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Dossier : 2013-3068(IT)I

ENTRE :

1165632 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2013-3069(IT)I

ET ENTRE :

1286047 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus le 2 juin 2014, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge Judith Woods


Comparutions :

 

Représentant des appelantes :

M. James Deacur

Avocat de l’intimée :

Me Christopher M. Bartlett

 

JUGEMENT

          Les appels relatifs aux cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition se terminant le 31 juillet 2009 et le 31 juillet 2010 sont rejetés.

         Signé à Toronto (Ontario), ce 5e jour de juin 2014.

« J.M. Woods »

Juge Woods

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juillet 2014.

 

M.-C. Gervais, traductrice

 

 

 



Référence : 2014 CCI 189

Date : 20140605

Dossier : 2013-3068(IT)I

ENTRE :

1165632 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2013-3069(IT)I

ET ENTRE :

1286047 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Woods

[1]             La question à trancher en l’espèce est de savoir si les appelantes, 1165632 Ontario Limited et 1286047 Ontario Limited, exploitaient des entreprises de prestation de services personnels relativement aux services fournis aux termes d’une entente de gestion conclue avec Dryco Building Supplies Inc. (« Dryco »).

[2]             Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard des appelantes au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») par laquelle il a refusé la déduction accordée aux petites entreprises qui avait été demandée pour les années d’imposition se terminant le 31 juillet 2009 et le 31 juillet 2010.

Le contexte

[3]             Les appelantes sont des sociétés dont les actions sont détenues par Tony Ramagnano et son épouse, Noemi Ramagnano.

[4]             Avant 1998, M. Ramagnano était propriétaire exploitant d’une entreprise vendant des matériaux de construction, notamment des cloisons sèches, sous le nom de « Metro ». L’entreprise était située à Mississauga (Ontario).

[5]             En 1998, M. Ramagnano a vendu l’entreprise à Dryco, société établie à Vancouver (Colombie-Britannique). L’entreprise a continué d’être exploitée sous le nom de Metro, et M. Ramagnano gérait l’entreprise aux termes de contrats conclus entre Dryco et les appelantes. Il semble que l’arrangement ait été satisfaisant pour toutes les parties, parce qu’il se poursuit encore aujourd’hui.

[6]             Pour les années d’imposition se terminant le 31 juillet 2009 et le 31 juillet 2010, les appelantes ont fait l’objet de nouvelles cotisations par lesquelles le ministre a refusé la déduction accordée aux petites entreprises qui avait été demandée concernant le revenu gagné aux termes de cet arrangement. Les montants refusés étaient de 6 353 $ et de 706 $ pour l’année d’imposition 2009 ainsi que de 3 385 $ et de 299 $ pour l’année d’imposition 2010.

Les thèses des parties

[7]             L’intimée affirme que les appelantes n’ont pas droit à la déduction accordée aux petites entreprises concernant le revenu tiré de Dryco parce que l’entreprise est une « entreprise de prestation de services personnels » au sens du paragraphe 125(7) de la Loi.

[8]             Plus précisément, l’intimée affirme que M. Ramagnano serait un employé de Dryco si le contrat avait été conclu directement avec lui et non avec les appelantes. Sa thèse est fondée sur l’application des facteurs habituels énoncés dans l’arrêt Wiebe Door, c’est-à-dire le contrôle, la propriété des instruments de travail, la possibilité de profit et le risque de perte.

[9]             En revanche, les appelantes estiment que les facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door mènent à la conclusion contraire, à savoir que M. Ramagnano serait un entrepreneur indépendant sans l’existence des appelantes.

Analyse

[10]        La question à trancher dans ces appels est précise : M. Ramagnano aurait‑il été un employé de Dryco au cours des années d’imposition 2009 et 2010 si l’arrangement avait été conclu directement avec lui et non avec les appelantes?

[11]        La disposition législative pertinente est la définition du terme de « entreprise de prestation de services personnels » au paragraphe 125(7) de la Loi, qui est ainsi libellée :

« entreprise de prestation de services personnels » S’agissant d’une entreprise de prestation de services personnels exploitée par une société au cours d’une année d’imposition, entreprise de fourniture de services dans les cas où :

a)         soit un particulier qui fournit des services pour le compte de la société — appelé « employé constitué en société » à la présente définition et à l’alinéa 18(1)p);

b)         soit une personne liée à l’employé constitué en société,

est un actionnaire déterminé de la société, et où il serait raisonnable de considérer l’employé constitué en société comme étant un cadre ou un employé de la personne ou de la société de personnes à laquelle les services sont fournis, si ce n’était de l’existence de la société, à moins :

c)         soit que la société n’emploie dans l’entreprise tout au long de l’année plus de cinq employés à temps plein;

d)         soit que le montant payé ou payable à la société au cours de l’année pour les services ne soit reçu ou à recevoir par celle-ci d’une société à laquelle elle était associée au cours de l’année.

                                                          [Non souligné dans l’original.]

[12]        Le critère général à appliquer pour établir si M. Ramagnano serait un employé de Dryco est précisé dans l’arrêt TBT Personnel Services Inc. c. Canada, 2011 CAF 256, au paragraphe 8 :

[8]        L’arrêt qui fait autorité en ce qui concerne les principes pour établir une distinction entre un contrat de louage de services et un contrat d’entreprise est Wiebe Door Services Ltd. c. M.N.R. [1986] 3 C.F. 553 (C.A.). Le juge Major, rédigeant l’arrêt de la Cour suprême du Canada, a approuvé Wiebe Door dans l’arrêt 67112 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983. Il a résumé, aux paragraphes 47 et 48, les principes pertinents comme suit :

47.       […] La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

48.       Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

[13]        Passons maintenant aux faits en l’espèce.

[14]        La relation entre les appelantes et Dryco est régie par une entente de gestion. Une version de cette entente, en vigueur le 5 mars 2009, a été déposée en preuve et j’ai supposé qu’elle reflétait les conditions s’appliquant à l’ensemble de la période visée. Les fonctions que doivent exécuter les appelantes, telles qu’elles sont précisées dans l’entente, sont énoncées ci‑dessous. Le terme [traduction] « directeur » utilisé dans l’entente s’entend des appelantes.

[traduction]
NOMINATION ET ACCEPTATION

1.         La société retient par la présente les services du directeur pour l’aider dans l’exploitation de son entreprise située à Mississauga pour la période et conformément aux stipulations précisées ci-après, et le directeur accepte par la présente cet engagement, pourvu que les services de gestion soient limités à l’entreprise située dans les locaux de Mississauga. […]

EXÉCUTION DES TÂCHES

3.         Le directeur doit consacrer la totalité de ses compétences et de ses énergies à l’exécution des tâches et des obligations qui lui sont attribuées par la société de temps à autre, servir fidèlement la société et faire de son mieux pour en promouvoir les intérêts et la cote d’estime.

4.         Le directeur suit les instructions de Bruno Mauro et fait rapport à celui‑ci.

[15]        Même si cela n’est pas précisé clairement dans l’entente, M. Ramagnano gère l’entreprise Metro de Mississauga, qui possède un entrepôt et environ 15 camions munis de grues.

[16]        Selon le témoignage de M. Ramagnano, que j’accepte, Dryco ne surveille pas directement son travail et celui‑ci ne fait rapport qu’à l’un des propriétaires, deux ou trois fois par an, au cours d’un dîner.

[17]        Pour leurs services, les appelantes reçoivent des honoraires annuels de 120 000 $, payables bimensuellement, et une prime de vente de 1 p. 100 des ventes réalisées et une prime annuelle de 5 p. 100 des bénéfices avant impôt.

[18]        L’entente est d’une durée de cinq ans, même si elle a été constamment prorogée de 1998 à aujourd’hui.

[19]        Aux termes d’une clause de résiliation, si l’entente est résiliée sans motif valable, les appelantes ont droit à 120 000 $ plus les primes courues.

[20]        Dès le début de la relation, des ententes de non-concurrence ont été conclues avec Dryco. Selon l’entente de gestion pertinente en l’espèce, les ententes de non-concurrence devaient être jointes, mais l’entente déposée en preuve ne comportait pas de pièce jointe.

[21]        L’intimée a déposé en preuve une entente de non-concurrence datée du 1er octobre 2005 précisant que M. Ramagnano agit à titre de [traduction]  « directeur de succursale ». Il n’a pas été établi si une entente analogue était en vigueur pour les périodes visées.

[22]        En appliquant les principes juridiques aux faits en l’espèce, je dirais d’abord qu’il semble y avoir contradiction entre la thèse des appelantes et l’entente de gestion. Les appelantes affirment que la relation était comparable à une relation d’entrepreneur indépendant dans laquelle M. Ramagnano menait sa propre entreprise à but lucratif. Par ailleurs, l’entente de gestion exige que les appelantes (décrites comme le « directeur ») consacrent la totalité de leur temps de travail à servir fidèlement Dryco et à faire valoir ses intérêts et sa cote d’estime (clause 3 de l’entente de gestion). L’obligation de service envers Dryco prévue dans l’entente semble être incompatible avec l’idée que M. Ramagnano agisse dans son propre intérêt dans le but de réaliser un profit, ce qui est la caractéristique d’une relation d’entrepreneur indépendant.

[23]        À mon sens, cette incompatibilité n’est pas propre à ces appels, mais est inhérente à la majorité des postes de directeurs généraux. Dans le cas présent, elle se dégage également des dispositions de l’entente conclue entre les parties.

[24]        De façon générale, les obligations qu’un directeur général a envers une société font en sorte qu’il est bien souvent difficile pour celui‑ci d’avoir sa propre entreprise à titre d’entrepreneur indépendant. J’ai abordé cette question dans la décision World Internet Broadcasting Network Corporation Inc. c. M.R.N., 2003 CCI 716, relativement au président d’une société, de la manière suivante :

[11]      Selon l’arrêt Sagaz Industries, la question centrale consiste à déterminer si M. Mackin, en qualité de président de World Internet, exploitait une entreprise distincte. En général, il serait difficile pour le président d’une société commerciale ayant le vaste mandat de gérer les activités de cette société d’en exploiter en même temps une autre à son compte. Les tâches que doit remplir un président seraient généralement incompatibles avec l’exploitation d’une entreprise à but lucratif parallèle et distincte. Lorsque M. Mackin a tenté de le faire en recueillant des fonds pour une entreprise restructurée, M. Kennedy a fait savoir qu’il en avait été choqué. Il est clair dans l’esprit de M. Kennedy que M. Mackin devait agir dans les intérêts de World Internet seulement. Par conséquent, le poste hiérarchique très élevé de M. Mackin et la responsabilité qu’avait celui-ci dans la plupart des activités de l’entreprise militent vigoureusement contre l’octroi du statut d’entrepreneur indépendant.

[25]        Ceci posé en contexte, j’analyserai les quatre facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door.

[26]        Contrôle – Je conclurais que ce facteur dénote l’existence d’une relation analogue à celle d’un emploi. Il est vrai que Dryco était un propriétaire relativement passif et que M. Ramagnano se sentait libre de gérer l’entreprise comme bon lui semblait tant que les affaires allaient bien. Par contre, le critère est celui de savoir si Dryco avait le droit légal de contrôler le travailleur et non de savoir si le travailleur se sent assujetti à ce contrôle (Pluri Vox Media Corp. c. La Reine, 2012 CAF 295, au paragraphe 14). Il ressort de l’article 4 de l’entente de gestion que Dryco a entièrement le pouvoir de donner des directives à M. Ramagnano comme bon lui semble. Le niveau de contrôle est incompatible avec une relation d’entrepreneur indépendant.

[27]        Outils – Ce facteur fait également ressortir une relation assimilable à un emploi. Les appelantes n’étaient pas tenues de fournir le moindre équipement pour l’exécution des services de gestion. Tout était fourni par Dryco. Il semble que M. Ramagnano ait choisi d’avoir un bureau à domicile, mais cela est courant dans les relations d’emploi modernes.

[28]        Possibilité de profit – J’estime que ce facteur est neutre. Les appelantes avaient une possibilité de profit grâce aux primes de rendement, mais cela est courant dans les conditions d’emploi des cadres supérieurs.

[29]        Risque de perte – Comme les appelantes ne couraient aucun risque important de perte, je conclus que ce facteur milite en faveur d’une relation analogue à un emploi.

Conclusion

[30]        J’ai conclu que M. Ramagnano aurait été un employé de Dryco si ce n’était de l’existence des appelantes. Cela ressort clairement de l’obligation des appelantes de promouvoir les intérêts de Dryco, ainsi que d’une analyse des facteurs habituels énoncés dans l’arrêt Wiebe Door.

[31]        Par conséquent, le revenu que les appelantes ont tiré de Dryco pour les périodes visées a été tiré d’une entreprise de prestation de services personnels. Les appels seront rejetés.

         Signé à Toronto (Ontario), ce 5e jour de juin 2014.

« J.M. Woods »

Juge Woods

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juillet 2014.

 

M.-C. Gervais, traductrice


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 189

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2013-3068(IT)I
2013-3069(IT)I

INTITULÉ :

1165632 ONTARIO LIMITED c. SA MAJESTÉ LA REINE et
1286047 ONTARIO LIMITED c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 juin 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Judith Woods

DATE DU JUGEMENT :

Le 5 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant des appelantes :

M. James Deacur

Avocat de l’intimée :

MChristopher M. Bartlett

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour les appelantes :

Nom :

s.o.

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

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