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Référence : 2014 CCI 254

Date : 20140819

Dossier : 2010‑698(IT)G

ENTRE :

DONNA ELIZABETH GARIEPY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

Dossier : 2010‑863(IT)G

 

ET ENTRE :

SALLY ANNE CHRISS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

[1]             Les deux appels dont il est question ici et qui ont été entendus sur preuve commune concernent des cotisations d’un montant supérieur à de 500 000 $ (y compris les pénalités et intérêts) et établies, en date d’octobre 2008, à l’égard des deux appelantes, en leur qualité d’administratrices de la société 1056922 Ontario Limited (la « société 105 »), dont la gestion et l’exploitation sont assurées par leurs maris, pour défaut de cette société de verser des retenues d’impôt. Les retenues non versées se rapportaient aux années 2000 à 2005. Les appelantes soutiennent qu’elles ont démissionné de leurs fonctions d’administratrices plus de deux ans avant l’établissement des cotisations dont elles font appel. À titre subsidiaire, si la Cour conclut qu’elles ont continué d’occuper leurs fonctions d’administratrices après 2001, elles soutiennent, en tant que principal moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable, qu’il était raisonnable de leur part de ne rien faire concernant la société, et notamment ses obligations en  matière de remise des retenues fiscales, étant donné qu’elles croyaient à juste titre avoir démissionné en 2001 ou 2002 et qu’avant leur démission, elles n’étaient administratrices que sur papier. Toujours en ce qui concerne leur moyen de défense de diligence raisonnable, elles soutiennent, comme deuxième moyen subsidiaire, que même si elles avaient continué d’être administratrices, et s’il n’était pas raisonnable de croire que tel n’était pas le cas, le fait est que pendant une grande partie des périodes où il y a eu défaut de verser les retenues, un tiers exerçant la profession d’avocat et ayant investi dans la société 105 exerçait dans les faits tout le contrôle sur cette dernière à l’exclusion des appelantes, et à tout le moins de M. Chriss, et c’est la raison pour laquelle elles ne pouvaient raisonnablement faire quoi que ce soit pour éviter le défaut d’effectuer les remises pour ces périodes.

Le droit :

[2]             Je reprends ici ce que j’ai observé aux paragraphes 13 à 16 et 24 des motifs du jugement Deakin c. La Reine, 2012 CCI 270 afin de résumer le droit applicable :

[13]      Un employeur a généralement l’obligation légale de verser à l’ARC les retenues à la source effectuées à l’égard des salaires et des traitements des employés concernant l’impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et l’assurance‑emploi. Cette obligation est différente de la responsabilité qui incombe à l’employeur pour ses propres impôts sur le revenu. Les montants en question ont été retenus à l’égard des employés pour être versés à l’ARC, et l’ARC, et donc les contribuables canadiens en général, accorde aux employés un crédit pour ces montants relativement à leur dette fiscale. C’est pourquoi la loi donne à l’ARC des pouvoirs de recouvrement plus étendus pour de tels montants non versés que pour l’impôt sur le revenu de l’employeur.

[14]      De même, une société est généralement tenue de verser le montant perçu de ses clients au titre de la TPS, déduction faite de la TPS que la société a payée sur ses achats, ses fournitures et ses intrants. La société a perçu la TPS de ses clients pour la verser à l’ARC afin de répondre aux obligations des clients en matière de TPS. Encore une fois, reconnaissant ce fait, la loi donne à l’ARC des pouvoirs de recouvrement plus étendus à l’égard de tels montants de TPS non versés.

[15]      L’article 227.1 de la LIR et l’article 323 de la LTA prévoient que les administrateurs d’une société sont personnellement responsables du défaut de la société de verser les retenues à la source effectuées et la TPS perçue comme l’exige la loi. Les administrateurs ne sont pas, de manière générale, responsables à l’égard de l’impôt sur le revenu de la société. La responsabilité éventuelle des administrateurs dépend du degré de gestion et de contrôle qu’ils exercent sur la société et ses activités.

[16]      Le paragraphe 227.1(3) de la LIR et le paragraphe 323(3) de la LTA prévoient chacun que l’administrateur n’encourt pas de responsabilité lorsque la société a omis de verser de tels montants comme l’exige la loi si l’administrateur a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[…]

[24]      La loi exige de toute société commerciale le versement des retenues à la source et de la TPS. Il ne s’agit pas de fonds propres de la société. Celle‑ci les a perçus de ses employés et de ses clients. Ces employés et ces clients reçoivent des crédits à l’égard de ces montants une fois qu’ils sont retenus et perçus, même s’ils ne sont pas versés. Lorsque les propriétaires‑exploitants et les administrateurs décident d’utiliser ces fonds pour maintenir leur société à flot et pour soutenir leurs investissements, ils entraînent les contribuables canadiens à investir involontairement dans une société qui ne leur offre aucun avantage. En agissant de la sorte, les actionnaires et les décideurs de la société investissent l’argent d’autrui ou risquent cet argent au jeu. Les administrateurs devraient en être conscients lorsqu’ils sont à l’origine de tels actes ou qu’ils les autorisent. Les gens d’affaires devraient considérer les dispositions légales portant sur la responsabilité des administrateurs comme étant quelque peu semblables à une forme de garantie personnelle des administrateurs pouvant les exposer à une responsabilité comparable à l’égard du montant en cause. Ce sont eux qui décident d’investir les fonds dans leurs propres sociétés, pour leur propre intérêt, et non l’État ou les Canadiens. Ils enfreignent des lois claires, et il semble approprié que, par principe, le législateur ait expressément prévu qu’ils doivent généralement assumer la responsabilité de telles décisions ainsi que les risques en découlant pour eux. Essentiellement, si une société et ses administrateurs choisissent unilatéralement d’« emprunter » des contribuables canadiens et du Trésor, les Canadiens bénéficient d’une garantie semblable à des garanties personnelles des administrateurs.

[3]             À l’occasion de l’affaire Canada c. Buckingham, 2011 CAF 142, la Cour d’appel fédérale a examiné des dispositions analogues de la Loi de l’impôt sur le revenu et de la Loi sur la taxe d’accise en matière de responsabilité des administrateurs et de défaut de versement. Elle a relevé le fait qu’en pareilles circonstances, la Couronne devenait malgré elle créancière de la société du fait que cette dernière se servait des sommes qu’elle était tenue de remettre à l’État pour payer d’autres créanciers et ainsi assurer la poursuite des activités de l’entreprise. La Cour d’appel fédérale a confirmé que les dispositions relatives à la responsabilité des administrateurs visaient précisément à éviter ce genre de situation. Elle a ajouté qu’il était manifeste, d’après la loi, que les administrateurs d’une telle société étaient tenus d’établir qu’ils avaient agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté requis pour prévenir le défaut de versement, ce qui supposait généralement qu’ils devaient s’être effectivement préoccupés de l’obligation d’effectuer les versements fiscaux et avoir pris des mesures précises pour éviter tout manquement. C’est aux mesures prises pour prévenir le défaut de versement que l’analyse doit avant tout s’attacher; il s’ensuit qu’en règle générale, compte tenu du texte des dispositions législatives applicables, il ne suffira pas de montrer que des efforts ont été déployés pour remédier aux défauts en convenant de modalités de paiement des versements en souffrance pour prouver qu’il y a eu diligence raisonnable

[4]             Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a observé, au paragraphe 32 de l’arrêt Balthazard c. Canada, 2011 CAF 331 :

[32]      Le cadre juridique applicable à une défense de soin, de diligence et de compétence sous le paragraphe 323(3) de la LTA a récemment été résumé comme suit par notre Cour dans Buckingham :

a.         La norme de soin, de diligence et de compétence exigée au paragraphe 323(3) de la LTA est une norme objective comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, [2004] 3 R.C.S. 461. Cette norme objective écarte le principe de common law selon lequel la gestion d’une société par un administrateur doit être jugée suivant les compétences, les connaissances et les aptitudes personnelles de celui‑ci. Une norme objective ne signifie toutefois pas que les circonstances propres à un administrateur ne doivent pas être prises en compte. Ces circonstances doivent être prises en compte, mais elles doivent être considérées au regard de la norme objective d’une « personne raisonnablement prudente ».

b.         L’examen de la conduite de l’administrateur aux fins de cette norme objective commence lorsqu’il devient évident pour l’administrateur, agissant raisonnablement et avec le soin, la diligence et la compétence qui sont requises, que la société entame une période de difficultés financières.

c.         Une société qui fait face à des difficultés financières pourrait se hasarder à réaffecter les versements dus à la Couronne afin de payer d’autres créanciers et ainsi assurer la poursuite de ses activités. C’est précisément une telle conjoncture que l’article 323 de la LTA vise à éviter. Le moyen de défense prévu au paragraphe 323(3) de la LTA ne doit pas servir à encourager de tels défauts de versement en permettant aux administrateurs d’invoquer une défense de soin, de diligence et de compétence lorsqu’ils financent les activités de leur société à l’aide de remises dues à la Couronne, en espérant ou non remédier plus tard à ces défauts.

d.         Puisque la responsabilité des administrateurs à ces égards n’est pas absolue, il est possible qu’une société puisse ne pas effectuer des remises à la Couronne sans que la responsabilité solidaire des administrateurs soit engagée.

e.         Ce qui est requis des administrateurs, c’est qu’ils démontrent qu’ils se sont effectivement préoccupés des versements fiscaux et qu’ils se sont acquittés de leur obligation de soin, de diligence et de compétence afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants en cause.

Faits et procédures

[5]             George Chriss et Derek Gariepy sont, respectivement, les maris des appelantes Sally Anne Chriss et Donna Gariepy. Ensemble, ils exploitaient la société 105. Auparavant, ils avaient exploité ensemble la société CG Industries (« CGI »), qui était devenue insolvable alors qu’elle devait des sommes considérables à l’ARC au titre des remises à effectuer. Ils s’étaient alors adressés au cabinet juridique de leur société, Gowling Lafleur Henderson s.r.l., S.E.N.C.R.L. (« Gowlings »), afin d’obtenir des conseils quant à l’échec de CGI.

[6]             Subséquemment, les deux hommes ont décidé de repartir à zéro en lançant une entreprise très semblable qui serait exploitée par l’intermédiaire de la société 105, que Gowlings avait constituée antérieurement pour le compte de George Chriss, mais qui était restée inactive jusque‑là. Conscients de la responsabilité potentielle qui planerait sur eux pendant deux ans en raison de la faillite de CGI, ils ont choisi de laisser leurs épouses assumer entièrement les fonctions d’administrateurs et de dirigeants de la société 105 au moment de procéder à une restructuration préalable au lancement de ses activités, en 1999. Les deux hommes affirment avoir cru qu’il s’agissait là de la meilleure façon de faire compte tenu de ce qu’ils avaient compris des conseils reçus de Gowlings. De toute évidence, il y avait eu malentendu parce que cela n’a aucun sens. Je doute que Gowlings ait pu recommander de nommer les épouses administratrices.

[7]             Les deux épouses n’avaient jamais pris part aux activités de CGI et n’avaient pas plus l’intention de participer à celles de la nouvelle entreprise de leurs maris. Elles ne souhaitaient pas devenir administratrices de la société 105, mais elles y ont consenti à la demande de ces derniers. Dès le départ, les Chriss et les Gariepy avaient décidé que les deux épouses quitteraient le conseil d’administration à l’expiration de la période de deux ans qui préoccupait les maris.

[8]             En 2001, à l’approche de l’expiration du mandat prévu pour les épouses au sein du conseil d’administration, les maris ont décidé que le temps était en effet venu pour eux de remplacer leurs épouses dans les fonctions d’administrateurs de la société 105. Les deux épouses étaient d’accord.

[9]             Peu de temps après, en vue de mettre en œuvre cette décision, M. Chriss, qui était chargé de la gestion des affaires commerciales de la société 105 tandis que M. Gariepy s’occupait des ventes, a communiqué avec Gowlings pour l’informer du changement d’administrateurs. À cette époque, une importante somme était due à Gowlings relativement aux opérations commerciales antérieures touchant MM. Chriss et Gariepy ainsi que CGI. En septembre 2001, après avoir reçu un appel de suivi de M. Chriss, Gowlings a rédigé les démissions écrites des appelantes.

[10]        À partir de là, je peux me passer de résumer pratiquement tout le reste des événements, puisque j’ai conclu que les démissions de 2001 susmentionnées étaient valides et que les appels devraient être accueillis pour ce motif. J’exposerai dans le détail les éléments de preuve qui m’ont été utiles pour conclure que les démissions de 2001 étaient valides un peu plus loin, dans le corps de mon analyse.

[11]        En revanche, je peux affirmer que l’affaire a donné lieu à un long procès de dix jours, lors duquel ont témoigné M. et Mme Chriss, M. et Mme Gariepy et un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »).

[12]        Deux des avocats de Gowlings concernés par l’affaire ont aussi témoigné, et tous les documents de Gowlings que celle‑ci a pu retrouver ont été produits. Toutefois, Gowlings a reconnu qu’elle n’avait pas été en mesure de retrouver ou de consulter l’ensemble des documents : ce fut le cas notamment des courriels envoyés par l’un des principaux associés concernés du cabinet, à l’exception de ceux adressés à d’autres membres du personnel à l’interne. Il est évident que les documents produits par Gowlings ne permettent pas de reconstituer toute l’affaire : en effet, à la lecture de ces documents et courriels, on constate qu’une confusion importante semblait régner parmi les quelque six membres du personnel de Gowlings qui se sont occupées de préparer les démissions demandées par George Chriss. Je devine que la confusion qui ressort des documents a été dissipée dans le cadre de conversations ou d’appels téléphoniques qui ont eu lieu mais dont ils ont oublié la teneur ou encore, dans d’autres documents ou courriels qu’ils n’ont pu retrouver.

[13]        Qu’il suffise de dire, à ce stade‑ci, que les témoignages des Chriss et des Gariepy soulèvent de très sérieux problèmes de crédibilité. Les versions qu’ils ont données des faits entourant la signature des démissions de 2001 et d’autres démissions encore sont multiples et largement inconciliables. Puisque j’ai conclu que les démissions de 2001 étaient valides, je n’ai pas à trancher ces questions de crédibilité pour statuer sur le fond de l’affaire. Cela dit, aucune version des faits donnée en témoignage n’est tout à fait conciliable avec chacun des autres récits. Je ne crois pas que tous les témoins des contribuables ont dit la vérité au sujet des autres démissions ou qu’ils ont même dit toute la vérité sur les démissions de 2001.

[14]        Malheureusement, les témoins cités par Gowlings n’avaient que très peu de véritables souvenirs précis des événements.

[15]        J’ajouterais, aux fins de la présente introduction, que l’ARC n’a établi des cotisations qu’à l’égard des deux épouses au titre de la responsabilité incombant aux administrateurs. En 2008, au moment de l’établissement des cotisations, les documents provinciaux concernant la société indiquaient que Mme Gariepy était toujours membre du conseil d’administration, et que Mme Chriss en avait démissionné en 2006, moins de deux ans auparavant. Cela dit, à un moment donné au cours des deux années précédant l’établissement des cotisations à l’égard des deux épouses au titre de la responsabilité des administrateurs, l’ARC a recherché si les maris étaient administrateurs de fait. Les deux hommes lui avaient même fait part, par écrit, de la possibilité qu’ils aient été administrateurs de fait à certains moments; qui plus est, ils s’étaient présentés à l’ARC comme étant administrateurs à l’occasion de rencontres portant sur les arriérés de versements. On peut donc s’étonner, en l’absence de preuve que la question a été plus amplement fouillée, que l’ARC ait fait parvenir des avis de cotisation aux deux épouses en leur qualité d’administratrices de droit, mais pas aux maris en tant que qu’administrateurs de fait. La Couronne n’a pas expliqué cette décision, mais on a évoqué le fait que dans l’intervalle, M. Gariepy avait déclaré faillite, ce qui était susceptible de rendre difficile le recouvrement des sommes dues. J’ose espérer que l’explication est d’un autre ordre. La Couronne doit se garder de faire usage des poursuites devant la Cour comme s’il s’agissait d’un mécanisme stratégique de recouvrement. La faible probabilité de recouvrer une dette auprès d’un contribuable ne peut justifier que l’on se tourne vers un deuxième contribuable, fussent‑ils mari et femme. S’il s’agit là, selon la thèse avancée implicitement, de la raison pour laquelle il a été décidé de se tourner vers les épouses plutôt que leurs maris, il en résulte que l’ARC ne peut maintenant intervenir au nom de la population canadienne auprès d’aucun administrateur de la société pour recouvrer les retenues à la source non versées. Or, comme l’enseigne la Cour d’appel fédérale, ce résultat est tout à fait contraire à l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a adopté les dispositions sur la responsabilité des administrateurs. L’affaire a été instruite sur 10 jours entre 2012 et 2014. La question de savoir pourquoi la cotisation a été établie à l’égard des deux épouses et non des maris, ou pourquoi elle n’a pas été établie aussi à l’égard des maris, a été rapidement soulevée dans le cadre de l’instance, de sorte que l’ARC a eu tout le temps nécessaire pour revoir le dossier et déterminer pourquoi cela avait été fait.

Les dispositions législatives applicables

[16]        Les dispositions applicables de la LIR prévoient :

227.1(1) Responsabilité des administrateurs pour défaut d’effectuer les retenues

(1) Responsabilité des administrateurs pour défaut d’effectuer les retenues.Lorsqu’une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu aux paragraphes 135(3) ou 135.1(7) ou aux articles 153 ou 215, ou a omis de verser cette somme ou a omis de payer un montant d’impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d’imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle‑ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s’y rapportant.

227.1(2) Restrictions relatives à la responsabilité

[…]

227.1(3) Idem

(3) Idem.Un administrateur n’est pas responsable de l’omission visée au paragraphe (1) lorsqu’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

227.1(4) Prescription

(4) Prescription.L’action ou les procédures visant le recouvrement d’une somme payable par un administrateur d’une société en vertu du paragraphe (1) se prescrivent par deux ans à compter de la date à laquelle l’administrateur cesse pour la dernière fois d’être un administrateur de cette société.

Quant à la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (la « LSAO »), elle prévoit :

 

(Date d’effet de la démission)

108.(2) La démission d’un administrateur prend effet à la date d’envoi par la société d’un écrit à cet effet ou à la date postérieure qui y est indiquée.

Conclusions

[17]        Je conclus que les démissions de 2001 rédigées par Gowlings étaient valides à la date où elles ont été établies, même si elles n’ont jamais été signées par Mme Chriss et Mme Gariepy. Ce n’est que peu avant l’ouverture du procès que George Chriss s’est souvenu que Gowlings avait préparé les démissions de 2001, quoique rapidement après avoir pris connaissance du dossier récemment produit par le cabinet. (D’après les éléments de preuve documentaires portant sur la période écoulée entre‑temps, George Chriss s’en serait aussi apparemment souvenu brièvement en 2007, puisqu’il semble y faire référence dans une lettre adressée à l’ARC.)

[18]        Comme je l’ai mentionné précédemment, en 2001, George Chriss a communiqué avec Gowlings, au moins au nom de son épouse, pour l’informer que les deux épouses démissionnaient du conseil d’administration de la société 105. Il ressort du relevé des appels téléphoniques de Gowlings de septembre 2001 indique qu’au cours de la semaine ayant précédé la rédaction des démissions par Gowlings, George Chriss a téléphoné à deux reprises à l’associé du cabinet avec lequel il traitait, Tom Cumming.

[19]        Tom Cumming, qui venait de quitter le bureau de Gowlings à Calgary pour s’installer à Toronto, parle à Angela Nikolakakos (ou lui écrit, mais il est plus probable qu’il lui ait parlé) de la rédaction des documents de démission des administratrices de la société 105. Angela Nikolakakos adresse ensuite un courriel à Tom Cumming pour confirmer ses instructions, mais elle fait allusion à CGI plutôt qu’à la société 105. Il ressort du dossier des courriels produit en preuve montre que, après avoir examiné les dossiers de Gowlings et les archives, Angela Nikolakakos fera référence à la société 105 dans les courriels échangés par la suite. Ni Tom Cumming, ni Angela Nikolakakos ni aucun des membres du personnel de Gowlings concerné par les démissions n’ont soutenu, à un moment ou l’autre, que l’entreprise à l’égard de laquelle Tom Cumming avait donné à Angela Nikolakakos l’instruction de rédiger la démission des administratrices n’était pas, dès le départ, la société 105. On trouve une confirmation supplémentaire de la thèse selon laquelle les instructions données par Tom Cumming à Angela Nikolakakos se rapportaient à la société 105 et non à CGI dans le fait que Gowlings savait que les administrateurs de CGI – à savoir George Chriss et Derek Gariepy ‑ avaient démissionné en 1999, que le cabinet avait même fait une recommandation en ce sens et que les démissions figuraient déjà dans ses dossiers.

[20]        Gowlings a préparé des documents de démission complets et réguliers pour les appelantes, et ceux‑ci documents ont été produits en preuve. Pour ce travail, Gowlings a envoyé une facture détaillée qui a également été produite en preuve.

[21]        Rien dans les dossiers de Gowlings qui ont été déposés en l’espèce n’indique que les démissions et les résolutions afférentes aient été envoyées. À mon avis, elles n’ont jamais quitté le bureau de Gowlings.

[22]        Le caractère adéquat des démissions de 2001 établies par Gowlings est étayé par les éléments suivants :

(i)      La mention expresse de l’intention de chacun des Chriss et des Gariepy de faire en sorte que les deux épouses démissionnent de leur poste au conseil d’administration de la société 105 deux ans après la débâcle de CGI.

(ii)     L’intention clairement exprimée des deux épouses de démissionner immédiatement de leurs fonctions d’administratrices et communiquée à la société en 2001 par l’intermédiaire de ses deux dirigeants, les maris des administratrices. Autrement dit, Sally Chriss a clairement signifié son intention à George Chriss et Donna Gariepy, à Derek Gariepy.

(iii)    Tous les administrateurs et dirigeants de la société ont compris, à l’époque en question, que les deux épouses avaient remis leur démission. Cela signifie que la société avait bien compris qu’elles démissionnaient.

(iv)    Au nom des deux administratrices, dont il savait qu’elles souhaitaient démissionner et en avaient fait part à la société, George Chriss a informé de ces démissions l’associé de Gowlings qui conseillait la société depuis sa constitution, des années plus tôt, et qui a conservé le registre des procès‑verbaux pendant tout ce temps.

(v)     En qualité de conseiller juridique de la société, Gowlings a rédigé des documents à cet effet pour les besoins des comptes de la société et du registre des procès‑verbaux. Si ces documents avaient été signés et datés, il ne semble faire aucun doute qu’ils auraient alors constitué des avis de démission valides et que les appelantes n’auraient pas eu à interjeter appel comme c’est le cas en l’espèce. Quelle qu’en soit la raison – peut‑être même les honoraires impayés du cabinet –, les documents n’ont jamais été envoyés à la société ni aux deux épouses.

(vi)    Il ne ressort nullement des dossiers de Gowlings, du reste de la preuve documentaire ou des dépositions des témoins que les deux épouses auraient eu quelque raison de ne pas signer les documents ou de revenir sur leur décision en demandant à Gowlings de ne pas envoyer les démissions.

[23]        Je conclus que les démissions ont été très clairement communiquées à chaque étape, conformément au souhait et à l’intention des administratrices démissionnaires, qu’elles ont été comprises et acceptées par la société et qu’elles ont été communiquées par George Chriss pour le compte des démissionnaires (dont l’une était mariée à M. George depuis de nombreuses années et s’en remettait à celui‑ci pour toutes les questions du domaine des affaires) et de la société à l’avocat de cette dernière, qui a alors dressé les documents écrits constatant avec exactitude les renseignements nécessaires dans le registre des procès‑verbaux de la société.

[24]        Vu les circonstances, je conclus que chacune des deux épouses a remis une démission valide. Ma conclusion est conforme la jurisprudence de notre Cour (Perricelli v. Her Majesty the Queen, 2002 GSTC 71 (le juge C. Miller), Walsh v. Her Majesty the Queen, [2010] 1 CTC 2412 (la juge Sheridan) et Corkum c. Sa Majesté la Reine, 2005 CCI 755 (le juge McArthur)), laquelle porte sur les exigences requises sur le plan de la forme, du contenu ou de la communication pour que la démission d’un administrateur puisse être considérée comme valide à cet effet.

[25]        Cela dit, je ne puis conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve crédibles dont il ressort que les démissions de 2001 rédigées par Gowlings ont quitté ses bureaux, ou qu’elles ont été signées, pas plus d’ailleurs que les autres démissions (notamment celles que Gowlings aurait rédigées plus tard, en 2002). La LSAO précise que la démission doit être consignée par écrit, mais n’exige pas qu’elle soit signée. À l’occasion de l’affaire Irvine c. Ministre du Revenu national, 91 DTC 91 (le juge Taylor), la Cour a jugé acceptable une démission écrite valablement communiquée à la société en cause. Cet enseignement est également conforme à l’opinion exprimée par la Cour à l’occasion de l’affaire Cybulski v. Minister of National Revenue, 88 DTC 1531 (le juge en chef adjoint Christie). 

[26]        Les cotisations ont été établies en 2008, plus de deux ans après les démissions de Mme Chriss et de Mme Gariepy, établies par Gowlings en 2001. Par ce motif, il y a lieu d’accueillir les appels puisque, suivant le paragraphe 227.1(4), cotisation ne peut être établie au titre de la responsabilité d’un administrateur après cette période de deux ans.

Thèses subsidiaires

[27]        Au cas où serait juridiquement incorrecte ma conclusion portant que les administratrices ont démissionné de leurs fonctions en septembre 2001, je me propose de pousser plus loin ma discussion en examinant maintenant la question de savoir s’il était néanmoins raisonnable que Mmes Chriss et Gariepy aient cru avoir démissionné et cessé d’occupé leurs fonctions d’administratrices après cette date; dans l’affirmative, je passerai ensuite à la question de savoir si le fait qu’elles ont complètement omis d’agir ou de se soucier des affaires de la société au cours des périodes où il y a eu manquement à l’obligation de versement leur permet d’invoquer le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable.

Mme Chriss

[28]        Étant donné les divergences constatées dans les témoignages et le récit des faits rendus par les Chriss et les Gariepy concernant les démissions de 2001 de Gowlings et les autres démissions censées avoir eu lieu par la suite, il me faut discuter différemment le cas de Mme Chriss et celui de Mme Gariepy aux fins de l’examen des thèses subsidiaires.

[29]        Mme Chriss a parlé de démission à M. Chriss en 2001 et lui a demandé de communiquer ces démissions à Gowlings. Lorsque George Chriss a avisé Gowlings des démissions, il n’y a pas de doute qu’il le faisait au vu et au su de sa femme et en son nom, voire selon ses instructions. Je conclus qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle a en effet parlé à son mari de sa démission et que ce dernier lui a assuré qu’il téléphonerait rapidement à Gowlings pour informer l’avocat de la société de la démission afin qu’il puisse la consigner, comme il se devait, dans le registre des procès‑verbaux.

[30]        En pareilles circonstances, notamment au vu du rôle joué par M. Chriss au sein de la société 105 et du fait qu’il intervenait comme personne‑ressource auprès de Gowlings, je conclus qu’il était raisonnable que Mme Chriss se fie à son mari et à la confiance que ce dernier plaçait en Gowlings, qui conseillait la société, pour veiller à ce que sa démission soit valide. Si les avocats aussi informés qu’expérimentés représentant les parties ont pu plaider cette question de manière si convaincante, jurisprudence à l’appui, et si j’ai conclu à tort, un peu plus haut, que les démissions étaient effectives, il est tout à fait raisonnable de penser que le citoyen lambda qui n’est pas juriste aurait des raisons valables de croire qu’elle avait remis sa démission, sauf bien sûr si quelqu’un lui avait laissé entendre le contraire, avait remis en question cet état de fait ou avait tenté de communiquer avec elle en sa qualité d’administratrice.

[31]        Bien que Mme Chriss n’ait jamais reçu quoi que ce soit à signer ou confirmant sa démission, il n’est pas déraisonnable qu’elle ait cru avoir démissionné, à tout le moins jusqu’après la période de non‑versement. En effet, elle n’a rien reçu ou entendu, pendant cette période, qui aurait pu lui faire penser qu’elle était toujours administratrice ou que sa démission n’était pas effective.

[32]        Même si Mme Chriss n’a pris aucune mesure pour prévenir les manquements à l’obligation de versement, il s’agit d’un des cas exceptionnels où il était raisonnable de ne rien faire en ce qui concerne les périodes postérieures à septembre 2001. Il était entièrement raisonnable de sa part de croire qu’elle avait démissionné de son poste d’administratrice en septembre 2001 et même cessé d’être, juridiquement, des pouvoirs assortis à cette fonction ou à quelque autre rôle qui lui aurait permis d’inciter la société à remettre à l’ARC les sommes qu’elle lui devait.

Mme Gariepy

[33]        Le cas de Mme Gariepy diffère quelque peu puisqu’il ne ressort pas des éléments de preuve qu’elle savait que la démission communiquée de vive voix à son mari avait été transmise à Gowlings, ni qu’elle avait fait une demande en ce sens. Au contraire, selon la version des événements donnée par les Gariepy, ils se seraient plutôt adressés à un autre avocat, Me Paul Caroline, quelques mois plus tard, afin qu’il rédige un document officiel constatant la seule démission de Mme Gariepy. Vu les éléments de preuve dont je suis saisi, je ne puis conclure qu’un tel document ait été demandé ou rédigé avant la remise à l’ARC, plusieurs années plus tard, du registre des procès‑verbaux de la société que Gowlings avait rendu à M. Gariepy et qui contenait la présumée démission [traduction] «  reconstituée » de Donna Gariepy.

[34]        Il est possible que M. Gariepy n’ait ni rédigé, ni signé ni même vu la lettre qu’il a adressée à l’ARC pour attester le caractère original, complet et véridique du contenu du registre des procès‑verbaux, sans mentionner le fait que la démission de Mme Gariepy était la reconstitution d’un document perdu. Il se peut que ce soit Me Caroline qui a rédigé et signé cette lettre – ou qui l’a rédigée en l’envoyant sans signature. Il se peut qu’il en soit de même en ce qui concerne la lettre envoyée par Mme Gariepy, en sa qualité d’administratrice, à Gowlings pour que le cabinet remettre le registre des procès‑verbaux de la société à M. Gariepy.

[35]        Aux dires de tous, Me Caroline est un indésirable qui a contribué à l’échec de la société 105. D’après leurs témoignages, les Chriss et les Gariepy s’entendent tous pour dire que Me Caroline était un individu peu scrupuleux. De fait, il a purgé une peine d’emprisonnement pour des déclarations de culpabilité remontant à la période pertinente. Toutefois, à l’époque, il demeurait un ami de Derek Gariepy et était toujours au service de la société 105, au sein de laquelle il occupait un poste clé. En outre, peu après la fin de la période de non‑versement, M. Gariepy et Me Caroline ont transféré le reste des avoirs de la société 105 à une nouvelle entreprise appartenant à Me Caroline et dont M. Gariepy était le principal employé et exploitant, alors que George Chriss ne s’y est vu offrir aucun rôle ou possibilité de participation.

[36]        À l’issue d’une expertise commandée par l’intimée en vue de dater avec plus de précision la démission de 2001 signée par Mme Gariepy, cette dernière a reconnu que le document ne portait pas la date à laquelle il avait été signé, mais qu’il avait été reconstitué afin de refléter au mieux les souvenirs des Gariepy ou de Paul Caroline quant au document qui aurait été rédigé en 2001 pour constater la démission de Mme Gariepy en réponse à la demande adressée par M. Gariepy à Me Caroline, puis qui aurait été remis par Me Caroline à M. Gariepy et signé par Mme Gariepy. Je signale au passage que la société 105 exploitait une entreprise spécialisée en technologie, mais que personne n’a semblé en mesure de retrouver la version électronique antérieure du document pour pouvoir procéder à sa réimpression. Je conclus qu’il y a trop peu d’éléments de preuve crédibles pour conclure que le document antérieur évoqué a bel et bien été demandé, rédigé ou signé. Je conclus également que l’on a remis la démission [traduction] « reconstituée » de Donna Gariepy à l’ARC en taisant le fait qu’il s’agissait d’un document antidaté ou reconstitué dans l’intention de tromper le fisc.

[37]        Les voies distinctes empruntées par les Gariepy et les Chriss ont la conséquence suivante : si les démissions de 2001 établies par Gowlings n’étaient pas jugées valides, il n’était pas raisonnable de la part de Mme Gariepy de penser qu’elle avait cessé d’occuper les fonctions d’administratrice. Les éléments de preuve ne permettent pas de conclure qu’à un moment ou  l’autre au cours de la période pertinente, elle a été informée ou était par ailleurs au courant du fait que George Chriss avait été prié de joindre Gowlings ou l’avait effectivement joint pour aviser le cabinet des démissions, ni de conclure qu’elle a fait une demande en ce sens. Il y a tout simplement trop peu d’éléments de preuve allant dans le sens de cette conclusion. Si les Gariepy avaient été au courant, il est difficile de comprendre pourquoi ils se seraient rendus chez un autre avocat – fût‑ce un ami, un collègue ou un bailleur de fonds – pour faire rédiger la démission de Donna Gariepy. Le fait qu’ils aient demandé de constater uniquement la démission de Mme Gariepy et non celle de Mme Chriss m’incite à conclure qu’ils ne se sont pas enquis auprès de George Chriss de l’état d’avancement des documents dont la rédaction avait été confiée à Gowlings ou qu’ils avaient tout simplement renoncé à l’idée que Gowlings mènerait la tâche à bon terme. S’ils avaient effectué un tel suivi, il serait très difficile de comprendre pour quelle raison valable les Gariepy n’ont pas aussi demandé la rédaction de la démission de Mme Chriss.

[38]        Compte tenu des mesures différentes prises par les Gariepy, il m’est impossible de conclure qu’il était raisonnable, de la part de Mme Gariepy, de croire qu’elle avait respecté toutes les conditions nécessaires à sa démission. Pour cette raison, comme elle ne s’est pas préoccupée du fait que la société ne s’était pas acquittée de ses obligations fiscales en matière de versement d’impôts après septembre 2001, on ne peut pas conclure qu’elle a fait preuve du degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

Perte de contrôle de la société au profit de Paul Caroline

[39]        Également à titre subsidiaire, Mmes Chriss et Gariepy ont soutenu que, même si on devait conclure qu’elles ont continué d’exercer les fonctions d’administratrices pendant toute la période où la société 105 a manqué à ses obligations de versement, il était raisonnable qu’elles ne fassent rien qui démontre qu’elles se préoccupaient des obligations fiscales ou des autres affaires de la société après que Paul Caroline eut commencé à exercer un contrôle de fait sur toutes les affaires de la société, ce qui les a privées de tous leurs pouvoirs d’administratrices. À mon sens, cette thèse n’est pas convaincante, qu’on l’applique à l’une ou l’autre d’entre elles. Me Caroline a été en mesure d’exercer une telle influence au sein de la société parce que les maris des appelantes l’ont choisi comme bailleur de fonds, et à l’occasion comme avocat de la société, en plus de le faire travailler pour elle. Le contrôle qu’il a exercé sur le choix des factures à acquitter découlait de son statut de fournisseur auprès de la société et de son besoin d’être payé pour maintenir l’entreprise en activité. Le défaut de la société d’effectuer les versements fiscaux est la conséquence du fait qu’elle a accordé la préférence à son bailleur de fonds, Me Caroline, et qu’elle l’a autorisé à se payer de crainte qu’il ne rappelle son prêt et cesse de financer l’entreprise. Même s’il s’agit d’un individu peu scrupuleux ou d’un fraudeur, le prêteur à qui on accorde des moyens d’agir en échange de fonds destinés à financer une entreprise n’en demeure pas moins un fournisseur et un créancier comme les autres, que la société choisit de payer avant de payer les autres fournisseurs de stocks et d’autres intrants nécessaires au maintien en activité de l’entreprise, et ce, à même les sommes qu’elle devrait normalement remettre au fisc. Je ne saurais dire que ce genre de thèse fondée sur les impératifs d’ordre économique ou sur le contrôle puisse suffire à affirmer que les administrateurs et dirigeants se sont retrouvés privés de tous pouvoirs relativement aux affaires de la société et à la gestion de l’entreprise et de sa trésorerie.

[40]        Dans l’éventualité où je conclurais à tort que les démissions établies par Gowlings en septembre 2001 étaient valides, je conclus que Mmes Chriss et Gariepy n’ont pas été évincées du contrôle de la société en dépit de leur statut d’administratrices et que Me Caroline ne leur a pas retiré leurs pouvoirs. Elles n’ont jamais eu l’intention d’exercer leurs pouvoirs d’administratrices de la société, pas même au cours des deux premières années, alors qu’elles se savaient administratrices. Elles ont toujours choisi de s’en abstenir, laissant leurs maris veiller à l’exploitation de l’entreprise avec le concours des employés, investisseurs et conseillers externes retenus par ces deux messieurs.

[41]        Je signerai les jugements accueillant les appels pour les motifs exposés précédemment, à savoir que les démissions établies en septembre 2001 par Gowlings étaient déjà valides plus de deux ans avant l’établissement des cotisations dont il est fait appel. Toutefois, j’aimerais d’abord que les parties me fassent part de leurs observations quant aux dépens de manière à ce que je puisse également inclure dans ces jugements une décision motivée sur cette question. Permettez‑moi de préciser que, même si les appelantes ont obtenu gain de cause, je ne prévois pas l’adjudication des dépens en leur faveur. J’aimerais que les avocats me présentent leurs observations, verbalement ou par écrit, suivant leur préférence, quant au montant des dépens que chacune des appelantes devrait être tenue de verser à l’intimée, le cas échéant. Je suis très préoccupé par le fait que les appelantes ont consacré beaucoup de temps pour être à même de présenter des éléments de preuve à l’appui d’autres démissions qu’elles se rappellent avoir signées – et qui n’étaient pas les mêmes pour chaque appelante – que ces éléments de preuve représentaient un embrouillamini constitué, au mieux, de vœux pieux, et qu’ils se sont, en définitive, révélés en grande partie fantaisistes, fabriqués ou faux. Je suis encore plus préoccupé par la démission « reconstituée » des Gariepy, pour ce qu’elle révèle de leur conduite antérieure au procès et du caractère très troublant de leurs témoignages. Je demande aux avocats de m’informer de leurs préférences et de leurs disponibilités ou de leur emploi du temps pour la présentation de leurs observations sur la question des dépens dans les quinze jours suivant la date du présent jugement.

          Signé à Hamilton (Ontario), ce 19e jour d’août 2014.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de février 2015.

 

 

François Brunet, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 254

NOS DES DOSSIERS

DE LA COUR :                                 2010‑698(IT)G; 2010‑863(IT)G

INTITULÉ :                                      DONNA ELIZABETH GARIEPY ET S.M.R.; SALLY ANNE CHRISS ET S.M.R.

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 25, 26, 27 et 28 février, 1er mars et 5, 6 et 7 juin 2013, les 3 et 4 mars 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Patrick Boyle

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 août 2014

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante,

Donna Elizabeth Gariepy :

Avocats de l’appelante, Sally Anne Chriss :

Me Roger Taylor

Me Brian Studniberg

Me Howard F. Manis

Me Lauren Kenley

Avocat de l’intimée :

Me Andrew Miller

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante, Donna Elizabeth Gariepy :

                          Nom :                     Roger Taylor et Brian Studniberg

                          Cabinet :                 Couzin Taylor s.r.l., S.E.N.C.R.L.

                                                          222, rue Bay, Toronto (Ontario)  M5K 1H1

Pour l’appelante, Sally Anne Chriss :

                       Nom :                        Howard F. Manis et Lauren Kenley

                          Cabinet :                 Macdonald Sager Manis LLP

                                                          150, rue York, bureau 800,

                                                          Toronto (Ontario)  M5H 3S5

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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