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Dossier : 2013-3150(EI)
2013-3151(CPP)


ENTRE :

4453761 MANITOBA LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 10 octobre 2014, à Winnipeg (Manitoba)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

MKenneth Zaifman

Avocat de l’intimé :

MNeil Goodridge

 

ORDONNANCE MODIFIÉE

          VU la requête préliminaire que l’intimé a présentée au début de l’audience pour obtenir une ordonnance annulant les appels au motif que la Cour n’est pas compétente pour entendre ceux‑ci selon le paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi (L.C. 1996, ch. 23) et le paragraphe 28(1) du Régime de pensions du Canada, (L.R.C. 1985, ch. C-8);

          ET VU les documents déposés, les témoignages produits et les observations et les arguments présentés par les parties;

LA COUR ORDONNE PAR CONSÉQUENT CE QUI SUIT :

1.                 La requête est accueillie au motif que la Cour n’est pas compétente pour entendre les appels parce que les avis d’appel n’ont pas été déposés dans les délais prescrits;

2.                 Les appels sont annulés conformément aux motifs de l’ordonnance ci‑joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 31e jour d’octobre 2014.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock


Traduction certifiée conforme

ce 15jour de décembre 2014.

 

M.-C. Gervais

 


Référence : 2014 CCI 321

Date : 20141031

Dossier : 2013-3150(EI)


ENTRE :

4453761 MANITOBA LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

Dossier : 2013-3151(CPP)


ET ENTRE :

4453761 MANITOBA LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE MODIFIÉS

Le juge Bocock

I. Introduction

3.                 Les appels en l’espèce sont interjetés par 4453761 Manitoba Ltd. (« 445 ») à l’encontre de la décision du ministre selon laquelle 445 et un certain Gary Robinson (le « travailleur ») avaient une relation employeur‑employé ou étaient liés par un contrat de louage de services au cours de la période allant du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2010 (la « période »). Tous les jours, le travailleur a fourni certains services à 445 à l’égard d’un immeuble d’habitation résidentiel (l’« immeuble ») en tant que régisseur « hors site », en quelque sorte. Une entente écrite était censée exposer l’intention subjective des parties concernant leur relation. Les rapports entre les parties témoignent de la réalité objective pratique au regard de laquelle cette entente doit être évaluée : 1392644 Ontario Inc., S/N Connor Homes c. Le ministre du Revenu national, 2013 CAF 85, aux paragraphes 39 et 40.

II. La question préliminaire relative à la compétence

4.                 Avant qu’elle ne puisse porter son attention sur l’analyse de cette question, la Cour doit trancher une question de compétence, soit celle de savoir si l’appelante a interjeté les appels contre la décision du ministre dans le délai d’appel que prescrivent la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la « Loi sur l’A.‑E. »), et le Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (le « RPC »). L’intimé demande à la Cour d’annuler les appels au motif qu’elle n’est pas compétente pour les entendre parce qu’ils ont été déposés en dehors des délais prescrits.

a)  Les dispositions législatives

5.                 Les dispositions législatives pertinentes sont libellées ainsi :

a)     Loi sur l’A.‑E.

Appel devant la Cour canadienne de l’impôt

103. (1) La Commission ou une personne que concerne une décision rendue au titre de l’article 91 ou 92, peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de la décision ou dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l’impôt sur demande à elle présentée dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant l’expiration de ces quatre‑vingt‑dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt de la manière prévue par la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et les règles de la cour applicables prises en vertu de cette loi.

[…]

Communication de la décision

(2) La détermination du moment auquel une décision rendue au titre de l’article 91 ou 92 est communiquée à la Commission ou à une personne est faite en conformité avec la règle éventuellement établie en vertu de l’alinéa 20(1.1)h.1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

Notification

93. (1) Le ministre notifie son intention de régler la question à toute personne pouvant être concernée par l’appel ou la révision, ainsi qu’à la Commission en cas de demande introduite en vertu de l’article 91; il leur donne également, selon le besoin, la possibilité de fournir des renseignements et de présenter des observations pour protéger leurs intérêts.

[]

Notification

(4) Lorsqu’il est requis d’aviser une personne qui est ou peut être concernée par un appel ou une révision, le ministre peut faire aviser cette personne de la manière qu’il juge adéquate.

b)    RPC :

Notification

27.2 […]

(3) Le ministre règle la question soulevée par l’appel ou la demande de révision dans les meilleurs délais et notifie le résultat aux intéressés de la manière qu’il juge adéquate.

Appel devant la Cour canadienne de l’impôt

28. (1) La personne visée par la décision du ministre sur l’appel que prévoit les articles 27 ou 27.1, ou son représentant, peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date à laquelle la décision lui est communiquée, ou dans le délai supplémentaire que la Cour canadienne de l’impôt peut accorder sur demande qui lui est présentée dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant l’expiration de ces quatre‑vingt‑dix jours, en appeler de la décision en question auprès de cette Cour en conformité avec la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et les règles de cour applicables prises en vertu de cette loi.

(1.1) Le moment auquel la décision est communiquée à une personne est déterminé en conformité avec la règle éventuellement établie en vertu de l’alinéa 20(1.1)h.1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

c)     Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt (les « Règles »),

Règles

20. (1) […]

(1.1) […]

h.1) la détermination du moment où, pour l’application des paragraphes 28(1) du Régime de pensions du Canada ou 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi, un arrêt, une décision ou un règlement du ministre du Revenu national pris en application des articles 27 du Régime de pensions du Canada ou 93 de la Loi sur l’assurance‑emploi, selon le cas, est communiqué à une personne;

DÉPÔT DE L’AVIS D’APPEL

5. (1) L’appel interjeté à l’égard de la décision que le ministre a rendue à la suite d’un appel est formé dans le délai prévu au paragraphe 103(1) de la Loi, soit dans les 90 jours suivant la communication de la décision ou dans le délai supplémentaire que la Cour peut accorder sur demande à elle présentée dans les 90 jours suivant l’expiration de ces 90 jours

(2) Lorsqu’une décision visée au paragraphe (1) est communiquée par la poste, la date de communication est la date à laquelle la décision a été expédiée par la poste et, en l’absence de toute preuve du contraire, la date d’expédition par la poste est la date figurant dans la décision.

dispositions générales

27. […]

(3) La Cour peut, en tout temps, dispenser de l’observation de toute règle si l’intérêt de la justice l’exige.

DÉPÔT DE L’AVIS D’APPEL

5. (1) L’appel interjeté à l’égard de la décision rendue par le ministre est formé dans le délai prévu au paragraphe 28(1) de la Loi, soit dans les 90 jours qui suivent la date de la communication de la décision, ou dans le délai supplémentaire que la Cour peut accorder sur demande qui lui est présentée dans les 90 jours suivant l’expiration de ces 90 jours. La même règle s’applique à la décision que le ministre rend à l’égard d’un appel.

(2) Si la décision visée au paragraphe (1) est communiquée par la poste, la date de communication est la date d’expédition par la poste, qui, en l’absence de preuve contraire, est la date figurant dans la décision.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

27. […]

(3) La Cour peut, en tout temps, dispenser de l’observation de toute règle si l’intérêt de la justice l’exige.

b)  Les faits

6.                 La société 445 est liée à plusieurs autres sociétés, qui elles aussi sont les propriétaires et exploitantes d’immeubles d’habitation résidentiels à Winnipeg. Le 27 février 2012, en réponse à l’objection administrative de 445 à l’encontre de sa décision initiale concernant l’existence d’un contrat de louage de services ou d’une relation employeur‑employé, la ministre a censément donné avis de sa décision en envoyant l’avis par courrier affranchi de première classe à l’adresse de 445 qui figurait au dossier. La copie de la lettre figurant au dossier de l’ARC, produite à l’audience, indique l’adresse exacte de 445. L’agente des décisions à l’époque, Mme Yu, a témoigné à l’audience sur la procédure en quatre étapes qui est habituellement suivie pour l’envoi par la poste de tels avis : signature, datation et copie; envoi au service de collecte du courrier à expédier; estampillage et affranchissement; dépôt dans les bacs de collecte de Postes Canada, où le courrier à expédier est récupéré par Postes Canada. C’est une copie signée de la lettre de décision elle‑même qui a été conservée au dossier de l’ARC et produite à l’audience.

7.                 En dépit de cette procédure complexe, 445 n’a aucun document indiquant qu’elle a reçu l’original de la lettre de décision datée du 27 février 2012 (la « lettre de décision se rapportant à 445 »). En ce qui concerne 3588883 Manitoba Ltd. (« 358 »), une société liée, une lettre de décision similaire a été postée par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») le 12 mars 2012 (la « lettre de décision se rapportant à 358 »). L’appelante soutient qu’elle n’est jamais parvenue à destination. Lorsque des mesures de recouvrement ont été entreprises contre 358 près d’un an plus tard, un représentant de cette dernière a communiqué avec Mme YU pour l’informer que 358 n’avait reçu aucune lettre l’avisant de la décision. Se fondant sur la procédure habituelle, Mme YU a examiné la copie au dossier de la lettre de décision se rapportant à 358 et conclu que l’adresse qui y figurait était erronée : le code postal était inexact. La ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire et, en raison de l’erreur dans l’adresse, a remis à 358 une nouvelle lettre d’avis de la décision à jour à cette date, à l’adresse corrigée. Lorsqu’elle l'a reçue, 358 a interjeté appel de cette décision.

8.                 Lorsqu’une enquête similaire a été faite en mai 2013 concernant 445, l’ARC a encore une fois examiné le dossier et la copie de la lettre de décision se rapportant à 445.  Bien que l’adresse y figurant n’ait contenu aucune erreur, l’ARC a de nouveau envoyé la copie au dossier de la lettre de décision se rapportant à 445 ainsi qu’une lettre d’accompagnement à laquelle était jointe la lettre datée du 27 février 2012, et identifiant celle‑ci. Contrairement à la lettre de décision se rapportant à 358, celle de 445 n’a pas été mise à jour à l’égard de l’appelante. La requête de l’intimé en vue de faire annuler l’appel est fondée sur l’absence de compétence de la Cour étant donné le libellé clair des diverses dispositions législatives reproduites précédemment, des Règles de la Cour et de la jurisprudence pertinente concernant la réception réputée par un contribuable des lettres d’avis lorsque de telles lettres sont envoyées par la poste par l’ARC.

c)  La jurisprudence

9.                 L’arrêt de principe, bien qu’il ait été rendu sur le fondement de dispositions législatives historiquement analogues, est l’arrêt rendu dans l’affaire Canada v. Vaillancourt, 1992 CarswellNat 1115. Infirmant une décision de la Cour, le juge Marceau, de la Cour d’appel fédérale, a dit ceci au paragraphe 3 de cet arrêt :

Le premier argument du Procureur général est à l’effet que le juge du procès a excédé sa compétence en se prononçant sur le mérite des appels, car ces appels avaient été portés après l’écoulement du délai que le paragraphe 70(1) de la Loi accorde pour ce faire. Il s’agit d’un argument qui nous paraît décisif. Le juge ne pouvait pas ne pas donner effet aux demandes de rejet que le Ministre avait fait valoir. Cette Cour a, en effet, jugé, notamment dans l’affaire Le Procureur général du Canada c. Denyse Blais, (1986), 64 N.R. 378 (CAF), qu’un délai comme celui du paragraphe 70(1) est de rigueur et que la procédure inscrite après son écoulement ne peut qu’être radiée, à moins qu’une prorogation n’ait été préalablement accordée.

10.            L’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Ministre du Revenu national c Quinton, 2001 CAF 195, où le juge Sexton s’est exprimé ainsi pour le compte de la Cour d’appel, est la dernière de cette série d’arrêts :

Bien que nous éprouvions une certaine compassion pour le défendeur et que nous comprenions donc ce qui a poussé le juge de la Cour de l’impôt à rendre la décision qu’il a rendue, nous sommes légalement tenus d’exprimer notre désaccord avec le résultat auquel il est arrivé.

Conjugué à la règle 5(2), le paragraphe 70(1) ne permet pas d’interjeter appel après l’expiration d’un délai de 90 jours suivant la date d’expédition de la lettre de décision ou après l’expiration du délai supplémentaire que peut accorder la Cour de l’impôt sur demande à elle présentée dans ces 90 jours. Aucune demande de ce type n’a été soumise en l’espèce.

Dans la mesure où la lettre de décision est expédiée à la bonne adresse, […]

d) Les thèses des parties

11.            En réponse aux décisions judiciaires susmentionnées, que l’intimé a citées, et bien qu’il n’ait lui‑même cité aucune décision, l’avocat de 445 a affirmé ce qui suit :

a)     l’effet conjugué de l’absence de livraison de la lettre de décision se rapportant à 445 et de la « réception réputée » de celle‑ci soulève un argument d’injustice générale, car 445 est ainsi privée de la possibilité de contester raisonnablement la livraison;

b)    la lettre d’accompagnement du 20 mai 2013 jointe à une copie de la lettre de décision se rapportant à 445 est une non‑réponse suffisamment vague, de sorte qu’elle constitue raisonnablement une nouvelle publication et une mise à jour de la lettre de décision se rapportant à 445 à l’égard de laquelle l’appel a été interjeté;

c)     aucune justification n’est donnée dans la lettre d’accompagnement du 20 mai 2013, ce qui est injuste étant donné l’absence d’une preuve de réception dans un cas où un mode de livraison laborieux et désuet, comme le courrier ordinaire, est choisi;

d)    quoi qu’il en soit, le paragraphe 27(3) des Règles doit s’appliquer et, pour des motifs d’équité et du fait que la Cour est intrinsèquement compétente pour régir sa propre procédure, il doit permettre à celle‑ci de conclure que la lettre de décision se rapportant à 445 n’a jamais été envoyée.

12.            En réponse, l’intimé a signalé l’affaire Lebrun c. Ministre du Revenu national, 2005 CCI 648, et a renvoyé expressément aux paragraphes 22 et 25 à 28 relativement au paragraphe 27(3) des Règles :

[22]     Ainsi, on a fait valoir que la forme ne devrait pas prendre le dessus sur le fond. Le paragraphe 27(3) des Règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de la Loi sur l’assurance-emploi, DORS 60/690, a été invoqué, mais sans succès, dans Letemplier c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1995] A.C.I. no 1709 (QL). Dans la décision Pye c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1995] A.C.I. n1248 (QL), paragraphe 3, le juge Taylor disait :

Il se peut qu’il existe des circonstances dans lesquelles on pourrait invoquer le paragraphe 27(3) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt [...] pour obtenir un certain redressement, mais je ne suis pas persuadé que la simple demande en l’espèce et le défaut de respecter normalement le délai de 90 jours figurent au nombre de ces circonstances. Même si le requérant avait présenté à la Cour une preuve substantielle indiquant une tentative réelle de sa part de respecter le délai - ce qui n’est pas le cas - cette preuve ne suffirait pas à permettre la prolongation du délai prévu au paragraphe 70(1) de la Loi.

[…]

[25]     Lorsqu’une période est précisée ou définie dans une loi, chaque jour est compté : Horowitz v. M.N.R., 62 DTC 1038; Lamarre c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1997] A.C.I. n1063 (QL), paragraphe 9; Chouinard c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.I. n1026 (QL).

[26]     Ensuite, « l’interprétation libérale » a également été invoquée pour que « les personnes concernées puissent faire valoir leur droit » en vertu du paragraphe 5(1).[1]

[27]     La juge Lamarre Proulx n’a pas accepté cet argument, se fondant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c. Blais, 64 N.R. 378, paragraphes 8 et 10, où il s’agissait d’un délai de rigueur qui ne pouvait être étendu à la discrétion de la Cour et ajoutant qu’« [u]n règlement ne peut évidemment pas modifier un texte législatif ».

[28]     D’une manière assez colorée, le juge Léger, dans la décision Landry c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1993] A.C.I. n98 (QL), paragraphe 18, affirme :

Ça fait que je regrette, moi je suis lié par les décisions de la Cour. Voyez-vous, c’est fait pour qu’il y ait une fin à des choses. [...] si vous ne le faites pas en dedans de quatre-vingt-dix (90) jours, bonjour la visite, c’est terminé et finalisé. Vous n’avez pas le droit d’être entendu.

 

e)  Analyse et décision

13.            Dans les faits, la Cour signale que l’appel en l’instance ne renferme pas les exceptions habituelles que la Cour de l’impôt a acceptées dans les cas où elle fait fi de la règle de la « réception réputée lors d’un envoi par la poste » ou contourne celle‑ci. La présente affaire porte sur une seule lettre de décision, rédigée sous le régime de la Loi sur l’A.‑E. et du RPC, et non pas sur des envois en liasses d’avis de cotisation établis sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’adresse de l’appelante, reproduite dans la copie conservée dans le dossier de l’ARC, était l’adresse postale autorisée et exacte que l’ARC avait dans ses dossiers. L’appelante ne le conteste pas. En fait, l’ARC (et non l’appelante) a relevé une erreur dans l’adresse qui figurait dans la lettre de décision se rapportant à 358, la ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire, la lettre de décision a ensuite été datée de nouveau en fonction de la date d’alors, et les droits d’appel de l’appelante ont été rétablis.

14.            Encore une fois, contrairement à la lettre de décision se rapportant à 358, la lettre d’accompagnement relative à la décision sur 445 n’a pas précisé que [traduction] « le délai de 90 jours pour interjeter appel de la décision commence à courir à la date indiquée sur la lettre d’avis du ministre qui est jointe ». La lettre d’accompagnement qui avait pour effet de publier de nouveau la lettre d’avis de la décision sur 358 a eu cet effet même. En fait, la lettre d’accompagnement du 20 mai 2013 a été envoyée trois jours après que 445 eut demandé une copie de la décision la concernant. Encore une fois, l’ARC a acquiescé à la demande de l’appelante en vue d’obtenir une copie de cette lettre de décision initiale. La lettre du 20 mai 2013 à laquelle une pièce était jointe a été envoyée par la fonctionnaire même de l’ARC qui a été la dernière à s’occuper de toutes les lettres de décision relativement à 445 et à 358 et qui comprenait comment les lettres de décision, dont elle a été la dernière à s’occuper, seraient traitées comme courrier au sein du bureau des services fiscaux de Winnipeg.

15.            En conclusion, bien qu’il existe des décisions de la Cour concernant les avis de nouvelles cotisations, dans chaque cas où une mesure de réparation a été accordée à un appelant, cette mesure reposait sur une insuffisance de la preuve, ou bien sur une lacune relative à la connaissance ou à la remise par un autre moyen de l’avis par l’ARC au contribuable. En outre, aucune de ces affaires ne met en cause des lettres d’avis de décision individuelles sous le régime du RPC/de la Loi sur l’A.‑E. expédiées à partir du bureau de l’auteur même de la décision par courrier affranchi de première classe, à l’adresse exacte du contribuable.

16.            Si la série de décisions, le langage clair de la Loi et la présomption qui en découle relativement à la réception réputée d’un document expédié par la poste peuvent sembler inéquitables et quelque peu arbitraires, cumulativement, ils témoignent néanmoins du droit relatif aux appels qui concernent les lettres d’avis de décision sous le régime de la Loi sur l’A.‑E. et du RPC. En conséquence, les appels sont annulés, la Cour n’étant pas compétente pour entendre les appels de l’appelante.

III. La question de fond

a) Les faits et les documents pertinents

17.            La Cour signale qu’elle a pris sa décision en délibéré dès le début de l’audience sur la question préliminaire relative à la compétence. En conséquence, avec le consentement des avocats des deux parties, elle a entendu le témoignage du travailleur, qui a été le seul à témoigner sur la question de fond. Elle a aussi entendu le reste des observations concernant la question de fond pour que toutes les questions puissent être entendues en un seul jour d’audience, sans égard à l’issue de la question préliminaire relative à la compétence prise en délibéré.

18.            Bien que cela ne soit pas nécessaire, la Cour souhaite résumer ce qu’auraient été ses conclusions de fait ainsi que l’issue si elle n’avait pas tranché la question relative à la compétence comme elle l’a fait dans les présents motifs. À cette fin, elle se fonde sur l’analyse en deux volets énoncée au début des présents motifs lors du renvoi à l’affaire Connor Homes.

19.            L’entente même est intitulée [traduction] « entente de gestion d’un immeuble résidentiel », et énonce les obligations du travailleur et celles de 445. Sous le titre qui porte sur la location et sur la gestion, les tâches suivantes sont énoncées : percevoir le loyer, rédiger des rapports sur l’état de la propriété, remettre des avis aux locataires, recevoir les demandes de location, effectuer les vérifications de solvabilité, attribuer les espaces de stationnement, annoncer les locaux à louer, effectuer l’entretien locatif, l’entretien ordinaire et les réparations et les travaux d’entretien quotidiens, effectuer le relevé des compteurs, déneiger, assurer l’entretien des ascenseurs et la supervision des véhicules, surveiller les installations collectives et communes et agir à titre de personne‑ressource principale auprès des locataires, assurer les services de sécurité/d’urgence, superviser les changements de locataires et conserver la clé passe‑partout.

20.            En ce qui concerne les activités suivantes, le consentement, l’approbation préalable ou l’accord de 445 étaient requis : fournisseurs de services tiers, embauche de remplaçants pendant les jours fériés et fournisseurs de services d’entretien tiers supplémentaires.

21.            À titre de paiement en contrepartie des services rendus, le travailleur a touché 500 $ par mois au cours de la période visée. Il a mentionné que, lorsque l’entente a été conclue, il devait avoir droit à une hausse de 300 $ après les trois premiers mois, hausse qu’il n’a jamais obtenue.

22.            Le travailleur a témoigné qu’il n’avait pas signé l’entente ni ne l’avait négociée. Il a déclaré, lorsqu’il s’est fait poser la question en contre‑interrogatoire, que [traduction] « je suppose que j’étais un entrepreneur indépendant ». Il a bien accusé réception d’une copie de l’entente.  

23.            Au chapitre de la réalité objective, les chèques de loyer, les contrats de location et les dépôts étaient recueillis par le travailleur, mais tous étaient immédiatement envoyés à un autre travailleur de 445, parce que, d’après le témoignage du travailleur, il n’avait pas le pouvoir de s’occuper de ces documents. Il n’effectuait pas les vérifications de solvabilité, et il travaillait quand il le voulait. Il avait peu d’outils (ce qui était conforme au travail de toute façon) et il faisait les demandes de travaux de réparation, de déneigement et d’autres services de ce genre auprès des fournisseurs de services dont le nom figurait sur une liste préalablement approuvée par 445. Les travaux de réparations importants étaient entrepris et payés par 445. Le travailleur avait un autre travail, à trois minutes de marche de sa maison également et de l’immeuble.  

b)  Analyse

24.            L’intention substantive qui se dégage de l’entente écrite n’est pas parfaitement claire étant donné que les modalités de cette entente ont été imposées unilatéralement, que le travailleur lui‑même a exprimé une incertitude sur la relation juridique et que l’entente n’a jamais été signée par le travailleur, et étant donné le degré d’approbation qu’il fallait obtenir auprès de 445 pour divers services visés par l’entente.

25.            La réalité objective d’un contrat d’entreprise indépendant, par ailleurs très peu présente dans les modalités de l’entente, ne peut tout simplement pas être soutenue par les faits. Les points de repère habituels d’une entreprise distincte ne s’y retrouvent pas : il n’y a pas eu d’inscription aux fins de la taxe sur les produits et services, ni de paiement à ce titre, aucune facture n’a été présentée, aucun service semblable n’a été fourni à des tiers, et il n’y avait aucune possibilité de donner des travaux en sous‑traitance à volonté. De même, il était impossible de réaliser des profits en rajustant le coût des intrants ou d’utiliser des services et des produits de main‑d’œuvre différents. L’absence de telles caractéristiques ne permet simplement pas de soutenir suffisamment l’intention subjective déjà précaire existant à la première étape de l’analyse de l’entente conclue entre les parties. Instinctivement, l’on ne peut dire qu’il s’agit d’une personne qui exploite une entreprise pour son compte; il s’agit plutôt d’un employé à temps partiel dont les heures de travail sont flexibles.

26.            En conséquence, et encore une fois bien que la question soit théorique, si l’appelante avait obtenu gain de cause sur la question de la compétence, elle aurait été déboutée sur le fond dans le présent appel.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 31e jour d’octobre 2014.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

 

Traduction certifiée conforme

ce 15jour de décembre 2014.

 

M.-C. Gervais

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 321

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-3151(CPP)
2013-3150(EI)

INTITULÉ :

4453761 MANITOBA LTD. ET LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 octobre 2014

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS DE L’ORDONNANCE MODIFIÉS :

Le 31 octobre 2014

 

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Kenneth Zaifman

Avocat de l’intimé :

Me Neil Goodridge

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Kenneth Zaifman

 

Cabinet :

Zaifman Law

 

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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