Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2013-3994(IT)I

ENTRE :

Claude Gaumond,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 24 septembre 2014, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre


Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Emmanuel Jilwan

 

JUGEMENT

        L’appel de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2011 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de novembre 2014.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 


Référence : 2014 CCI 339

Date : 20141114

Dossier : 2013-3994(IT)I

ENTRE :

Claude Gaumond,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre

[1]             L’appelant en appelle d’une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (ministre) par laquelle on refuse de considérer comme une perte au titre d’un placement d’entreprise (PTPE) la perte de 368 341 $ qu’il dit avoir subie au cours de l’année d’imposition 2011. La perte a toutefois été reconnue comme une perte en capital.

[2]             L’appelant est le principal actionnaire et le président de la société Groupe médical Gaumond inc. (GMG), qui a été constituée en 2003.

[3]             GMG est une société privée sous contrôle canadien et une société exploitant une petite entreprise.

[4]             GMG est une entreprise qui fait de la recherche et du développement et se finance en partie au moyen de subventions gouvernementales.

[5]             L’appelant a également contribué au financement de GMG en lui avançant au cours des dix dernières années un total de 368 341 $.

[6]             Des intérêts au taux de 3% ont été versés par GMG à l’appelant, lequel les réinvestissait dans GMG.

[7]             GMG a également obtenu un prêt de la Société d’aide au développement des collectivités - Fonds d’investissement (« S.A.D.C. »), laquelle a exigé le remboursement du plein montant du prêt contracté.

[8]             Au cours du mois de mai 2011, GMG, ne pouvant plus faire face à ses obligations financières, déposait une proposition concordataire en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

[9]             Au moment de faire cette proposition, la réclamation de l’appelant s’élevait à 368 341 $, soit 40% du total des réclamations non garanties (pièce A-1).

[10]        L’appelant a dû renoncer à la totalité de sa créance à la demande des autres créanciers, qui ont voté ensuite en faveur de la proposition, permettant ainsi à GMG de rester active. La proposition a été exécutée le 30 août 2011 (pièce A-1).

Dispositions législatives

[11]        Une perte au titre d’un placement d’entreprise est une perte en capital (définie à l’alinéa 39(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR)) qui remplit les conditions requises à l’alinéa 39(1)c) de la LIR. Les passages pertinents des alinéas 39(1)b) et c) se lisent comme suit :

39. (1) Sens de gain en capital et de perte en capital — Pour l’application de la présente loi :

[…]

bune perte en capital subie par un contribuable, pour une année d’imposition, du fait de la disposition d’un bien quelconque est la perte qu’il a subie au cours de l’année, déterminée conformément à la présente sous-section (jusqu’à concurrence du montant de cette perte qui ne serait pas déductible, si l’article 3 était lu de la manière indiquée à l’alinéa a) du présent paragraphe et compte non tenu du passage « et des pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise subies par le contribuable pour l’année » à l’alinéa 3d), dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour toute autre année d’imposition) du fait de la disposition d’un bien quelconque de ce contribuable, à l’exception :

(i) d’un bien amortissable,

(ii) d’un bien visé à l’un des sous-alinéas a)(i), (ii) à (iii) et (v);

cune perte au titre d’un placement d’entreprise subie par un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien quelconque s’entend de l’excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l’année résultant d’une disposition, après 1977:

(i) soit à laquelle le paragraphe 50(1) s’applique,

(ii) soit en faveur d’une personne avec laquelle il n’avait aucun lien de dépendance,

d’un bien qui est :

(iii) soit une action du capital-actions d’une société exploitant une petite entreprise,

(iv) soit une créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien (sauf une créance, si le contribuable est une société, sur une société avec laquelle il a un lien de dépendance) qui est :

(A) une société exploitant une petite entreprise,

(B) un failli, au sens du paragraphe 128(3), qui était une société exploitant une petite entreprise au moment où il est devenu un failli pour la dernière fois,

(C) une personne morale visée à l’article 6 de la Loi sur les liquidations qui était insolvable, au sens de cette loi, et qui était une société exploitant une petite entreprise au moment où une ordonnance de mise en liquidation a été rendue à son égard aux termes de cette loi, […]

                                                                                        [Je souligne.]

[12]        Le paragraphe 50(1) de la LIR se lit comme suit :

50. (1) Créances reconnues comme irrécouvrables et actions d’une société en faillite — Pour l’application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas :

a) un contribuable établit qu’une créance qui lui est due à la fin d’une année d’imposition (autre qu’une créance qui lui serait due du fait de la disposition d’un bien à usage personnel) s’est révélée être au cours de l’année une créance irrécouvrable;

b) une action du capital-actions d’une société (autre qu’une action reçue par un contribuable en contrepartie de la disposition d’un bien à usage personnel) appartient au contribuable à la fin d’une année d’imposition et :

(i) soit la société est devenue un failli au cours de l’année,

(ii) soit elle est une personne morale visée à l’article 6 de la Loi sur les liquidations, insolvable au sens de cette loi et au sujet de laquelle une ordonnance de mise en liquidation en vertu de cette loi a été rendue au cours de l’année,

(iii) soit les conditions suivantes sont réunies à la fin de l’année :

(A) la société est insolvable,

(B) ni la société ni une société qu’elle contrôle n’exploite d’entreprise,

(C) la juste valeur marchande de l’action est nulle,

(D) il est raisonnable de s’attendre à ce que la société soit dissoute ou liquidée et ne commence pas à exploiter une entreprise,

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance ou de l’action à la fin de l’année pour un produit nul et l’avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l’année à un coût nul, à condition qu’il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l’année, pour que le présent paragraphe s’applique à la créance ou à l’action.

                                                                                                          [Je souligne.]

[13]        Le terme « disposition » est défini au paragraphe 248(1) de la LIR. Les passages pertinents se lisent comme suit :

PARTIE XVII — INTERPRÉTATION

248. (1) Définitions — Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« disposition » Constitue notamment une disposition de bien, sauf indication contraire expresse :

a) toute opération ou tout événement donnant droit au contribuable au produit de disposition d’un bien;

b) toute opération ou tout événement par lequel, selon le cas :

(i) une action, une obligation, une débenture, un billet, un certificat, une créance hypothécaire, une convention de vente ou un autre bien semblable, ou un intérêt ou, pour l’application du droit civil, un droit sur un tel bien, est en totalité ou en partie racheté, acquis ou annulé,

(ii) une créance ou un autre droit de recevoir une somme est réglé ou annulé, […].

                                                                                              [Je souligne.]

Arguments des parties

[14]        Les deux parties s’entendent pour dire qu’il y a eu disposition de la créance par l’appelant lorsque ce dernier a consenti à y renoncer au moment de l’acceptation de la proposition concordataire par les créanciers.

[15]        En l’instance, l’intimée invoque le sous-alinéa 39(1)c)(ii) de la LIR pour soutenir que la perte en capital subie par l’appelant ne peut être considérée comme une PTPE. Selon l’intimée, en renonçant à sa créance envers GMG, l’appelant a disposé de sa créance en faveur d’une personne (GMG) avec laquelle elle avait un lien de dépendance, se rendant ainsi inadmissible à réclamer une PTPE.

[16]        L’appelant soutient qu’il n’a aucunement favorisé GMG. Il a tout simplement permis à cette dernière de rester active, et ce, à la demande des créanciers signataires de la proposition. Qui plus est, il ajoute que s’il avait fait le choix d’établir que sa créance était irrécouvrable au 31 décembre 2010, il aurait eu droit à une PTPE par l’application de l’alinéa 50(1)a) de la LIR. Il trouve donc illogique que la perte subie lors de la disposition réelle de sa créance dans le cadre de la proposition ne reçoive pas le même traitement. Selon lui, la loi ne peut produire un résultat aussi incohérent (pièce I-1).

[17]        Par ailleurs, il soutient qu’il n’existe pas de disposition dans la LIR qui stipule que, lorsqu’une personne renonce au paiement d’une créance, cette personne est réputée disposer de cette créance « en faveur » du débiteur. Il fait un parallèle avec le paragraphe 84(9) de la LIR, qui établit une présomption de ce genre dans le cas de l’annulation d’une action du capital-actions d’une société.

[18]        Finalement, l’appelant invoque le sous-alinéa 39(1)c)(iv) de la LIR pour soutenir, a contrario, qu’un particulier peut réclamer une PTPE sur la perte qu’il subit sur une créance d’une société avec laquelle il a un lien de dépendance.

Analyse

[19]        Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que l’appelant n’a pas droit à la PTPE, mais pour des motifs différents de ceux invoqués par l’intimée.

[20]        Pour avoir droit de traiter une perte en capital comme une PTPE, le contribuable doit remplir l’une des deux conditions préalables que j’analyserai ci‑après.

          1re condition préalable : Application du paragraphe 50(1) de la LIR.

[21]        Il est clair que le paragraphe 50(1) ne s’applique pas ici puisque l’une des conditions d’application est que la créance soit encore due au contribuable à la fin de l’année d’imposition. Or, l’appelant ayant renoncé à sa créance, cette dernière n’était plus due par GMG à la fin de l’année 2011. Pour pouvoir se prévaloir de cette disposition au cours de l’année d’imposition 2010, il aurait fallu, d’une part, que l’appelant en fasse le choix dans sa déclaration de revenus pour cette même année, ce qu’il n’a pas fait, et d’autre part, qu’il prouve que sa créance était devenue irrécouvrable à la fin de l’année 2010.

          2e condition préalable : Puisque le paragraphe 50(1) ne s’applique pas, la disposition de la créance doit être en faveur d’une personne avec laquelle le contribuable n’a aucun lien de dépendance.

[22]        Ici, il n’est pas contesté qu’il y a eu disposition et je n’ai pas à décider de cette question. La question est de savoir si cette disposition a été faite en faveur d’une personne avec laquelle le contribuable n’avait aucun lien de dépendance.

[23]        Bien que, selon la définition de « disposition » au paragraphe 248(1) de la LIR, le règlement ou l’annulation d’une créance équivaille à une disposition, cette définition ne prévoit pas que la disposition soit faite en faveur de qui que ce soit.

[24]        Il semble clair que la définition faisant du règlement ou de l’annulation de la créance une disposition de cette même créance a pour effet de permettre au contribuable de réclamer une perte en capital, telle qu’elle est définie à l’alinéa 39(1)b). Cet alinéa n’exige pas que la disposition soit faite en faveur de quiconque.

[25]        Toutefois, je ne pense pas que l’on puisse prétendre ici qu’il y a eu disposition en faveur d’une personne quelle qu’elle soit. Pour prétendre le contraire, il aurait été préférable que le législateur se prononce clairement, comme il l’a fait dans le cas du rachat, de l’acquisition ou de l’annulation d’une action, trois opérations entrant dans la définition de « disposition » au sous-alinéa 248(1)b)(i) de la LIR. Dans ces trois cas particuliers, le législateur a prévu au paragraphe 84(9) de la LIR que l’actionnaire est réputé avoir disposé de l’action en faveur de la société.

84(9) Disposition d’actions en cas de rachat, acquisition ou annulation Il est entendu que l’actionnaire d’une société qui a disposé d’une action du capital-actions de la société à cause du rachat, de l’acquisition ou de l’annulation de l’action par la société est réputé, pour l’application de la présente loi, avoir disposé de l’action en faveur de la société.

[26]        Le Bulletin d’interprétation IT-484R2 -- Pertes au titre d’un placement d’entreprise, 28 novembre 1996, précise ceci au paragraphe 13 :

13.  Si un actionnaire n’a pas de lien de dépendance avec une société exploitant une petite entreprise, il peut subir une perte au titre d’un placement d’entreprise lorsque les actions de cette société sont rachetées ou achetées en vue d’une annulation. Selon le paragraphe 84(9), l’actionnaire dispose des actions en faveur de la société au moment où celle-ci les rachète, les acquiert ou les annule. […]

[27]        Ainsi, sans l’existence du paragraphe 84(9) de la LIR, on peut présumer que l’actionnaire qui est sans lien de dépendance avec la société exploitant une petite entreprise et qui voit racheter ou annuler ses actions ne pourrait bénéficier d’une PTPE.

[28]        Selon la lecture que je fais de l’alinéa 39(1)c) de la LIR, la seule façon pour un contribuable de réclamer une PTPE sur une créance est de passer par l’application du paragraphe 50(1) lorsque sa créance est devenue irrécouvrable (en vertu du sous-alinéa 39(1)c)(i) de la LIR), ou de démontrer qu’il a disposé de sa créance à perte, en faveur d’une personne sans lien de dépendance. Si la disposition est réalisée par l’effet du règlement ou de l’annulation de la créance, le contribuable devra faire la démonstration qu’il a réglé ou annulé sa créance en faveur d’une personne sans lien de dépendance (en vertu de la lecture combinée du sous-alinéa 39(1)c)(ii) et de la définition du terme « disposition » au paragraphe 248(1) de la LIR).

[29]        De plus, dans le cas d’une société, si celle-ci est en mesure de démontrer que sa créance est devenue irrécouvrable en vertu du paragraphe 50(1) de la LIR, elle n’aura pas droit à une PTPE si elle détient sa créance sur une société avec laquelle elle a un lien de dépendance (par l’effet du sous-alinéa 39(1)c)(iv) de la LIR), alors qu’un individu ne fait pas face à une telle restriction (dans la mesure où il démontre d’abord qu’il remplit les conditions du paragraphe 50(1) de la LIR).

[30]        Par ailleurs, le sous-alinéa 39(1)c)(iv) de la LIR n’est applicable que si les conditions requises aux sous-alinéas 39(1)c)(i) et (ii) de la LIR sont remplies.

[31]        En l’espèce, je ne crois pas que l’on puisse dire que l’appelant remplit la deuxième condition préalable pour pouvoir réclamer une PTPE. En effet, en l’absence d’une disposition analogue au paragraphe 84(9) qui s’appliquerait dans le cas du règlement ou de l’annulation d’une créance, j’estime qu’en renonçant purement et simplement à sa créance l’appelant n’en a pas disposé en faveur de quiconque; donc, a fortiori, il n’en a pas disposé en faveur d’une personne avec laquelle il n’avait aucun lien de dépendance, ou du moins il n’en a pas fait la démonstration.

Décision

[32]        À la lumière des conclusions ci-dessus, l’appelant ne peut malheureusement pas bénéficier d’une PTPE sur la renonciation à sa créance en 2011.

[33]        L’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de novembre 2014.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 339

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-3994(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Claude Gaumond c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 septembre 2014

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :

Le 14 novembre 2014

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Emmanuel Jilwan

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.