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Dossier : 2011-2155(IT)G

ENTRE :

DIMANE ENTERPRISES LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 10 mars 2014, à Calgary (Alberta).

Devant : L’honorable juge Steven K. D’Arcy


Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Matthew Clark

Avocats de l’intimée :

Me Gergely Hegedus

Me Darcie Charlton

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, les appels relatifs aux nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition se terminant le 31 octobre 2004 et le 31 octobre 2005 sont rejetés.

Les dépens sont adjugés à l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 2014.

« S. D’Arcy »

Juge D’Arcy

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de mars 2015.

 

 

François Brunet, réviseur.


Référence : 2014 CCI 334

Date : 20141110

Dossier : 2011-2155(IT)G

ENTRE :

DIMANE ENTERPRISES LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge D'Arcy

[1]             La question en litige dans le présent appel consiste à savoir si l’appelante est en droit de déduire des sommes qu’elle a censément payées à titre de cotisations à un régime de participation des employés aux bénéfices.

[2]             Richard Arab, président et unique administrateur de l’appelante, est ingénieur professionnel; il a œuvré pendant plus de 35 ans dans le secteur pétrolier et gazier en Alberta. En 2002, il a quitté l’emploi qu’il exerçait auprès d’une entreprise active dans ce secteur.

[3]             Le 30 juin 2002, M. Arab a constitué l’appelante en société en vue d’exploiter une entreprise de prestation de services de consultation à des entreprises exerçant des activités dans la région pétrolière de l’Alberta. Pendant la période en cause, M. Arab, son épouse Jeannette Arab et leurs enfants Jason, Lauren, Kathryn et Jonathan étaient les actionnaires de l’appelante.

[4]             L’entreprise fournissait la majeure partie de ses services à d’importantes sociétés pétrolières et gazières. Ces services comprenaient la gestion de projets, des activités de production, des travaux réalisés en coentreprise ainsi que des analyses de terrains. L’unique bureau de l’appelante était situé dans une pièce de la maison des Arab.

[5]             M. Arab a témoigné qu’au cours de la période en cause, chacun de ses quatre enfants était employé par l’appelante. L’intimée n’est pas de cet avis.

[6]             En 2004, Jason était âgé de 23 ans, Lauren de 21 ans, Kathryn de 14 ans et Jonathan de 13 ans.

[7]             Selon le témoignage de M. Arab, l’appelante a versé à Jason une rémunération de 1 200 $ en 2004 et en 2005. Ses fonctions consistaient à tondre la pelouse et à nettoyer à la pelle l’allée située à l’avant de leur maison. Lauren a elle aussi touché une rémunération de 1 200 $ en 2004 et en 2005. Sa tâche première consistait à faire quelques écritures dans les livres de l’appelante. J’ai entendu dire qu’elle avait également procédé à des simulations informatiques pour l’entreprise. Je n’ai accordé aucun poids à cette partie du témoignage de M. Arab, car le logiciel n’appartenait ni à l’appelante ni à Lauren.

[8]             Kathryn et Jonathan ont touché une rémunération de 600 $ en 2004 et en 2005. Les tâches de Kathryn consistaient à nettoyer le bureau de l’appelante et à trier le courrier. Celui-ci comprenait le courrier familial ainsi que celui de l’appelante. Les tâches de Jonathan consistaient à déchiqueter des documents, à sortir les poubelles, à [traduction] « recadrer » des photographies et à faire des recherches sur Internet.

[9]             M. Arab a témoigné que son employeur précédent offrait à ceux de ses employés qui prenaient leur retraite un séminaire portant sur diverses questions relatives à la création de leur propre entreprise. L’une des personnes qu’il a rencontrées à cette occasion est Laura Nypower. Il a par la suite retenu les services de cette dernière pour obtenir des conseils sur la création de l’appelante. Mme Nypower a suggéré, semble-t-il, que l’appelante établisse un régime de participation des employés aux bénéfices (« RPEB »). M. Arab a déclaré qu’il appréciait le RPEB parce que ce mécanisme [traduction] « permettait » de fractionner les revenus et que les fonds qu’il allait [traduction] « verser par l’entremise du RPEB étaient admissibles à un REER »[1].

[10]        L’appelante a par la suite signé un document intitulé [traduction] « Régime de participation des employés aux bénéfices » (le « document relatif au RPEB »)[2].

[11]        Le document relatif au RPEB indique que le RPEB de l’appelante fonctionne de la manière suivante :

     les administrateurs de l’appelante constituent un comité formé d’au plus trois personnes en vue d’administrer le régime (le « Comité »)[3];

     une personne acquiert le statut de participant au RPEB si le Comité la choisit par écrit[4];

     l’appelante conclut avec des fiduciaires (les « fiduciaires ») une convention de fiducie aux termes de laquelle ces derniers détiennent en fiducie les cotisations que l’appelante effectue au RPEB (la « Fiducie »)[5];

     le conseil d’administration de l’appelante fixe pour chaque année civile le montant des cotisations de l’appelante au RPEB. L’appelante verse les cotisations aux fiduciaires sur les bénéfices non répartis accumulés pour ses exercices financiers commençant dans l’année civile en question ou antérieurs à celle-ci[6];

     les fiduciaires attribuent tous les revenus que reçoit le RPEB dans chaque année civile aux participants, conformément à l’attribution que fixe le Comité en vertu de la clause 6.02. Si le Comité ne prévoit pas d’attribution, les fiduciaires doivent attribuer les montants de la manière prévue à la clause 6.03[7];

     les fiduciaires doivent établir des comptes distincts en vue de refléter la participation de chaque participant au RPEB[8];

     le Comité fixe, à son entière discrétion, le montant des sommes attribuées aux participants, ainsi que le moment correspondant. Il est interdit aux fiduciaires d’effectuer ces attributions avant de recevoir du Comité une directive à cet effet[9].

[12]        L’appelante a conclu avec Richard et Jeannette Arab une entente aux termes de laquelle ces derniers convenaient d’être les fiduciaires d’une fiducie créée pour détenir et distribuer les biens du RPEB (la « convention de fiducie »)[10]. La clause 5 de cette entente stipule que les fiduciaires ne peuvent débourser des fonds de la Fiducie qu’après avoir reçu des directives écrites du Comité, lesquelles doivent inclure une attestation indiquant aux fiduciaires qu’elles sont conformes aux dispositions du document relatif au RPEB.

[13]        Sur la foi du témoignage de M. Arab, j’ai conclu que les faits suivants se sont produits, indépendamment du libellé du document relatif au RPEB et de la convention de fiducie :

     M. Arab, à titre d’unique administrateur de l’appelante, a adopté une résolution le désignant comme le Comité pour les besoins du RPEB. La résolution exigeait que le Comité détermine chaque année les participants admissibles au RPEB, ainsi que [traduction] « la répartition de la ou des cotisations à effectuer au fiduciaire à l’égard de chaque exercice financier de [l’appelante][11] »;

     Richard Arab a ouvert pour le RPEB un compte bancaire distinct;

     Richard Arab, à titre d’administrateur de l’appelante, a déterminé chaque année combien d’argent l’appelante versait dans le compte bancaire du RPEB;

     Richard Arab, à titre d’administrateur de l’appelante, a déterminé à la fin de chaque exercice financier de l’appelante quels étaient les participants au RPEB[12];

     Richard Arab, après en avoir discuté avec Jeannette Arab, attribuait de manière arbitraire aux divers participants les montants versés par l’appelante dans le RPEB[13]. Les attributions n’étaient pas conçues pour qu’il soit tenu compte de la contribution des participants admissibles à la rentabilité de l’appelante[14];

     Richard Arab, après en avoir discuté avec Jeannette Arab, fixait les montants à payer sur le compte bancaire du RPEB, ainsi que le moment correspondant[15].

[14]        Les faits suivants se sont produits, relativement à l’année d’imposition 2004 de l’appelante :

     le 7 juin 2004, l’appelante a viré la somme de 45 000 $ sur le compte bancaire du RPEB;

     le 8 juin 2004, Richard Arab, à titre de fiduciaire de la Fiducie, a attribué et distribué la somme de 45 000 $ en payant 15 000 $ respectivement à Jeannette, Jason et Lauren[16];

     Richard Arab, à titre d’unique administrateur de l’appelante, a désigné, par la voie d’une résolution prenant effet le 30e jour d’octobre 2004, les personnes suivantes comme participantes au régime pour l’année civile 2004 :

  Richard Arab

  Jeannette Arab

  Kathryn Arab

  Jonathan Arab

  Jason Arab

  Lauren Arab

     la résolution attribuait également la somme de 130 000 $ au RPEB pour l’exercice financier de l’appelante se terminant le 31 octobre 2004 et elle prévoyait que les fiduciaires devaient attribuer cette somme aux participants[17];

     le 19 décembre 2004, Richard Arab, à titre de fiduciaire de la Fiducie, a attribué la somme de 24 000 $ respectivement à Kathryn et à Jonathan au moyen de chèques payables à chacun d’eux[18]. Richard Arab a ensuite déposé les deux chèques totalisant 48 000 $ dans des comptes bancaires qu’il contrôlait;

     le 20 décembre 2004, l’appelante a viré la somme de 48 000 $ sur le compte bancaire du RPEB[19];

     le 22 décembre 2004, l’appelante a viré la somme de 10 000 $ sur le compte bancaire du RPEB[20];

     le 23 décembre 2004, Richard Arab, à titre de fiduciaire de la Fiducie, a attribué et distribué la somme de 10 000 $ par la voie d’un paiement à Jeannette[21];

     le 4 janvier 2005, l’appelante a viré la somme de 27 000 $ sur le compte bancaire du RPEB[22];

     le 5 janvier 2005, Richard Arab, à titre de fiduciaire de la Fiducie, a attribué et distribué la somme de 27 000 $ par versement à Richard Arab[23].

[15]        En résumé, Richard Arab, après en avoir discuté avec Jeannette Arab, a attribué de la manière suivante la somme de 130 000 $ virée par l’appelante au RPEB à l’égard de son exercice financier 2004 : 27 000 $ à Richard, 25 000 $ à Jeannette, 24 000 $ respectivement à Kathryn et à Jonathan et 15 000 $ respectivement à Jason et à Lauren.

[16]        Pour ce qui est de l’année d’imposition 2005 de l’appelante, voici les mesures suivantes qui furent prises :

     le 6 avril 2005, l’appelante a viré la somme de 30 000 $ sur le compte bancaire du RPEB[24];

     le 7 avril 2005, Richard Arab, à titre de fiduciaire de la Fiducie, a attribué la somme de 10 000 $ respectivement à Richard et à Jeannette, et la somme de 5 000 $ respectivement à Kathryn et à Jonathan[25]. La somme de 30 000 $ a été distribuée le 7 avril 2005, et la somme de 10 000 $ attribuée respectivement à Kathryn et à Jonathan a été déposée dans des comptes bancaires que contrôlait Richard Arab;

     Richard Arab, à titre d’unique administrateur de l’appelante, a désigné, par résolution prenant effet le 30e jour d’octobre 2005, les personnes suivantes comme participantes au régime pour l’année civile 2005 :

  Richard Arab

  Jeannette Arab

  Kathryn Arab

  Jonathan Arab

     la résolution attribuait également la somme de 130 000 $ au RPEB pour l’exercice financier de l’appelante se terminant le 31 octobre 2005 et elle prévoyait que les fiduciaires devaient attribuer cette somme aux participants[26];

     le 2 décembre 2005, l’appelante a fait deux virements de 30 000 $ sur le compte bancaire du RPEB[27];

     le 2 décembre 2005, Richard Arab, à titre de fiduciaire de la Fiducie, a attribué la somme de 30 000 $ respectivement à Kathryn et à Jonathan en établissant des chèques payables à chacun d’eux[28]. Richard Arab a ensuite déposé les deux chèques totalisant 60 000 $ dans des comptes bancaires qu’il contrôlait;

     le 3 janvier 2006, Richard Arab, à titre de fiduciaire de la Fiducie, a attribué la somme de 20 000 $ respectivement à Kathryn et à Jonathan au moyen de chèques payables à chacun d’eux[29]. Les deux chèques totalisant 40 000 $ ont été déposés dans des comptes bancaires que contrôlait Richard Arab;

     le 4 janvier 2006, l’appelante a viré la somme de 40 000 $ sur le compte bancaire du RPEB[30].

[17]        En résumé, Richard, après en avoir discuté avec Jeannette, a attribué de la manière suivante la somme de 130 000 $ virée par l’appelante au RPEB à l’égard de son exercice financier 2005 : 55 000 $ respectivement à Kathryn et à Jonathan, et 10 000 $ respectivement à Jeannette et à Richard.

[18]        Richard Arab a déposé la somme de 158 000 $ attribuée à Kathryn et à Jonathan en 2004, en 2005 et en janvier 2006 dans des comptes bancaires qu’il contrôlait. Dans son témoignage, M. Arab a déclaré que les enfants, âgés de 13 ans et de 14 ans à l’époque, n’avaient pas accès aux fonds[31].

[19]        Richard Arab a témoigné avoir retiré les fonds de ces comptes bancaires à mesure qu’il engageait des dépenses pour Kathryn et Jonathan. Il a signalé qu’il effectuait des paiements sur les comptes bancaires deux ou trois fois par année. Il semble que M. Arab faisait les chèques à son ordre[32].

[20]        Richard Arab a présenté à la Cour un tableau de ventilation qui, a-t-il déclaré, recensait un certain nombre de dépenses qu’il avait faites pour Kathryn et Jonathan[33]. Les dépenses se rapportaient notamment aux éléments suivants : vêtements, voyages en famille, frais de hockey mineur, coupes de cheveux, leçons de piano, édredons, frais relatifs à des activités parascolaires, billets de cinéma, services de nettoyage à sec, chaussures et appareils électroniques.

[21]        Peu après avoir reçu la somme de 15 000 $ que le RPEB leur avait attribuée en juin 2004, Jason et Lauren ont remis cet argent à leur père, Richard Arab. Jason a témoigné qu’il avait versé les fonds à son père pour couvrir des dépenses engagées pour lui, comme [traduction] « quelques réparations de véhicule, des frais de scolarité au niveau collégial, des vacances, et tout simplement des dépenses minimes – ou de subsistance[34]. »

[22]        Richard Arab a témoigné que Lauren lui avait aussi remis les fonds en remboursement des dépenses qu’il avait faites pour elle, comme des dépenses d’automobile ainsi que des paiements d’assurance et de carte de crédit[35].

Les points en litige

[23]        L’avocat de l’intimée a soutenu qu’il n’y avait pas lieu d’autoriser l’appelante à déduire les sommes qu’elle avait transférées au RPEB, et ce, pour trois raisons :

     le RPEB de l’appelante n’était pas un régime de participation des employés aux bénéfices mis en œuvre de manière valide. Les conditions du régime n’étaient pas respectées, et il n’y avait aucune intention véritable de se conformer à ces conditions;

     le RPEB était une frime;

     les cotisations que l’appelante avait versées au RPEB étaient déraisonnables, et non liées aux activités de l’appelante.

[24]        L’avocat de l’appelante a soutenu que le RPEB de l’appelante était valide, car il était conforme aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Il a fait valoir qu’il n’y avait pas de frime, car la Cour n’avait en main aucun élément de preuve portant qu’une personne quelconque, liée à l’appelante, avait agi de manière trompeuse. Pour ce qui est de la raisonnabilité, l’avocat a fait valoir que l’article 67 de la Loi ne vise pas les faits de l’espèce, car les paiements que l’appelante avait faits au RPEB étaient des attributions de bénéfices, et non des débours ou des dépenses.

Le droit applicable

[25]        Les mots « régime de participation des employés aux bénéfices » sont définis au paragraphe 144(1) de la Loi :

« régime de participation des employés aux bénéfices » À un moment donné, arrangement dans le cadre duquel, à la fois :

a) un employeur est tenu de faire des versements — calculés en fonction soit des bénéfices qu’il tire de son entreprise, soit des bénéfices tirés de l’entreprise d’une société avec laquelle il a un lien de dépendance, soit d’une combinaison de ces bénéfices — à un fiduciaire dans le cadre de l’arrangement au profit de ses employés ou de ceux d’une société avec laquelle il a un lien de dépendance;

b) le fiduciaire a attribué, conditionnellement ou non, à ces employés, depuis la dernière en date de l’entrée en vigueur de l’arrangement et de la fin de 1949, les montants suivants :

(i) au cours de chaque année terminée au moment donné ou antérieurement, les montants que le fiduciaire a reçus au cours de l’année de l’employeur ou d’une société avec laquelle celui-ci a un lien de dépendance,

(ii)  au cours de chaque année terminée au moment donné ou antérieurement, les bénéfices pour l’année tirés des biens de la fiducie, déterminés compte non tenu des gains en capital que la fiducie a réalisés, ou des pertes en capital qu’elle a subies, après 1955,

(iii)  au cours de chaque année terminée après 1971 et au moment donné ou antérieurement, les gains en capital et les pertes en capital de la fiducie pour l’année,

[…]

(v)  au cours de chaque année terminée après 1991 et au moment donné ou antérieurement, le total des montants représentant chacun un montant qui peut être déduit en application du paragraphe (9) dans le calcul du revenu de l’employé du fait qu’il a cessé d’être un bénéficiaire dans le cadre du régime au cours de l’année.

[26]        Comme l’a signalé mon collègue, le juge Hogan, à l’occasion de l’affaire J.R. Saint & Associates Insurance Agencies Ltd. c. Le ministre du Revenu national[36], trois conditions doivent être remplies avant qu’un arrangement soit considéré comme un RPEB aux termes du paragraphe 144(1) :

a)  les versements doivent être calculés en fonction des bénéfices de l’entreprise de l’employeur;

b)  ces versements doivent être faits à un fiduciaire dans le cadre de l’arrangement;

c)  tous les montants que reçoit le fiduciaire doivent être attribués chaque année par celui-ci aux employés qui sont des bénéficiaires dans le cadre de l’arrangement.

[27]        Les conditions changent si l’employeur fait un choix en vertu du paragraphe 144(10), lequel dispose : « [p]our l’application du paragraphe (1), lorsque les modalités d’un arrangement en vertu duquel un employeur fait des versements à un fiduciaire prévoient expressément que les versements sont à faire “sur les bénéfices”, l’arrangement est réputé, si l’employeur fait un choix en ce sens selon les modalités réglementaires, constituer un arrangement dans le cadre duquel des versements calculés en fonction des bénéfices de l’employeur sont à faire ».

[28]        À l’occasion de l’affaire Gary Jackson Professional Corporation c. MRN, le juge Webb de la Cour d’appel fédérale, a résumé l’effet du choix dont il est question au paragraphe 144(10) :

Si le choix mentionné à cette disposition est fait et que l'arrangement prévoit expressément que les versements sont à faire sur les bénéfices, il sera satisfait à la condition voulant que l'arrangement prévoie que les versements soient calculés en fonction des bénéfices. […][37]

[29]        L’appelante a fait un choix en vertu du paragraphe 144(10)[38].

[30]        À mon avis, la seule question dont la Cour doit traiter est celle de savoir si le RPEB de l’appelante est une frime.

[31]        Je signale tout d’abord que le droit canadien est bien fixé : le contribuable est en droit de structurer ses affaires de manière à réduire au minimum les impôts canadiens qu’il paie.

[32]        Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada à l’occasion de l’affaire Shell Canada Ltd. c. Canada[39] : « […] [s]auf disposition contraire de la Loi, le contribuable a le droit d’être imposé en fonction de ce qu’il a fait, et non de ce qu’il aurait pu faire et encore moins de ce qu’un contribuable moins habile aurait fait. »

[33]        En outre, la question de savoir si l’on a abusé de certaines dispositions de la Loi, un aspect qui est pertinent lorsqu’on examine la règle générale antiévitement que comporte l’article 245 de la Loi, n’est pas pertinente lorsqu’on recherche si les opérations en question constituent une frime.

[34]        Pour examiner s’il y a frime ou non, la Cour s’attache en particulier au fait de savoir si l’élément de tromperie – ou de déception – requis est présent. Cet élément a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt 2529-1915 Québec Inc. c. Canada[40] :

L’existence d’une frime en droit canadien exige donc en vue des définitions qui précèdent un élément de déception qui se manifeste règle générale par une fausse représentation par les parties de la transaction réelle intervenue entre elles. Dans ces circonstances, les tribunaux retiendront la transaction réelle et mettront de côté celle qui fut représentée comme étant la vraie.

[35]        À l’occasion de l’affaire Antle c. Canada, la Cour d’appel fédérale a fait les observations suivantes, qui éclairent davantage l’élément de tromperie requis[41] :

[…] L’intention ou l’état d’esprit requis n’équivaut pas à une intention coupable et ne saurait aller jusqu’à constituer ce qui, en common law, est le délit de dol (comparer MacKinnon c. Regent Trust Company Limited, (2005), J. L. Rev. 198 (CA), au paragraphe 20). Il suffit que les parties à une opération la présentent comme différente de la réalité qu’elles connaissent. […]

[36]        L’appelante soutient que le RPEB est un régime de participation aux bénéfices valide et que, conformément aux conditions du document relatif au RPEB et de la convention de fiducie, ses employés, dont font partie les quatre enfants de Richard et de Jeannette Arab, ont participé aux bénéfices de l’entreprise.

[37]        Je conviens avec l’intimée que le document relatif au RPEB et la convention de fiducie ne correspondent pas aux opérations proprement dites qui ont eu lieu entre l’appelante et les quatre enfants de Richard et de Jeannette Arab. Les ententes et les documents envisagent le partage des revenus de l’appelante entre les employés de cette dernière, de même que l’attribution et le paiement de montants à Richard Arab, à Jeannette Arab et à leurs quatre enfants.

[38]        À mon avis, certains montants n’ont pas été réellement attribués et payés aux quatre enfants de Richard et de Jeannette Arab.

[39]        Richard Arab a témoigné qu’aux termes du document relatif au RPEB, de la convention de fiducie et des trois résolutions de l’administrateur, la somme de 158 000 $ a été attribuée et payée à ses enfants mineurs, Kathryn et Jonathan, en 2004, en 2005 et en janvier 2006 dans le cadre du RPEB. Ce n’est pas ce qui a eu lieu. Richard Arab, l’âme dirigeante de l’appelante, n’a jamais cessé de contrôler la somme de 158 000 $. Il a simplement déplacé les fonds entre quatre comptes bancaires qu’il contrôlait : le compte bancaire de l’appelante, le compte bancaire de la Fiducie, un compte bancaire que M. Arab contrôlait censément au nom de Kathryn et de Jonathan, ainsi que son propre compte bancaire.

[40]        Kathryn et Jonathan n’ont jamais exercé un contrôle sur ces fonds. En fait, je me doute qu’ils n’étaient même pas au courant que les fonds étaient virés entre les divers comptes. Lors de son témoignage, Richard Arab a déclaré : [traduction] « […] Je contrôlais entièrement ces comptes. […] Ils étaient mineurs. Ils étaient – jamais je n’aurais permis qu’ils aient accès à ce genre de somme. […][42] »

[41]        Je ne retiens pas l’idée que Richard Arab s’est versé les montants à lui-même en remboursement de dépenses qu’il engageait pour le compte de ses enfants. Les dépenses en question sont simplement des dépenses familiales qu’un père et une mère engagent pour leurs enfants. De plus, les dépenses recensées à la pièce A‑12 totalisent une somme d’environ 18 500 $ pour 2004 et 2005, ce qui ne représente que 12 % des montants qui ont été placés dans les comptes bancaires que contrôlait Richard Arab.

[42]        Je tire une conclusion semblable au sujet des montants attribués aux enfants d’âge adulte de Richard Arab : Jason et Lauren. Ces montants étaient virés entre divers comptes bancaires dans le but de dissimuler les véritables opérations, soit le paiement de fonds par l’appelante à Richard Arab.

[43]        À mon avis, ma conclusion selon laquelle l’appelante a payé les montants en question à Richard Arab va dans le sens de la conclusion que le RPEB était une frime. Toutefois, les éléments de preuve qui suivent appuient davantage ma conclusion.

[44]        Le but premier d’un régime de participation aux bénéfices tel que le RPEB de l’appelante est de partager des bénéfices dans le cadre du régime avec des employés qui ont contribué de quelque manière à la réalisation de ces bénéfices. Comme il est stipulé à la clause 6.02 du document relatif au RPEB : [traduction] « Le Comité fixe, avant la fin de chaque année du régime, une attribution de cotisations et de revenus touchés par le Régime pour cette année-là  du Régime, et ce, dans la ou les proportions et de la manière que détermine le Comité, à son absolue discrétion, en reconnaissance de la contribution des participants admissibles à la rentabilité de Dimane Enterprises Ltd. au cours de la période financière. […][43] »

[45]        À mon avis, aucun des enfants de Richard et de Jeannette Arab n’a contribué aux bénéfices de l’appelante en 2004 et en 2005. Ils ne lui ont tout simplement assuré aucun service. Les services allégués – pelleter de la neige, tondre la pelouse, nettoyer des chambres, trier du courrier – sont des tâches (ou des corvées) que des enfants accomplissent pour leurs parents. Si les enfants ont assuré ces services à quiconque, c’était à leurs parents, et non à l’appelante.

[46]        Richard Arab a convenu que le RPEB n’a pas attribué de fonds en reconnaissance des contributions de ses enfants aux bénéfices de l’appelante. C’est ce qui ressort du dialogue suivant entre M. Arab et l’avocat de l’intimée :

[traduction]

 

Q.        Donc, le montant de l’attribution faite aux employés de Dimane était fondé sur un montant arbitraire que vous étiez le seul à déterminer; est-ce exact?

R.        Exact.

[…]

Q.        Les attributions ou les paiements faits par le régime aux employés étaient‑ils conçus pour reconnaître les contributions des participants admissibles ou des employés choisis pour faire partie du régime à la rentabilité de Dimane Enterprises Ltd.?

R.        Non, cela n’aurait pas été fait pour cette raison parce que, selon moi, la distribution du RPEB se faisait à l’entière discrétion des fiduciaires[44].

[47]        Je conclus, après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve qui m’ont été produits, et notamment ceux que je viens tout juste d’analyser, que le RPEB de l’appelante était une frime. Il n’y a eu aucun partage des bénéfices de l’appelante avec les enfants de Richard Arab. Les opérations proprement dites étaient le paiement des montants en question par l’appelante à Richard Arab, via des comptes bancaires différents.

[48]        Par les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 2014.

 

« S. D’Arcy »

Juge D’Arcy

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de mars 2015.

 

 

François Brunet, réviseur.


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 334

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2011-2155(IT)G

INTITULÉ :

DIMANE ENTERPRISES LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mars 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Steven K. D’Arcy

DATE DU JUGEMENT :

Le 10 novembre 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Matthew Clark

Avocats de l’intimée :

Me Gergely Hegedus

Me Darcie Charlton

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

          Pour l’appelante :

Nom :

Matthew Clark

Cabinet :

Shea Nerland Calnan LLP

Calgary (Alberta)

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           Transcription, aux pages 13 et 14, témoignage de Richard Arab.

[2]           Pièce A-2.

[3]           Pièce A-2, clause 9.05.

[4]           Pièce A-2, clause 3.02.

[5]           Pièce A-2, clauses 1.02 ainsi que 2.01 n), o), p) et q).

[6]           Pièce A-2, clause 4.01.

[7]           Pièce A-2, clause 6.01.

[8]           Pièce A-2, clause 6.04.

[9]           Pièce A-2, clause 8.01.

[10]          Pièce A-4.

[11]          Pièce A-3.

[12]          Transcription, aux pages 63 et 64, témoignage de Richard Arab.

[13]          Transcription, aux pages 65, 70, 74 et 75, témoignage de Richard Arab.

[14]          Transcription, à la page 71, témoignage de Richard Arab.

[15]          Transcription, aux pages 61 et 74, témoignage de Richard Arab.

[16]          Pièce R-3.

[17]          Pièce A-13.

[18]          Pièce R-1.

[19]          Pièce R-3.

[20]          Pièce R-3.

[21]          Pièce R-1.

[22]          Pièce R-3.

[23]          Pièce R-1.

[24]          Pièce R-3.

[25]          Pièce R-2.

[26]          Pièce A-13.

[27]          Pièce A-14.

[28]          Pièce R-2.

[29]          Pièce A-7.

[30]          Pièce A-14.

[31]          Transcription, aux pages 44 et 45, témoignage de Richard Arab.

[32]          Transcription, à la page 47, témoignage de Richard Arab.

[33]          Pièce A-12.

[34]          Transcription, à la page 123, témoignage de Jason Arab.

[35]          Transcription, à la page 46, témoignage de Richard Arab.

[36]          2010 CCI 168, au paragraphe 13.

[37]          2013 CAF 142, 2013 DTC 5108, au paragraphe 10.

[38]          Pièce A-5.

[39]          [1999] 3 R.C.S. 622, 99 DTC 5669, au paragraphe 45.

[40]          2008 CAF 398, 2009 DTC 5023, au paragraphe 59.

[41]          2010 CAF 280, 2010 DTC 5172, au paragraphe 20.

[42]          Transcription, aux pages 44 et 45, témoignage de Richard Arab.

[43]          Pièce A2 [non souligné dans l’original].

[44]          Transcription, aux pages 70 et 71, témoignage de Richard Arab.

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