Il avait un petit coffre-fort puis il avait de la liquidité dedans. Je ne sais pas, il avait 2000$ 3000$, je ne le sais pas. Il a toujours eu de l’argent dans ce coffre-là.

 

[51]        De plus, les versions quant aux dépôts « inexpliqués » changent aux différentes étapes du dossier. En mars 2010, Me Paradis fait valoir à l’ARC que M. Lajeunesse n’ayant aucune formation comptable se fie aux comptables internes et externes pour les montants qu’il déclare dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2005 et 2006. Il fait aussi valoir que son client n’a pas omis de déclarer un revenu dans des circonstances équivalant à une faute lourde. Implicitement, Me Paradis admet que son client, M. Lajeunesse, a omis d’inclure des montants dans le calcul de ses revenus, mais pas dans des circonstances qui justifient l’application des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. De plus, Me Paradis écrit que son client aurait fait une divulgation volontaire, n’eut été que la divulgation volontaire s’avérait impossible, la vérification étant déjà commencée.

 

[52]        Dans son avis d’appel déposé auprès de cette Cour en octobre 2010, la faute du comptable est le principal argument de M. Lajeunesse.

 

[53]        Lors de l’interrogatoire préalable du 24 novembre 2011, on semble délaisser les observations faites par Me Paradis. M. Lajeunesse fait plutôt valoir que les dépôts « inexpliqués » proviennent de liquidités accumulées au cours des années avec la vente et le refinancement des différents immeubles qu’il a détenus de 1982 à 1988 et cela, nonobstant le fait qu’il a fait cession de ses biens en 1997.

 

[54]        De plus, selon l’interrogatoire préalable, Mme Gaboury lui aurait donné un « petit peu plus que 100 000 $ » pour que M. Lajeunesse prenne soin de son fils. Le montant reçu de Mme Gaboury passe à 150 000 $ et possiblement à 195 000 $ lors de l’audience. Ce genre de donation arrive peu fréquemment dans la vie d’une personne; il m’est difficile de croire qu’une personne n’arrive pas à se souvenir du montant d’une donation surtout quand le montant est considérable.

 

[55]        De plus, aucune preuve n’a été présentée pour corroborer la version de M. Lajeunesse quant à la donation qu’il aurait reçue de Mme Gaboury. Aucun des six enfants de Mme Gaboury n’est venu témoigner pour corroborer le témoignage de M. Lajeunesse. Aucune preuve du dépôt de ce montant à la banque n’a été fournie par M. Lajeunesse.

 

[56]        M. Lajeunesse fait valoir que le certificat de dépôt de 195 000 $ (qui inclut la donation de Mme Gaboury) a été réinvesti à plusieurs reprises auprès de la Banque CIBC, mais à cet effet, aucun document n’a été mis en preuve. De plus, à part l’année 2006, soit l’année où la vérificatrice, Mme Piché, a constaté des intérêts élevés dans le compte bancaire personnel de M. Lajeunesse, des revenus d’intérêts n’ont jamais été déclarés par ce dernier dans ses déclarations de revenus antérieures.

 

[57]        Je ne suis pas convaincue par le témoignage de M. Lajeunesse, il y a beaucoup de failles dans son témoignage.

 

[58]        Je ne suis pas non plus convaincue par la version des faits présentée par M. Lajeunesse quant au certificat de dépôt de 280 000 $. Il m’est difficile de croire que M. Lajeunesse a reçu de M. Bélanger 280 000 $ pour l’achat d’un condominium dans le projet Martingal et que suite à la faillite de Prescon, M. Bélanger n’ait jamais essayé de récupérer ce montant.

 

[59]        De plus, M. Lajeunesse n’a présenté aucune preuve prouvant l’achat d’un condominium dans le projet Martingal. Par exemple, aucune offre d’achat n’a été mise en preuve, ni une copie du chèque que M. Lajeunesse aurait fait à Prescon pour l’achat du condominium. La reconnaissance de dette que M. Lajeunesse dit avoir signée en faveur de M. Bélanger n’a également pas été déposée en preuve. M. Lajeunesse n’aurait pas gardé une copie de ce document. M. Bélanger n’a pas non plus témoigné lors de l’audience pour corroborer la version de M. Lajeunesse.

 

[60]        Il ressort de la preuve que 9028 avait travaillé sur le projet de condominium le Martingal. 9028 avait enregistré une hypothèque légale pour garantir le paiement de ces travaux. La preuve révèle aussi que 9028 a levé l’hypothèque légale. Bien que cette hypothèse ne soit pas admise par M. Lajeunesse, il est raisonnable d’assumer, tel qu’allégué par l’intimée, que le montant donné par M. Bélanger à M. Lajeunesse ait été donné pour payer les travaux faits par 9028 au projet de condominium Martingal, avant une faillite imminente de Prescon.

 

[61]        Par conséquent, à la lumière de la preuve, les montants de 195 000 $ et 280 000 $ ont correctement été inclus dans les revenus de M. Lajeunesse à titre d’avantages conférés à un actionnaire. Quant aux montants de 10 260 $ et de 10 000 $ pour l’année d’imposition 2005 et de 6 000 $ pour l’année d’imposition 2006, je suis d’avis que ces montants proviennent aussi de 9028. La preuve documentaire disponible révèle des profits faibles sur la vente d’immeubles de 1983 à 1988 et tel que je l’ai déjà indiqué, je n’ai aucune preuve, ni même verbale, sur les montants relatifs aux refinancements.

 

ANALYSE – 9028

 

Autres actionnaires, (M. Serge Lajeunesse, M. Alain Martel et M. Luc Lavoie)

 

[62]        Les autres actionnaires de 9028 ont également reçu des cotisations en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi sur les dépôts « inexpliqués » dans leurs comptes bancaires personnels. Ces derniers n’ont pas fait appel de leurs cotisations. Cependant, les dépôts de ces actionnaires ont été ajoutés dans le revenu de 9028 et des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi ont été imposées à 9028 sur ces montants. Ainsi, je dois examiner si ces dépôts doivent être inclus dans le calcul du revenu de 9028.

 

M. Alain Martel

 

[63]        M. Alain Martel a reçu une cotisation en 2005 pour 20 000 $ et il a payé la somme due. Selon son témoignage, le dépôt provient d’activités de coupes de bois au noir. En date du 27 février 2009, Me Paradis indique au nom de M. Martel dans ses observations écrites à l’ARC, que le montant de 20 000 $ provient d’activités de coupe de bois.

 

[64]        Je crois le témoignage de M. Martel. Il n’y a eu aucune contradiction entre son témoignage, la version qu’il a donnée à l’ARC et ce que Me Paradis a allégué dans ses observations à l’ARC. Ainsi, le montant de 20 000 $ n’émane pas de 9028 et doit être retranché du revenu de 9028 pour l’année d’imposition 2005.

 

M. Serge Lajeunesse

 

[65]        Quant à M. Serge Lajeunesse, il a reçu une cotisation en 2006 pour un montant de 24 000 $. Selon les observations faites par Me Paradis à l’ARC en date du 27 février 2009, « son client, M. Serge Lajeunesse n’a jamais eu connaissance que ce revenu n’a pas été déclaré par la compagnie et le contrôleur de celle-ci ne lui ont [sic] jamais déclaré que cette somme était imposable ».

 

[66]        Il y a toutefois incohérence quant à la source de ce montant. M. Serge Lajeunesse a d’abord indiqué à la vérificatrice, Mme Piché, qu’il s’agissait d’un prêt d’un tiers. Par la suite, la faute du comptable est soulevée par Me Paradis. Lors de l’audience, M. Serge Lajeunesse a indiqué que le 24 000 $ provenait de « jobines ». Suite à une cession de ses biens en 2009-2010, M. Serge Lajeunesse n’a pas eu à rembourser ce montant.

 

[67]        Avec trois différentes versions, il m’est difficile de ne pas mettre en doute le témoignage de M. Serge Lajeunesse. Il n’a donc pas réfuté le fardeau de la preuve. Je suis d’avis que le montant de 24 000 $ émane de 9028.

 

M. Luc Lavoie

 

[68]        Lors de son témoignage, M. Lavoie a admis qu’une partie des dépôts « inexpliqués » dans son compte bancaire personnel provient de chèques tirés à l’ordre de 9028 qu’il a encaissés. M. Lavoie évalue entre 75 000 $ et 100 000 $ les chèques encaissés qu’il a détournés en sa faveur.

 

[69]        Il a aussi admis avoir utilisé la carte de crédit corporative de 9028 pour payer certaines de ses dépenses personnelles en transférant des montants de son compte personnel à la carte de crédit de 9028. Selon le témoignage de M. Lajeunesse, le montant s’élève à 19 000 $.

 

[70]        Il est clair que les fonds détournés proviennent de 9028; ainsi ces montants ont été correctement inclus dans le calcul du revenu de 9028. M. Lavoie s’est désisté de son appel, ainsi les cotisations à son égard en vertu du paragraphe 15(1), sont maintenues.

 

[71]        J’ai noté que le ministre, lors de la cotisation de 9028, a ajouté à titre de dépôts « inexpliqués » des montants supérieurs à ceux admis par M. Lavoie lors de son témoignage. Les montants suivants soit, 90 105 $ en 2005, 109 828 $ en 2006 et 71 032 $ en 2007, ont été ajoutés à 9028 à titre de revenus d’entreprise. Selon l’intimée, les dépôts « inexpliqués » dans les comptes bancaires de M. Lavoie émanent de 9028.

 

[72]        À cet effet, aucune preuve n’a été présentée par le procureur de 9028 démontrant qu’une partie des dépôts dans les comptes bancaires personnels de M. Lavoie n’émanait pas de 9028. Le fardeau de la preuve incombait à 9028 de prouver qu’une partie des dépôts « inexpliqués » n’émanait pas de 9028. À la lumière de l’absence de preuve, je dois accepter les faits tenus pour acquis par le ministre dans la réponse à l’avis d’appel, plus précisément au paragraphe 14 d).

 

PÉNALITÉS EN VERTU DU PARAGRAPHE 163(2)

 

[73]        C’est l’intimée qui a le fardeau de prouver que M. Lajeunesse et 9028 ont sciemment, ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans leurs déclarations de revenus aux fins d’établir la validité des pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

 

[74]        La Cour fédérale de première instance dans Venne c R, [1984] C.T.C. 223, 84 D.T.C. 6247 s’est prononcée relativement à la notion de faute lourde :

 

34 (4) Imposition de pénalités – Comme il a été souligné auparavant, pour que la défenderesse puisse imposer des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, il faut que le contribuable ait “sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde... participé, consenti, acquiescé à un faux énoncé dans une déclaration, etc.

 

[…]

 

37. […] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi […]

 

[75]        Depuis l’arrêt Villeneuve c R, 2004 CAF 20, il est établi que la faute lourde englobe l’aveuglement volontaire : 

 

[6] Avec égards, je crois que la juge a omis de considérer la notion de faute lourde qui peut découler d'un aveuglement volontaire de son auteur. Même l'intention coupable qui, souvent, prend la forme de la connaissance de l'un ou de plusieurs des éléments constitutifs du geste reproché peut s'établir par une preuve d'aveuglement volontaire. En pareil cas, l'auteur du geste, bien qu'il n'ait pas de connaissance actuelle de l'élément reproché, se voit imputer la connaissance de cet élément.

 

[76]        La Cour d’appel fédérale a mentionné dans l’arrêt Lacroix c R, 2008 CAF 241, que le ministre s’est acquitté de son fardeau de preuve selon le paragraphe 163(2) de la Loi lorsque le contribuable a touché un revenu qu’il n’a pas déclaré et qu’il n’a pas pu justifier :

 

[32]  [...]  Il se peut que dans certaines circonstances, le ministre soit en mesure de faire une preuve directe de l'état d'esprit du contribuable lorsque ce dernier a produit sa déclaration de revenu. Mais dans la grande majorité des cas, le ministre ne pourra que miner la crédibilité du contribuable, soit par des éléments de preuve qu'il apporte, soit en contre-interrogatoire du contribuable. Dans la mesure où la Cour canadienne de l'impôt est persuadée que le contribuable touche un revenu qu'il n'a pas déclaré et que l'explication offerte par le contribuable pour l'écart constaté entre son revenu déclaré et l'accroissement de son actif est non crédible, le ministre s'est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombe aux termes du sous-alinéa 152(4)(a)(i) et du paragraphe 162(3).

 

[77]        Lors de l’audience, Me Paquin, pour M. Lajeunesse et 9028, a limité son argument quant aux pénalités à ce qui suit :

 

Alors sur la question des pénalités, si mon avis est que nous avons établi le renversement de fardeau de preuve en ce qui concerne les hypothèses de l’intimée, je vous soumets bien humblement que l’intimée ne s’est certainement pas déchargée de son fardeau en matière de pénalités.

 

[78]        Cependant, lors de l’audience, les témoignages de M. Lajeunesse, de M. Serge Lajeunesse et de M. Alain Martel ont tous été dans le même sens. Selon ces derniers, si des erreurs sont survenues dans le calcul de leurs revenus ou dans le calcul du revenu de 9028, la responsabilité incombe aux comptables, plus particulièrement au comptable interne de 9028, M. Lavoie. Ainsi, le ministre ne pouvait imposer des pénalités à 9028 et à M. Lajeunesse, puisque M. Lavoie est responsable pour les omissions. Ces derniers n’avaient pas de formation comptable et faisaient entièrement confiance à leur comptable interne, M. Lavoie.

 

Pénalités - M. Lajeunesse

 

Faute du comptable

 

[79]        La Cour d’appel fédérale a mentionné que lorsque le contribuable démontre qu’une erreur est survenue par la faute de son comptable, le ministre doit alors démontrer que le contribuable est responsable de la faute lourde du comptable.[3]

 

[80]        L’intimée fait valoir que la faute du comptable ne s’applique pas dans le présent appel. Elle fait valoir que les seuls manquements qui ont été mis en preuve lors de l’audience, sont que M. Lavoie répondait aux questions des trois actionnaires d’une façon évasive, il refusait de montrer les relevés de compte aux actionnaires et il n’avait pas ouvert des enveloppes contenant des états de compte de cartes de crédit.

 

[81]        Elle fait donc valoir qu’il n’y a aucun lien entre les revenus non déclarés par M. Lajeunesse et les manquements du comptable M. Lavoie.

 

[82]        De plus, l’intimée fait valoir que les fonds détournés par M. Lavoie dans 9028 n’ont aucun lien avec les dépôts ajoutés aux revenus de M. Lajeunesse.

 

[83]        De plus, elle fait valoir qu’il est difficile d’attribuer la faute à M. Lavoie à la lumière du témoignage de M. Lajeunesse, car ce dernier a admis qu’il a lui-même déposé les montants en litige dans son compte bancaire personnel. M. Lajeunesse a de plus indiqué qu’il faisait la plupart du temps ses déclarations de revenus, bien qu’il ne se souvienne pas si c’est lui qui les avait faites pour les années en litige.

 

[84]        Je suis d’accord avec l’intimée que la faute du comptable ne s’applique pas dans le présent appel. Il n’y a aucun lien entre les revenus non déclarés par M. Lajeunesse pour les années d’imposition 2005 et 2006 et la faute du comptable, M. Lavoie.

 

Faute lourde - M. Lajeunesse

 

[85]        Dans un premier temps, l’intimée fait valoir que les écarts entre les revenus déclarés et les revenus établis dans les cotisations sont considérables.

 

[86]        M. Lajeunesse a déclaré un revenu total de 35 526 $ pour l’année d’imposition 2005 et un revenu total de 57 438 $ pour l’année d’imposition 2006. Les revenus non déclarés par M. Lajeunesse représentent 1386 % de son revenu total déclaré pour 2005 et 11 % de son revenu total déclaré pour 2006.

 

[87]        De plus, l’intimée soutient qu’il est difficile de comprendre qu’un homme économe et prudent comme M. Lajeunesse soit aussi négligent et indifférent quant à la déclaration de ses revenus.

 

[88]        L’intimée soutient aussi que le comportement de M. Lajeunesse reflète clairement une indifférence quant aux lois fiscales. À cet effet, l’intimée note que lors de son témoignage, M. Lajeunesse a indiqué que s’il ne recevait pas de feuillets T4 ou T5, il ne déclarait tout simplement pas ce revenu.

 

[89]        De plus, l’intimée fait valoir que M. Lajeunesse a lui-même déposé les sommes d’argent dans ses comptes bancaires personnels, alors il est difficile pour M. Lajeunesse de prétendre qu’il ne connaissait pas la source de ces montants. Il a d’ailleurs mentionné être devenu « clean-cut » depuis l’embauche d’un nouveau comptable pour 9028, Mme Payeur. Il a cependant indiqué ne pas avoir déclaré tous ses revenus dans les années 1980.

 

[90]        Je suis d’avis que l’intimée a démontré que M. Lajeunesse avait un comportement téméraire face à ses obligations fiscales.

 

[91]        À mon avis, M. Lajeunesse savait qu’il n’avait pas déclaré tous ses revenus pour les années d’imposition 2005 et 2006. Je suis d’avis que son comportement, face à ses obligations fiscales, correspond à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi.

 

[92]        De plus, l’argument de l’appelant selon lequel il ne peut être tenu responsable d’un faux énoncé ou omission, puisqu’il n’avait aucune formation en comptabilité, n’est pas un argument valable contre une pénalité pour faute lourde. Que l’appelant ait manqué d’intérêt et de temps à cause de la surcharge de travail pour correctement compléter sa déclaration de revenus n’allège en rien son devoir de déclarer tous ses revenus.

 

[93]        Ainsi, le ministre a correctement imposé à M. Lajeunesse des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) pour les années d’imposition 2005 et 2006.

 

Pénalités - 9028

 

[94]        Tel que je l’ai déjà indiqué, les pénalités devront être supprimées pour 9028 en ce qui a trait au dépôt « inexpliqué » de M. Alain Martel, car j’ai conclu que le 20 000 $ n’émanait pas de 9028.

 

[95]        Je suis aussi d’avis que les pénalités devraient être supprimées relativement aux dépôts « inexpliqués » de M. Lavoie ajoutés au revenu de 9028.

 

[96]        Dans un dossier similaire, soit la décision Vachon c R, 2013 CCI 330, M. Vachon avait été victime d’escroquerie commise par son comptable. Dans ses motifs de jugement, le juge Tardif écrit ce qui suit quant au comportement de M. Vachon aux paragraphes 77 et suivants :

 

77  En l'espèce, l'appelant très expérimenté, très scolarisé et possédant des aptitudes particulières pour évaluer la compétence en matière de ressources humaines aurait manifestement dû mettre en pratique sa propre expertise qui lui aurait très rapidement permis de découvrir la fraude et les abus nombreux et grossiers de son comptable. Malgré cette réalité, il n'y a aucun doute que l'appelant ne voulait pas échapper à son fardeau fiscal au profit de Simard.

78  Pénalité sous-entend faute lourde, erreur volontaire, négligence grossière, aveuglement volontaire, etc. Le fondement de l'imposition d'une pénalité est une notion qui se rapproche du droit pénal.

79  Or, le droit pénal est un domaine où les règles sont particulières. D'entrée de jeu, en matière fiscale, le fardeau de la preuve est sur les épaules de l'intimée et non sur le contribuable que l'on veut assujettir à la pénalité.

80  En matière fiscale, le degré de preuve requis est celui de la prépondérance alors qu'en matière pénale le degré de preuve est beaucoup plus exigeant; on parle d'une preuve hors de tout doute raisonnable.

81  En matière fiscale, la règle du hors de tout doute raisonnable n'est aucunement requise; par contre, il doit y avoir une prépondérance selon laquelle la personne que l'on veut y assujettir ait commis une faute d'un certain degré d'où il est question d'une faute lourde et non d'une faute découlant d'une absence de vigilance.

82  En matière de pénalités, à moins que le mandant soit complice ou associé de manière tacite ou expresse aux faits et gestes reprochés et imputables au mandataire, ou qu'il tire avantages du stratagème, le mandant ne peut assumer la responsabilité pénale découlant des faits et gestes du mandataire qui s'enrichit au détriment de son mandant.

83  En l'espèce, il m'apparaît évident qu'une telle complicité n'était pas présente. La négligence et l'imprudence de l'appelant ne sont pas suffisantes pour conclure à l'aveuglement volontaire; en effet, il serait déraisonnable de croire qu'une personne accepte de manière volontaire ou involontaire que la somme à payer pour ses dettes fiscales bénéficie à quelqu'un autre.

 

[97]        Dans le présent appel, tout comme dans la décision Vachon, je suis d’avis que le mandant, 9028, n’était pas complice ou associé de manière tacite ou expresse aux faits et gestes reprochés et imputables au mandataire, M. Lavoie.  Le mandant, 9028, ne peut assumer la responsabilité découlant des faits et gestes du mandataire qui s’enrichit au détriment de son mandat. Tout comme dans le dossier Vachon, il est vrai que M. Lajeunesse en tant que président de 9028 aurait pu être plus vigilant. Cela étant dit, il est difficile pour une personne de détecter qu’elle est victime d’une escroquerie de la part de ses employés et de ses actionnaires.

 

[98]        Il ressort de la preuve que 9028 a appris qu’elle avait été victime de détournements de fonds seulement après l’embauche du nouveau comptable, Mme Payeur, en 2007. Alors, à mon avis, on ne peut pas conclure à une faute lourde de la part de 9028 en ce qui à trait aux montants qui ont été détournés en faveur du comptable, M. Lavoie.

 

[99]        La preuve n’est pas précise quant au quantum des montants détournés par M. Lavoie. Les chiffres avancés sont de 75 000 $ à 100 000 $ en ce qui a trait aux chèques encaissés, environ 19 000 $ pour des dépenses personnelles via la carte de crédit corporative. M. Lajeunesse a fait état d’un boni de 225 000 $. Ces montants couvrent le montant des dépôts « inexpliqués » de M. Lavoie.

 

[100]   Ainsi, je suis d’avis, que la pénalité doit être supprimée quant aux dépôts « inexpliqués » de M. Lavoie ajoutés à 9028 à titre de revenus d’entreprise selon le paragraphe 9(1) de la Loi.

 

[101]   Quant aux dépôts « inexpliqués » ajoutés à M. Lajeunesse et à son frère M. Serge Lajeunesse, je suis d’avis que ces derniers savaient que les fonds émanaient de 9028. Par conséquent, 9028 a commis une faute lourde en n’incluant pas ces montants dans ses revenus en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi; le ministre était bien fondé d’imposer la pénalité sur ces montants en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

 

CONCLUSION

 

[102]   L’appel de M. Lajeunesse est rejeté.

 

[103]   L’appel de 9028 est admis sur la base que le ministre n’aurait pas dû inclure dans le calcul du revenu de 9028 un montant de 20 000 $ à titre de revenu d’entreprise pour l’année d’imposition 2005. Les pénalités imposées sur les montants de 20 000 $ et de 90 105 $ pour l’année 2005, sur un montant de 109 828 $ pour l’année 2006 et sur un montant de 71 032 $ pour l’année 2007 sont supprimées. Pour le reste, les cotisations à l’égard de 9028 demeurent inchangées.

 

[104]   Les frais sont adjugés en faveur de l’intimée.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 28e jour de février 2014.

 

 

« Johanne D’Auray »

Juge D'Auray


RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 61

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2010-3374(IT)G

                                                          2010-3382(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            9028-0157 QUÉBEC INC. c SA MAJESTÉ LA REINE

                                                          DENIS LAJEUNESSE c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 6, 7 et 8 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Johanne D'Auray

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 28 février 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me Marc-André Paquin

Avocate de l'intimée :

Me Anne-Marie Desgens

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants:

 

                     Nom :                           Me Marc-André Paquin

 

                 Cabinet :                          Jurifisc avocats et fiscalistes Inc.

                                                          Laval (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]     Me Paradis a agi comme procureur pour les actionnaires, M. Lajeunesse, M. Serge Lajeunesse, M. Alain Martel, et M. Luc Lavoie. À l’étape du litige, les dossiers ont été transférés à Me Paquin et ce dernier n’a pas agi pour M. Lavoie à la lumière de positions conflictuelles.

[2]           Une perte de 13 500 $ découle de la vente de l’immeuble du 2521 à 2525, rue de Bellechasse. La vente de l’immeuble situé au 4530, rue Gouin a généré un profit de 44 000 $. Ce profit devait être partagé entre les trois propriétaires. Cependant, M. Lajeunesse a indiqué qu’il n’a pas remis aux deux autres propriétaires, Mme St-Laurent et Mme Chrétien leurs parts des profits.

 

[3]               R c Columbia Enterprises Ltd, [1983] CTC 204 (CAF); Findlay c R, [2000] 3 CTC 152 (CAF) [Findlay]; Gagnon v R, 2005 CCI 311; DeCosta supra; Jackson c R, [2008] 5 CTC 2286 (CCI); Brochu c R, [2011] 4 CTC 2001(CCI); Udell v MNR, [1970] Ex CR 176, [1969] CTC 704, 70 DTC 6019 [Udell].

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