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Dossier : 2010-637(IT)G

ENTRE :

EDWARD BAKER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 13 et 14 mars 2014, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan


Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Jeffrey Radnoff

Avocats de l’intimée :

Me Donna Tomljanovic

Me Adam Gotfried

 

JUGEMENT

L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2001 est rejeté en conformité avec les motifs du jugement ci-joints, avec dépens en faveur de l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 2014.

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de septembre 2014.

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2014 CCI 204

Date : 20140624

Dossier : 2010-637(IT)G

ENTRE :

EDWARD BAKER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hogan

I.       Introduction

[1]             Il s’agit d’un appel interjeté par Edward Baker (l’« appelant ») relativement à son année d’imposition 2001. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant de manière à inclure 95 000 $ dans le revenu de l’appelant en vertu du paragraphe 146(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). La nouvelle cotisation a été établie en tenant pour acquis que le régime enregistré d’épargne-retraite (le « REER ») de l’appelant avait acquis des actions de Kelso Technologies Inc. (« Kelso ») pour une contrepartie supérieure à leur juste valeur marchande.

[2]             De l’avis du ministre, le paragraphe 146(9) de la Loi n’est pas ambigu. La différence entre la juste valeur marchande et la contrepartie payée a été incluse à juste titre dans le revenu de l’appelant pour cette année, peu importe que l’appelant ait été complice ou non lorsqu’il a autorisé la transaction. L’intimée soutient également que les éléments de preuve me permettent de tirer comme conclusion factuelle que l’appelant a participé à la transaction parce qu’elle lui a été présentée comme étant un dépouillement de REER.

[3]             L’appelant soutient en revanche que le paragraphe 146(9) de la Loi est une règle anti-évitement. Il ne s’applique pas parce que l’appelant n’avait pas l’intention d’éviter l’impôt.

II.      Le contexte factuel

[4]             L’appelant a exploité avec succès une entreprise d’impression pendant quelque 35 ans jusqu’à sa retraite en 2004. En 2000, alors qu’il planifiait des vacances, l’appelant aurait rencontré par hasard un client qui l’aurait informé au sujet d’un séminaire en matière d’investissements pour les résidents canadiens à Cancún, au Mexique. Peu avant Noël, l’appelant a assisté à ce séminaire de trois jours. L’appelant prétend ne pas avoir assisté à la plupart des présentations du séminaire, parce qu’il les trouvait très peu pertinent au regard des préoccupations des investisseurs canadiens. Cependant, il a assisté à une partie d’une présentation faite par Cameron Claridge, qui s’est présenté au séminaire comme un conférencier canadien. Après la présentation, tous deux ont discuté de stratégies d’investissement dans le cadre des REER. L’appelant a ensuite laissé ses coordonnées à M. Claridge.

[5]             Peu après le retour de l’appelant au Canada, M. Claridge a communiqué avec lui et lui a fait part d’une possibilité d’investissement dans Kelso. Kelso est une société faisant appel public à l’épargne qui fabrique notamment des pièces de freins de trains. L’appelant a fait des recherches au sujet de Kelso en consultant son site Web et en parlant au président et chef de la direction de Kelso, M. Stephen Grossman.

[6]             M. Claridge a avisé l’appelant qu’il pouvait s’assurer que Kelso était un placement admissible pour les besoins de l’impôt sur le revenu canadien en parlant avec Bryce Stewart, avocat et administrateur de Kelso. L’appelant a fait cela, et il a reçu par la suite une lettre de Me Stewart confirmant que Kelso était une « société admissible » au sens de la Loi. La lettre précisait également que la juste valeur marchande des actions de Kelso avait récemment été évaluée à 20 $ l’action.

[7]             L’appelant a ensuite procédé à l’achat de 5 000 actions privilégiées convertibles avec droit de vote de catégorie « A », série 1, de Kelso (les « actions de Kelso »). Pour ce faire, l’appelant a ouvert un compte de régime enregistré d’épargne-retraite autogéré (le « compte REER ») auprès de la Pacific Coast Savings Credit Union (la « Credit Union »). Par un document daté du 25 janvier 2001, l’appelant a ordonné le transfert d’une somme de 162 849,27 $ détenue dans son compte REER auprès de la TD Canada Trust dans un compte REER auprès de la Credit Union. Ce transfert a été effectué en mars 2001. Par lettre d’instructions datée du 20 avril 2001, l’appelant a demandé à la Credit Union de retirer une somme de 100 000 $ de son compte REER pour payer Me Stewart en fiducie pour son compte, et d’accepter en échange la livraison du certificat d’actions A-059 relatif aux actions de Kelso. Cet échange a eu lieu le 24 avril 2001.

[8]             Le REER a acheté les actions de Kelso au prix de 20 $ l’action. Il les a achetées de Robin Sommerville. Mme Sommerville avait acheté auparavant les actions de Kelso à titre de placement privé à un prix d’émission de 1 $ l’action le 25 janvier 2001, trois mois plus tôt. Cette transaction figurait parmi de nombreux placements privés similaires. Entre la fin de 1999 et le début de 2001, Kelso avait émis une série d’actions privilégiées convertibles avec droit de vote de catégorie « A », série 1, dont les actions de Kelso achetées par le REER. Chaque émission d’actions avait été faite par voie de placement privé à Mme Sommerville au prix d’achat de 1 $ l’action. Les fonds étaient censés être utilisés par Kelso soit comme fonds de roulement, soit pour le remboursement de prêts. La date d’émission et le nombre d’actions émises lors de chaque placement privé étaient les suivants :

Date d’émission

Nombre d’actions émises

Le 15 juin 1999

10 680

Le 10 septembre 1999

25 500

Le 16 novembre 1999

30 000

Le 1er décembre 2000

25 000

Le 25 janvier 2001

25 000

Le 23 mai 2001

25 000

[9]             Les actions de Kelso étaient convertibles en unités à raison d’une unité pour chaque tranche de 0,15 $ de capital versé au cours de la première année suivant l’émission. Les actions devaient être converties au plus tard cinq ans après leur émission. Le ratio de conversion augmentait de 0,05 $ à chaque date anniversaire. Chaque unité consistait en une action ordinaire et un bon de souscription d’actions non remboursable. Chaque bon de souscription d’actions conférait à son titulaire le droit d’acheter une autre action ordinaire à un prix égal au prix de conversion des actions de Kelso au moment de la conversion. En avril 2001, les actions ordinaires de Kelso se négociaient à un prix fluctuant entre 0,07 $ et 0,11 $.

[10]        Peu après que l’appelant eut acheté les actions de Kelso, il a commencé à se méfier de M. Claridge. L’appelant s’était attendu à ce que M. Claridge prenne 20 000 $ du prix d’achat de 100 000 $ à titre de commission. M. Claridge a omis d’expliquer comment il ferait cela. Aussi, l’appelant avait de plus en plus de difficulté à communiquer avec M. Claridge. M. Claridge ne rappelait pas l’appelant et ne répondait pas à ses courriels. L’appelant a commencé à s’inquiéter du fait que M. Claridge avait accès au reste des fonds dans son compte REER et, par conséquent, il a transféré le solde du compte à la RBC Dominion valeurs mobilières (la « RBC ») en avril 2003.

III.     Les questions en litige

[11]        Le présent appel soulève deux questions. La première est celle de savoir si la contrepartie payée par le REER de l’appelant pour les actions de Kelso était supérieure à leur juste valeur marchande. La deuxième est celle de savoir si le paragraphe 146(9) de la Loi s’applique de manière à accroître le revenu de l’appelant dans la mesure de la différence entre la contrepartie payée par le REER pour les actions de Kelso et leur juste valeur marchande.

IV.     Les positions des parties

[12]        L’appelant invite la Cour a adopter les motifs concordants de la juge Sharlow dans l’arrêt St. Arnaud c. Canada[1]. Dans ces motifs, la juge Sharlow a statué que le paragraphe 146(9) de la Loi s’appliquait seulement si un contribuable entendait éviter l’impôt; son champ d’application ne s’étend pas au paiement excédentaire de bonne foi fait par le REER. L’appelant soutient que la seule question soulevée par le ministre est celle de la juste valeur marchande des actions de Kelso. En conséquence, le ministre a le fardeau d’établir l’objectif d’évitement requis du paiement excédentaire pour les actions de Kelso. L’appelant soutient que l’intimée n’a pas réussi à établir l’intention d’éviter l’impôt de l’appelant et que le paragraphe 146(9) de la Loi ne s’applique donc pas en l’espèce.

[13]        L’intimée soutient que l’application du paragraphe 146(9) de la Loi est mécanique. Il n’y a aucun critère d’intention ou d’objectif d’évitement d’impôt. L’intimée soutient que le paragraphe 146(9) de la Loi exige une inclusion dans le revenu dans tous les cas où la juste valeur marchande du bien acquis par un REER est inférieure à la contrepartie payée en échange de ce bien, peu importe que la différence ait été voulue ou non par l’acheteur. L’intimée soutient que tel est le cas en l’espèce. Par conséquent, la différence entre la contrepartie payée pour les actions de Kelso et leur juste valeur marchande, qui est d’au moins 95 000 $, a été incluse à juste titre dans le revenu de l’appelant.

[14]        L’intimée soutient en outre que, même si la Cour souscrit aux motifs concordants de la juge Sharlow dans l’arrêt St. Arnaud, la preuve étaye néanmoins l’inférence selon laquelle l’appelant a acheté les actions de Kelso comme moyen d’acquérir le contrôle sur les fonds du REER tout en continuant de jouir du report de tout impôt sur le revenu exigible sur ces fonds.

V.      Analyse

[15]        Le paragraphe 146(9) de la Loi prévoit que, lorsque le fiduciaire d’un REER achète un bien pour la fiducie à un prix supérieur à ce qu’il vaut, ou vend un bien de la fiducie à un prix inférieur à ce qu’il vaut, la différence doit être incluse dans le calcul du revenu, pour l’année, du rentier qui en bénéficie. La disposition pertinente est ainsi rédigée :

Disposition de biens par une fiducie

(9) Lorsque, au cours d’une année d’imposition, une fiducie régie par un régime enregistré d’épargne-retraite :

a) soit dispose de biens en échange d’une contrepartie d’une valeur inférieure à la juste valeur marchande que ces biens avaient au moment de la disposition, ou sans aucune contrepartie;

b) soit acquiert des biens en échange d’une contrepartie d’une valeur supérieure à la juste valeur marchande que ces biens avaient au moment de l’acquisition,

 

toute différence entre cette juste valeur marchande et la contrepartie doit être incluse dans le calcul du revenu, pour l’année d’imposition, du rentier qui bénéficie de ce régime.

 

[16]        L’intimée soutient que l’effet du paragraphe 146(9) de la Loi est clair. Il exige une inclusion dans le revenu dans tous les cas où la juste valeur marchande du bien acquis par un REER est inférieure à la contrepartie payée en échange de ce bien. Cela est vrai indépendamment de l’intention qui a pu animer le titulaire du REER au moment où il a autorisé la transaction.

 

[17]        L’intimée soutient que la Cour n’est pas liée par les motifs concordants de la juge Sharlow dans l’arrêt St. Arnaud. Dans cette affaire, les appelants étaient des victimes innocentes d’une fraude. Ils avaient été amenés, par duperie, à échanger les fonds de leur REER ou de leur fonds enregistré de revenu de retraite (« FERR ») contre des actions sans valeur. Le fraudeur avait finalement été déclaré coupable, mais les fonds des appelants n’avaient jamais été récupérés. Le ministre avait établi de nouvelles cotisations à l’égard des appelants, en incluant la contrepartie payée pour ces actions dans le revenu des appelants en vertu soit du paragraphe 146.3(4) ou du paragraphe 146(9) de la Loi. À l’instruction[2], le juge Bowie avait rejeté les appels, en concluant, au paragraphe 30, « que le paragraphe 146(9) n’est pas ambigu. Il s’applique aux opérations comme celles dont il est question en l’espèce, dans lesquelles le rentier ne cherche pas à se soustraire à l’impôt tout en réduisant la valeur du fonds enregistré, mais est simplement amené par duperie à payer de l’argent bien acquis pour des actions dénuées de valeur. »

 

[18]        En appel devant la Cour d’appel fédérale (la « CAF »), les juges Webb et Trudel ont infirmé la décision du juge Bowie au motif que les REER ou les FERR des appelants n’avaient pas acquis les actions en question.

 

[19]        La juge Sharlow a rédigé des motifs concordants. Tout en souscrivant aux motifs de la majorité, elle a ajouté que le paragraphe 146(9) de la Loi s’applique seulement dans le cas où un contribuable était motivé par l’intention d’éviter l’impôt et ne s’applique pas à un paiement excédentaire effectué de bonne foi en contrepartie d’un bien. Au soutien de cette position, la juge Sharlow a examiné la situation hypothétique de Mary. Mary avait donné instruction à son REER d’acquérir un bien de placement à un prix qui s’était avéré être un paiement excédentaire. Selon l’interprétation que la juge Sharlow a faite du paragraphe 146(9) de la Loi, la Cour doit s’interroger quant à la motivation de Mary. Si elle voulait que le paiement excédentaire serve à éviter l’impôt, alors le paragraphe 146(9) de la Loi s’applique. Si son paiement excédentaire a été fait de bonne foi, alors le paragraphe 146(9) ne s’applique pas.

[20]        L’intimée soutient toutefois que les motifs de la juge Sharlow ne sont pas les motifs de la majorité de la CAF, car, au paragraphe 7, les juges Webb et Trudel refusent expressément d’examiner la question de l’interprétation du paragraphe 146(9) de la Loi.

[21]        En outre, l’intimée soutient que les motifs de la juge Sharlow dans l’arrêt St. Arnaud ne s’accordent pas avec des principes bien établis d’interprétation des lois, à savoir que l’accent est traditionnellement mis sur une interprétation textuelle des lois fiscales en raison de leur degré de détail et de leur particularité. Au soutien de cette thèse, l’intimée cite l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada[3], au paragraphe 12, où la juge en chef McLachlin et le juge Major citent le passage suivant de l’ouvrage de M. Hogg et de Mme Magee (Principles of Canadian Income Tax Law, 2e éd.,1997) :

 

[TRADUCTION]

La Loi de l’impôt sur le revenu serait empreinte d’une incertitude intolérable si le libellé clair d’une disposition détaillée de la Loi était nuancé par des exceptions qui n’y sont pas exprimées, provenant de la conception qu’un tribunal a de l’objet de la disposition.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]        En outre, l’intimée invoque également les observations de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances)[4]. Le juge Lebel a souligné ce qui suit, au paragraphe 23 :

Le degré de précision et de clarté du libellé d’une disposition fiscale influe donc sur la méthode d’interprétation. Lorsque le sens d’une telle disposition ou son application aux faits ne présente aucune ambiguïté, il suffit de l’appliquer. La mention de l’objet de la disposition [TRADUCTION] « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit » : voir P. W. Hogg, J. E. Magee et J. Li, Principles of Canadian Income Tax Law (5e éd. 2005), p. 569; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622. Lorsque, comme en l’espèce, la disposition peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, il faut accorder plus d’importance au contexte, à l’économie et à l’objet de la loi en question. Par conséquent, l’objet d’une loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d’une disposition, mais à donner l’interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë.

[Non souligné dans l’original.]

[23]        L’intimée soutient que le paragraphe 146(9) de la Loi n’est pas ambigu. Il n’y a pas de mots comme « sciemment » ou « lien de dépendance » qui donneraient à penser que le paragraphe 146(9) s’applique seulement aux situations d’évitement de l’impôt. En conséquence, il n’appartient pas à la Cour d’interpréter cette disposition comme comprenant un critère d’intention non exprimé.

[24]        En outre, l’intimée soutient qu’une interprétation contextuelle et téléologique s’accorde avec l’interprétation textuelle susmentionnée du paragraphe 146(9) de la Loi. Un REER a pour but d’encourager les Canadiens à économiser en vue de leur retraite. À cette fin, un REER prévoit un report d’impôt grâce à un régime à l’abri de l’impôt. Les cotisations au REER sont immédiatement déductibles par le contribuable et le montant cotisé n’est pas imposable jusqu’à ce qu’il soit retiré. Autrement dit, les REER permettent aux contribuables d’investir de l’argent avant impôt et de réinvestir son rendement avant impôt en bénéficiant d’un report d’impôt. En plus d’un report d’impôt, les contribuables profitent d’économies d’impôt s’ils sont imposés à un taux marginal inférieur au moment où les fonds sont retirés du régime, comme c’est souvent le cas après la retraite.

[25]        Cependant, le report d’impôt n’est pas une exemption d’impôt. L’intimée avance que les montants cotisés à un REER et le revenu et les gains générés par ces montants sont ultérieurement assujettis à l’impôt.

[26]        Je note que cette affirmation est excessivement générale. Un REER peut perdre de l’argent en investissant dans des actions ou des valeurs mobilières génératrices de revenus qui perdent de la valeur à cause d’une détérioration du crédit ou de fluctuations des taux d’intérêt. Tous les contribuables assument ces pertes du fait de revenus fiscaux perdus.

[27]        Au soutien de ce qui précède, l’intimée invoque les motifs de la CAF dans l’arrêt Canada c. Nunn[5]. Dans cette affaire, l’appelant, victime d’une fraude, avait transféré les fonds immobilisés de son REER dans un placement non admissible, qui avait par la suite été complètement perdu. Malgré le fait que « M. Nunn avait pris des mesures raisonnables en vue de s’assurer de la légitimité du placement[6] », une formation unanime de la CAF a statué que le retrait était néanmoins imposable au titre de l’ancien paragraphe 146(10) de la Loi. Le juge Malone a souligné, au paragraphe 22[7] :

L’achat des actions dans le cadre d’un placement non admissible a eu pour effet d’enclencher automatiquement l’application du paragraphe 146(1). Ce résultat est sans aucun doute dur, mais il serait inéquitable d’exonérer un contribuable de son obligation fiscale en se fondant sur une erreur ou sur une fraude : Vankerk c. Canada, 2006 CAF 371, paragraphe 3. Autrement dit, d’autres contribuables canadiens ne devraient pas avoir à supporter le fardeau financier créé par des circonstances aussi malheureuses que celles qui existent en l’espèce.

[28]        Les motifs de la CAF dans l’arrêt Nunn ont été suivis par le juge Paris dans la décision Deschamps c. La Reine[8]. Dans cette affaire, un investisseur qui ne s’y connaissait pas dans le domaine des affaires, dans une situation où les faits étaient « presque identiques à ceux […] dans l’affaire Nunn[9] », avait acheté des actions dans un placement non admissible. Ces actions n’avaient aucune valeur au moment où elles avaient été achetées et la contrepartie versée en échange dépassait leur juste valeur marchande de 53 300 $. Le juge Paris, s’appuyant sur l’arrêt Nunn, a statué que le contribuable était tenu d’inclure ce montant dans son revenu en vertu du paragraphe 146(9) de la Loi sans égard au fait qu’il avait été victime d’une fraude.

[29]        Enfin, toujours au soutien d’une lecture mécanique du paragraphe 146(9) de la Loi, l’intimée attire l’attention de la Cour sur la décision de première instance dans l’affaire St. Arnaud. Au paragraphe 28, le juge Bowie a exprimé l’avis suivant[10] :

[…] un paiement excédentaire pour un bien est imposable en vertu du paragraphe 146(9), qu’il soit de la nature d’une tentative d’évitement, dans le cadre d’opérations entre des parties ayant un lien de dépendance, par exemple, ou d’une opération qui est anodine du point de vue du rentier, comme c’est le cas en l’espèce, où les montants en question sont l’objet d’une fraude dont est victime un rentier innocent. Ces montants sont imposés en vertu du paragraphe 146(9), non pas parce que le rentier a fait quoi que ce soit de répréhensible, mais parce qu’il s’agit de fonds exempts d’impôt qui ont quitté leur milieu protégé et qui doivent donc, selon le régime de la Loi, et ses dispositions précises, être assujettis à l’impôt. Le fait que le régime de la Loi exige que l’excédent de la juste valeur marchande soit imposé ne s’applique pas moins parce que c’est le fraudeur, et non pas le rentier, qui reçoit le montant exempt d’impôt. Vu sous cet angle, le paragraphe 146(9) n’est nullement ambigu, pas plus qu’il ne mène à une absurdité quelconque.

[30]        L’avocat de l’intimée fait remarquer que la conclusion du juge Bowie n’a pas été remise en question dans les motifs de la majorité en appel.

[31]        L’appelant soutient que les motifs concordants de la juge Sharlow sont un autre ratio decidendi, qui lie la Cour. Au soutien de cette prétention, l’appelant cite plusieurs précédents selon lesquels un tribunal inférieur est lié par un autre ratio decidendi d’un tribunal supérieur : Bellamy v. Timbers[11]; United Food and Commercial Workers, Local 1400 v. Wal-Mart Canada Corp. (c.o.b.Wal‑Mart)[12]; Paragon Properties Ltd. v. Magna Investments Ltd.[13]; R. v. J. (J.)[14]; Chliwniak v. Chliwniak[15].

[32]         L’appelant soutient en outre que l’intention du législateur, tel qu’elle ressort du hansard, révèle clairement que le paragraphe 146(9) de la Loi est censé être une disposition anti-évitement. Plus précisément, l’avocat de l’appelant attire l’attention de la Cour sur les Débats de la Chambre des communes où M. Mahoney, secrétaire parlementaire, affirme que « [l]e but [du paragraphe 146(9)] est d’éviter qu’une fiducie n’utilise un [REER] pour verser une rente à un rentier ou à une personne nommée par ce dernier et n’évite ainsi perpétuellement l’impôt[16]. »

[33]        Les éléments de preuve provenant du hansard peuvent être d’une utilité limitée pour déterminer l’objet d’une disposition législative. Par exemple, dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re)[17], le juge Iacobucci a tiré la conclusion suivante, au paragraphe 35 :

Malgré les nombreuses lacunes de la preuve des débats parlementaires, notre Cour a reconnu qu’elle peut jouer un rôle limité en matière d’interprétation législative. S’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, à la p. 484, le juge Sopinka a dit :

… jusqu’à récemment, les tribunaux ont hésité à admettre la preuve des débats et des discours devant le corps législatif. […] La principale critique dont a été l’objet ce type de preuve a été qu’elle ne saurait représenter « l’intention » de la législature, personne morale, mais c’est aussi vrai pour d’autres formes de contexte d’adoption d’une loi. À la condition que le tribunal n’oublie pas que la fiabilité et le poids des débats parlementaires sont limités, il devrait les admettre comme étant pertinents quant au contexte et quant à l’objet du texte législatif.

[34]        Le juge Bowman (tel était alors son titre) a expliqué ainsi dans la décision Glaxo Wellcome Inc. c. Canada[18] pourquoi l’on accorde un poids limité aux éléments de preuve provenant du hansard :

[…] Les prononcés des politiciens sont dans l’ensemble composés de généralités et constituent rarement un guide digne de foi lorsqu’il s’agit d’interpréter les mots précis d’une loi. Les discours prononcés par les politiciens devant le Parlement fournissent rarement des précisions, sauf peut-être en ce sens qu’ils permettent d’identifier une politique gouvernementale.

[35]        Compte tenu de ce qui précède, je ne peux pas considérer que l’affirmation de M. Mahoney constitue une indication sans équivoque que le législateur voulait que la disposition s’applique seulement lorsque la Cour en arrivait à la conclusion factuelle que le titulaire de REER avait autorisé la transaction dans le but d’éviter l’impôt. L’affirmation en question mérite tout de même qu’un certain poids lui soit accordé.

[36]        Selon l’appelant, les motifs de la juge Sharlow dans l’arrêt St. Arnaud lient la Cour. Ces motifs établissent que le paragraphe 146(9) de la Loi est une disposition anti-évitement. Elle s’applique seulement lorsqu’il peut être démontré que le REER a payé un montant excessif pour des actions dans le cadre d’un stratagème visant à permettre au rentier de retirer directement ou indirectement des fonds du régime sans payer d’impôt. L’appelant soutient que le vérificateur de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a confirmé lors de l’interrogatoire préalable que la seule question en litige était celle de la juste valeur marchande des actions de Kelso. Par conséquent, il incombe au ministre d’établir que la transaction visait à éviter l’impôt.

[37]        L’appelant cite les extraits suivants de la transcription du témoignage de M. Graschuk lors de son interrogatoire préalable comme confirmation de la manière dont l’intimée concevait sa thèse[19] :

Extrait de la transcription de l’interrogatoire préalable de Gordon Graschuk, page 19, questions 81 à 83, consigné en preuve par l’appelant :

[TRADUCTION]

Q. Bon. Et, dans ce cas-ci, il n’y avait pas – est-ce que la seule question était celle de la valeur des actions? Était-ce la seule question qui était la cause de l’inobservation? Y avait-il autre chose?

R. Il y a d’autres questions, mais je pense qu’au plan légal, c’est la seule qui importe vraiment.

Ce qu’il est advenu de ce montant excédentaire est intéressant. Je veux dire, c’est une histoire fascinante, j’en suis certain, mais ce n’est pas pertinent. La question pertinente au regard de la disposition est celle de savoir si vous avez payé un montant supérieur à la juste valeur marchande.

Q. Non, je comprends.

R. Si la réponse est oui, vous devez −

Q. Je veux simplement savoir, à l’orée du procès, la seule question en litige semble être que vous décrivez le fait que le contribuable a payé un montant excessif pour ces actions. C’est cette question qui en jeu; est‑ce exact?

Me GOTFRIED : C’est exact.

[...]

Extrait de la transcription de l’interrogatoire préalable de Gordon Graschuk, pages 29 et 30, questions 120 à 122, consigné en preuve par l’appelant :


[TRADUCTION]

Q. Sur quels faits vous appuyez-vous pour laisser entendre que – mis à part la question de la juste valeur marchande – que le contribuable en l’espèce tentait d’éviter l’impôt?

Me GOTFRIED : Je vais – quelle est la pertinence de cela? Le ministre ne s’est pas fondé sur la DGAE, alors –

Me RADNOFF : C’est très bien. Si vous dites que ce ne sera pas votre position au procès, c’est très bien.

Me GOTFRIED : Non.

Me RADNOFF : Vous devez dire oui.

Me GOTFRIED : Oui, le ministre n’invoque pas la DGAE.

PAR Me RADNOFF :

Q. Et donc, vous ne – vous ne vous appuyez pas sur le fait qu’il s’agissait également d’une transaction d’évitement; est-ce exact?

R. Oui, on peut dire cela.

Q. Et, est-ce que vous prétendez qu’il y a eu un avantage fiscal quelconque?

Me GOTFRIED : Nous ne faisons pas une analyse fondée sur la DGAE, alors il n’y aura aucune transaction d’évitement conférant un avantage fiscal. Ce n’est pas la position du ministre.

Me RADNOFF : D’accord. Je ne fais que passer en revue les intertitres.

Me GOTFRIED : Oui.

Me RADNOFF : Il est difficile de savoir si la DGAE les englobe ou s’il s’agit de questions distinctes, et c’est pour cela que je les passe en revue.

Me GOTFRIED : D’accord.

Me RADNOFF : Et, vous dites aucune fin légitime. Est-ce une question que vous allez soulever au procès?

Me GOTFRIED : Pas dans le contexte d’une analyse au regard de la DGAE.

[Non souligné dans l’original.]

[38]        Il ressort clairement de ce qui précède que MGraschuk comprenait qu’on lui demandait de confirmer que le ministre ne chercherait pas à justifier sa cotisation en invoquant la règle générale anti-évitement prévue à l’article 245 de la Loi. Je ne puis interpréter ces remarques comme une admission que l’intimée était prête à abandonner les hypothèses formulées aux alinéas 9a) et b) de sa réponse selon lesquelles les actions de Kelso avaient été promues et commercialisées aux fins d’un arrangement qui permettrait aux investisseurs comme l’appelant d’acquérir le contrôle de fonds de leur REER à l’étranger tout en évitant de payer de l’impôt au moment du retrait.

[39]        L’avocat de l’appelant insiste également pour dire que le témoignage de l’appelant contredit ces hypothèses, de sorte que le ministre a le fardeau de démontrer que ces hypothèses correspondent à la réalité. Pour les motifs exposés plus loin, je n’accorde aucun poids au témoignage de l’appelant. Par conséquent, les hypothèses demeurent. De toute façon, je crois que les éléments de preuve démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant a été complice lorsqu’il a approuvé la transaction parce qu’il avait été amené à croire qu’il en tirerait un avantage marginal. Par conséquent, je peux trancher le présent appel sans avoir à choisir entre les deux interprétations du paragraphe 146(9) de la Loi présentées par les parties.

[40]        Pour tirer mes conclusions en matière de crédibilité en l’espèce, j’estime utile de citer les observations suivantes formulées dans l’arrêt Springer v. Aird & Berlis LLP[20] :

[TRADUCTION]

14 Pour apprécier la crédibilité et la fiabilité, il m’apparaît utile de tenir compte des observations suivantes que le juge O’Halloran a formulées dans l’arrêt R. v. Pressley (1948), 94 C.C.C. 29 (C.A. C.-B.) :

 

[traduction]

Le juge ne saurait deviner ce qui est dans le cœur et dans l’esprit des témoins qui comparaissent devant lui. La justice ne donne pas automatiquement raison au meilleur acteur à la barre des témoins. Le critère judiciaire le plus satisfaisant consiste à déterminer si la vérité concorde avec la prépondérance des probabilités, telle que les faits et les circonstances la révèlent eu égard aux circonstances de l’affaire.

 

15 Les observations du juge Farley dans la décision Bank of America Canada v. Mutual Trust Co. (1998), 18 R.P.R. (3d) 213, au paragraphe 23, m’apparaissent également pertinentes, notamment en l’espèce :

[traduction]

Il arrive souvent que les juges soient appelés à se prononcer sur la crédibilité des témoins. Le plus souvent, c’est là une tâche très difficile, à moins que la version du témoin ne soit truffée de mensonges flagrants, comme le montrent les aveux, les contradictions du témoin lui-même, les éléments de preuve opposés confectionnés au cours de la période pertinente ou la preuve très fiable présentée par des tiers. Il est bien certain que les personnes peuvent avoir des perceptions sincères très différentes du même événement, que les souvenirs s’estompent avec le temps, que les témoins peuvent commettre des erreurs mineures (et même majeures) par inadvertance et qu’il y a un risque de rationalisation, soit un comportement humain fort compréhensible. Un aspect au sujet duquel le témoin n’est pas certain au départ devient avec le temps une certitude dans son esprit, parce qu’il se trouve en harmonie avec sa thèse. La rationalisation touche également les perceptions de certaines personnes, de telle sorte que la certitude entourant un fait « A » devient une confirmation que le fait en question n’était « pas A ».

 

16 Dans la décision Olympic Wholesale Co. c. 1084715 Ontario Ltd., [1997] O.J. No. 5482, au paragraphe 3, le juge Farley a également formulé les observations suivantes qui m’apparaissent utiles :

[traduction]

J’aimerais commenter de façon très générale l’aspect de l’appréciation de la crédibilité et de la preuve. [...] Il importe de placer en perspective la preuve et la façon dont elle est présentée et d’en faire une appréciation équilibrée. Le témoignage parfait n’existe pas et, de l’avis de plusieurs, lorsqu’un témoignage est trop uniforme, il y a de bonnes chances qu’il ait été construit de manière artificielle. Je reconnais également que le témoin peut, par inadvertance, rationaliser les faits dont il se souvient afin de les adapter à sa version subséquente des événements plutôt que donner un compte rendu correspondant à ses souvenirs réels. Ce risque s’accroît habituellement avec le temps [...]

 


17 Le juge Farley a employé le mot « rationalization » (rationalisation). À mon avis, il renvoie à ce qui est souvent appelé la « reconstitution » de la preuve. La reconstitution peut être accidentelle ou volontaire. Dans un cas comme dans l’autre, c’est un élément dont le juge des faits doit tenir compte lors de l’appréciation de la preuve.

 

            [Non souligné dans l’original.]

[41]         J’apprécierai le témoignage et la crédibilité de l’appelant dans cette perspective.

[42]        L’appelant a affirmé dans son témoignage qu’alors qu’il planifiait ses vacances à Cancún, il avait rencontré par hasard un client de son entreprise d’impression qui l’avait informé au sujet d’un séminaire organisé à Cancún sur des stratégies de placement pour les résidents canadiens. L’appelant avait décidé d’assister au séminaire, afin de joindre l’utile à l’agréable, pour reprendre les termes de l’avocat de l’intimée. Selon l’appelant, c’est seulement après être arrivé à Cancún qu’il a découvert que les séminaires présentaient surtout un intérêt pour les contribuables américains.

[43]        Selon l’appelant, étant donné que les présentations étaient peu pertinentes pour les résidents canadiens, il avait décidé de ne pas assister à la plupart des présentations, préférant l’agrément aux affaires. Il a donné peu de détails sur les thèmes des présentations en question.

[44]        Selon ses dires, l’appelant est arrivé vers la fin de la présentation de M. Claridge. Cependant, il a tout de même réussi à engager une conversation avec lui. L’appelant affirme qu’il a dit à M. Claridge qu’il était insatisfait du rendement de son portefeuille de REER et qu’il aimerait bien trouver des stratégies qui lui permettraient d’accroître son rendement. Cette conversation a amené l’appelant à donner ses coordonnées à M. Claridge. L’appelant affirme également qu’il a parlé à un client canadien de M. Claridge qui était satisfait des conseils de ce dernier en matière de placements.

[45]        En contre-interrogatoire, il a été établi que l’appelant s’était inscrit aux séminaires à Cancún dans le cadre d’un forfait séminaire/vacances qui coûtait environ 8 000 $. L’appelant a omis ce fait dans son interrogatoire principal. Il est difficile d’imaginer que l’appelant n’ait pas consulté une description du programme avant d’acheter son forfait de voyage. Il est improbable que l’appelant n’ait pas été au courant des thèmes des présentations avant de s’inscrire au séminaire.

[46]        Le vérificateur de l’ARC a affirmé dans son témoignage qu’il avait appris que le séminaire à Cancún auquel l’appelant avait assisté était parrainé par une organisation appelée l’Institute of Global Prosperity (« Global Prosperity »). Cette organisation fait la promotion d’une philosophie radicalement anti-impôt dans le cadre de séminaires audio et en personne, ces derniers se déroulant habituellement à l’étranger. Selon le témoin, Global Prosperity exige que ses clients achètent la trousse de séminaire audio comme condition préalable pour pouvoir assister à une conférence à l’étranger. Le coût est d’environ 1 500 $ pour six disques audio. Le vérificateur de l’ARC a affirmé dans son témoignage qu’il avait longuement écouté les séminaires audio, et il a fait un résumé écrit des points saillants des séminaires. Son résumé écrit a été présenté avec les extraits consignés en preuve par l’appelant. À la première page de son rapport, le vérificateur de l’ARC résume ses constatations ainsi[21] :

[TRADUCTION] La série de cassettes audio didactiques de niveau 1 de Global Prosperity vise essentiellement à convaincre l’auditeur que les lois en matière d’impôt sur le revenu au Canada et aux États-Unis ne sont pas constitutionnelles (elles ne sont jamais devenues des lois) et que, par conséquent, le paiement de l’impôt sur le revenu est volontaire. Les auditeurs sont encouragés à se départir de leurs numéros d’assurance sociale ou de sécurité sociale, de leurs permis de conduire et de devises émises par le gouvernement, afin de se dissocier de tous les programmes gouvernementaux, y compris les REER et l’assurance-maladie, et de déplacer leurs biens vers des fiducies à l’étranger. Ces fiducies ne devraient pas être à leurs noms, mais plutôt au nom de membres du personnel de l’IGP, tout en concluant une convention de mandat permettant à l’individu d’utiliser les biens qu’ils ont acquis. Puisque le seul « objet » de la fiducie est de protéger les biens de l’individu, celui‑ci peut alors qualifier ses frais de subsistance personnels de dépenses d’entreprises, à tout le moins s’il faut en croire l’IGP. Dans les cassettes audio, l’IGP insiste pour dire que l’émission d’argent au Canada et aux États-Unis est contrôlée par ce que l’IGP appelle le « cartel bancaire international » plutôt que la Banque du Canada ou la Réserve fédérale.

[47]        Compte tenu de ce qui précède, je crois que l’appelant était bien au fait des thèmes des séminaires lorsqu’il s’y est inscrit, mais qu’il a choisi de minimiser ce fait afin de dissimuler la raison de l’acquisition d’actions de Kelso par le REER.

[48]        La description que fait l’appelant des circonstances entourant l’acquisition des actions de Kelso est également suspecte. Apparemment, M. Claridge aurait recommandé le placement parce que Kelso était sur le point de développer une nouvelle technologie de freinage destinée à l’industrie du transport ferroviaire. Cela a piqué l’intérêt de l’appelant et l’a amené à faire des recherches sur Kelso sur Internet. Il affirme qu’il a parlé au président et chef de la direction de la société au sujet des perspectives commerciales du nouveau système de freins.

[49]        Satisfait de ces vérifications limitées, l’appelant a consacré 100 000 $ à la transaction. L’appelant affirme qu’il n’a pas fixé de gamme de prix pour la transaction. L’appelant a affirmé dans son témoignage qu’il avait seulement donné instruction à M. Claridge d’acheter le plus d’actions possible, et qu’il aurait laissé aux soins de M. Claridge la responsabilité de négocier le prix.

[50]        L’appelant a également reconnu qu’il avait convenu de payer 20 000 $ à M. Claridge pour ses conseils en matière de placements et qu’il croyait que ce montant serait prélevé sur les 100 000 $ devant servir à l’acquisition des actions. L’appelant affirme que la question n’était pas claire de savoir précisément comment cela serait fait. À tout le moins, cette admission démontre que l’appelant savait que le REER payait plus que la juste valeur marchande pour les actions. L’appelant n’a donné aucune explication raisonnable quant à la question de savoir pourquoi il était disposé à payer des honoraires aussi élevés à M. Claridge.

[51]        En supposant que l’appelant ait fait des recherches sur Internet au sujet de Kelso, j’ai peine à croire qu’il n’aurait pas trouvé les renseignements financiers de Kelso, notamment les rapports au sujet de son placement privé des actions de Kelso. Ces actions étaient identiques à celles que l’appelant a achetées au prix de 20 $ l’action. Je trouve tout aussi improbable que l’appelant ait consacré une part importante des fonds de son REER à l’achat d’actions d’une petite société faisant appel public à l’épargne à un stade précoce de son développement sans donner d’instructions à M. Claridge quant au prix.

[52]        Je note que l’appelant a insisté pour dire qu’il n’avait pas poursuivi ses études au-delà du secondaire. Cependant, je note également qu’il a été propriétaire d’une entreprise d’impression qu’il a exploitée pendant 35 ans jusqu’à sa retraite, lorsqu’il l’a transférée à son fils. L’appelant a reconnu qu’il avait dix employés à cette époque. L’appelant est probablement devenu un homme d’affaires averti après avoir développé et exploité sa propre entreprise pendant de nombreuses années.

[53]        Après avoir écouté le témoignage principal de l’appelant, j’ai été surpris que l’appelant n’ait pas reconnu ni laissé entendre que M. Claridge l’avait peut‑être amené à payer un montant excessif pour les actions de Kelso par duperie. De plus, l’avis d’appel de l’appelant ne comporte aucune allégation de fraude ou de tromperie. En outre, fait à noter, l’appelant n’a intenté aucune action ni déposé aucune plainte ni contre M. Claridge ni contre Me Stewart, l’avocat qui lui avait procuré une lettre de confort concernant l’admissibilité du placement et la juste valeur marchande des actions de Kelso. La seule doléance que l’appelant a exprimée dans son interrogatoire principal était qu’il était devenu insatisfait des services de M. Claridge parce que celui-ci ne donnait pas suite à ses appels téléphoniques après que la transaction eut été faite.

[54]        Tout ce qui précède mine la crédibilité de l’appelant et m’amène à croire qu’il n’a pas été franc dans sa description des circonstances ayant précédé puis entouré l’acquisition des actions de Kelso. Je conclus que l’appelant a été complice de l’acquisition des actions de Kelso à un prix supérieur à leur juste valeur marchande. J’en infère qu’il a agi ainsi parce que M. Claridge lui a promis qu’il gagnerait accès aux fonds payés pour les actions de Kelso après déduction des honoraires de M. Claridge et de la valeur réelle des actions. Le stratagème a mal tourné, ce qui a amené l’appelant à transférer le reste des fonds de son REER à RBC à Toronto. Je soupçonne que quelqu’un d’autre est parti avec les fonds.

[55]        Je conviens avec l’affirmation de l’intimée selon laquelle les normes objectives du comportement propre à un homme d’affaires sont ancrées dans le concept de juste valeur marchande, un terme qui n’est pas défini dans la Loi.

[56]        Les tribunaux ont accepté la définition suivante de la juste valeur marchande, citée avec approbation par le juge Rothstein, à l’époque où il était juge à la Cour d’appel fédérale :

[...] le prix le plus élevé que le propriétaire d’un bien peut raisonnablement s’attendre à en tirer s’il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n’étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d’acheteurs disposés à acheter et des vendeurs disposés à vendre, qui n’ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d’acheter ou de vendre. J’ajouterais que cet exposé succinct de mon point de vue sur le sens à donner à l’expression « juste valeur marchande » comprend ce que j’estime être l’élément essentiel, soit un marché libre de toutes restrictions, où le prix est établi par le jeu de la loi de l’offre et de la demande entre des acheteurs et des vendeurs avertis et désireux d’acheter et de vendre[22].

[57]        Les renseignements limités que l’appelant dit avoir consultés portent à croire soit qu’il a fait preuve d’aveuglement volontaire, soit qu’il ne s’intéressait pas du tout au prix payé pour les actions de Kelso parce qu’il s’attendait à un avantage marginal. Il est tout aussi improbable que l’appelant ait laissé aux soins de M. Claridge toutes les négociations de prix sans lui donner aucune directive à ce sujet. À tout le moins, les éléments de preuve démontrent que l’appelant et, par extension, la fiducie gérant son REER n’ont pas agi d’une manière qui concorde avec la conduite d’un acquéreur traitant avec une partie sans lien de dépendance.

[58]        Il importe de souligner que le ministre aura rarement accès à des éléments de preuve directs qui contredisent la déclaration d’un contribuable quant à l’esprit qui l’animait lorsqu’il a autorisé une transaction. Il est tout aussi difficile pour le ministre de retrouver des fonds après qu’ils ont été transférés à l’étranger. L’appelant n’a donné aucune explication raisonnable quant à la question de savoir pourquoi il avait autorisé l’acquisition. En l’espèce, je peux m’appuyer sur l’hypothèse du ministre parce que l’appelant n’a pas réussi à établir à première vue que les hypothèses du ministre sont erronées. Je peux également inférer de la preuve prise dans son ensemble que M. Claridge a dû promouvoir l’acquisition des actions de Kelso aux fins décrites sommairement dans les hypothèses du ministre et que l’appelant a approuvé une telle stratégie. Cette inférence s’accorde avec les types de stratégies dont Global Prosperity fait la promotion dans ses séminaires audio et à l’étranger.

[59]        En conclusion, et en ce qui concerne la première question, les faits démontrent que l’appelant a acquis les actions de Kelso à un prix nettement supérieur à leur juste valeur marchande. Je conclus que l’appelant a fait en sorte que le compte REER achète les actions de Kelso, qui, prises ensemble, avaient une juste valeur marchande d’au plus 5 000 $. Ces mêmes actions de Kelso avaient été acquises trois mois plus tôt à un prix d’émission de 1 $ l’action. À l’époque de cette acquisition, les actions ordinaires de Kelso se négociaient sur le marché libre à des prix variant entre 0,07 $ et 0,11 $. Moins d’un mois après que l’appelant eut acquis les actions de Kelso, des actions privilégiées de catégorie « A » similaires ont été émises au titre d’un placement privé au prix de 1 $ l’action.

[60]        En ce qui concerne la deuxième question, tout ce qui précède démontre que les faits de la présente affaire sont très différents de ceux que la juge Sharlow a examinés dans l’arrêt St. Arnaud invoqué par l’appelant. En effet, les éléments de preuve étayent l’inférence que l’appelant poursuivait un objectif parallèle d’évitement d’impôt lorsqu’il a fait procéder au retrait de fonds du compte REER. Je ne trouve pas l’appelant crédible. Ses réponses semblaient préparées d’avance et répétées. Cela étant, l’appelant n’a pas réussi à réfuter l’hypothèse du ministre selon laquelle l’appelant a acquis les actions de Kelso comme moyen d’acquérir le contrôle des fonds de son REER tout en maintenant le report de tout impôt exigible sur ces mêmes fonds.

[61]        En outre, les éléments de preuve pris dans leur ensemble me permettent d’inférer que l’appelant croyait qu’il profiterait d’un avantage fiscal accessoire lorsqu’il a autorisé l’achat des actions de Kelso. Par conséquent, peu importe comment j’interprète le paragraphe 146(9) de la Loi, la transaction relève clairement du type de situation où la juge Sharlow en préconisait l’application. Par conséquent, le paragraphe 146(9) de la Loi s’applique en l’espèce de manière à inclure dans le revenu de l’appelant pour l’année d’imposition 2001 la différence de 95 000 $ entre la contrepartie payée pour les actions de Kelso et leur juste valeur marchande.

VI.     Conclusion

[62]        Pour tous ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens en faveur de l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 2014.

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de septembre 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 204

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2010-637(IT)G

INTITULÉ :

EDWARD BAKER c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 13 et 14 mars 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Robert J. Hogan

DATE DU JUGEMENT :

Le 24 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Jeffrey Radnoff

Avocats de l’intimée :

Me Donna Tomljanovic

Me Adam Gotfried

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Jeffrey Radnoff

Cabinet :

Radnoff Law Offices

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] 2013 DTC 5074, 2013 CAF 88.

[2] 2012 DTC 1029, 2011 CCI 536.

[3] [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54.

[4] [2006] 1 R.C.S. 715, 2006 CSC 20.

[5] 2007 DTC 5111, 2006 CAF 403.

[6] Ibidem, au paragraphe 21.

[7] Nunn, précité.

[8] [2007] 3 C.T.C. 2298, 2007 CCI 194.

[9] Ibidem, au paragraphe 15.

[10] Précitée, note 2.

[11] [1914] O.J. No. 59 (QL), 31 O.L.R. 613, aux paragraphes 84 et 85 (QL).

[12] [2012] S.J. No. 794 (QL), 2012 SKCA 131, au paragraphe 55.

[13] [1972] A.J. No. 124 (QL), 24 D.L.R. (3d) 156, au paragraphe 36 (QL).

[14] [2010] CarswellOnt 5514 (C.S.J.), au paragraphe 10.

[15] [1972] O.J. No. 1255 (QL), [1972] 2 O.R. 64, aux paragraphes 18 à 20 (QL).

[16] Troisième session, 28e Parlement, volume IX, 1971, à la page 9264.

[17] [1998] A.C.S. no 2 (QL), [1998] 1 R.C.S. 27.

[18] [1996] A.C.I. no 6 (QL), 96 DTC 1159, à la page 1162.

[19] Plaidoiries finales de l’appelant, pages 5 et 6.

[20] [2009] O.J. No. 1408 (QL), 96 O.R. (3d) 325.

[21] Dossier de l’appelant, onglet 2, annexe D, p. 24.

[22] Canada (Procureur général) c. Nash, 2005 DTC 5696, 2005 CAF 386, au paragraphe 8.

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