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Dossier : 2012-2791(EI)

ENTRE :

LEONARD PAYNE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 17 avril 2014, à St. John’s (Terre‑Neuve).

Devant : L’honorable juge Diane Campbell


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Keith Morgan

Avocat de l’intimé :

MDevon Peavoy

 

JUGEMENT

          L’appel est rejeté, sans dépens, et la décision du ministre du Revenu national est confirmée.

Signé à Vancouver, Colombie‑Britannique, ce 27e jour de mai 2014.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30jour de juin 2014.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.

 



Référence : 2014 CCI 178

Date : 20140527

Dossier : 2012-2791(EI)

ENTRE :

LEONARD PAYNE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 [TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

[1]             L’appelant interjette appel à l’égard d’une détermination établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») selon laquelle il n’occupait pas un emploi assurable auprès de Cloud River Outfitters Ltd. (le « payeur ») pour diverses périodes se situant entre le 23 janvier 2006 et le 2 octobre 2010. Le ministre a établi cette détermination après avoir conclu que l’appelant et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance et que, par conséquent, l’emploi de l’appelant était exclu des emplois assurables en application de l’alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « LAE »). Étant donné que l’appelant et le payeur étaient des personnes liées au sens du paragraphe 251(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »), le ministre a estimé qu’ils n’auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

Les faits

[2]             L’appelant détient 34 % des actions du payeur. Son fils et sa fille détiennent à parts égales le reste des actions. L’activité du payeur consiste essentiellement à organiser des excursions de chasse, principalement pour des Américains, dans la province de Terre‑Neuve‑et‑Labrador durant les mois de septembre et d’octobre chaque année. Occasionnellement, le payeur organise aussi des excursions de pêche pendant l’été. L’activité est saisonnière et, selon les témoignages de l’appelant et de sa fille, Shelley Payne‑House, la présence à des foires commerciales, aux États‑Unis pendant l’hiver, est nécessaire afin de promouvoir l’entreprise. Il ressort de leur témoignage que la participation à des foires commerciales était la méthode principale de publicité, parce que la majorité des clients de l’entreprise provenait des États‑Unis.

[3]             Shelley Payne‑House est l’administratrice du payeur en plus d’en être une actionnaire. Elle a déclaré que ses fonctions consistaient notamment à faire la tenue des livres, à s’occuper des clients et des permis, à coordonner les activités des employés et à participer occasionnellement à des foires commerciales.

[4]             Bien que le payeur n’exploite qu’un seul camp de pêche, il exploite quatre ou cinq camps de chasse. Selon le témoignage de la fille de l’appelant, outre la participation à des foires commerciales en hiver, il fallait entretenir et réparer les pavillons de camp, construire des quais et tracer des pistes. Les pavillons sont tous éloignés et l’accès doit se faire au moyen d’un hydravion. Les employés restent généralement aux camps tout au long de l’automne.

[5]             L’appelant travaille pour le payeur depuis 2006 selon une entente verbale. Le payeur emploie une vingtaine d’employés, y compris des cuisiniers et des guides, qui sont rémunérés à la semaine plutôt qu’à l’heure. Selon la preuve produite, l’appelant recevait une rémunération hebdomadaire supérieure de 50 $ à celle des autres employés en raison des responsabilités accrues qu’il devait assumer. La fille de l’appelant a déclaré que les salaires des employés étaient comparables à ceux versés par d’autres pourvoiries de la région. Elle a ajouté que les employés ne venaient généralement chercher leurs chèques de paie hebdomadaire qu’à la fin de la saison, lorsqu’ils revenaient des camps, à moins que leurs épouses ne soient venues les chercher. Les employés, y compris l’appelant, avaient occasionnellement besoin d’articles personnels. Ces articles étaient achetés pour eux et leur coût était déduit des montants de leurs chèques de paie. Aucun document n’a été produit à l’appui de ces déclarations, et les autres employés n’ont pas été appelés à témoigner pour confirmer ces affirmations. De plus, les montants des chèques qui ont été produits ne correspondaient pas aux gains mentionnés sur le relevé d’emploi. L’appelant a également participé aux foires commerciales et a été rémunéré à cet égard pendant l’hiver. Sa fille a déclaré que l’appelant participait à trois ou quatre foires commerciales par année. Elle a expliqué que le payeur choisit les foires commerciales en fonction du lieu d’origine de la majorité de ses clients.

[6]             L’appelant et sa fille possèdent et exploitent aussi une deuxième pourvoirie familiale appelée Portland Creek Outfitters. Il était également nécessaire que des membres de la famille agissent comme représentants aux foires commerciales pour cette deuxième société. Toutefois, le témoignage de la fille de l’appelant n’a pas permis de déterminer clairement si, à ces foires, l’appelant représentait le payeur ou cette deuxième société. Bien que la fille de l’appelant ait été vague quant au nombre de foires commerciales annuelles auxquelles ils ont participé dans les années 2006 à 2010, ce nombre semble être au moins trois ou quatre foires par année. Son témoignage n’a pas permis d’établir clairement les foires auxquelles ils avaient participé et elle n’avait apporté aucun document à l’appui. Elle n’a pas produit le livre de paie qui aurait précisé les employés du payeur qui avaient participé aux foires en question entre 2006 et 2010. Elle n’a pas non plus produit de documents pour confirmer la participation réelle du payeur à ces foires. L’appelant possédait un compte bancaire américain en son propre nom et, lorsque le payeur recevait des paiements en dollars américains, l’appelant déposait une partie de ces fonds dans son compte personnel pour couvrir des dépenses futures liées aux foires commerciales. L’appelant payait directement les dépenses et présentait ses reçus pour remboursement après les foires commerciales. Il possédait également une carte Visa américaine en son propre nom qu’il utilisait de la même manière pour payer les dépenses relatives aux foires commerciales.

[7]             L’appelant a déclaré qu’après sa dixième année d’école, il avait travaillé à la société Newfoundland Zinc Mine pendant dix ans en même temps qu’il travaillait à temps partiel comme guide. Au début de 2000, il occupait un emploi de pêcheur commercial. Vers 2005, il a commencé à s’occuper de la pourvoirie. Il a précisé que ses tâches auprès du payeur consistaient généralement à préparer des pavillons pour la saison de pêche, à commander de la nourriture, à veiller à la vente de permis, à nettoyer les pavillons à la fin de la saison, à engager des pilotes et des guides, à exécuter lui‑même certaines fonctions de guide et à effectuer d’autres tâches selon les besoins. Il n’avait pas d’horaire de travail fixe. Sa participation à des foires commerciales était importante pour établir des contacts personnels avec des chasseurs. Il a déclaré qu’il pouvait passer des semaines aux États‑Unis pour participer à ces foires pendant l’hiver.

[8]             Selon l’appelant, il se pourrait que la rémunération qu’il a réellement reçue pendant une période ne corresponde pas nécessairement à son taux global de rémunération, étant donné que des montants pouvaient être déduits pour des achats personnels faits pour lui lorsqu’il était au camp. Bien qu’il ait admis avoir travaillé de temps en temps pour le payeur en dehors des périodes d’emploi, il a déclaré que ce n’était que de courtes périodes et parce que les clients préféraient généralement traiter directement avec lui.

[9]             La troisième personne à témoigner était Kevin Matheson, l’agent des appels à l’époque qui avait traité le dossier à l’étape de l’opposition. Lors de l’interrogatoire principal, il a témoigné qu’il avait demandé à obtenir le grand livre général, le registre de la paie et le registre d’entreprise du payeur, les reçus concernant les dépenses supportées par l’appelant lorsqu’il participait aux foires commerciales aux États‑Unis, les relevés bancaires, les chèques oblitérés, une copie de la carte de visite et une preuve que le payeur avait payé un stand à ces foires commerciales.

[10]        Le registre de la paie permettrait de confirmer que tous les employés étaient traités de la même manière comme l’appelant l’affirme, mais M. Matheson a témoigné qu’il n’avait reçu que certaines parties du registre.

[11]        Les chèques oblitérés ont été demandés pour démontrer que l’appelant avait réellement été rémunéré, mais, là encore, seuls certains chèques oblitérés ont été fournis.

[12]        Les relevés bancaires ont été demandés pour qu’on puisse les comparer avec les chèques oblitérés afin de confirmer que les montants, que l’appelant prétendait avoir reçus du payeur, provenaient réellement du compte bancaire du payeur. Toutefois, M. Matheson n’a reçu que les relevés bancaires pour 2007, et il ne pouvait toujours pas faire correspondre les relevés de 2007 au nombre limité de chèques oblitérés que l’appelant lui avait fournis.

[13]        Seuls quelques reçus attestant des dépenses concernant des voyages aux États‑Unis en 2007 et en 2009 ont été fournis. M. Matheson n’a obtenu aucun reçu pour les autres périodes visées par l’appel. Ce sont les seuls éléments de preuve que M. Matheson a reçus, et ceux-ci n’ont pas établi de lien entre les voyages et les foires commerciales. Il n’a reçu aucun élément de preuve pour justifier l’inscription et la participation du payeur à ces foires commerciales. Il n’a pas non plus obtenu d’éléments de preuve selon lesquels l’appelant avait été rémunéré pour toutes les heures qu’il a affirmé avoir travaillées.

[14]        Bien que l’avocat de l’appelant ait laissé entendre lors du contre‑interrogatoire que M. Matheson aurait pu faire davantage pour veiller à ce que l’appelant comprenne les documents précis qu’on lui demandait de fournir à l’appui de sa position, M. Matheson a déclaré qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait pour aider l’appelant à faire infirmer la décision qu’il était en train d’examiner.

La thèse de l’appelant

[15]        L’appelant ne conteste pas qu’il existe un lien de dépendance entre lui et le payeur au sens du paragraphe 251(1) de la LIR et que l’emploi, par conséquent, serait exclu des emplois assurables en application de l’alinéa 5(2)i) de la LAE. Toutefois, l’appelant soutient que son emploi auprès du payeur est assurable pour les périodes concernées parce que, même si lui et le payeur étaient des personnes liées, les parties devraient être réputées ne pas avoir de lien de dépendance entre elles en application de l’alinéa 5(3)b) de la LAE, compte tenu du fait qu’elles auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n’avaient pas eu de lien de dépendance.

[16]        À l’appui de sa thèse, l’appelant a fait valoir que son contrat de travail avait été auparavant examiné et qu’il avait été jugé conforme à la réglementation; que son taux de rémunération était semblable à celui d’autres employés qui travaillaient pour le payeur; que le taux de rémunération dont il bénéficiait était comparable aux taux du marché que recevaient des employés d’autres pourvoiries de la région et qu’il n’avait pas d’horaire de travail fixe, parce que cela répondait aux besoins du payeur, lesquels dépendaient des besoins des clients.

La thèse de l’intimé

[17]        L’intimé a soutenu que l’appelant et le payeur n’auraient pas souscrit aux modalités d’emploi s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance entre eux, pour les raisons suivantes :

          a)      Rémunération : L’employé, qui n’a pas de lien de dépendance avec le payeur, n’aurait pas accepté une rémunération inférieure à celle initialement convenue. Selon les renseignements présentés par l’appelant, celui‑ci recevait une rémunération nette de 448,76 $ par semaine alors qu’il aurait dû recevoir une rémunération nette de 564,11 $ par semaine, selon l’information relative aux retenues sur la paie publiée par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») (onglet 13, pièce R‑1).

          b)      Modalités d’emploi : Aucun document n’a été fourni à l’appui de l’argument de l’appelant selon lequel il représentait le payeur à des foires commerciales aux États‑Unis. Les quelques reçus concernant les frais de déplacement qui ont été présentés ne permettent pas de savoir si l’appelant participait aux foires commerciales en tant que représentant du payeur ou en tant que représentant de Portland Creek Outfitters. Les documents incomplets qui ont été présentés n’appuyaient pas l’affirmation de l’appelant selon laquelle il travaillait en général pour le payeur. Seuls quelques chèques oblitérés ont été fournis, mais aucun relevé bancaire n’a été présenté. En conséquence, il est impossible de déterminer si l’appelant a effectivement participé à toutes les foires commerciales dont il est question ou s’il a travaillé toutes les heures qui figurent dans son relevé d’emploi ou s’il a été rémunéré pour toutes les heures consignées.

          c)       Durée : Il n’est pas possible de déterminer si le relevé d’emploi rend compte fidèlement la durée d’emploi de l’appelant auprès du payeur en raison du manque de renseignements et de documents et de l’absence d’un horaire de travail précis.

          d)      Nature et importance du travail : Il est difficile de déterminer la nature des tâches supplémentaires exécutées par l’appelant pour le payeur, parce que les renseignements et les documents produits étaient insuffisants.

L’analyse

[18]        L’alinéa 5(1)a) de la LAE traite des emplois assurables. L’alinéa 5(2)i) de la LAE traite des emplois exclus. Cette disposition est libellée ainsi :

5(2) Restriction − N’est pas un emploi assurable :

[…]

(i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

[19]        L’expression « lien de dépendance » est mentionnée plus loin aux alinéas 5(3)a) et b) de la LAE dont voici la teneur :

5(3) Personnes liées − Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien dépendance.

[20]        Les dispositions pertinentes des paragraphes 251(1) et (2) de la LIR définissent l’expression « lien de dépendance » de la manière suivante :

251(1) Lien de dépendance. Pour l’application de la présente loi :

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

[…]

c) dans les autres cas, la question de savoir si des personnes non liées entre elles n’ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

251(2) Définition de « personnes liées ». Pour l’application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

[…]

b) une société et :

(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

(ii) une personne qui est membre d’un groupe lié qui contrôle la société,

(iii) toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii);

[…]

[21]        La décision Birkland c M.R.N., 2005 CCI 291, [2005] ACI no 195, rendue par le juge Bowie, résume l’évolution du rôle de la Cour en ce qui a trait à l’alinéa 5(3)i) de la LAE et à la jurisprudence pertinente. Au paragraphe 2, le juge Bowie a brossé un tableau de ce qui constituait alors selon lui l’état du droit dans ce domaine :

2  Au cours de l’audience, il a été question du rôle de la Cour dans les cas visés à l’alinéa 5(3)b) de la Loi. Cette question a fait l’objet d’un certain nombre d’arrêts de la Cour d’appel fédérale au cours des dix dernières années. Dans les premiers arrêts, qui ont été rendus sous le régime des alinéas 3(1)a) et 3(2)c) de la Loi sur l’assurance‑chômage, la Cour d’appel fédérale a statué que l’opinion du ministre ne pouvait pas faire l’objet d’un appel à la Cour canadienne de l’impôt, sauf si l’on pouvait démontrer que le ministre avait commis ce qui pouvait être qualifié d’erreur de droit administratif en formant son opinion. Comme le libellé du sous‑alinéa 3(2)c)(ii) conférait un pouvoir discrétionnaire au ministre, la Cour canadienne de l’impôt ne pouvait pas substituer simplement son opinion à celle de ce dernier. Toutefois, si, au cours de l’audition d’un appel, l’appelant était en mesure de démontrer que le ministre avait commis une erreur de droit en formant son opinion, la Cour devait rendre une décision de novo, en application du sous‑alinéa 3(2)c)(ii) (maintenant l’alinéa 5(3)b)), sur la question de savoir si les modalités du contrat de travail pouvaient raisonnablement être considérées comme étant celles sur lesquelles des parties sans lien de dépendance se seraient entendues. En d’autres termes, ce n’est qu’après avoir conclu que la décision du ministre était viciée par une erreur de droit administratif que la Cour canadienne de l’impôt pouvait substituer son opinion à celle du ministre quant à la question relative à l’alinéa 3(2)c).

 

[22]        Après avoir analysé les arrêts Légaré c Canada (MRN), [1999] ACF n878 (CAF) et Pérusse c Canada (MRN), [2000] ACF no 310, de la Cour d’appel fédérale, le juge Bowie a fait le résumé suivant, au paragraphe 4 :

Il est suffisant, à cette étape‑ci, de décrire simplement ce qu’est, à mon avis, l’état actuel du droit. Je me fonde principalement à cet égard sur le paragraphe 4 de l’arrêt Légaré (reproduit ci‑dessus) et sur […] [le] jugement rendu par le juge en chef Richard, auquel ont souscrit les juges Létourneau et Noël, dans l’affaire Denis c. Canada.

[…]

Si je comprends bien ces arrêts, le rôle de la Cour canadienne de l’impôt consiste à mener un procès au cours duquel les deux parties peuvent produire des éléments de preuve concernant les modalités aux termes desquelles l’appelant était employé, les modalités aux termes desquelles des personnes sans lien de dépendance, effectuant le même travail que l’appelant, étaient employées par le même employeur et les conditions d’emploi prévalant dans l’industrie pour le même genre de travail, au même moment et au même endroit. Des éléments de preuve relatifs à la relation existant entre l’appelant et l’employeur peuvent évidemment être produits également. À la lumière de tous ces éléments de preuve et de l’opinion du juge sur la crédibilité des témoins, la Cour doit ensuite déterminer si le ministre aurait pu raisonnablement, en ayant connaissance de l’ensemble de cette preuve, ne pas conclure que l’employeur et une personne avec laquelle il n’avait pas de lien de dépendance auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable. Si je comprends bien, c’est là le degré de retenue judiciaire accordé à l’avis du ministre du fait de l’emploi, par le législateur, de l’expression « […] si le ministre du Revenu national est convaincu […] » à l’alinéa 5(3)b).

[23]        La décision Birkland n’a pas renvoyé à l’arrêt Livreur Plus Inc. c MRN, 2004 CAF 68, [2004] ACF no 267, de la Cour d’appel fédérale, bien qu’elle ait été rendue un an après cet arrêt. La jurisprudence n’est pas constante en ce qui concerne la question de savoir si l’arrêt Livreur a ajouté un élément supplémentaire au critère énoncé dans les arrêts Légaré et Pérusse. Dans la décision Khaila c MRN, 2013 CCI 370, [2013] ACI no 325, la juge Woods était d’avis que l’arrêt Livreur avait ajouté un élément supplémentaire. Toutefois, elle a souligné que, puisqu’il n’avait pas été suivi dans tous les cas, elle choisissait de suivre la décision Birkland.

[24]        L’avocat de l’intimé m’a renvoyé à l’arrêt Denis c Canada (MRN), 2004 CAF 26, [2004] ACF no 400, dans lequel, au paragraphe 5, le juge en chef Richard (tel était alors son titre) a décrit le critère de la manière suivante :

Le rôle du juge de la Cour canadienne de l’impôt dans un appel d’une détermination du ministre sur les dispositions d’exclusion contenues aux paragraphes 5(2) et (3) de la Loi est de s’enquérir de tous les faits auprès des parties et les témoins appelés pour la première fois à s’expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre paraît toujours raisonnable. Toutefois, le juge ne doit pas substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu’il n’y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus (voir Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national ‑ M.R.N.), [2000] A.C.F. no 310, 10 mars 2000).

[25]        Si je suis la décision Birkland et que j’applique le raisonnement établi dans les arrêts Légaré et Pérusse, il incombe à l’appelant de prouver l’existence de nouveaux faits dont le ministre n’était pas saisi au moment de la décision ou des faits qui étaient connus au moment de la décision, mais que le ministre avait mal interprétés.

[26]        L’avocat de l’appelant a soutenu que les témoignages sous serment de l’appelant et de sa fille, considérés comme crédibles, devraient être suffisants pour démolir les hypothèses de fait du ministre énoncées dans la réponse. En outre, l’appelant a avancé que la communication de documents incomplets ne devrait pas l’empêcher d’obtenir gain de cause en appel.

[27]        Bien qu’un témoignage crédible puisse être suffisant dans certaines circonstances, et en l’absence de documents pertinents, pour démolir les hypothèses de fait, il a été aussi établi par la jurisprudence qu’on devrait tirer une conclusion négative à l’égard de la partie qui était en position de fournir à la Cour des éléments de preuve pertinents, mais qui, pour quelque raison que ce soit, ne les a pas fournis.

[28]        À l’étape de la décision, on a donné à l’appelant l’occasion de fournir à l’ARC des documents justificatifs, mais il n’a pas saisi cette occasion. Il ressort de la preuve que l’agent des appels a expressément demandé les documents qui auraient appuyé la position de l’appelant. Bien que l’appelant ait promis à plusieurs reprises de fournir ces documents à l’ARC, il ne s’est jamais exécuté. Contrairement à ce que l’avocat de l’intimé a laissé entendre, à savoir que M. Matheson, l’agent des appels, n’avait pas pris de mesures proactives pour obtenir les documents nécessaires auprès de l’appelant, il ressort de la preuve qu’il a pris des mesures raisonnables pour tenter d’amener l’appelant à se conformer à ses demandes. À la page 82 de la transcription, il a témoigné qu’il s’était mis à la disposition de l’appelant et qu’il lui avait laissé des messages dans lesquels il lui donnait ses numéros de téléphone et de télécopieur, l’invitant à communiquer avec lui s’il avait des questions en ce qui concerne les exigences. À la page 84 de la transcription, M. Matheson a déclaré que [traduction] « [...] c’était ma principale préoccupation, obtenir les renseignements nécessaires pour pouvoir infirmer la décision afin d’aider les appelants […]. J’ai vraiment essayé du mieux que je pouvais, j’ai vraiment essayé ». L’argument de l’avocat de l’appelant selon lequel le questionnaire de l’ARC était de nature à induire en erreur ou que M. Matheson avait l’obligation d’expliquer à l’appelant, par exemple, ce qu’était un grand livre général, était dénué de fondement. Dans un régime d’autocotisation, il incombe au contribuable de conserver des documents suffisants pour appuyer sa position et être capable de fournir ces documents lorsqu’on lui demande de le faire. Le genre de suivi très particulier que l’avocat de l’appelant aurait voulu que les représentants de l’ARC n’est ni justifié ni réaliste. En tout état de cause, je suis convaincue que M. Matheson a respecté toute obligation qui pouvait lui incomber de demander à l’appelant les documents appropriés. À la page 81 de la transcription, il a déclaré ce qui suit, en réponse à des questions concernant les renseignements demandés :

[traduction]

Il y a certaines feuilles d’envoi par fax qui prouvent que nous entretenions une correspondance et que des renseignements supplémentaires devaient arriver, et j’espérais que ces renseignements arriveraient, je l’espérais vraiment, parce que je ne voulais pas être ici aujourd’hui, alors j’espérais vraiment que ceux-ci permettraient d’infirmer la décision.

[29]        Néanmoins, l’audience que je préside représentait une autre occasion que l’appelant aurait pu saisir pour fournir les documents supplémentaires qui appuieraient sa position. L’appelant a présenté quelques autres reçus pour des chambres de motel, de l’essence et des frais de traversier, mais seulement pour des foires commerciales ayant eu lieu en 2006 et en 2007. En outre, certains chèques, qui représentent des paiements de salaire faits à l’appelant en 2006 et en 2007, ont été produits. L’appelant a également présenté un relevé de ses gains, mais seulement pour l’année 2009. Toutefois, ces documents supplémentaires sont sommaires. Bien qu’ils confirment que l’appelant a effectivement travaillé pour le payeur et qu’il a reçu une certaine rémunération, ce que le ministre ne conteste pas, il n’en demeure pas moins que les documents ne sont pas suffisants pour établir les périodes réelles pendant lesquelles l’appelant a travaillé et les sommes correspondant à la rémunération qu’il a effectivement reçue. Il n’existe aucun élément de preuve supplémentaire qui me permettrait de tirer une conclusion différente de celle du ministre. En l’absence de talons de paie, de tous les chèques oblitérés et des feuilles de paie ainsi que des relevés bancaires, il est impossible de confirmer ce que l’appelant avance quant aux périodes d’emploi, au taux de rémunération et aux heures travaillées. En outre, il y avait d’autres moyens de corroborer certains éléments du témoignage de l’appelant. Par exemple, d’autres employés auraient pu être appelés à témoigner à l’appui de la position de l’appelant selon laquelle le payeur le traitait de la même manière que ses autres employés.

[30]        En ce qui concerne les foires commerciales, je suis convaincue que l’appelant a participé à certaines d’entre elles, voire toutes. Toutefois, la preuve demeure nébuleuse quant aux foires et au nombre de foires auxquelles il a participé dans une année donnée, le lieu où ces foires se sont déroulées et si, en réalité, même s’il a participé à ces foires, il y représentait le payeur ou son autre société, à savoir, Portland Creek Outfitters. Je ne suis saisie d’aucun élément de preuve qui me permettrait de tirer quelque conclusion que ce soit quant à la question de savoir si, même s’il avait participé à chacune de ces foires, il y avait assisté en tant que propriétaire du payeur ou en tant qu’employé. Je dispose de très peu de documents, à l’exception de quelques reçus de 2006 et de 2007, selon lesquels des voyages pour se rendre à ces foires auraient été faits pour le compte du payeur. Il ressort également de la preuve que d’autres employés participaient occasionnellement à des foires commerciales pour le compte du payeur. Il n’y a aucun élément de preuve à l’appui de l’argument de l’appelant selon lequel il travaillait 70 heures par semaine comme employé à l’occasion de ces voyages. Le fait que l’appelant ait utilisé son propre compte bancaire américain et sa carte de crédit américaine personnelle pour le paiement de ces voyages ne témoigne pas de l’absence d’un lien de dépendance entre l’appelant et le payeur. Je ne disposais d’aucun élément de preuve démontrant que des réservations de stands à des foires commerciales avaient été faites, ce qui aurait peut‑être confirmé la participation de l’appelant à ces foires.

[31]        Lorsque l’avocat de l’intimé s’est penché sur la question de l’absence de documents, la fille de l’appelant a donné des réponses qui oscillaient entre : [traduction] « Oui, il y a des dossiers. Il suffit que je les trouve » (transcription, à la page 23) et [traduction] « […] mes feuilles de paie sont à la maison, mais je peux les obtenir » (transcription, à la page 28). Lorsqu’on lui a posé des questions au sujet de documents qui appuieraient son témoignage selon lequel il pourrait y avoir des déductions sur les chèques de certains employés pour l’achat d’articles personnels faits pour leur compte, elle a répondu ainsi : [traduction] « Non, je n’ai jamais pensé les apporter » (transcription, à la page 34). Lorsqu’on lui a posé la question de savoir si elle avait des chèques concernant d’autres employés à l’appui de son témoignage selon lequel le payeur rémunérait l’appelant de la même manière que les autres employés, elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je peux vous en fournir. Je ne les ai pas avec moi aujourd’hui » (transcription, à la page 33). À la question de savoir si elle pouvait produire les feuilles de paie pour confirmer qui étaient les employés du payeur pendant l’hiver, elle a dit ceci : [traduction] « Je peux obtenir – mes feuilles de paie sont à la maison, mais je peux les obtenir » (transcription, à la page 28).

[32]        L’appelant et sa fille auraient dû être tout à fait conscients des éléments de preuve qui seraient exigés par la Cour à l’appui de leur thèse opposée à celle du ministre bien avant de se présenter devant la Cour, d’autant plus que l’appelant était représenté par un avocat. La fille de l’appelant a témoigné qu’elle avait les documents, mais qu’elle avait simplement négligé de les apporter à la Cour ou qu’elle ne pouvait pas les trouver immédiatement parce que le bureau faisait l’objet de rénovations. Il me semble que ces documents n’ont pas été présentés à la Cour parce qu’ils n’appuyaient pas le témoignage de l’appelant et de sa fille.

[33]        Outre le manque de documents, le témoignage de l’appelant ainsi que celui de sa fille étaient vagues et imprécis. Les réponses de la fille de l’appelant étaient truffées de phrases comme celles‑ci : [traduction] « cela aurait été probablement pareil » ; [traduction] « c’est possible » ; [traduction] « dans une certaine mesure je suppose » ; [traduction] « pas directement de mémoire » et [traduction] « Je devrais passer en revue tous les reçus [lesquels n’ont pas été présentés à la Cour] et tout ça pour vous donner les dates réelles ».

[34]        Les renseignements et les éléments de preuve fournis par les parties aussi bien à l’étape de la décision qu’à celle de l’appel (Rapport de la Direction des appels, pièce R‑1, onglet 10) sont aussi contradictoires. Les renseignements contradictoires concernaient la rémunération pour des tâches exécutées par l’appelant.

[35]        En bref, sans aucune précision sur les foires commerciales, le travail effectué et la rémunération que l’appelant prétend avoir généralement reçue en tant qu’employé du payeur, je ne puis arriver à une conclusion différente de celle du ministre. Il y a absence presque totale de documents, bien que l’appelant et sa fille prétendent que ces documents existent. Sans ces documents justificatifs, il m’est impossible de confirmer dans quelle mesure l’appelant a exécuté les tâches et le temps qu’il a consacré à ces tâches, y compris la participation à des foires commerciales, et s’il avait été réellement rémunéré pour toutes les heures consignées dans le relevé d’emploi. Les témoignages de vive voix étaient vagues et ne semblaient pas être empreints de la plus grande franchise, et ils m’ont donné l’impression que les documents, qui auraient pu par ailleurs étayer les témoignages, n’ont pas été produits, parce qu’ils n’auraient pas, en réalité, appuyé la thèse de l’appelant.

[36]        Pour les motifs exposés ci‑dessus, l’appel est rejeté, sans dépens, étant donné que je n’ai été saisie d’aucun élément de preuve qui me permettrait de tirer une conclusion différente de celle du ministre.

Signé à Vancouver, Colombie‑Britannique, ce 27e jour de mai 2014.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30jour de juin 2014.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 178

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-2791(EI)

                                                         

INTITULÉ :                                      LEONARD PAYNE c.

                                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                St. John’s (Terre‑Neuve)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 avril 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Diane Campbell

 

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 27 mai 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

 

Me Keith Morgan

Avocat de l’intimé :

MDevon Peavoy

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :                       

      

             Nom :                                   Keith Morgan

                                                           

Cabinet :                             

 

       Pour l’intimé :                            William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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