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Dossier : 2012-5007(GST)I

ENTRE :

HEALTH QUEST INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 15 avril 2014, à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

Devant : L’honorable juge Diane Campbell


Comparutions :

Représentante de l’appelante :

Mme Heidi Scott

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Devon Peavoy

 

JUGEMENT

          L’appel formé contre la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise pour les périodes allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009, en ce qui concerne l’avis de nouvelle cotisation daté du 17 octobre 2012, est accueilli sans frais, et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2014.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d’août 2014.

 

M.-C. Gervais


Référence : 2014 CCI 211

Date : 20140630

Dossier : 2012-5007(GST)I

ENTRE :

HEALTH QUEST INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

[1]             La question à trancher dans le présent appel est de savoir si la taxe de vente harmonisée (la « TVH ») est applicable aux ventes de certains types de chaussures au cours de la période allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009 (la « période ») ou, plus précisément, si ces chaussures devraient être détaxées en application de l’article 24.1 de l’annexe VI, partie II, de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi »).

[2]             J’accueille l’appel parce que l’intimée, dans sa réponse à l’avis d’appel, n’a pas observé les principes fondamentaux, établis dans la jurisprudence, qui régissent la forme des hypothèses de fait. Ces hypothèses contenaient des questions mixtes de droit et de fait, ce qui empêchait l’appelante de connaître la preuve qu’elle devait réfuter. C’est donc au ministre du Revenu national (le « ministre ») qu’il revient de produire une preuve étayant sa position. Comme cette preuve n’a pas été produite par l’intimée à l’audience, l’appelante doit obtenir gain de cause dans le présent appel.

Les faits

[3]             Un examen détaillé des faits n’est pas essentiel, mais, compte tenu des motifs qui me conduisent à accueillir l’appel, je crois qu’il peut être utile pour les parties, si un point semblable devait être soumis à la Cour plus tard, que je formule quelques observations générales sur le genre de renseignements qui auraient éclairé la Cour. Une bonne compréhension du contexte factuel qui m’a été présenté est pour cela essentielle.

[4]             L’appelante était représentée par Heidi Scott, son administratrice, une podo-orthésiste agréée qui travaille pour l’appelante. Si j’ai bien compris la preuve, elle a reçu une formation spécialisée consistant à ajuster des chaussures thérapeutiques pour corriger diverses pathologies du pied. L’appelante est une distributrice de ce genre de chaussures et, selon Mme Scott, elle agit à titre de [traduction] « professionnel habileté à exécuter des ordonnances », comme le ferait une pharmacie.

[5]             La cotisation établie pour la période était fondée sur les ventes globales réalisées au cours de deux mois seulement, août et décembre 2009. Il était réclamé à l’appelante une TVH non perçue se chiffrant à 42 274,72 $ pour la période. Après la vérification, il a été conseillé à l’appelante, pour les années d’imposition ultérieures, de suivre la définition du vérificateur pour les chaussures détaxées. Le vérificateur a informé l’appelante qu’elle devait [traduction] « appliquer la taxe à tout ce [qu’elle vendait] qui n’était pas modifié » (Transcription, page 25). Forte de ce conseil, l’appelante a appliqué la TVH à la vente de nombreuses chaussures vendues en 2010 et en 2011 qui n’auraient pas en principe été taxées. Selon Mme Scott, l’appelante se trouvait dès lors défavorisée sur le marché parce que ses concurrents n’avaient pas été contraints d’adopter cette pratique. Elle a témoigné que des compagnies d’assurance et des payeurs tiers mettaient en doute sa pratique consistant à taxer des chaussures auparavant détaxées. Elle a donc voulu obtenir de nouvelles directives du cabinet du ministre, mais, à chaque fois, elle recevait des avis contradictoires concernant les chaussures qui devraient être détaxées. Un fonctionnaire a fait état d’une « liste » de chaussures non exemptées, mais d’autres, dont Craig Bourne, l’agent d’appels qui a témoigné à cette audience, a démenti l’existence d’une « liste ».

[6]             La preuve confirme le témoignage de Mme Scott, qui affirmait avoir été régulièrement en rapport avec des représentants de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») à toutes les étapes de la vérification, de la cotisation et de la nouvelle cotisation. Des représentants de l’ARC ont plus tard informé l’appelante que ses clients pouvaient demander un remboursement de la TVH « perçue par erreur » pour des chaussures qui n’auraient pas dû être taxées au départ. Les clients de l’appelante ont reçu de l’aide pour remplir les formulaires de demande. La pièce A-1 donnait un exemple de liste de clients qui ont obtenu ce remboursement. Les remboursements ont eu lieu après la période qui nous concerne ici, mais nombre des articles pour lesquels un remboursement a été accordé étaient des articles identiques à ceux qui sont actuellement en litige devant la Cour dans le présent appel, ou bien étaient des chaussures de même marque.

[7]             L’appelante a aussi prétendu que certaines des chaussures figurant sur la liste, intitulée [traduction] « Fournitures taxables de chaussures », avaient été déclarées exemptées de la TVH par l’agent d’appels, tandis que d’autres chaussures identiques présentant les mêmes caractéristiques sur la liste demeuraient taxables.

[8]             La pièce A-1 (onglet 3) et le document intitulé [traduction] « Fournitures taxables de chaussures » donnent un aperçu des chaussures qui étaient considérées comme non exemptées de la TVH par le vérificateur, et des 45 changements qui ont été apportés par l’agent d’appels aux conclusions du vérificateur. Les raisons qui avaient conduit l’agent d’appels à dire que ces 45 autres articles étaient détaxés étaient les suivantes : chaussures montantes, chaussures à cambrure en acier spécial pour rigidité accrue, chaussures moulées sur mesure, enfin chaussures avec semelles intérieures à double épaisseur.

[9]             Craig Bourne a témoigné au nom de l’intimée. Il avait modifié certaines des conclusions du vérificateur en se fondant sur des brochures qu’il avait passées en revue, mais il a déclaré qu’il n’avait pas disposé de brochures pour un bon nombre de modèles de chaussures. Pour ces derniers modèles, il avait consulté Internet pour en savoir davantage. À la suite de ces recherches, il avait permis que certains modèles soient détaxés, mais, quand il n’avait pas trouvé d’« éléments convaincants », il n’avait pas autorisé l’exemption de la TVH.

[10]        Mme Scott a témoigné que les sites Web de certains fabricants, destinés au grand public, sont assortis de sites Web à caractère médical qui contiennent des renseignements additionnels. Ces sites Web médicaux s’adressent toutefois exclusivement aux professionnels de la santé. M. Bourne n’avait pas eu accès à ces sites, et l’appelante n’a pas produit elle non plus de brochures ou de documents provenant de ces sites Web.

[11]        Le présent appel soulève aussi un autre point concernant la désignation des chaussures qui avaient été modifiées de façon permanente pour un client. L’intimée a concédé que les chaussures de ce genre, adaptées à des besoins particuliers, seraient détaxées. Mme Scott a affirmé que certaines des chaussures figurant sur la liste avaient subi une modification permanente et qu’elles auraient donc dû être détaxées. Cependant, elle a ajouté que les chaussures figurant sur la liste concernée par le présent appel qui n’étaient pas des [traduction] « chaussures orthopédiques de série avaient, selon toute vraisemblance, été modifiées, modifiées de façon permanente » (Transcription, page 61). Elle a expliqué que le système logiciel de l’appelante ne permettait pas de dire si une chaussure avait été modifiée de façon permanente, mais que les dossiers des clients, qui avaient été remis au vérificateur, contenaient quant à eux cette information. Elle a témoigné que l’ARC avait gardé les dossiers des clients tout au long du processus de vérification et du processus d’appel.

[12]        M. Bourne a témoigné n’avoir pas reçu d’information montrant que des chaussures figurant sur la liste avaient été modifiées de façon permanente. En contre-interrogatoire, Mme Scott a affirmé avoir déjà précisé que toutes les chaussures que l’ARC avait déclarées taxables avaient été modifiées de façon permanente. L’appelante a remis à la Cour les dossiers des clients pour le mois d’août 2009 (pièce A-2) afin de confirmer son allégation selon laquelle des modifications avaient été apportées aux chaussures figurant sur la liste, et elle a laissé entendre qu’elle avait des dossiers prouvant l’existence de telles modifications pour les autres mois compris dans la période.

[13]        Un examen de ces dossiers de clients montre que, sur sept dossiers, plusieurs, mais pas tous, attestent que les chaussures ont été modifiées pour le client.

La position de l’appelante

[14]        Bon nombre des chaussures figurant sur la liste concernée par le présent appel ont été modifiées de façon permanente et devraient donc être détaxées.

[15]        Lorsque l’ARC a accordé des remboursements pour bon nombre des mêmes chaussures en 2010 et en 2011, ces chaussures étaient probablement aussi exemptées de la taxe en 2008 et en 2009, la période visée par l’appel. Mme Scott était contrariée de constater que l’ARC lui envoyait des messages contradictoires, et que des remboursements avaient été consentis à des clients pour des chaussures auxquelles on lui avait dit d’appliquer la taxe.

[16]        Les chaussures peuvent être achetées dans un magasin tel que Sport Chek, mais cela n’empêche pas qu’elles présentent des caractéristiques spéciales pouvant servir à adoucir une infirmité ou une difformité du pied. Toutes les chaussures figurant sur la liste étaient des chaussures prescrites à la suite d’un diagnostic. En outre, même si un client présentait son ordonnance à Sport Chek, ce magasin ne procéderait pas à une évaluation biomécanique pour confirmer l’ordonnance du médecin.

[17]        L’appelante a mis en doute l’interprétation de l’ARC selon laquelle, si un pied en bonne santé peut confortablement porter une chaussure orthopédique, alors la chaussure ne sera pas exemptée de la taxe. Elle a avancé la thèse contraire : [traduction] « La question n’est pas de savoir si un pied en bonne santé peut entrer dans l’une ou l’autre de ces chaussures; la question est de savoir si un pied ayant un handicap peut entrer dans n’importe laquelle de ces chaussures » (Transcription, page 45). Une personne ne souffrant pas d’une difformité du pied pourra sans doute porter bon nombre des modèles existants de chaussures sans s’abîmer les pieds, mais les chaussures présenteront des caractéristiques particulières qui permettront à une personne souffrant d’une difformité du pied de corriger ou d’améliorer son état.

[18]        Finalement, l’appelante a fait valoir qu’un certain poids devrait être accordé aux opinions et aux critères figurant dans les brochures de l’Association médicale podiatrique canadienne (l’« AMPC ») et de l’American Podiatric Medical Association (l’« APMA »), parce qu’elles contiennent les indications nécessaires pour savoir si des chaussures permettent ou non de répondre à un diagnostic d’affection du pied.

La position de l’intimée

[19]        Le ministre a contesté uniquement la question des chaussures [traduction] « de série », à propos desquelles, selon lui, rien ne permet de conclure qu’elles ont été modifiées de façon permanente. Les chaussures qui sont vendues « en l’état » devraient donc être assujetties à la TVH.

[20]        En ce qui concerne l’interprétation de la disposition législative, l’intimée a fait valoir que, pour ce qui concerne les mots « ayant une infirmité ou une difformité du pied ou une déficience semblable », des affections comme la pronation du pied, ou les pieds plats, ou la douleur causée par une station debout prolongée, ne sont pas des affections du pied qui répondent aux critères précis énoncés dans la Loi. L’expression « autre déficience semblable » a une portée plus large que les mots « infirmité ou […] difformité », mais l’intimée fait valoir que la déficience doit être « semblable » à une infirmité ou à une difformité.

[21]        En ce qui concerne l’expression « conçues spécialement », l’intimée a fait valoir que les synonymes du mot « spécialement », par exemple « expressément », « spécifiquement », « particulièrement », « principalement » ou « surtout », signifient qu’il doit être prouvé que le fabricant du produit voulait que les chaussures soient destinées spécifiquement ou particulièrement à des personnes ayant une infirmité ou une difformité du pied.

[22]        L’intimée a prétendu que le vaste assortiment de certains types de chaussures dans des magasins tels que Sport Chek donne à penser que les chaussures ne sont pas conçues spécialement pour un genre particulier de clientèle.

Analyse

[23]        En 2008 et en 2009, la disposition applicable, l’article 24.1 de l’annexe VI, partie II, de la Loi, était ainsi formulée :

24.1 [Chaussures] – La fourniture de chaussures conçues spécialement pour les personnes ayant une infirmité ou une difformité du pied ou une déficience semblable, effectuée sur l’ordonnance écrite d’un médecin qualifié.

La disposition prévoit que certaines chaussures seront détaxées aux fins de la TVH dans certaines conditions. L’article a été modifié légèrement, son libellé actuel étant quelque peu élargi, et les ordonnances pouvant maintenant être délivrées par un professionnel déterminé, pas seulement par un médecin. Cette modification n’aurait pas d’incidence sur l’issue du présent appel, et l’intimée n’a pas remis en cause les ordonnances concernant les chaussures qui étaient vendues. Les parties ont d’ailleurs reconnu que toutes les chaussures qui sont l’objet du présent appel étaient accompagnées des bonnes ordonnances. Avant 1996, une ordonnance écrite n’était pas requise pour que des chaussures soient détaxées.

[24]        L’intimée a affirmé que l’appelante n’avait pas produit une preuve suffisante pour permettre à la Cour de tirer une conclusion valide sur le statut de la liste des chaussures en cause. Je reconnais que je ne dispose pas de renseignements suffisants pour arriver à des conclusions sur la majorité des chaussures figurant sur la liste. On ne m’a pas présenté de brochures concernant les chaussures, même si on m’a informée qu’il en existe, et je n’ai entendu non plus aucun expert ni médecin s’exprimer sur les types de chaussures (et sur les caractéristiques qu’elles pourraient en particulièrement présenter) qui pourraient être considérées comme « chaussures conçues spécialement pour les personnes ayant une infirmité ou une difformité du pied ou une déficience semblable », selon les mots employés dans la loi.

[25]        Cependant, malgré cette absence de preuve, la charge de la preuve revient à l’intimée, à cause des difficultés et des failles que présentent les hypothèses de fait contenues dans l’alinéa 7 de la réponse à l’avis d’appel. L’intimée s’est fondée sur les brèves hypothèses suivantes :

[traduction]

a)         les faits énoncés et reconnus ci-dessus;

b)         l’appelante était inscrite aux fins de la TPS/TVH;

c)         l’appelante avait l’obligation, conformément à la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, et ses modifications (la « Loi »), de produire ses déclarations TPS/TVH chaque trimestre;

d)         l’appelante était une personne morale dont l’entreprise consistait à fournir des chaussures qui étaient spécialement modifiées par l’appelante, ou qui étaient spécialement conçues par le fabricant pour des personnes ayant une déficience physique;

e)         les produits décrits à l’alinéa 7d) ci-dessus ne sont pas assujettis à la TVH selon l’annexe VI de la Loi;

f)         l’appelante fournissait aussi d’autres produits qui n’étaient pas détaxés selon l’annexe VI de la Loi;

g)         au cours des périodes visées par l’appel, l’appelante n’a pas perçu la taxe, pour un montant d’au moins 42 274,72 $, lorsqu’elle fournissait des produits qui n’étaient pas détaxés selon l’annexe VI de la Loi.

[26]        L’intimée a employé l’expression introductive [traduction] « [p]our établir la cotisation de l’appelante, le ministre s’est fondé sur ce qui suit », plutôt que le libellé habituel [traduction] « le ministre s’est fondé sur les hypothèses suivantes », ou un libellé semblable, mais le ministre n’est pas tenu d’employer ce libellé habituel pour que les faits allégués constituent des hypothèses dans une réponse (arrêt Voitures Orly Inc. c Canada, 2005 CAF 425, [2005] ACF n° 2116).

[27]        Les hypothèses f) et g) sont les deux hypothèses principales parmi les sept qui figurent dans la réponse. Toutes deux contiennent des questions mixtes de droit et de fait. Selon la jurisprudence, le ministre ne peut faire de tels énoncés dans sa réponse et doit s’en tenir à des hypothèses de fait.

[28]        Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, au paragraphe 35, (« Southam ») la Cour suprême du Canada a fait, dans les observations suivantes, la distinction entre une question de fait, une question de droit et une question mixte de droit et de fait :

35.     En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s’est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique.  Un exemple simple permettra d’illustrer ces concepts.  En droit de la responsabilité civile délictuelle, la question de savoir en quoi consiste la « négligence » est une question de droit.  Celle de savoir si le défendeur a fait ceci ou cela est une question de fait.  Une fois qu’il a été décidé que la norme applicable est la négligence, la question de savoir si le défendeur a respecté la norme de diligence appropriée est une question de droit et de fait.  Toutefois, je reconnais que la distinction entre les questions de droit, d’une part, et celles de droit et de fait, d’autre part, est difficile à faire.  Parfois, ce qui semble être une question de droit et de fait se révèle une question de droit, ou vice versa.

[29]        Dans l’arrêt Anchor Pointe Energy Ltée c La Reine, 2003 CAF 294, 2003 DTC 5512, aux paragraphes 23 et 25, la Cour d’appel fédérale a déclaré que les questions mixtes de droit et de fait n’ont pas leur place dans les hypothèses du ministre :

[23]   Alléguer l’existence d’hypothèses confère comme avantage important à la Couronne de renverser le fardeau de preuve, de sorte que le contribuable doive réfuter les hypothèses du ministre. Les faits allégués comme hypothèses doivent être précis et exacts afin que le contribuable sache bien clairement ce qu’il lui faudra prouver. Il n’y a aucune raison pour que l’exigence de précision et d’exactitude ne s’applique pas à l’énoncé exact par la Couronne des circonstances ayant donné lieu aux hypothèses, soit l’établissement d’une cotisation, l’établissement d’une nouvelle cotisation ou la ratification d’une cotisation [...]

[…]

[25]   J’estime également que les déclarations ou conclusions juridiques n’ont pas leur place dans l’énoncé des hypothèses de fait du ministre. Il en découlerait pour le contribuable le fardeau de réfuter une déclaration ou conclusion juridique et, bien sûr, cela ne doit pas être. Le critère juridique à appliquer n’a pas à être prouvé par les parties comme s’il s’agissait d’un fait. Les parties doivent présenter leurs arguments relativement au critère juridique, mais c’est à la Cour qu’il incombe en bout de ligne de trancher les questions de droit.

[30]        Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a confirmé, dans l’arrêt Banque Canadienne Impériale de Commerce c La Reine, 2013 CAF 122, 2013 ACF n° 504, les principes énoncés dans l’arrêt Anchor Pointe.

[31]        Dans le présent appel, comme les hypothèses essentielles du ministre sont des énoncés comportant des questions mixtes de droit et de fait, ces hypothèses ont mis l’appelante dans une position nettement défavorable puisqu’elle ne pouvait connaître la preuve qu’elle devait réfuter. L’intimée a présumé la manière dont le droit devait s’appliquer aux faits, et elle a présumé que les chaussures n’étaient pas détaxées suivant l’annexe VI de la Loi. Une telle hypothèse n’est pas une hypothèse de fait; il s’agit plutôt d’une réponse à la question précise qu’il m’est demandé de trancher. Cette hypothèse énonce l’opinion de l’intimée sur l’applicabilité du droit aux faits considérés dans le présent appel. C’est précisément le genre d’hypothèse que la Cour suprême du Canada avait à l’esprit, dans l’arrêt Southam, précité, quand elle a défini ce en quoi consistaient des questions mixtes de droit et de fait.

[32]        La réponse ne contient aucune hypothèse de fait, ni aucun fait substantiel plaidé ailleurs dans la réponse, susceptible de conduire au résultat suivant : distinguer clairement, pour l’appelante, d’une part les caractéristiques des chaussures pour lesquelles, d’après le ministre, la TVH aurait dû être perçue et versée, et d’autre part les caractéristiques des chaussures pour lesquelles la TVH n’avait pas à être perçue. Les hypothèses f) et g) ne sont sur ce point d’aucune utilité pour l’appelante, puisqu’elles énoncent simplement la manière dont le droit s’applique aux faits. Le reste de la réponse ne renfermait par ailleurs aucune autre hypothèse de fait. Par conséquent, l’appelante n’a pas l’obligation de réfuter les hypothèses du ministre, puisqu’elles sont invalides.

[33]        Lorsque le ministre n’a pas énoncé dans les actes de procédure des hypothèses de fait en bonne et due forme, alors c’est à lui qu’il revient d’établir la validité de la cotisation.

[34]        Dans l’arrêt Pollock v Minister of National Revenue, 99 DTC 6050 (CAF), au paragraphe 20, le juge Huggesen a fait les observations suivantes à propos des hypothèses que doit énoncer le ministre :

[20]   Cependant, lorsque le ministre n’a plaidé aucune supposition ou lorsque les suppositions qu’il a plaidées ont été en tout ou en partie démolies, il reste la possibilité au ministre, en tant que défendeur, de prouver, s’il le peut, le bien‑fondé de la cotisation qu’il a établie. À cette fin, il doit supporter le fardeau de preuve qui incombe ordinairement à toute partie à un procès, soit celui de prouver les faits qui étayent sa prétention à moins que ceux-ci n’aient déjà été introduits en preuve par son adversaire. C’est une question de droit qui a fait l’objet d’une jurisprudence constante.

[35]        Le juge Webb (alors juge de la Cour canadienne de l’impôt) est arrivé à la même conclusion dans la décision Brewster c La Reine, 2012 CCI 187, 2012 DTC 1178. Il a accueilli l’appel parce que l’intimée n’avait énoncé aucune hypothèse de fait valide susceptible d’être réfutée par l’appelant, et parce que l’intimée n’avait produit aucune preuve pouvant étayer sa position.

[36]        En l’espèce, la seule preuve de l’intimée a été le témoignage de l’agent d’appels. M. Bourne s’est exprimé avec franchise durant son témoignage, mais il n’a pas été établi que les chaussures en cause devraient être, selon la prépondérance de la preuve, assujetties à la TVH. Il a simplement affirmé qu’il n’avait pu trouver, dans les brochures ou sur Internet, des renseignements suffisants pour lui permettre de conclure que les chaussures étaient détaxées. Sa conclusion reposait plutôt sur un manque de connaissances concernant les chaussures. C’est à l’intimée qu’il appartient d’établir que les chaussures seraient exclues du champ d’application de la disposition législative. Les éléments qui m’ont été présentés ne suffisent pas à me persuader que, selon la prépondérance de la preuve, les chaussures n’étaient pas conçues spécialement pour les personnes ayant une infirmité ou une difformité du pied ou une déficience semblable. Comme aucune hypothèse de fait n’a été formulée et comme l’intimée n’a produit aucune preuve sur cet aspect, l’appelante doit obtenir gain de cause.

Observations additionnelles

[37]        Comme le donne à penser la conclusion tirée dans le présent appel, celle des parties qui a la charge d’établir si des chaussures peuvent ou non être assujetties à la TVH doit en apporter la preuve. Il serait utile pour la Cour d’avoir des brochures, des études scientifiques qui ont été menées ainsi que des témoignages de professionnels de la santé. Des témoignages d’experts auraient pu apporter des éléments de preuve concernant les caractéristiques de ces chaussures, la conception, le but, les vertus médicales de certains types de chaussures par rapport à d’autres types, ainsi que les effets de certaines chaussures sur telle ou telle affection du pied. Ce sont des renseignements de ce genre qui manquaient dans le présent appel et, comme la disposition n’a pas jusqu’à aujourd’hui été examinée dans des précédents, ces renseignements étaient essentiels pour permettre une véritable analyse textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions législatives régissant la question.

[38]        L’intimée a exprimé l’avis que les chaussures conçues spécialement pour corriger des affections, telles que la pronation ou les pieds plats, ne sont pas visées par la disposition, mais c’est là une opinion gratuite. Il est tout à fait concevable que, compte tenu de renseignements additionnels et de nouveaux éléments de preuve, certaines pathologies qui sont suffisamment graves pour empêcher une personne de mener une vie normale puissent être visées par la disposition législative, mais je ne disposais pas de tels éléments de preuve.

[39]        Des chaussures peuvent recevoir une désignation de l’AMPC ou de l’APMA, mais ce facteur ne permettra pas à lui seul de dire si elles seront détaxées pour l’application de la Loi. Ces deux organismes à but non lucratif délivrent leurs labels de qualité pour certaines chaussures si plusieurs conditions sont remplies, mais leur agrément semble dépendre davantage du confort et de la sécurité procurés par les chaussures que de la manière dont elles répondent à telle ou telle pathologie du pied. Les labels délivrés ne permettent donc pas à eux seuls de tirer des conclusions sur la question.

[40]        Aucun précédent ne traite directement de l’interprétation et de l’application de l’article 24.1 de la Loi. L’intimée a fait état de plusieurs décisions qui portaient sur les mots « conçues spécialement ». Dans l’arrêt Lister c La Reine, 2006 CAF 331, 2006 DTC 6721, l’appelante demandait un crédit d’impôt pour frais médicaux au titre d’une somme additionnelle qu’elle avait déboursée pour bénéficier d’une assistance médicale dans un village-retraite. La Cour d’appel fédérale a jugé que l’interprétation des mots « d’équipement, d’installations ou de personnel spécialisés fournis » figurant à l’alinéa 118.2(2)e) de la Loi de l’impôt sur le revenu, nécessitait une analyse de la « fonction principale » de la maison de santé ou de repos, par rapport au rôle « accessoire » que jouait cette maison de santé ou de repos dans la fourniture de certains services médicaux à ses résidents.

[41]        Dans l’arrêt Masai Canada Limited c Canada (Agence des services frontaliers), 2012 CAF 260, [2012] ACF n° 1350, la Cour d’appel fédérale devait dire si des chaussures de sport thérapeutiques importées étaient passibles de droits. Elles ne seraient pas passibles de droits si elles étaient considérées comme des « marchandises conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps ». La Cour d’appel fédérale a suivi les conclusions du Tribunal canadien du commerce extérieur (le « Tribunal »), qui avait entendu des témoignages d’expert et jugé que les chaussures devraient être en franchise de droits. L’Agence des services frontaliers du Canada faisait valoir que les chaussures devraient être passibles de droits parce qu’elles n’étaient pas conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées. Elles étaient plutôt conçues pour augmenter l’activité musculaire et tonifier la partie inférieure du corps. Comme dans l’appel dont je suis saisie, l’Agence faisait aussi valoir que, comme les chaussures étaient utilisées par le grand public et qu’on pouvait se les procurer dans le commerce de détail, elles devraient être passibles de droits aux termes du Tarif des douanes, LC 1997, c 36. Le Tribunal avait affirmé que le meilleur moyen de prouver que les chaussures étaient « conçues spécifiquement » pour assister les personnes handicapées serait d’apporter la preuve « indiquant une intention dirigée pendant la phase de conception d’un produit » ou d’apporter une preuve après coup attestant que l’intention existait au moment de la conception du produit (Masai, décision du Tribunal, au paragraphe 21). La Cour d’appel fédérale a écrit, au paragraphe 6 de son arrêt, que « […] le Tribunal disposait d’un faisceau de preuves liant ces effets physiologiques généraux à l’allégement de handicaps particuliers, qui permettait, selon lui, de conclure que les chaussures étaient spécifiquement conçues pour des personnes handicapées ». Ce précédent sous-entendait que, pour établir si un produit, du moins aux termes du Tarif des douanes, est « conçu spécifiquement », une preuve devrait être apportée concernant la conception du produit et l’intention réelle à l’origine de cette conception. Il convient de noter que ce précédent s’appuyait également sur une preuve d’expert.

[42]        Dans la décision Tremblay v The Queen, [2001] GSTC 30, la juge Lamarre avait conclu que la construction d’un puits d’ascenseur dans un immeuble d’habitation était nécessaire pour permettre l’utilisation d’un élévateur de fauteuil roulant installé à l’intérieur du puits d’ascenseur. L’élévateur de fauteuil roulant était détaxé, mais le ministre avait refusé le remboursement au titre de la somme dépensée pour la construction du puits d’ascenseur. Dans le cas qui nous occupe, l’intimée a fait valoir que l’affaire Tremblay permettait d’affirmer que le puits d’ascenseur avait été conçu spécialement parce qu’il n’avait aucun autre usage. L’intimée s’est fondée sur le passage suivant pour soutenir que les mots « conçu spécifiquement » équivalent aux mots « usage exclusif » en ce que, pour que le puits d’ascenseur ait été conçu spécifiquement pour le fauteuil roulant, il fallait qu’il soit utilisé exclusivement pour le fauteuil roulant :

[11]   […] Par ailleurs, il est clair que ce puits d’ascenseur a été conçu spécifiquement pour l’élévateur de fauteuil roulant et n’a aucune autre utilité dans l’immeuble d’habitation dans lequel il a été construit.

Je ne crois pas que la manière dont l’intimée interprète ce passage soit juste, compte tenu de son libellé. La juge Lamarre n’a pas employé de conjonctions comme « puisque » ou « parce que », conjonctions qui auraient établi un lien de causalité direct entre la conception particulière et l’usage exclusif. Elle emploie plutôt le mot « et » pour rattacher les deux membres de phrase :

[…] ce puits d’ascenseur a été conçu spécifiquement pour l’élévateur de fauteuil roulant et n’a aucune autre utilité […] [Non souligné dans l’original.]

[43]        Ces précédents ne sont pas hors de propos, mais aucun d’eux ne traite directement de la disposition applicable, l’article 24.1 de la Loi.

Conclusion

[44]        Comme aucune hypothèse de fait n’a été énoncée et qu’une preuve incomplète a été produite par l’intimée, à qui il incombe dès lors d’établir que les chaussures en litige devraient être détaxées, l’appel est accueilli sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2014.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d’août 2014.

 

M.-C. Gervais

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 211

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-5007(GST)I

INTITULÉ :

HEALTH QUEST INC. et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 avril 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 juin 2014

COMPARUTIONS :

Représentante de l’appelante :

Mme Heidi Scott

Avocate de l’intimée :

Me Devon Peavoy

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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