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Dossier : 2012-1845(IT)G

ENTRE :

LA SUCCESSION DE FEU EDWARD S. ROGERS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 15 mai 2014 à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan


Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Al Meghji

Me Hemant Tilak

Me Pooja Samtani

Avocates de l’intimée :

Me Samantha Hurst

Me Naomi Goldstein

 

JUGEMENT

L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2007 est accueilli, et la nouvelle cotisation est annulée conformément aux motifs du jugement ci-joint.

 

Les parties ont jusqu’au 19 décembre 2014 pour s’entendre sur les dépens, à défaut de quoi il leur est ordonné de déposer des observations écrites sur cette question, d’une longueur maximale de cinq pages, le 22 décembre 2014 au plus tard.


Signé à Toronto (Ontario), ce 25e jour de novembre 2014.

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2015.

 

 

 

François Brunet, réviseur


Référence : 2014 CCI 348

Date : 20141125

Dossier : 2012-1845(IT)G

ENTRE :

LA SUCCESSION DE FEU EDWARD S. ROGERS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hogan

I.       Aperçu

[1]             En l’espèce, est interjeté appel de la nouvelle cotisation que le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établie pour l’année d’imposition 2007 de l’appelante. Le différend porte sur la qualification d’un montant (le « paiement de cession ») que le contribuable, Edward S. Rogers (« M. Rogers » ou le « contribuable »), a reçu dans la même année. Le paiement de cession a été fait à M. Rogers par Rogers Communications Inc. (« RCI ») en échange de la cession d’options (les « options ») qui lui avaient été accordées en 1997, dans le cadre du régime d’options d’achat d’actions offert aux employés de RCI. L’appelante a déclaré le paiement de cession à titre de gain en capital dans la déclaration de revenus de M. Rogers pour cette année-là et, en conséquence, a inclus la moitié du montant dans le revenu imposable de ce dernier pour cette année.

[2]             En 2011, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’endroit du contribuable en vue d’inclure dans son revenu la totalité du paiement de cession. L’intimée a défendu cette nouvelle cotisation en s’appuyant sur les trois moyens subsidiaires suivants : (i) le montant était un revenu tiré d’un emploi ou un avantage tiré d’un emploi au sens de l’article 5 ou de l’alinéa 6(1)a), respectivement, de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »); (ii) le montant était un avantage conféré à l’actionnaire au sens du paragraphe 15(1) de la Loi; (iii) le montant était un bénéfice tiré d’un projet comportant un risque de caractère commercial et il était imposable en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi.

[3]             À l’instruction, l’intimée a renoncé au dernier de ces moyens – à savoir que le montant en cause était un bénéfice tiré d’un projet comportant un risque de caractère commercial (l’« argument fondé sur l’article 9 ») – au motif d’insuffisance des éléments de preuve. Les seuls éléments de preuve produits à l’instruction sont l’exposé conjoint des faits, le recueil conjoint de documents et les extraits de la transcription de l’interrogatoire préalable.

[4]             À l’issue de l’audience, j’ai demandé aux parties de produire des observations écrites sur la question de savoir si je pouvais quand même examiner le moyen tiré de l’article 9. Après avoir pris en considération les observations supplémentaires des parties, j’ai décidé, pour les motifs énoncés ci-après, que je n’étais pas lié par la concession de l’intimée sur ce point.

II.      Les faits

[5]             Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits, résumé ci-dessous.

[6]             Pendant toutes les périodes en cause, M. Rogers a été président et chef de direction de RCI, une importante entreprise canadienne diversifiée et active dans le domaine des communications et des médias. RCI avait deux catégories d’actions : des actions avec droit de vote de catégorie A et des actions sans droit de vote de catégorie B. Les deux catégories d’actions étaient inscrites à la Bourse de Toronto (« TSX »). Les actions de catégorie B étaient également inscrites à la Bourse de New York. Le 13 avril 2007, M. Rogers possédait le titre et le contrôle de près de 91 % des actions de catégorie A émises et en circulation de RCI. Aux fins de la Loi, M. Rogers et RCI étaient donc réputés avoir un lien de dépendance.

[7]             En 1996, RCI a mis en œuvre un régime d’options d’achat d’actions (le « Régime ») à l’intention des administrateurs et des principaux dirigeants de RCI, dont faisait partie M. Rogers. L’objet déclaré du Régime était de rémunérer les administrateurs et les principaux dirigeants de RCI et de ses sociétés affiliées pour leurs services d’emploi et leur permettre d’acquérir un droit de propriété sur RCI au moyen d’options d’achat d’actions. Le Régime était administré par le Comité de la rémunération du Conseil d’administration de RCI (le « Comité de la rémunération »).

[8]             Le 4 décembre 1997, le Conseil d’administration de RCI a accordé à M. Rogers une option d’achat d’actions de catégorie B à un prix d’option de 6,29 $ l’action. Le 15 décembre 2006, les actionnaires de RCI ont approuvé une résolution adoptée par le Conseil d’administration de RCI et opérant un partage, à raison de deux pour une, des actions de catégorie B, ce qui doublait les options que détenait M. Rogers.

[9]             Au fil du temps, les conditions du Régime ont été modifiées dans un but de conformité à diverses exigences réglementaires, la seule exception étant une modification, le 28 mai 2007, par laquelle RCI a modifié le régime afin de permettre qu’un droit dit « droit à l’appréciation d’actions » (« DAA ») soit rattaché à toutes les options nouvelles et antérieurement octroyées. Ce DAA permettait au détenteur d’une option de céder à RCI la totalité ou une partie de son option en échange d’un paiement au comptant égal au [traduction] « prix du DAA ». Ce prix était égal au cours de négociation moyen des actions de catégorie B inscrites à la TSX pour le jour ouvrable auquel le DAA était exercé, moins le prix de levée de l’option. Le prix de levée de chaque option était fixé au moment de l’octroi de l’option. Il convient de signaler ici que le Comité de la rémunération pouvait refuser que le détenteur d’options exerce un DAA, et l’obliger plutôt à lever une option.

[10]        Le 3 décembre 2007, M. Rogers a exercé son DAA en cédant les options à RCI en échange du paiement de cession. RCI n’a retenu aucun montant et n’a pas délivré de feuillet T4 à l’appelante à l’égard du paiement de cession. L’appelante a déclaré le paiement de cession à titre de gain en capital dans l’année d’imposition 2007.

III.     La Cour est-elle liée par la concession de l’intimée sur le moyen tiré de l’article 9?

[11]        L’appelante soutient que je suis lié par la décision de l’intimée de renoncer au moyen tiré de l’article 9. Premièrement, elle fait valoir que, dans le cadre d’un arbitrage fiscal, il n’appartient pas au juge de formuler les questions en litige et de les définir. Deuxièmement, et plus important encore, elle est d’avis que le moyen tiré de l’article 9 n’a pas été invoqué régulièrement devant la Cour car : (i) il est un fait admis que M. Rogers a reçu le paiement au comptant en qualité d’employé et (ii) l’allégation selon laquelle le paiement de cession était un bénéfice tiré d’un projet comportant un risque de caractère commercial est incompatible avec ce fait admis. Par ailleurs, elle soutient que le moyen tiré de l’article 9 n’a pas été invoqué régulièrement devant à la Cour car : (iii) la Cour ne peut vérifier l’exactitude de la nouvelle cotisation qu’en examinant le fondement sur lequel le ministre l’a établie et (iv) examiner l’argument tiré de l’article 9 serait assimilable à une usurpation, par la Cour, du pouvoir qu’a le ministre d’établir des cotisations.

[12]        L’intimée soutient que la Cour peut rejeter le fait qu’une partie renonce à un point de droit, à la condition d’inviter les parties à formuler d’autres observations sur la question. À l’appui de sa thèse, l’intimée cite la décision Labourer’s International Union of North America, Local 527, Members’ Training Trust Fund c. Canada[1], dans laquelle le juge Bowman (plus tard juge en chef) a fait remarquer :

Les parties à une action peuvent convenir de certains faits, et ce consensus peut servir de fondement à un aveu judiciaire qui liera le juge présidant l’audience. Les parties ne peuvent pas, toutefois, faire un aveu judiciaire sur un point de droit parce que [traduction] « la Cour ne peut être liée par une erreur touchant le droit, faite par les parties dans un aveu [...] » La Cour n’est pas liée par des concessions sur une question de droit. […]

[13]        Les trois moyens parallèles de l’appelante reposent, d’après l’intimée, sur une affirmation tendancieuse, à savoir qu’il s’agit d’un « fait admis » entre les parties et d’une « présomption implicite » du ministre que M. Rogers a reçu le paiement de cession en qualité d’employé. En fait, le ministre n’a pas formulé de présomption à cet effet, pas plus que ce fait allégué n’est contenu dans l’exposé conjoint des faits.

[14]        L’appelante tend à confondre l’octroi des options et leur cession ultérieure en échange d’argent comptant, mais il s’agit de deux faits distincts, susceptibles d’être qualifiés de manière distincte. Il ressort des éléments de preuve que M. Rogers a reçu les options en sa qualité d’employé de RCI, mais il n’en résulte pas logiquement qu’il a également reçu le paiement de cession en tant qu’employé. Il est possible de considérer que M. Rogers a reçu l’octroi d’options en 1997 en qualité d’employé, tandis que la disposition ultérieure de ces options en 2007 peut quand même être qualifiée d’opération donnant lieu à un bénéfice tiré d’un projet comportant un risque de caractère commercial ou à un gain en capital. Il s’agit là de questions qui devront être tranchées après que la Cour les aura examinées.

[15]        Même si l’instruction s’est déroulée sur le fondement d’un exposé conjoint des faits, cela n’écarte pas le rôle que joue le juge dans sa mission de tirer des conclusions de fait fondées sur la preuve documentaire ainsi que sur les extraits de la transcription de l’interrogatoire préalable.

[16]        Le fait de savoir si le paiement au comptant est un bénéfice tiré d’un projet comportant un risque de caractère commercial est une question mélangée de fait et de droit. Pour trancher cette question, la Cour doit prendre en compte divers facteurs, dont les suivants[2] :

     la nature du bien;

     la durée de la possession du bien;

     la fréquence ou le nombre d’opérations similaires effectuées par le contribuable;

     les circonstances qui ont donné lieu à la vente du bien;

     le motif pour lequel le contribuable a fait l’acquisition du bien.

Dans chaque cas, le juge est appelé à analyser et à soupeser tous ces faits ou à tenir compte des circonstances particulières de l’affaire. Il n’y a rien dans la présente affaire qui exclut, de manière concluante, l’examen par la Cour, de l’éventuelle application de l’article 9 de la Loi au paiement de cession.

[17]        L’appelante soutient qu’étant donné que l’intimée a renoncé à l’instruction au moyen tiré de l’article 9, l’examen de ce moyen reviendrait à dire que la Cour élaborerait son propre fondement à l’égard de la cotisation.

[18]        À l’appui de cette thèse, l’appelante se fonde principalement sur la jurisprudence Lipson c. Canada[3] pour soutenir que la Cour ne peut pas examiner une disposition de la Loi si le ministre n’est pas disposé à faire valoir sur le plan factuel que le critère relatif à l’application de cette disposition a été respecté. Le juge Rothstein, s’exprimant en dissidence dans l’arrêt Lipson, a tenté de régler le différend entre les parties en se fondant sur une disposition de la Loi qui, comme l’avaient soutenu les deux parties durant toute l’instance, ne jouait pas. Les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada (la « CSC ») ont conclu qu’une telle démarche ne convenait pas.

[19]        En l’espèce, l’intimée a invoqué le moyen tiré de l’article 9 et a présenté des éléments de preuve, en partie au moyen de l’exposé conjoint des faits, qui sont, en principe du moins, susceptibles d’étayer un argument fondé sur l’article 9. À l’instruction, l’intimée a renoncé à ce moyen pour cause d’insuffisance de preuves  uniquement après que tous les éléments de preuve eurent été présentés au moyen de l’exposé conjoint des faits. Le fait que l’intimée renonce à sa thèse est donc assimilable à une conclusion mélangée de fait et de droit. Cette thèse ne peut pas lier la Cour car il est bien établi en droit qu’elle ne peut pas être liée par l’interprétation que font les parties d’un point de droit. Pour ces raisons, la jurisprudence  Lipson ne s’applique pas en l’espèce.

[20]        L’appelante soutient que l’examen du moyen tiré de l’article 9 revient à usurper le pouvoir du ministre d’établir des cotisations et prive ainsi le contribuable de l’avantage du délai de prescription. Le processus d’établissement d’une cotisation consiste à vérifier les faits, à appliquer le droit à ces faits et à déterminer l’impôt à payer sur ce fondement. L’appelante soutient qu’étant donné que l’intimée a renoncé au moyen tiré de l’article 9 pour cause de manque de preuves, si la Cour examinait ce moyen abandonné, cela reviendrait à ouvrir un nouveau processus de cotisation.

[21]        L’appelante ne cite aucune jurisprudence allant directement en ce sens. Ceci étant dit avec égards, je suis d’avis que sa thèse n’est pas fondée car, en l’espèce, l’intimée a plaidé et invoqué un moyen qu’elle a plus tard retiré en se fondant sur sa propre interprétation d’une question mélangée de fait et de droit. La totalité des éléments de preuve ont été présentés, et la Cour n’a pas demandé que l’intimée en présente d’autres. C’est plutôt l’appelante qui demande à la Cour de se considérer comme liée par la concession de l’intimée sur un point de droit, même s’il est bien fixé en droit que la Cour ne peut pas être liée par une telle concession.

IV.     La question en litige

[22]        La principale question en litige est la façon dont il convient de traiter le paiement de cession sous le régime de la Loi. La question est la suivante : l’exclusion que prévoit l’alinéa 7(3)a) joue-t-elle de sorte que le paiement de cession n’est pas un avantage imposable aux termes de l’article 6, même s’il n’est pas imposable en vertu de l’article 7 vu le lien de dépendance entre M. Rogers et RCI? Subsidiairement, peut-on qualifier le paiement de cession de « traitement, […] salaire et toute autre rémunération » aux termes de l’article 5, ou d’avantage conféré à un actionnaire aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi? Subsidiairement encore, le paiement de cession est-il imposable aux termes du paragraphe 9(1) de la Loi?

V.      Les thèses des parties

[23]        L’intimée soutient que M. Rogers a reçu le paiement de cession à l’égard, au cours ou au titre de sa charge ou de son emploi à titre d’administrateur de RCI et que, de ce fait, le ministre a correctement inclus la totalité du paiement de cession dans le revenu, conformément à l’alinéa 6(1)a) ou l’article 5 de la Loi. Elle affirme que l’alinéa 7(3)a) de la Loi ne vise pas le paiement de cession car RCI n’a pas convenu de vendre ou d’émettre des titres à M. Rogers lorsque celui-ci a cédé les options.

[24]        L’intimée avance deux autres thèses subsidiaires au sujet du paiement de cession. Premièrement, il constituait un avantage à l’actionnaire qui pouvait être entièrement inclus dans le revenu en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi. Deuxièmement, il s’agissait d’un revenu d’entreprise tiré d’un projet comportant un risque de caractère commercial.

[25]        L’appelante ne voit pas les choses tout à fait de la même façon, et cela n’est pas surprenant. Elle soutient que le paiement de cession n’était pas imposable à titre de revenu tiré d’un emploi parce qu’il ne s’agissait pas d’un « traitement, […] salaire et toute autre rémunération » aux termes de l’article 5, et qu’aux termes de l’alinéa 7(3)a) ce paiement est réputé ne pas être un avantage tiré d’un emploi pour l’application de l’article 6 de la Loi.

[26]        Quant aux thèses subsidiaires, l’appelante soutient qu’elles sont sans fondement parce qu’il ressort des éléments de preuve que les options et le DAA ont été accordés à M. Rogers en tant qu’employé et qu’aucune preuve ne montre que M. Rogers entendait négocier les options.

VI.     Le droit applicable et l’analyse

A.      Le paiement de cession est-il imposable à titre de revenu tiré d’un emploi?

[27]        Les articles 5 à 7 de la Loi déterminent quel est le revenu qu’un contribuable tire d’une charge ou d’un emploi. Le paragraphe 5(1) dispose simplement que le revenu que tire le contribuable dans une année d’imposition d’une charge ou d’un emploi est « le traitement, le salaire et toute autre rémunération, y compris les gratifications, que le contribuable a reçus au cours de l’année. » Aux termes de l’article 6, est incluse dans le calcul du revenu d’un employé ou d’un dirigeant la valeur de divers avantages accessoires que l’on rattache fréquemment à une charge ou à un emploi.

[28]        L’article 7 de la Loi énonce les règles de base concernant l’imposition d’avantages découlant précisément de la levée ou de la disposition d’options d’achat d’actions dans le cadre d’un emploi. Cette disposition a pour objet, notamment, de reporter la constatation des avantages tirés d’un emploi qui découlent de la levée ou de la disposition d’options d’achat d’actions, et ce, jusqu'à ce qu’ils aient été intégralement reçus et soient quantifiables. L’article 7 a été adopté en vue de créer un régime complet d’imposition des options d’achat d’actions. Il comporte des règles concernant le moment où l’avantage est assujetti à l’impôt et la forme d’imposition. Combiné à la déduction de moitié que prévoit l’article 110 de la Loi, il accorde un traitement fiscal plus favorable que celui qui s’applique à d’autres avantages tirés d’un emploi.

[29]        Sans l’article 7 de la Loi, le moment où assujettir à l’impôt les avantages découlant d’une option d’achat d’actions serait une question épineuse. Sans cette disposition, les avantages que confèrent les options d’achat d’actions pourraient être assujettis à l’impôt à divers moments, dont les suivants : à la date de l’octroi, à la date de l’acquisition, ou au moment de la levée. L’article 7 vise cette question, car il prévoit que l’avantage est un revenu tiré d’un emploi et il indique le moment où ce revenu est réputé avoir été réalisé. De façon générale, ce moment est celui où l’employé lève l’option ou la transfère à une personne sans lien de dépendance.

[30]        L’article 7 de la Loi énonce des règles très détaillées pour déterminer les montants à inclure en vertu de l’article 6 à titre d’avantage accordé à l’employé, relativement à la levée ou à la disposition d’options d’achat d’actions. Parmi ces règles, l’alinéa 7(1)b) vise le cas où l’employé dispose de son droit à des actions, en prenant de l’argent comptant au lieu des actions. Les parties pertinentes de l’alinéa 7(1)b) sont reproduites ci-dessous :  

Émission de titres en faveur d’employés

7(1) Sous réserve du paragraphe (1.1), lorsqu’une personne admissible donnée est convenue d’émettre ou de vendre de ses titres, ou des titres d’une personne admissible avec laquelle elle a un lien de dépendance, à l’un de ses employés ou à un employé d’une personne admissible avec laquelle elle a un lien de dépendance, les règles suivantes s’appliquent :

[…]

b.1) dans le cas où l’employé a transféré des droits prévus par la convention afférents à tout ou partie des titres à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance qui est la personne admissible donnée ou une personne admissible avec laquelle celle-ci a un lien de dépendance, ou a autrement disposé de ces droits en faveur d’une telle personne, il est réputé avoir reçu, en raison de son emploi et au cours de l’année d’imposition où il a effectué la disposition, un avantage égal à l’excédent de la valeur visée au sous-alinéa (i) sur la somme visée au sous-alinéa (ii) :

(i) la valeur de la contrepartie de la disposition,

(ii) la somme qu’il a payée pour acquérir ces droits;

[…]

[Non souligné dans l’original.]

[31]        Il convient de signaler que l’alinéa 7(1)b) de la Loi exige que l’employé n’ait pas de lien de dépendance avec la personne en faveur de laquelle il dispose des options d’achat d’actions. En l’espèce, M. Rogers a cédé les options à RCI, personne avec laquelle il entretenait un lien de dépendance. De ce fait, la transaction n’entre pas dans les prévisions de l’alinéa 7(1)b) de la Loi, ni de tout autre alinéa de l’article 7. C’est là que réside le problème.

[32]        Selon l’appelante, l’alinéa 7(3)a) exclut l’application de l’alinéa 6(1)a) de la Loi parce qu’il considère que le paiement de cession n’est pas un avantage que M. Rogers a reçu ou dont il a bénéficié, à l’exception de ce que prévoit l’article 7.

[33]        L’appelante attire mon attention sur la décision récente que la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a rendue à l’occasion de l’affaire Canada c. Quinco Financial Inc.[4], où la CAF a déclaré :

Il peut y avoir des cas où des dispositions formulées en termes précis ou leur interaction procurent un avantage inattendu ou une aubaine à un inscrit en vertu de la Loi. Or, nous ne donnons pas aux dispositions fiscales une interprétation tendancieuse ou une interprétation visant à obtenir un résultat donné pour enrichir la caisse fédérale : Shell Canada, précité, aux paragraphes 39 et 40. Par contre, en l’absence de termes qui nous permettent de corriger des cas d’abus ou des cas relatifs à un avantage inattendu, lorsque les dispositions sont précises, claires et non équivoques, il faut leur donner plein effet.

[34]        La thèse de l’intimée est  que toute partie d’un avantage tiré d’un emploi qui n’est pas incluse dans le revenu en vertu de l’article 7 doit être incluse dans le revenu aux termes de l’article 6 de la Loi. À l’appui de cette thèse, elle cite la décision que la Cour a rendue à l’occasion de l’affaire Dundas c. M.N.R.[5]. Le contribuable avait alors reçu une somme d’argent de son employeur en règlement de l’annulation d’une convention relative à une option d’achat d’actions. Le contribuable soutenait que le montant constituait des dommages-intérêts du fait de la violation de la convention et qu’il s’agissait donc d’un gain en capital. Le juge Rip, plus tard juge en chef, a conclu qu’aux termes de l’alinéa 7(1)b) la somme était à inclure dans le revenu. Il a discuté l’article 7 de la Loi en ces termes :

Selon le paragraphe 7(3), lorsqu’une société a convenu de vendre ou d’attribuer des actions de son capital-actions à un employé, aucun avantage n’est réputé avoir été reçu par ce dernier par suite ou en vertu de la convention aux fins de la Partie I de la Loi, sauf ce que prévoit l’article 7. Le paragraphe 7(3) s’applique aux avantages réputés reçus et prévoit que les avantages de ce genre qui découlent d’un accord d’option d’achat d’actions ne sont imposables que s’ils satisfont aux conditions énoncées à l’article 7. Le paragraphe 7(3) prévoit donc que seuls les avantages réputés avoir été reçus ou dont un employé a profité par suite ou en vertu d’un régime d’options d’achat d’actions, en accord avec l’article 7, sont inclus dans le revenu aux fins du paragraphe 5(1). On peut aussi dire, inversement, que si un avantage doit être inclus dans le revenu d’emploi d’un employé en vertu des paragraphes 7(1) ou 7(1.1), cela signifie qu’aux termes du paragraphe 7(3) aucune partie de l’avantage reçu par suite ou en vertu de la convention envisagée aux paragraphes 7(1) et 7(1.1) ne peut être incluse dans le revenu d’emploi en vertu d’une autre disposition de la Partie I de la Loi.

Par conséquent, si un employé reçoit un avantage de son employeur autrement que par suite ou en vertu d’une convention envisagée aux paragraphes 7(1) ou 7(1.1), il est tenu d’inclure la valeur ou le montant en question dans son revenu en vertu de l’article 6[6].

[Non souligné dans l’original.]

[35]        Se fondant sur le raisonnement du juge Rip dans l’affaire Dundas, l’intimée m’invite à retenir à la thèse selon laquelle l’alinéa 7(3)a) ne joue que dans l’un des cas énumérés au paragraphe 7(1) de la Loi. Je note que, dans l’affaire Dundas, les circonstances ayant abouti à l’annulation de l’option étaient fort différentes de celles qui, en l’espèce, ont donné lieu à la réception du paiement de cession. Dans l’affaire Dundas, les options d’achat d’actions avaient été annulées conformément aux clauses d’une convention de fusion. Cela avait été fait en violation du régime d’options d’achat d’actions, qui prévoyait que les options devaient survivre à toute fusion. En l’espèce, le paiement de cession a été fait conformément aux conditions des options, qui comportaient le DAA.

[36]        À l’appui de la thèse selon laquelle l’article 7 prime sur les articles 5 et 6 de la Loi, l’appelante cite l’arrêt M.N.R. v. Chrysler Canada Ltd. et al[7]; dans cette affaire, la Cour fédérale – Section de première instance – était appelée à rechercher s’il fallait considérer le Régime d’actionnariat des employés (« RAE ») de Chrysler comme un « régime de prestations aux employés », au sens du paragraphe 248(1) de la Loi, ou comme une option d’achat d’actions, au sens de l’article 7 de la Loi. Le juge Strayer a déclaré que le RAE était à la fois un régime d’options d’achat d’actions et un régime de prestations aux employés. Signalant la règle d’interprétation des lois selon laquelle les dispositions spécifiques l’emportent sur les dispositions générales, la Cour a conclu que l’article 7 l’emportait sur l’article 6 de la Loi, qui, de ce fait, ne jouait pas. Le juge Strayer a formulé la conclusion suivante :

Lorsque de tels avantages sont imposables conformément à l’article 7, la Loi semble elle-même donner « priorité » à cet article. Lorsqu’il existe une convention comme celle qui est visée au paragraphe 7(1) existe, l’alinéa 7(3)a) dispose :

a) l’employé n’est pas réputé avoir reçu un avantage ni en avoir bénéficié en vertu de la convention aux fins de la présente partie, sauf indication contraire au présent article […]

La partie qui est visée est la partie I de la Loi. La partie I comprend le paragraphe 5(1), une disposition générale qui impose le « traitement, salaire et autre rémunération [...] » tiré d’un emploi, ainsi que le paragraphe 6(1), qui impose diverses sommes reçues à titre de revenu tiré d’un emploi, y compris les sommes reçues dans le cadre d’un régime de prestations des employés. Pour appliquer l’un ou l’autre de ces articles d’imposition, on serait obligé, aux termes de l’alinéa 7(3)a), de considérer les avantages obtenus par les employés comme étant la sonne calculée conformément à l’alinéa 7(1)a), le montant reçu au cours de l’année étant calculé conformément à l’alinéa 7(2)a) (c’est-à-dire dans l’année au cours de laquelle le fiduciaire a commencé à détenir les actions).[8]

[37]        Pour étayer davantage cette thèse, l’avocat de l’appelante m’a cité la décision du juge Bowman, plus tard juge en chef, rendue à l’occasion de l’affaire Bowens c. The Queen[9]. Le ministère public avait alors fait valoir que l’alinéa 7(1)b) visait une disposition d’options de la part d’un contribuable en faveur d’une tierce partie. Subsidiairement, le ministère public avait invoqué l’article 6. Dans une observation incidente, le juge Bowman a signalé que l’article 7 l’emportait sur l’article 6 de la Loi. Et, a-t-il ajouté :

La position subsidiaire visée par l’article 6 n’a pas été défendue avec vigueur, et avec raison, d’après moi, à la lumière des dispositions de l’alinéa 7(3)a). L’octroi, par la DEB, des options à l’appelant était le type d’entente qu’envisage le paragraphe 7(3), et ce fait à lui seul écarte l’article 6. Il se trouve toutefois que l’alinéa 7(1)b) ne s’appliquait pas et ce fait en soi ne fait évidemment pas tomber le contribuable sous le coup de l’article 6.[10]

[38]        Je souscris au raisonnement retenu à l’occasion des affaires Chrysler et Bowens. L’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de l’article 7 de la Loi m’amène à conclure que cette disposition est conçue pour offrir un régime complet d’imposition des avantages qui découlent d’une convention d’options d’achat d’actions. Le texte de l’alinéa 7(3)a) est clair et sans ambiguïté : il est réputé que l’employé n’a ni reçu un avantage, ni bénéficié d’un avantage en vertu ou par l’effet d’une convention d’options d’achat d’actions, sauf indication contraire dans cet article :

7(3) Lorsqu’une personne admissible donnée est convenue d’émettre ou de vendre de ses titres, ou des titres d’une personne admissible avec laquelle elle a un lien de dépendance, à un de ses employés ou à un employé d’une personne admissible avec laquelle elle a un lien de dépendance, les présomptions suivantes s’appliquent :

a) l’employé est réputé ne pas avoir reçu d’avantage ni avoir bénéficié d’un avantage en vertu ou par l’effet de la convention, sauf indication contraire au présent article;

[…]

[Non souligné dans l’original.]

[39]        Si l’on interprète de manière étroite l’exception prévue à l’alinéa 7(3)a), comme l’intimée voudrait qu’on le fît – c’est-à-dire que cette disposition ne joue que si l’avantage est assujetti à l’impôt en vertu du paragraphe 7(1) de la Loi – cela signifierait qu’un transfert entre deux parties sans lien de dépendance pourrait être immédiatement imposable, malgré le fait que l’article 7 prévoit expressément que tel ne devrait pas être le cas. Par exemple, l’alinéa 7(1)b) de la Loi autorise l’employé à transférer des options à la société qui les détient en échange d’une contrepartie et sans être immédiatement assujetti à l’impôt. Cependant, si la société lève les options ou en dispose en faveur d’une personne avec qui elle n’a aucun lien de dépendance, l’avantage est imposable entre les mains de l’employé. Si je retenais l’interprétation de l’intimée, l’avantage, dans l’exemple qui précède, serait frappé d’une double imposition.

[40]        L’appelante relève les modifications apportées ultérieurement à l’article 7 qui ont corrigé cette lacune. Le paragraphe 7(1) a été modifié, avec effet au 4 mars 2010, en vue d’inclure le nouvel alinéa 7(1)b.1) de la Loi, qui a pour effet de s’appliquer à la question qui est en litige en l’espèce. Essentiellement, l’employé est réputé avoir reçu un avantage tiré de son emploi s’il dispose des droits que confère une convention d’options d’achat d’actions en faveur de l’employeur avec lequel il a un lien de dépendance. La modification jouait prospectivement. L’appelante soutient que cette modification sert à confirmer qu’aucune autre disposition de l’article 7 ne visait le paiement de cession à la période en cause. C’est là l’interprétation que je retiens.

[41]        Une autre des thèses qu’invoque l’intimée est que l’alinéa 7(3)a) ne vise pas le paiement de cession parce qu’on ne peut pas dire que RCI était « convenue d’émettre ou de vendre de ses titres » à M. Rogers lorsque celui-ci a cédé ses options. Il a plutôt reçu de l’argent comptant au lieu de lever ces options.

[42]        À mon avis, les arguments de l’intimée ne tiennent pas compte du libellé général du paragraphe 7(3) de la Loi. Cette disposition prévoit que, sauf indication contraire à l’article 7, l’employé « est réputé ne pas avoir reçu d’avantage ni avoir bénéficié d’un avantage en vertu ou par l’effet de la convention » par laquelle l’employeur a convenu d’émettre des actions à ses employés. Le paragraphe 7(1) vise les avantages découlant du fait que des options sont levées et que des actions sont reçues par l’employé, ainsi que les avantages qui découlent du fait que l’employé dispose de droits prévus par une convention en faveur d’une personne avec laquelle il n’a aucun lien de dépendance. Le paragraphe 7(3) vise à exclure les avantages qui découlent de la levée et de la disposition d’options en faveur d’une personne avec lien de dépendance.

[43]        En l’espèce, il est incontestable que RCI a convenu d’émettre ou de vendre des actions à M. Rogers. L’octroi du DAA n’a pas fait disparaître l’engagement de RCI d’émettre des actions. Il s’agissait d’une caractéristique additionnelle qui permettait à M. Rogers de choisir de disposer des options en échange du paiement de cession. Dans ce contexte, le paiement de cession est un avantage que M. Rogers a reçu en vertu ou par l’effet de la convention d’options. Cet avantage aurait été imposable en vertu du paragraphe 7(1) de la Loi n’eût été le lien de dépendance entre RCI et M. Rogers.

[44]        Cela nous amène à la thèse suivante de l’intimée : si le paiement de cession n’est pas imposable aux termes de l’article 6, il fait dans ce cas partie du « traitement, [du] salaire et [de] toute autre rémunération », et donc être inclus dans le revenu en application du paragraphe 5(1) de la Loi, dont voici le texte :

5(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, tiré d’une charge ou d’un emploi est le traitement, le salaire et toute autre rémunération, y compris les gratifications, que le contribuable a reçus au cours de l’année.

[45]        L’appelante soutient que le paiement de cession ne constitue pas un « traitement » ou un « salaire » car il ne s’agissait ni du paiement fixe d’un travail régulier ni d’un paiement périodique en échange du travail ou des services d’un employé. La question est donc la suivante : le paiement de cession peut-il être qualifié de « traitement, […] salaire et […] toute autre rémunération »? Selon moi, non.

[46]        Les mots « traitement », « salaire » et « toute autre rémunération » ne sont pas définis aux fins de l’article 5. Le sens ordinaire des deux premiers mots connote le versement d’un paiement périodique et fixe par un employeur à un employé en échange d’un travail ou de services fournis. Le paiement de cession ne correspond pas à ce sens.

[47]        À l’instruction et dans ses observations écrites, l’avocat de l’appelante a attiré mon attention sur la jurisprudence Hale c. The Queen[11]. Dans cette affaire, le contribuable avait exercé un DAA rattaché à des options d’achat d’actions qui lui avaient été accordées pendant qu’il résidait et travaillait au Canada. Il avait exercé le DAA après être devenu résident du Royaume-Uni. La question en litige consistait à savoir si le paiement qui lui avait été fait en vertu du DAA faisait partie des « autres rémunérations similaires » au sens du paragraphe 15(1) de la Convention fiscale entre le Canada et le Royaume-Uni (la « Convention »). La Cour fédérale a conclu que le paiement constituait un avantage reçu en raison de l’emploi du contribuable, comme il était défini à l’alinéa 7(1)b), et non une « rémunération » aux fins de la Convention. Se fondant sur la jurisprudence McNeil c. Canada, [1987] 1 C.F. 119, 86 DTC 6477, la Cour fédérale a conclu : « [i]l faut donc en arriver à la conclusion que les termes “salaire, traitement et autre rémunération” correspondent inéluctablement à une somme d’argent reçue en contrepartie d’une prestation de services ». À l’occasion de l’affaire Hale, la Cour s’est également fondée dans une large mesure sur la jurisprudence Hurd c. La Reine[12] de la CAF, laquelle enseigne aussi que l’avantage représentant la différence entre la valeur d’actions au moment de leur acquisition à la levée d’une option d’achat d’actions et le prix payé pour elles dans le cadre de l’option n’était pas une « autre rémunération » aux fins de l’article 5 de la Loi.

[48]        Je retiens la thèse de l’appelante. Le paiement de cession n’est pas à proprement parler un « traitement, [un] salaire et toute autre rémunération ». Là encore, cela concorde avec le texte, le contexte et l’objet des articles 5 à 7 de la Loi.

B.      Le paiement de cession est-il un avantage conféré à l’actionnaire?

[49]        La thèse subsidiaire de l’intimée est que le paiement de cession, s’il n’est pas imposable en vertu de l’alinéa 6(1)a) et de l’article 5 de la Loi, constitue un avantage conféré à l’actionnaire qui doit être inclus dans le revenu aux termes du paragraphe 15(1).

[50]        Les deux parties m’ont cité la décision du juge Bowman, plus tard juge en chef, prononcée à l’occasion de l’affaire Del Grande c. The Queen[13]; le contribuable était dirigeant et actionnaire à 25 % de deux sociétés à l’égard desquelles on lui avait accordé des options d’achat d’actions. Les options n’avaient aucune valeur à l’époque où elles avaient été accordées, soit en 1982. Quand il les leva plus de trois ans plus tard, les actions avaient une juste valeur marchande de 171 738 $. Par voie de nouvelle cotisation, le ministre a ajouté la somme de 171 738 $ au revenu de l’appelant en 1985, au motif que celui-ci avait reçu un « avantage » au sens de l’alinéa 15(1)c). En appel, le juge Bowman a conclu qu’aucun avantage n’avait été conféré à l’appelant en 1985 puisque les entreprises ne faisaient rien de plus qu’honorer un engagement pris antérieurement. Par ailleurs, tout avantage reçu par l’appelant ne l’avait pas été parce qu’il était actionnaire mais plutôt en raison de sa situation de dirigeant ou d’administrateur des entreprises.

[51]        De l’avis de l’intimée, il faut faire un distinguo entre les faits de la présente espèce et ceux de l’affaire Del Grande. Premièrement, l’appelant était l’actionnaire contrôlant de RCI. Il détenait près de 91 % des actions avec droit de vote de catégorie A. L’intimée soutient que l’appelant a pris les dispositions nécessaires pour que les actionnaires approuvent le DAA. Compte tenu du nombre d’actions qu’il détenait, l’issue du vote visant à faire approuver la modification au Régime pour accorder le DAA ne faisait aucun doute.

[52]        À mon avis, l’intimée omet de tenir compte du fait que M. Rogers a renoncé à quelque chose de valeur égale pour recevoir le paiement de cession. Ce paiement reflétait la « valeur pécuniaire » des options. Il s’agissait d’une contrepartie pour l’annulation des options non levées. Vu sous cet angle, le paiement de cession ne peut guère être qualifié d’« avantage » imposable aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi.

C.      La cession des options était-elle un projet comportant un risque de caractère commercial?

[53]        À l’occasion de l’affaire Baird c. Canada[14], la CAF a examiné en détail le sens d’« un projet comportant un risque de caractère commercial » au regard de la disposition d’actions d’une société publique.

[54]        Dans cette affaire, on avait accordé à l’appelant des options en vue d’acquérir des actions de son employeur, BCE Emergis. L’appelant avait levé les options et acquis les actions. Il les avait vendues dans le cadre de deux opérations et avait subi des pertes totalisant un peu plus de 1 000 000 $. Il les avait déduites à titre de pertes autres qu’en capital. Le ministre avait établi une nouvelle cotisation en prenant pour base que les pertes étaient des pertes en capital.

[55]        Le juge Margeson avait rejeté l’appel. L’appelant a porté l’affaire en appel devant la CAF au motif que les pertes découlaient d’un projet comportant un risque de caractère commercial.

[56]        Le juge Nadon a retenu, au paragraphe 14 de la décision, la définition suivante du « projet comportant un risque de caractère commercial », tirée de la page 333 du traité Principles of Canadian Income Tax Law (5e éd. (Toronto : Thomson Carswell, 2005) de Peter W. Hogg, Joanne E. Magee et Jinyan Li : [traduction] « Projet comportant un risque de caractère commercial s’entend d’une opération isolée (n’ayant pas le caractère répétitif ou organisé d’un commerce ou négoce) dans le cadre de laquelle le contribuable achète un bien dans le but de le vendre à profit et vend ensuite ce bien (normalement à profit, mais parfois à perte) ».

[57]        Le juge Nadon a ensuite examiné la jurisprudence Friesen de la CSC[15], et a observé :

Dans Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, le juge Major, qui s’exprimait au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, a fait remarquer à la page 115 que la notion de projet comportant un risque de caractère commercial est une création jurisprudentielle visant à départager les opérations d’achat et de vente qui sont de nature commerciale de celles qui tiennent d’une immobilisation. Le juge Major a ensuite souligné que, pour qu’une opération d’achat et de vente constitue un projet comportant un risque de caractère commercial, elle doit comporter un « plan visant la réalisation d’un bénéfice ». À son avis, le contribuable devait avoir l’intention légitime de tirer un bénéfice de l’opération. À cet égard, il a cité le Bulletin d’interprétation IT-459, « Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial » (8 septembre 1980), où sont résumés les facteurs pertinents dont les tribunaux se sont servis pour déterminer si une opération immobilière constitue un projet comportant un risque de caractère commercial. Voici un extrait du paragraphe 4 de ce Bulletin :

Pour déterminer si une transaction en particulier représente un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, les tribunaux ont établi que toutes les circonstances entourant la transaction doivent être prises en considération et qu’aucun critère unique ne peut être formulé. De façon générale, cependant, les principaux critères qui ont été appliqués sont les suivants :

1. le contribuable a-t-il traité le bien qu’il avait acquis de la même manière qu’un négociant aurait habituellement traité un tel bien;

2. la nature et la quantité des biens excluent-elles la possibilité que leur vente soit la réalisation d’un investissement ou soit, par ailleurs, une réalisation de capital, ou que les biens puissent avoir fait l’objet d’une disposition autrement que par une transaction commerciale;

3. l’intention du contribuable, établie par les faits ou par déduction, est‑elle dans la même ligne que d’autres preuves indiquant une motivation commerciale.

[58]        Il a également pris en compte la jurisprudence Irrigation Industries Ltd. v. Minister of National Revenue de la CSC[16], laquelle portait sur la question de savoir si un achat d’actions [traduction] « sur les réserves de la compagnie » et leur vente subséquente avec bénéfice constituait un « projet comportant un risque de caractère commercial ».

[59]        En examinant cette jurisprudence, le juge Nadon a fait les observations suivantes :

Pour trancher la question dont la Cour était saisie dans cette affaire-là, le juge Martland a formulé un certain nombre de commentaires qui demeurent pertinents aujourd’hui. D’abord, il a souligné au paragraphe 13 de ses motifs qu’il lui était difficile de concevoir un cas d’achat de titres dans lequel l’acheteur n’aurait pas [traduction] « au moins en partie l’intention de revendre ces derniers si leur valeur augmentait au point où leur vente paraîtrait financièrement souhaitable ». Il a ensuite ajouté que, si l’intention de vendre à profit des actions permet de trancher le litige, [traduction] « alors l’achat et la revente de titres doivent constituer un projet comportant un risque de caractère commercial... ». Il a donc souligné que la question de savoir si une transaction isolée sur des titres constitue un projet comportant un risque de caractère commercial ne peut être tranchée uniquement en fonction de l’intention subjective principale de l’acheteur au moment de l’achat[17].

[60]        En résumé, compte tenu de ce qui précède, pour rechercher si une opération particulière constitue un projet comportant un risque de caractère commercial il y a lieu de prendre en considération la totalité des circonstances entourant l’opération. Il est possible de résumer dans les questions qui suivent les principaux critères qui ont été appliqués : (i) le contribuable a-t-il traité le bien qu’il a acquis comme l’aurait fait habituellement un négociant d’un tel bien; (ii) le bien était-il d’une nature telle que le contribuable n’aurait pu en disposer que dans le cadre d’une transaction commerciale; (iii) à l’époque où il a acquis le bien, le contribuable entendait-il le revendre à profit?

Le DAA est-il un bien distinct?

[61]        Avant d’appliquer ces critères, il me faut discuter une question nouvelle que l’intimée a soulevée dans ses observations écrites sur l’argument fondé sur l’article 9. L’intimée soutient que les modifications qui ont ajouté le DAA au Régime ont fondamentalement modifié la nature des options.

[62]        La thèse de l’intimée est essentiellement fondée sur le fait qu’il faut considérer le DAA comme un droit distinct des options, de telle sorte que la disposition du DAA donne lieu à un montant de revenu.

[63]        Ceci étant dit avec égards, je ne souscris pas à cette thèse. Comme il a été dit plus tôt, l’octroi du DAA n’a pas fait disparaître la promesse de RCI d’émettre des actions en vertu des conditions du Régime. Le DAA n’avait aucune fonction ou force indépendante des options. Il s’agissait d’une caractéristique ajoutée, qui permettait à M. Rogers de choisir de céder les options en échange d’une contrepartie, qui était le paiement de cession.

[64]        Son seul objet était de permettre la disposition des options plutôt que leur simple levée, une mesure qui aurait abouti à une plus grande dilution des actions. Pour ces raisons, le DAA ne peut pas être considéré comme un bien distinct.

La conduite de M. Rogers

[65]        Si l’on applique les critères consacrés par la jurisprudence Baird, la première question qui se pose consiste à savoir si M. Rogers a disposé des options de la même manière qu’un négociant l’aurait fait.

[66]        L’intimée répond par l’affirmative parce que M. Rogers a attendu jusqu’au tout dernier jour possible pour disposer de ses options en contrepartie du paiement de cession.

[67]        Ceci dit avec égards, je ne souscris pas à la qualification que fait l’intimée de la matière dont les négociants traitent des options. Ces derniers se servent des  options à des fins diverses. Celles que détenait M. Rogers sont habituellement appelées « options d’achat », et l’option d’achat permet à son détenteur d’acheter un titre à un prix fixe dans un délai précis.

[68]        L’option d’achat permet aussi à un négociant de miser sur le fait que les titres sous-jacents augmenteront de valeur à court terme. Le négociant le fait en ne risquant que le prix d’option plutôt qu’en utilisant des fonds d’une valeur égale au plein prix du titre.

[69]        Dans la plupart des cas, le négociant dispose de l’option lorsqu’il est satisfait de l’augmentation de la valeur pécuniaire ou du bénéfice qu’il réalisera grâce à la vente de l’option. Ce n’est pas ce que M. Rogers a fait. Il a gardé les options jusqu’à la toute fin et les a cédées au moment où elles étaient sur le point d’expirer.

1)                La nature du bien

[70]        Les options ne pouvaient pas produire un revenu, ce qui est souvent considéré comme une caractéristique d’une immobilisation. Toutefois, cela, en soi, n’exclut pas la possibilité que les options constituent une immobilisation. Cette thèse trouve appui à l’article 49 de la Loi, qui règlemente notamment le traitement fiscal des options qui sont levées ou qui ont expiré. L’article 49 de la Loi[18] figure à la partie I, Section B, Sous-section c, intitulée « Gains en capital imposables et pertes en capital déductibles ». Il reconnaît que les options relatives à l’acquisition d’un bien peuvent constituer une immobilisation, suivant les circonstances qui entourent l’acquisition et la disposition des options.

2)                L’intention de M. Rogers

[71]        Il ressort des éléments de preuve que M. Rogers a détenu les options pendant dix ans et que, peu avant leur expiration, il les a cédées à RCI en échange du paiement de cession.

[72]        Quand les options ont été accordées à M. Rogers, le Régime ne prévoyait pas de DAA. Je présume que, n’eût été de l’ajout du DAA près de dix ans après l’octroi des options, M. Rogers aurait levé en fin de compte les options et ajouté les actions supplémentaires au nombre considérable d’actions de RCI qu’il détenait. L’intimée admet que, si M. Rogers l’avait fait, les actions qu’il aurait reçues auraient constitué une immobilisation et qu’il aurait réalisé ou subi un gain ou une perte en capital imposable lors de leur disposition ultérieure[19]. Rien dans le dossier ne donne à penser que M. Rogers a acquis les options dans l’intention de disposer de ces dernières ou des actions sous-jacentes en échange d’argent comptant.

[73]        Au vu de ce qui précède, je conclus que le paiement de cession ne consituait pas un bénéfice tiré d’un projet comportant un risque de caractère commercial.

3)                Une nouvelle thèse

[74]        Le 29 août 2014, près de trois mois et demi après l’audition du présent appel, l’appelante a déposé une requête en autorisation de modifier son avis d’appel pour pouvoir avancer une nouvelle thèse (la « nouvelle thèse »), à savoir que M. Rogers avait traité par erreur le paiement de cession comme un gain en capital. Selon l’appelante, cette nouvelle thèse mérite d’être examinée car elle est fondée sur l’issue de l’affaire Mathieu c. La Reine[20], une décision récente de la Cour, rendue le 27 juin 2014.

[75]        J’ai rejeté la requête de l’appelante pour les motifs énoncés dans mon ordonnance, que je ne réitérerai pas ici. J’aimerais toutefois formuler deux observations. Premièrement, par la décision Mathieu, la Cour n’a pas discuté la question de savoir si la cession des options, par l’appelant, donnait lieu à un gain en capital. Cette question n’a pas été soulevée par les parties, pas plus que la Cour ne l’a discutée.

[76]        Aux termes du paragraphe 7(3) de la Loi, il est présumé qu’il n’y a pas d’avantage lorsqu’on dispose d’options, mais cette disposition déterminative ne joue qu’aux fins de l’article 6 de la Loi. Il est important de signaler que dans la Loi le gain en capital n’est pas défini comme le gain découlant de la disposition d’une immobilisation. Le paragraphe 39(1) définit plutôt le gain en capital de façon générale comme « le gain en capital d’un contribuable, tiré […] de la disposition d’un bien quelconque » autre qu’un bien spécifiquement exclu par cette disposition (un « bien exclu »)[21]. Conscient de la possibilité de chevaucher d’autres dispositions de la Loi, le législateur a décidé d’exclure expressément les gains par ailleurs inclus dans le revenu en vertu de l’article 3.

[77]        En l’espèce, M. Rogers a réalisé un gain par suite de la disposition des options. Les options constituent un bien. Elles ne sont pas un bien exclu. En raison du paragraphe 7(3) de la Loi, aucune partie du gain n’a par ailleurs été incluse dans le revenu en application de l’article 3. Il s’agit de ce fait d’un gain en capital aux fins de l’article 39. M. Rogers a donc eu raison de considérer qu’il avait réalisé un gain en capital qui correspondait au montant du paiement de cession reçu à titre de produit de la disposition de ses options.

[78]        Par tous ces motifs, l’appel est accueilli et la nouvelle cotisation annulée.

Signé à Toronto (Ontario), ce 25e jour de novembre 2014.

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2015.

 

 

 

François Brunet, réviseur

 

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 348

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-1845(IT)G

INTITULÉ :

LA SUCCESSION DE FEU EDWARD S. ROGERS c. LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 mai 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Robert J. Hogan

DATE DU JUGEMENT :

Le 25 novembre 2014

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Al Meghji

Me Hemant Tilak

Me Pooja Samtani

Avocates de l’intimée :

Me Samantha Hurst

Me Naomi Goldstein

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

          Pour l’appelante :

Noms :

Me Al Meghji

Me Hemant Tilak

Me Pooja Samtani

 

Cabinet :

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] [1992] A.C.I. no 466(QL), 92 DTC 2365 (p. 2369).

[2] Voir Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; Happy Valley Farms Ltd. v. The Queen, 86 DTC 6421 (CFPI).

[3] 2009 CSC 1, [2009] 1 R.C.S. 3.

[4] 2014 CAF 108, au paragraphe 9.

[5] 90 DTC 1529.

[6] Ibidem, aux p. 1539-1540.

[7] 92 DTC 6346.

[8] Ibidem, à la p. 6348.

[9] 94 DTC 1853.

[10] Ibidem, aux p. 1857-1858.

[11] 90 DTC 6481 (CFPI), conf. par 92 DTC 6473 (CAF).

[12] [1982] 1 CF 554, 81 DTC 5140, [1981] CTC 209.

[13] 93 DTC 133.

[14] 2010 CAF 35, 2010 DTC 5035.

[15] Ibidem, au paragraphe 15.

[16] [1962] RCS 346.

[17] Précité à la note 14, au paragraphe 19.

[18] Le paragraphe 49(2) dispose qu’une société qui a accordé une option en échange d’une contrepartie réalise un gain en capital lorsque l’option expire. Le paragraphe 49(3) prévoit que la levée d’une option est réputée ne pas être une disposition d’un bien par le détenteur de l’option.

[19] Observations écrites de l’intimée, datées du 29 août 2014, aux alinéas 30d) et e).

[20] 2014 CCI 207, 2014 DTC 1165.

[21] Les sous-alinéas 39(1)a)(i) à (v) de la Loi énumèrent les types de biens qui sont expressément exclus de cette définition.

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