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Dossier : 2012-2498(IT)G

 

ENTRE :

0742443 B.C. LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appels entendus les 18 et 19 septembre 2014, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me John Sorensen, Me Gary Edwards

Avocat de l'intimée :

Me Amit Ummat

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l'encontre des nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2006, 2007, 2008 et 2009 sont rejetés.

 

          Les dépens sont adjugés à l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8jour d'octobre 2014.

 

 

« Campbell J. Miller »

Le juge C. Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de janvier 2015.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 301

Date : 20141008

Dossier : 2012-2498(IT)G

 

ENTRE :

0742443 B.C. LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge C. Miller

 

[1]             La société 0742443 B.C. Ltd., anciennement R‑Xtra Storage Centre Ltd. (la société « R‑Xtra »), exploitait une entreprise de 2006 à 2009, principalement grâce aux efforts de son propriétaire, M. David Claeys. L'intimée a établi une cotisation à l'égard de la société R‑Xtra en tenant compte du fait qu'elle exploitait une entreprise de placement déterminée, étant donné que son but principal consistait à tirer un revenu de biens (paragraphe 125(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »)) en exploitant une entreprise d'entreposage en libre‑service. L'intimée a par conséquent refusé à la société R‑Xtra la demande de déduction accordée aux petites entreprises. M. Claeys soutient que la société R‑Xtra exploitait activement une entreprise en fournissant un ensemble de services et non simplement un espace d'entreposage, et qu'elle n'était donc pas visée par la définition de l'expression « entreprise de placement déterminée ».

 

Les faits

 

[2]             Monsieur Claeys était le seul témoin pour la société R‑Xtra. Il a décrit en détail ses antécédents professionnels ayant mené à la création de l'entreprise d'entreposage à Vernon, en Colombie‑Britannique, au printemps de 2004. À 19 ans, il avait pris en charge la ferme familiale située au Manitoba; à 24 ans, il avait créé une entreprise de semences; à 26 ans, il avait créé une entreprise d'emballage personnalisé par machine et, plus tard, une entreprise de brise‑vent portables. Il était évident qu'il était passionné par les affaires et qu'il fournissait toujours des efforts supplémentaires dans ses activités.

 

[3]             Lorsqu'une occasion s'était présentée d'étudier la possibilité de créer une entreprise d'entreposage dans la région de l'Okanagan en 2003, M. Claeys était enthousiaste. Il est tombé amoureux de l'Okanagan et a décidé de vendre les entreprises du Manitoba et d'installer sa famille à Vernon. Il a créé une entreprise avec deux associés, mais, en 2006, l'entreprise a été intégrée à la société R‑Xtra.

 

[4]             Plusieurs bâtiments d'entreposage ont été construits sur le terrain de six acres, et chaque bâtiment possédait des locaux d'entreposage de diverses dimensions. Il y avait également un grand espace pour conserver des bateaux et d'autres véhicules à l'extérieur. Le tarif de location de la société R‑Xtra mentionnait le loyer (et le tarif utilisait le terme « loyer »), qui variait en fonction de la taille du local et du fait que le local était chauffé ou non. Le tarif de location était moins élevé pour l'entreposage à l'extérieur que pour l'entreposage dans les locaux.

 

[5]             À part M. Claeys, il n'y avait qu'une seule autre employée, qui vivait en fait sur place avec son époux au‑dessus du bureau situé sur le terrain.

 

[6]             Selon M. Claeys, il était important d'aider les gens lors du déménagement plutôt que de se contenter de leur offrir un espace d'entreposage. Les clients de la société R‑Xtra étaient aussi bien des entreprises que des particuliers.

 

[7]             Avant de parler précisément des nombreux services offerts par la société R‑Xtra, M. Claeys a donné des exemples de la manière dont il fournissait des efforts supplémentaires pour aider ses clients :

 

Particuliers

 

-                     Il avait conduit un client du centre d'entreposage à un hôtel et avait obtenu un bon prix pour lui à l'hôtel.

 

-                     Il avait apporté un véhicule à un client.

 

-                     Il avait aidé une jeune mère aux prises avec des problèmes familiaux à charger ses effets personnels et à les apporter au lieu d'entreposage.

 

Entreprises

 

-                     Frito‑Lay avait besoin qu'on déneige immédiatement afin de veiller à une livraison rapide de ses produits et exigeait un niveau de sécurité élevé.

 

-                     M. Claeys acceptait la livraison de colis pour ses clients au centre d'entreposage.

 

[8]             Monsieur Claeys a affirmé catégoriquement que son modèle d'entreprise ne consistait pas simplement à louer de l'espace, mais qu'il offrait aussi des services de grande qualité pour aider ses clients particuliers relativement à leur déménagement ou ses clients commerciaux à l'égard de certaines exigences liées à leurs activités. Il ne facturait aucuns frais supplémentaires pour de tels services : tout était inclus dans les taux figurant au tarif de location.

 

[9]             Monsieur Claeys a passé en revue avec moi tous les services que la société R‑Xtra fournissait, tels qu'ils ont été énumérés dans son avis d'appel :

 

a)       Avoir un employé à temps plein sur place de 9 h à 17 h, du lundi au samedi, chaque semaine.

 

Il s'agit de la gérante qui vivait sur les lieux, bien que M. Claeys ait clairement déclaré que, dans son rôle, il était joignable 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Le numéro de son téléphone portable figurait sur sa carte de visite.

 

b)      Permettre un accès au personnel de garde 24 heures par jour, 7 jours par semaine.

 

Même si l'accès était généralement de 7 h à 21 h, les entreprises pouvaient avoir accès à tout moment en composant le code d'entrée dans le système électronique de sécurité.

 

c)       Livrer des boîtes d'entreposage réutilisables aux clients et ramasser et entreposer les boîtes une fois que le client a terminé de les remplir.

 

M. Claeys a aussi mentionné qu'il avait essayé des boîtes de différentes dimensions, mais que certaines étaient trop petites et ne convenaient pas.

 

d)      Transporter les biens des clients aux locaux d'entreposage et les en retirer, et prendre des dispositions nécessaires concernant les déménageurs, selon les besoins.

 

C'était M. Claeys qui se chargeait de chercher de l'aide auprès de déménageurs, sans demander de frais supplémentaires.

 

e)       Mettre les biens des clients sur des palettes pour expédition.

 

M. Claeys a donné l'exemple d'un client en provenance du Royaume‑Uni, qui n'était à Vernon que pour quelques années. M. Claeys l'a aidé à expédier ses effets personnels à l'étranger en les mettant sur des palettes et en les emballant à l'aide d'une pellicule moulante lorsque cela était nécessaire. Il a facturé un petit montant de frais supplémentaires pour ce dernier service.

 

f)       Donner accès à des véhicules pour des clients qui procèdent eux‑mêmes au déménagement, sans coût supplémentaire.

 

M. Claeys permettait à ses clients d'utiliser sa camionnette d'une demi‑tonne, ou, si elle n'était pas suffisamment grande, il louait un camion aux frais de la société R‑Xtra. Le client ne prenait en charge que les frais de carburant.

 

g)       Recevoir des envois apportés par des services de messagerie pour le compte de clients.

 

Certaines entreprises qui avaient besoin d'un espace d'entreposage utilisaient aussi le centre d'entreposage pour recevoir des colis. M. Claeys a donné l'exemple d'un client qui avait reçu des tonnes de palettes de produits en provenance de la Chine pour lesquels il avait dû utiliser son chargeur à direction à glissement (c'est comme un lève‑palette) pour les entreposer.

 

h)      Construire des étagères dans les locaux des clients.

 

Si un client avait besoin de plus d'espace pour une plus longue période, M. Claeys construisait des étagères, à ses frais, pour répondre à l'exigence supplémentaire.

 

i)       Offrir un service de navette aux clients qui déposaient des véhicules automobiles pour entreposage.

 

j)       Transporter des bateaux au centre d'entreposage ou les en retirer.

 

k)      Prendre les dispositions nécessaires pour préparer les bateaux entreposés pour l'hiver.

 

l)       Construire des structures couvertes de bâches pour des bateaux entreposés à l'extérieur.

 

Il s'agissait d'une solution à court terme, étant donné que M. Claeys s'était finalement organisé pour que les bateaux fassent l'objet d'un emballage par pellicule moulante.

 

m)     Préparer les bateaux entreposés pour qu'ils servent de nouveau.

 

M. Claeys déposait les bateaux des clients à Valley Marine pour que les travaux nécessaires soient effectués et les récupérait plus tard. Le client payait Valley Marine pour les travaux. Par la suite, M. Claeys faisait venir un mécanicien de bateau au centre d'entreposage.

 

n)      Procéder à un déneigement immédiat à l'installation afin que les clients puissent y avoir accès ainsi que pour les véhicules récréatifs et les remorques entreposés à l'extérieur pendant l'hiver.

 

M. Claeys a expliqué qu'il y avait des clients qui gardaient leurs remorques de travail au centre d'entreposage et qui en avaient besoin au quotidien. Il fallait donc enlever la neige immédiatement.

 

o)      Fournir 8 000 pieds carrés d'espace d'entreposage chauffé.

 

M. Claeys a témoigné que les clients ne pouvaient trouver nulle part ailleurs à Vernon un espace d'entreposage chauffé.

 

p)      Fournir pour usage ou achat des contenants réutilisables pour entreposage.

 

Ce point semble être une répétition du point c) susmentionné par M. Claeys.

 

q)      Donner et remplacer des clés.

 

M. Claeys a laissé entendre que, selon la pratique courante dans l'industrie, les clients fournissaient leurs propres cadenas et leurs propres clés. La société R‑Xtra les fournissait.

 

r)       Donner des codes d'entrée pour les systèmes de sécurité.

 

M. Claeys croyait qu'il avait un système de sécurité supérieur à celui de ses concurrents, étant donné que les clients recevaient un numéro d'identification personnel permettant d'ouvrir les barrières et de désarmer le système d'alarme du local précis du client. Le système permettait de savoir qui entrait dans un local précis et à quel moment. Les données ainsi enregistrées pouvaient être utiles à certaines entreprises.

 

s)       Nettoyage et entretien.

 

M. Claeys a précisé que les locaux étaient nettoyés et désinfectés lorsqu'ils étaient libérés.

 

t)       Recommander des entreprises de déménagement dignes de confiance et d'autres fournisseurs de services locaux.

 

S'il y avait une nouvelle personne dans la région, M. Claeys lui donnait des conseils concernant les écoles de Vernon, les programmes de sport, etc., et la mettait éventuellement en contact avec des courtiers en immeubles. M. Claeys s'est présenté comme étant une personne qui fournissait des services permettant de réduire le stress.

 

u)      Surveiller constamment toutes les installations pour des raisons de sécurité et de fiabilité.

 

M. Claeys a insisté sur le fait qu'aucune autre installation d'entreposage n'était aussi étroitement surveillée et aussi sécuritaire que celle de la société R‑Xtra.

 

[10]        Les services susmentionnés étaient tous inclus dans le tarif de location publié de la société R‑Xtra, et les rares frais supplémentaires étaient consignés sur la facture. M. Claeys n'a pas fourni d'exemples de factures que la société R‑Xtra utilisait. M. Claeys pense que c'est en raison des services supplémentaires offerts qu'il avait des taux d'occupation élevés. Il n'a pas pu présenter de répartition en pourcentage démontrant les paiements faits pour ces services par rapport aux paiements faits pour l'entreposage. Il a insisté sur le fait qu'il offrait un ensemble complet de services, l'entreposage n'en étant qu'une partie.

 

[11]        Étant donné que les arguments des avocats de l'appelante sont en grande partie fondés sur le fait que les hypothèses formulées par l'intimée étaient fondamentalement erronées, je reproduis ces hypothèses ci‑après :

 

[TRADUCTION]

 

8.         Pour établir la dette fiscale de l'appelante pour les années d'imposition 2006, 2007, 2008 et 2009, le ministre a formulé les hypothèses de fait suivantes :

 

a)         pendant toute la période pertinente, l'appelante exploitait une entreprise de location d'espace pour entreposage en libre‑service;

 

b)         pendant toute la période pertinente, l'activité principale de l'entreprise de l'appelante consistait en la location de locaux pour entreposage en libre‑service à des clients sur une base mensuelle;

 

c)         pendant toute la période pertinente, l'appelante possédait un grand bâtiment d'entreposage et le terrain sur lequel il était construit;

 

d)         pendant toute la période pertinente, les locaux pour entreposage en libre‑service étaient situés à l'intérieur du grand bâtiment d'entreposage;

 

e)         pendant toute la période pertinente, la valeur du grand bâtiment d'entreposage et du terrain sur lequel il était situé représentait plus de 90 % du total des actifs de l'appelante;

 

f)         pendant toute la période pertinente, plus de 90 % du revenu de l'appelante provenait des loyers générés par la location des locaux pour entreposage en libre‑service;

 

g)         pendant toute la période pertinente, tout service fourni par l'entreprise de l'appelante avait pour but de tirer des revenus de loyers de la location des locaux pour entreposage en libre‑service;

 

h)         pendant toute la période pertinente, l'appelante n'a eu à son service qu'un seul employé à temps plein.

 

Question en litige

 

[12]        La société R‑Xtra a-t-elle droit à la déduction accordée aux petites entreprises? Pour répondre à cette question, je dois trancher la question de savoir si la société R‑Xtra est une entreprise de placement déterminée. Dans l'affirmative, la société R‑Xtra n'a pas droit à la déduction accordée aux petites entreprises.

 

[13]        La question de savoir si la société R‑Xtra est une entreprise de placement déterminée dépend de la question de savoir si le but principal de la société R‑Xtra consistait à tirer un revenu de biens, en l'espèce le loyer. Les avocats de l'appelante soutiennent que, si je conclus à l'existence d'une ambiguïté dans les faits ou dans le droit, l'appelante devrait quand même avoir gain de cause pour trois raisons (je citerai les observations écrites de Me Sorensen) :

 

[TRADUCTION]

 

102.     [...] Si la Cour conclut à l'existence d'une ambiguïté dans les faits ou dans le droit, ce qui ne devrait pas être le cas à notre avis, l'appelante est néanmoins fondée à obtenir gain de cause pour trois raisons. Premièrement, le principe résiduel énoncé dans l'arrêt Johns‑Manville appuie la conclusion selon laquelle si, après avoir eu recours à tous les outils habituels d'interprétation, le résultat de l'exercice n'est pas clair, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause. Deuxièmement, la déduction accordée aux petites entreprises est un incitatif fiscal et une concession, qui devrait être interprétée d'une manière libérale et accordée à des personnes qui exploitent de petites entreprises, conformément à son but et à son objet. Troisièmement, la conduite du ministre en l'espèce était étonnamment répréhensible et ne devrait pas constituer un fondement permettant à la Couronne d'avoir gain de cause.

 

Analyse

 

[14]        La déduction accordée aux petites entreprises s'applique au revenu gagné par une entreprise exploitée activement. L'expression « entreprise exploitée activement » est définie au paragraphe 125(7) de la Loi comme étant «[t]oute entreprise exploitée par une société, autre qu'une entreprise de placement déterminée [...] ». L'expression « entreprise de placement déterminée » est définie à cette même disposition comme étant une « [e]ntreprise [...] dont le but principal est de tirer un revenu de biens, notamment des intérêts, des dividendes, des loyers et des redevances [...] ». Y a‑t‑il une quelconque ambiguïté lorsque l'on applique l'expression « le but principal est de tirer un revenu de biens » aux faits dont je suis saisi, surtout si la définition elle‑même désigne le loyer comme un des types de revenus tirés de biens? Pour que les choses soient bien claires, la question n'est pas de savoir si la société R‑Xtra exploitait une entreprise. La question est de savoir en quoi consistait le but principal de cette entreprise. L'intimée affirme qu'il s'agissait de tirer des revenus de location, et que le fait de fournir quelques services accessoires ne porte pas atteinte à ce but. L'appelante soutient que le but principal de l'entreprise était de tirer un revenu en offrant un ensemble de services qui, pris ensemble, ne permettent pas de tirer un revenu de biens sous la forme de loyers : l'appelante établit une analogie entre sa société et l'industrie hôtelière.

 

[15]        Avant d'examiner la question de savoir s'il y a une ambiguïté en ce qui concerne ce que l'on entend par l'expression le « but principal est de tirer un revenu de biens », il faut traiter la question de la nature, ou de la qualification juridique, du revenu gagné par la société R‑Xtra. La juge Sharlow a ainsi formulé la question dans l'arrêt Weaver c. Canada[1] :

 

25.       La définition d'« entreprise de placement déterminée » ne porte pas sur la nature générale de l'entreprise d'une société, ni sur le niveau de l'activité ou de la passivité effectivement requise par cette entreprise. Elle porte plutôt sur la qualification juridique du revenu que l'entreprise est supposée tirer principalement. Si, à la date pertinente, ce revenu est qualifié juridiquement « de location », par exemple, alors l'entreprise répond à la définition, à moins que l'une des exceptions prévues par la loi ne s'applique (aucune de ces exceptions n'est pertinente en l'espèce).

 

[16]        L'appelante laisse entendre que le fait qu'elle se soit présentée, familièrement, selon ses avocats, comme une entreprise d'entreposage, et aussi le fait que le tarif qualifie les frais de loyer, n'est pas déterminant. L'appelante soutient que les désignations peuvent être utiles, mais que l'intention de l'appelante est plus déterminante. Pourtant, en toute déférence, je suis d'avis que les caractéristiques ou les désignations réelles de l'entreprise sont instructives quant à l'intention. Oui, M. Claeys a campé sur sa position selon laquelle son modèle d'entreprise consistait à fournir un ensemble de services à ses clients; pourtant, il n'a produit rien de concret, par exemple une publicité ou une facture, pour étayer son argument.

 

[17]        L'appelante a reconnu ce qui suit dans ses observations écrites :

 

[TRADUCTION]

 

67.       À notre avis, l'ensemble des services que l'appelante a fournis à ses clients est inextricablement lié à l'accès du client aux locaux d'entreposage en libre‑service. Il ne serait pas possible de séparer les services offerts par l'appelante de l'accès aux locaux d'entreposage en libre‑service qu'elle donne aux clients. Autrement dit, l'appelante ne s'est pas livrée à des activités distinctes consistant à : prendre des dispositions pour le déménagement des biens, louer ou emprunter des véhicules de déménagement, servir d'intermédiaire pour des colis d'entreprises de messagerie, installer des étagères, conduire des personnes dans Vernon, en C.‑B., préparer des bateaux pour l'hiver, construire des structures autour des bateaux, préparer des bateaux pour qu'ils soient utilisés, enlever la neige ou fournir des services de sécurité. Au contraire, l'appelante fournissait ces services et de nombreux autres qui concernaient tous l'entreposage des biens des clients et qui étaient nécessairement liés d'une manière inextricable à l'accès et à l'utilisation de locaux d'entreposage.

 

[18]        L'appelante semble soutenir qu'il n'est pas nécessaire de traiter le critère du but principal, étant donné qu'en l'espèce, le revenu n'est tout simplement pas un loyer. Pourtant, je considère qu'il s'agit là d'une confirmation qu'il n'y avait qu'une seule entreprise. Si l'on retirait les locaux d'entreposage, il n'y aurait plus d'entreprise, alors qu'on pourrait supprimer bon nombre des autres services et l'entreprise d'entreposage subsisterait. Le revenu tiré du fait d'offrir un service d'entreposage moyennant une contrepartie constitue un revenu provenant d'un bien, indépendamment de la qualification que l'on donne au revenu. La fourniture de services, telle qu'elle a été décrite par M. Claeys, modifie‑t‑elle la nature du revenu en question pour en faire autre chose qu'un loyer? J'examinerai ces services plus en détail, des services que l'appelante reconnaît être inextricablement liés à l'entreposage.

 

[19]        Certains services fournis par la société R‑Xtra ne sont pas simplement liés d'une manière inextricable à la fourniture d'un espace d'entreposage, mais, à mon avis, font partie de l'immeuble : l'espace chauffé, les étagères, les structures pour les bâches et le système de sécurité. En outre, peu importe que le système de sécurité de la société R‑Xtra ait été de faible ou de grande qualité, il faisait toujours partie de l'immeuble et le revenu en découlant est un revenu tiré d'un bien.

 

[20]        En ce qui concerne plusieurs des autres services, je conclus que M. Claeys n'a pas réussi à me convaincre qu'ils étaient effectivement essentiels à ce pour quoi les clients payaient. Prenons par exemple le déneigement. Oui, c'est un service, mais il s'agit d'un service qui permet l'accès à un client qui paie un espace d'entreposage. Le fait d'empêcher un client d'avoir accès à des biens pour la durée d'un hiver canadien parce que la neige n'a pas été enlevée serait une décision d'affaires déraisonnable : ce pour quoi les clients paient et qui fait partie de l'immeuble est l'accès à cet immeuble. M. Claeys avance, toutefois, l'argument selon lequel il donnait un accès immédiat en raison des exigences de certains clients. Il a cité deux exemples; pourtant, il n'y a aucun élément de preuve établissant le nombre de clients qui avaient ces exigences parmi les 400 à 500 clients qu'il y avait, ni d'élément de preuve qui démontre la fréquence à laquelle l'hiver à Vernon était rude au point d'exiger un tel service immédiat. Je n'ai pas été convaincu que le service était autre chose qu'un soutien nécessaire pour tirer un revenu d'un bien. Je ne suis pas non plus convaincu que le déneigement immédiat pour peut‑être une poignée d'entreprises un certain nombre de fois au cours de quelques mois d'un hiver à l'Okanagan constitue un facteur qui porte atteinte à la nature du revenu et en fait autre chose qu'un loyer.

 

[21]        Qu'en est‑il du chargement et du déchargement, du service de navette pour les clients, des conseils donnés sur la situation locale, des dispositions prises pour les déménageurs, du fait de permettre l'accès au véhicule de M. Claeys, etc.? En effet, ces services sont peut‑être offerts en plus et, selon M. Claeys, ils auraient modifié la nature même du revenu. Cela exige effectivement une analyse du but principal.

 

[22]        Qu'entend-on par but principal? Les avocats de l'appelante m'ont renvoyé au bulletin d'interprétation IT‑73R6 en matière d'impôt sur le revenu, bien qu'il soit admis qu'un tel bulletin ne lie pas la Cour. Le bulletin IT‑73R6 énonce en partie ce qui suit :

 

[...] Une société qui exploite un hôtel est généralement considérée comme exploitant une entreprise de prestation de services et non de location de biens immobiliers. Elle est donc, normalement, considérée comme une entreprise exploitée activement plutôt qu'une entreprise de placement déterminée.

 

Pour chaque année, il faut déterminer le but principal de chaque entreprise exploitée par une société, après avoir considéré et analysé tous les faits relatifs à l'entreprise, dont les suivants :

 

a) le but pour lequel l'entreprise a été lancée initialement;

 

b) l'historique et l'évolution de ses activités, y compris les changements apportés à son mode de fonctionnement et à sa raison d'être;

 

c) la manière dont elle est gérée.

 

[23]        Monsieur Sander, le vérificateur de l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC »), a laissé entendre que le terme « principal » signifie « supérieur à 50 % ». La juge Sharlow, dans l'arrêt Weaver, précité, souligne incidemment que le ministre, en règle générale, reconnaît que le terme « principalement » signifie plus de 50 %.

 

[24]        Dans la décision Gill c. M.R.N.[2], le juge Brulé a formulé les observations suivantes :

 

27.       L'expression « but principal » a été examinée dans l'affaire Mayon Investments Inc. et al. v. M.N.R. [1991] 1 C.T.C. 2245, 91 D.T.C. 364, où le juge Brulé, de la C.C.I., a déclaré à la page 369 que, relativement à la définition de l'expression « entreprise de placement désignée », ce que l'on entend par l'expression « [dont] le but principal est de tirer un revenu de biens » est « [l]orsque la source de revenu, la nature des biens détenus et le but de la corporation consistent à tirer un revenu de biens, tel le revenu en intérêts ».

 

28.       Dans l'affaire Ed Sinclair Construction & Supplies Ltd. et al. v. M.N.R., [1992] 1 C.T.C. 2218, 92 D.T.C. 1163, le juge Bowman, de la C.C.I., a examiné le « but principal » dans le contexte d'une « entreprise de placement désignée » relativement à la déduction accordée aux petites entreprises. Le juge a déclaré, à la page 1165, en reprenant un passage de l'affaire Ben Company Limited v. M.N.R., 89 D.T.C. 242, à la page 244 :

 

[TRADUCTION]

 

En déterminant le « but principal » d'une entreprise exploitée par une corporation, l'objectif déclaré de la personne qui l'exploite n'est pas nécessairement le seul ni même le plus important critère. Sont d'importance cruciale ce que la corporation fait effectivement et ce qui constitue ses sources de revenu.

 

[25]        La présente affaire n'est pas très différente de l'affaire Lee c. La Reine[3], dans laquelle l'entreprise en cause consistait à exploiter un parc de maisons mobiles. Dans cette affaire, l'appelant avait fait valoir que le pourcentage des activités était à ce point élevé que l'on ne pouvait pas dire que le but principal de l'entreprise était de tirer un revenu de biens. Le juge Bonner a conclu que l'entreprise était une entreprise de placement déterminée et a formulé les observations suivantes :

 

7.         La cotisation en litige s'appuie sur l'hypothèse selon laquelle l'entreprise de Cassidy était une entreprise de placement déterminée. Les appelants ont fait valoir que le pourcentage de leurs activités se rapportant à l'exploitation de l'entreprise de Cassidy était à ce point élevé que l'on ne pouvait dire que le but principal de l'entreprise était de tirer un revenu de biens, comme le requiert la définition énoncée au paragraphe 125(7).

 

[...]

 

9.         L'entreprise de Cassidy consistait à exploiter un parc de maisons mobiles sur un bien‑fonds dont elle était propriétaire. Le parc comportait 68 emplacements que Cassidy louait à des personnes qui y installaient leurs maisons mobiles. Il ne fait aucun doute, compte tenu des témoignages des appelants et de Rosemary Nicholls et Arthur Gallant, que les locataires étaient attirés par l'excellence du service et de l'entretien, qui les incitait ensuite à rester. Néanmoins, le but de l'activité productrice de revenu de Cassidy était manifestement d'obtenir un revenu locatif des personnes qui occupaient les emplacements en vertu de baux de la nature de ceux qui ont été produits en preuve. Les montants que les locataires payaient et que Cassidy touchait étaient qualifiés à juste titre de « loyer » dans les baux. Cassidy n'avait aucune autre source de revenu importante.

 

[26]        L'avocat de l'appelante, Me Sorensen, a demandé au vérificateur de l'ARC de préciser la signification du terme « principal », soit 50 % plus un, et a exprimé certaines préoccupations selon lesquelles l'intimée n'avait pas antérieurement transmis ces renseignements à l'appelante. Est‑il vraiment possible de déterminer le degré de l'activité d'une nature aussi nébuleuse que celle décrite par M. Claeys et de lui attribuer des points de pourcentages exacts : 50 plutôt que 49? Cela doit‑il être fait selon une consignation d'heures rigoureusement exacte? Ce n'est pas le cas en l'espèce. Doit‑on effectuer une ventilation des frais, à supposer même que les factures fassent état d'une telle ventilation? Ce n'est pas le cas en l'espèce. Non, il ne nous reste que le terme « principal », et peu importe qu'il soit remplacé par les termes « prédominant » ou « primordial » ou « 51 % »; cela revient à une évaluation objective de ce qui était visé par le paiement effectué par le payeur.

 

[27]        L'appelante soutient qu'il n'y a pas de différence entre un client qui paye pour des services offerts par la société R‑Xtra, y compris l'utilisation de l'espace d'entreposage, et le client d'un motel qui paye une chambre, avec tous les services que cela comporte. Il existe, à mon humble avis, des différences. Même un motel n'ayant que trois ou quatre employés fournirait les services suivants :

 

-                     Une chambre entièrement meublée;

-                     Un ensemble complet de draps, renouvelé quotidiennement;

-                     Des services de nettoyage quotidiens pour la chambre;

-                     De l'électricité;

-                     De l'eau courante;

-                     Un accès sans fil ou un accès à l'Internet;

-                     Un téléphone;

-                     Une télévision, y compris le câble et des chaînes pour films;

-                     L'utilisation d'articles supplémentaires tels qu'un sèche‑cheveux, une cafetière, un chargeur pour téléphone, un fer à repasser, etc.

-                     Un stationnement ou un service voiturier.

 

De nombreux hôtels ou motels pourraient aussi offrir ce qui suit :

 

-                     Certains accessoires de cuisine et appareils électroménagers, allant d'un réfrigérateur ou un four à micro‑ondes à une cuisinette;

-                     Des services de concierge à divers degrés;

-                     L'accès à des agréments supplémentaires tels qu'un gymnase, une piscine, un spa, une salle de conférence, etc.

-                     Un service en chambre à divers degrés;

-                     Certains services de restauration, allant d'un petit déjeuner continental à un restaurant sur place;

-                     Un service de navette.

 

[28]        Ce qui est important, c'est que l'ensemble des services d'un hôtel et d'un motel est utilisé par tous les clients. Il n'en est pas de même des services de la société R‑Xtra. Chaque client de l'hôtel s'attend à avoir accès à un ensemble de services hôteliers en plus d'une chambre meublée. On ne m'a pas convaincu que chaque client qui cherche un espace d'entreposage s'attend à davantage qu'à l'espace proprement dit et qu'il s'attend à un ensemble de services équivalents à ceux liés à un hébergement à l'hôtel.

 

[29]        Il existe un seuil où la fourniture de services l'emporte sur la fourniture de biens. L'ARC a pris une décision administrative selon laquelle l'hébergement à l'hôtel ou au motel franchit ce seuil. Je conclus que la société R‑Xtra ne franchit pas ce seuil : quelques services offerts à quelques clients ne changent pas le caractère intrinsèque d'un revenu tiré de biens.

 

[30]        En résumé, tous les clients de la société R‑Xtra achetaient de l'espace pour entreposage : c'est ce à quoi visait le paiement qu'ils effectuaient. M. Claeys a fourni des services auxquels s'attendrait toute personne qui obtenait un espace d'entreposage. Toutefois, il a effectivement redoublé d'efforts et a fourni des services supplémentaires, bien qu'il n'ait pas produit suffisamment d'éléments de preuve permettant d'établir d'une manière ou d'une autre le degré auquel un tel service à la clientèle a été offert. Tous les clients n'ont pas par exemple bénéficié du chargement, du déchargement, d'un service de navette ou de conseils pour la réinstallation. Chaque client recevait un espace d'entreposage de haute qualité. La société R‑Xtra exploitait une entreprise dont le but principal était de tirer un revenu de la location d'espace d'entreposage, et cela constitue un revenu de biens.

 

[31]        Étant donné que je n'ai trouvé aucune ambiguïté dans la loi, telle qu'elle a été appliquée aux faits dont je suis saisi, et que j'ai conclu que la société R‑Xtra est manifestement une entreprise de placement déterminée, il n'est pas nécessaire que je me penche sur les arguments subsidiaires de l'appelante, mais j'aimerais quand même formuler quelques observations en ce qui concerne l'argument selon lequel une réponse à l'avis d'appel censément défectueuse est suffisante pour prononcer une décision favorable à l'appelante. On ne m'a renvoyé à aucune jurisprudence portant directement sur la question. Il existe effectivement des décisions qui laissent croire que des hypothèses ne devraient pas énoncer le droit, mais simplement les faits présumés. Toutefois, mon rôle est de statuer sur l'exactitude d'une cotisation en fonction des éléments de preuve dont je suis saisi. Un appelant a amplement l'occasion, au moyen des actes de procédure, y compris des demandes de précisions, d'un échange de documents et des interrogatoires préalables, de connaître la thèse qu'il doit réfuter. L'appelante avait précédemment présenté une requête en radiation de certaines hypothèses, mais elle a été déboutée. La réponse n'était pas défaillante au point où l'appelante n'était pas au courant des arguments qu'elle devait réfuter : l'appelante connaissait la thèse qu'il fallait réfuter.

 

[32]        Je n'accepte pas la thèse de l'appelante selon laquelle elle a été traitée d'une manière très inéquitable en raison des actes de procédure défectueux et trompeurs de l'intimée. Malheureusement, les actes de procédure sont souvent imparfaits. Ils sont censés établir les paramètres dans lesquels le litige se déroule, mais avec certaines restrictions : le paragraphe 152(9) de la Loi me vient à l'esprit. Si une réponse est défectueuse parce qu'elle énonce le droit comme hypothèse, cela ne me libère pas en quelque sorte de la responsabilité que j'ai d'examiner les éléments de preuve sur lesquels je me fonde pour tirer une conclusion quant au droit. Toutefois, elle permet à l'appelante de se dégager de la responsabilité de devoir démolir cette hypothèse, mais elle ne lui permet pas de simplement se retirer et de ne pas présenter sa thèse. Peut‑être que telle pourrait être une démarche à adopter lorsque les seules hypothèses formulées par l'intimée sont des hypothèses de droit. J'ose espérer que, dans un cas pareil, une réponse manifestement inappropriée ne parviendrait jamais jusqu'à l'audience. Il serait possible de contester la réponse et de demander qu'elle soit modifiée.

 

[33]        Les règles qui régissent les litiges dans notre système contradictoire visent à garantir une lutte équitable à l'audience : aucune surprise, aucun piège, une présentation de faits pertinents qui font l'objet d'un examen et d'un contre‑interrogatoire adéquats ainsi que des arguments raisonnables qui appliquent le droit à ces faits.

 

[34]        En l'espèce, je conclus que, malgré quelques préoccupations concernant certaines hypothèses, la question en litige est claire, les parties savaient ce sur quoi portait l'affaire, la preuve a été administrée comme il faut et il me revient de rendre une décision. Je l'ai rendue. La société R‑Xtra était une entreprise de placement déterminée.

 

[35]        Les appels sont rejetés, les dépens étant adjugés à l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour d'octobre 2014.

 

 

« Campbell J. Miller »

Le juge C. Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de janvier 2015.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 301

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-2498(IT)G

 

INTITULÉ :                                      0742443 B.C. LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Les 18 et 19 septembre 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L'honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 8 octobre 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me John Sorensen

Me Gary Edwards

Avocat de l'intimée :

Me Amit Ummat

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

         

                   Nom :                   John Sorensen, Gary Edwards

                   Cabinet :     Gowling Lafleur Henderson, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

 

          Pour l'intimée :     William F. Pentney

                                       Sous-procureur général du Canada

                                      Ottawa, Canada

 



[1]           2008 CAF 238.

 

[2]           1998 CanLII 201.

 

[3]           1999 CanLII 445.

 

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