Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2012-2500(IT)G

 

ENTRE :

McGILLIVRAY RESTAURANT LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu le 10 juillet 2014, à Winnipeg (Manitoba).

 

Devant : L'honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Thor J. Hansell

Avocats de l'intimée :

Me Julien Bédard

Me Neil Goodridge

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel relatif aux nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 2007, 2008 et 2009 de l'appelante est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2014.

 

 

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de février 2015.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 357

Date : 20141128

Dossier : 2012-2500(IT)G

 

ENTRE :

McGILLIVRAY RESTAURANT LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle

 

[1]             L'appelante est une société qui exploite un restaurant Keg à Winnipeg. La majorité de ses actions appartiennent à Mme Ruth Howard. L'époux de cette dernière, Gordon Howard, possède les sociétés qui exploitent les deux autres restaurants Keg à Winnipeg; l'une d'elles est la propriétaire de locaux qu'elle loue à l'appelante pour son restaurant Keg, et une autre fournit les services de financement et de gestion à l'appelante. Pendant toute la période en cause, M. Howard était aussi l'unique fondateur et administrateur de l'appelante, ainsi que son président et secrétaire, et il possédait 24 % de ses actions. Il exerçait par ailleurs les fonctions de directeur de l'exploitation et de directeur général des trois restaurants Keg et il était responsable de l'exploitation du restaurant Keg de l'appelante.

 

[2]             La question fiscale qui est soulevée en l'espèce consiste à savoir si, pour les exercices 2007 à 2009, on peut dire de la société appelante, qui est placée sous le contrôle de droit de Mme Howard, et des sociétés appartenant en propriété exclusive à son époux que, d'une part, « la même personne ou le même groupe de personnes contrôle les deux sociétés, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit », en vue de l'application des règles régissant les sociétés associées qui sont énoncées à l'alinéa 256(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), et que, d'autre part, elles sont contrôlées « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » par une autre société, une personne ou un groupe de personnes, selon la définition au paragraphe 256(5.1). La réponse à cette question déterminera si l'appelante doit partager ce que l'on appelle la déduction accordée aux petites entreprises avec les sociétés de M. Howard ou si elle a droit à son propre plafond annuel de 500 000 $ de revenu qui s'applique aux petites entreprises.

 

[3]             Les faits ne sont pas contestés. Nul n'a témoigné à l'audience. Cette dernière s'est entièrement déroulée sur le fondement d'un exposé conjoint partiel des faits, des réponses données par M. Howard lors de l'interrogatoire préalable, que la Couronne a déposées en preuve en vertu de l'article 100 des Règles, et d'un recueil conjoint de documents, présenté en deux volumes.

 

Les faits

 

[4]             Monsieur et madame Howard se sont mariés en 1979. Tous deux détiennent un diplôme d'études universitaires. Depuis la naissance de leur premier enfant, Mme Howard est essentiellement restée au foyer. Avant cela, elle avait exercé les fonctions de gérante adjointe à La Baie et d'agente de fiducie à la Montréal Trust.

 

[5]             Monsieur Howard a commencé à travailler dans un restaurant Keg comme serveur en 1976. L'année suivante, il est devenu gérant adjoint de ce restaurant et, pendant les vingt années qui ont suivi, il est resté au service, à divers titres, de Keg Restaurants Ltd.

 

[6]             À la fin de 1997, Keg Restaurants Ltd. a accordé à une société appartenant en propriété exclusive à M. Howard (« GRR ») une franchise concernant l'exploitation de trois restaurants Keg à Winnipeg. La franchisée a conclu un contrat d'exploitation ainsi que trois contrats de franchise distincts visant des restaurants situés sur la rue Garry, sur l'avenue Portage et sur la route Pembina.

 

[7]             Le contrat d'exploitation prévoyait que tant que GRR exploiterait au moins trois restaurants Keg à Winnipeg, ni Keg Restaurants Ltd. ni un franchisé quelconque ne pouvait ouvrir un restaurant Keg à Winnipeg, sauf si l'on accordait à GRR un droit de préemption concernant l'ouverture du nouvel emplacement. Les droits conférés à GRR aux termes de ce contrat ne pouvaient être cédés sans le consentement de Keg Restaurants Ltd.

 

[8]             Les contrats de franchise (du moins celui qui a été déposé en preuve et qui visait le restaurant de la route Pembina) prévoyaient, notamment, que les activités ordinaires d'exploitation, de gestion et de supervision du restaurant devaient être soumises en tout temps au contrôle complet, direct, exclusif et sur place d'un gestionnaire de la franchisée. Cette dernière devait tenir le franchiseur informé de l'identité de ses gestionnaires. Il ne semble pas que Mme Howard était une telle gestionnaire. Pour ce qui était du directeur général du restaurant, il était nécessaire d'obtenir l'autorisation du franchiseur. Le contrat de franchise interdisait également que la franchisée — GRR — émette ou transfère des actions sans le consentement de Keg Restaurants Ltd., et il fallait que les actions de GRR portent un endossement énonçant ces restrictions. GRR devait aussi tenir le franchiseur Keg Restaurants Ltd. informé de ses actionnaires, dirigeants et administrateurs. Il était interdit à GRR de céder son contrat de franchise sans le consentement de Keg Restaurants Ltd.

 

[9]             Les trois restaurants ont été exploités au départ dans des locaux loués. Au fil du temps et comme les entreprises fonctionnaient bien, GRR a fait l'achat d'un nouvel emplacement sur l'avenue Portage et a construit un nouveau restaurant qui allait remplacer l'emplacement initial situé sur la même avenue. Plus tard, en 2004 environ, M. Howard a voulu déménager le restaurant situé route Pembina à l'intersection du boulevard McGillivray et de la promenade Dovercourt.

 

[10]        GRR a offert d'acheter le terrain du boulevard McGillivray en juillet 2004. Les autorisations nécessaires au déménagement et à la construction du nouveau restaurant ont été obtenues de Keg Restaurants Ltd. Il avait été recommandé à M. Howard que l'immeuble soit détenu par une nouvelle société constituée à cette fin (« MorCourt ») et appartenant en propriété exclusive à M. Howard, et c'est ce que ce dernier a décidé de faire. Le droit bénéficiaire sur MorCourt était détenu par l'intermédiaire d'une société à dénomination numérique appartenant elle aussi en propriété exclusive à M. Howard. MorCourt est également devenue propriétaire de l'immeuble situé l'avenue Portage. Comme dans le cas de GRR, M. Howard en était l'unique actionnaire et administrateur ainsi que le président et le secrétaire.

 

[11]        À la même époque, on a recommandé aussi à M. Howard que le restaurant du boulevard McGillivray soit exploité par une autre nouvelle société, c'est‑à‑dire l'appelante, McGillivray Restaurant Ltd.

 

[12]        McGillivray Restaurant Ltd. a été constituée en 2005 par M. Howard à titre de fondateur. Il en était le premier et unique administrateur, ainsi que son président et secrétaire. Les statuts constitutifs exigeaient le consentement unanime des administrateurs pour tout transfert d'actions de la société. M. Howard a été élu comme unique administrateur par une résolution des actionnaires. Par la voie d'une résolution de l'administrateur, le nombre des administrateurs a été limité à un, sauf si les administrateurs en décidaient autrement. Par la voie d'une résolution de l'administrateur, le président a été désigné comme seul signataire pour les activités bancaires de l'appelante. Selon les souscriptions d'actions produites en preuve, Mme Howard a payé 76 $ pour ses 760 actions ordinaires et M. Howard a payé 24 $ pour les 240 actions ordinaires restantes. (D'après l'exposé conjoint partiel des faits, Mme Howard a payé 100 $ — la différence importe peu.)

 

[13]        Monsieur Howard croyait comprendre qu'il était important que son épouse détienne 76 % des actions ordinaires. Selon lui, avec une telle participation, la nouvelle société serait tout à fait indépendante des sociétés existantes. À son avis aussi, il n'aurait pas besoin de l'accord de son épouse pour prendre des décisions quelconques au nom de l'appelante une fois que celle-ci serait constituée en société et organisée.

 

[14]        Monsieur Howard a dit avoir décidé de suivre cette recommandation sans trop consulter son épouse. Il lui a dit qu'étant donné qu'elle était engagée d'une certaine façon dans l'affaire parce qu'elle vivait avec une personne qui possédait des restaurants, il était recommandé qu'elle devienne actionnaire à 76 %. Son épouse a déclaré qu'elle ne voyait pas d'objection à ce qu'il lui proposait. Il lui a garanti qu'elle n'aurait rien à faire, que les deux continueraient de fonctionner comme ils l'avaient toujours fait. Mme Howard ne l'a pas accompagné pour rencontrer ses conseillers ou pour signer les documents. Elle a vraisemblablement signé des documents qu'on lui a apportés à la maison.

 

[15]        GRR a cédé le contrat de franchise visant le restaurant de la route Pembina à l'appelante avec le consentement de Keg Restaurants Ltd. Cette dernière a voulu savoir quelle était la structure de l'appelante et qui allait s'occuper concrètement d'exploiter le restaurant. M. Howard a indiqué que c'était lui qui exploiterait l'appelante. Mme Howard n'a jamais pris part aux discussions menées avec Keg Restaurants Ltd. Par la suite, les modalités du contrat de franchise décrites plus tôt ont été appliquées de la même façon à McGillivray Restaurant Ltd.

 

[16]        Le restaurant situé route Pembina a fermé le 2 décembre 2005, et le restaurant du boulevard McGillivray a ouvert dix jours plus tard. M. Howard avait déclaré au gérant et à l'équipe de gestion du restaurant qu'ils commenceraient à travailler pour l'appelante, dont son épouse était propriétaire majoritaire, mais que, à part une hausse du chiffre d'affaires, les choses ne changeraient pas beaucoup. Il n'a pas pu se souvenir si on lui avait posé la question, mais si quelqu'un l'avait fait, il lui aurait assuré qu'il continuerait de diriger personnellement les activités. De la même façon, la majorité des employés non gestionnaires du restaurant ont eux aussi déménagé au boulevard McGillivray et ces employés auraient compris que les affaires se poursuivraient comme à l'accoutumée, mais que le nouveau nom apparaîtrait sur leurs chèques de paye.

 

[17]        Il ne semble pas y avoir eu de preuve quant à la manière dont d'autres biens tangibles ou intangibles de GRR qui se rapportaient au restaurant de la route Pembina ont été transférés à l'appelante.

 

[18]        D'après M. Howard, la direction et l'exploitation des trois restaurants sont en fait restées inchangées, sauf que le chiffre d'affaires a augmenté au nouveau restaurant, comparativement à l'ancien restaurant de la route Pembina.

 

[19]        Selon M. Howard, son épouse n'avait jamais pris part dans une grande mesure aux activités des restaurants, et dans le cas des activités relatives au restaurant du boulevard McGillivray, la situation n'a pas changé. Selon lui, la participation de son épouse aux activités des restaurants consistait à l'écouter en parler, surtout au sujet des aspects importants, à donner de temps à autre son avis, à donner des conseils sur l'exploitation de la grilladerie d'un point de vue féminin et à être sa confidente pour ce qui était des garanties bancaires sur leurs biens personnels. Elle avait toujours été chargée des plantes installées sur les patios des restaurants et, durant les années d'imposition en question, c'était elle qui était chargée d'embaucher les personnes qui s'occupaient de ces plantes. M. Howard a déclaré que son épouse avait fait du travail de bureau jusqu'à un certain point, mais pas beaucoup. (Le bureau principal de l'appelante, de GRR et de MorCourt au cours des années d'imposition en cause était situé au second étage du bâtiment qu'occupait le restaurant du boulevard McGillivray. Pour son restaurant, l'appelante louait le rez‑de‑chaussée de MorCourt.) La situation était la même qu'avant la constitution en société de l'appelante et l'ouverture du restaurant du boulevard McGillivray. Mme Howard a continué d'être au service de GRR et le seul revenu indiqué sur son feuillet T4 a été le salaire qu'elle a reçu de GRR jusqu'en décembre 2010. M. Howard a indiqué qu'au cours des années en question, son épouse a peu travaillé pour GRR. Le travail qu'elle a fait pour les restaurants, au service de GRR, avait lieu dans le bureau et dans les restaurants. Il a expliqué que dans le secteur de la restauration, les repas sont un travail. Il a estimé que son épouse passait habituellement quelques heures par semaine à aider les trois restaurants en évaluant le personnel de service, les aliments, la décoration et l'atmosphère, à coordonner la décoration des patios, à faire respecter les normes et à y donner suite, ainsi qu'à évaluer des restaurants concurrents.

 

[20]        Dans le cas du restaurant du boulevard McGillivray, les fonctions d'administration, de comptabilité et de bureau principal, ainsi que les tâches semblables, étaient toutes fournies à l'appelante par GRR, qui facturait pour ce travail des honoraires de gestion. Au cours des années en question, il n'y a eu aucun contrat de gestion écrit. La tenue de livres quotidienne de l'appelante était assurée par un employé de GRR. C'était un employé de GRR qui tenait les livres et les registres de l'appelante, et cela incluait la consignation de la totalité des recettes et des dépenses. Certaines dépenses de M. Howard étaient réparties à parts égales entre les trois restaurants, et la part de l'appelante était attribuée à celle‑ci à la fin de l'année.

 

[21]        Après sa constitution en société, l'appelante a ouvert son propre compte bancaire, mais celui-ci est resté inactif et n'a jamais été utilisé. C'était le compte bancaire de GRR qui était utilisé pour les trois restaurants, y compris celui de l'appelante. M. Howard approuvait et signait les chèques.

 

[22]        Des états financiers combinés de GRR, pour 2007 à 2009, ont été produits en preuve. Ces états indiquent qu'ils ont été établis pour la banque avec laquelle GRR faisait affaire, et ils comportent les comptes de l'appelante, liée en raison de la propriété avec une partie liée, et ceux de MorCourt, liée en raison de la propriété commune. Il semble, d'après ces états financiers, que les activités de GRR, sur un tel fondement combiné, étaient financées par une marge de crédit bancaire d'un montant élevé au nom de GRR et par un prêt d'un montant élevé de la part de l'actionnaire de GRR, M. Howard. Aucune information n'a été produite en preuve au sujet de la répartition de la créance consolidée de GRR ou de la créance de GRR elle‑même ayant servi à financer l'appelante ou ses activités, y compris la dette d'exploitation.

 

[23]        Les états financiers de l'appelante pour 2007 à 2009 ont été produits en preuve. Les sommes élevées qui étaient dues à GRR ou par cette dernière sont inscrites comme des montants dus à une partie liée ou par cette dernière. À la fin de 2009, les avances de l'appelante à GRR avaient augmenté d'un peu moins de 1 000 000 $ à un peu plus de 1 200 000 $ à la fin de l'exercice. Ces avances ne portaient pas intérêt, n'étaient assorties d'aucune condition de remboursement fixe et n'étaient pas garanties. GRR et MorCourt étaient inscrites en tant que parties liées pour les besoins des états financiers de l'appelante en raison de la propriété avec une partie liée. Il est noté dans les états financiers de l'appelante que celle‑ci a fourni à la Banque de commerce une garantie illimitée couvrant la totalité de la créance de GRR (un montant de plus de 2 000 000 $ à la fin des exercices 2007 et 2008 et de zéro à la fin de l'exercice 2009). Il semble d'après la note jointe aux états financiers combinés de GRR que la garantie de l'appelante était également assortie d'une convention de garantie générale en faveur de la banque. Pour le risque assumé, GRR n'a pas remboursé l'appelante.

 

[24]        Selon les états financiers de 2009, les bénéfices non répartis de l'appelante s'élevaient à plus d'un million de dollars. Quelques années plus tôt seulement, Mme Howard avait acheté sa part de 76 % des actions pour une somme d'à peine 100 $. Il n'y a aucune preuve qu'elle ait fourni directement ou indirectement à l'appelante des fonds ou un appui financier additionnels, à part sa garantie personnelle envers Keg Restaurants Ltd.

 

[25]        Monsieur et madame Howard étaient tous deux cautions des créances de l'appelante et de GRR envers Keg Restaurants Ltd. Il semble, d'après les états financiers combinés de GRR, que seul M. Howard garantissait à titre personnel la créance bancaire de GRR et que cette garantie était plafonnée à 500 000 $. Il n'y a aucune preuve de la valeur nette, d'autres biens ou d'autres sources de revenus de Mme Howard, de sorte que son risque et la valeur de sa garantie demeurent inconnus.

 

[26]        Madame Howard n'a jamais examiné les états financiers. C'était son mari qui lui disait si les choses allaient bien.

 

[27]        Le revenu inscrit sur le feuillet T4 de M. Howard, en 2006 et en 2007, venait entièrement de GRR. En 2008, environ 10 % du revenu inscrit sur le feuillet T4 venait de l'appelante.

 

[28]        Monsieur Howard était l'unique administrateur et le président et secrétaire de l'appelante; à ce titre, il dirigeait la gestion et l'exploitation de cette dernière.

 

[29]        Monsieur Howard était le directeur de l'exploitation et le directeur général des trois restaurants Keg. Le directeur général du restaurant du boulevard McGillivray relevait de lui.

 

[30]        Monsieur Howard n'avait pas besoin de l'autorisation de Mme Howard pour les mesures qu'il prenait pour le compte de l'appelante.

 

[31]        Au cours des années en question, M. Howard pouvait signer des contrats, effectuer des opérations bancaires, emprunter des fonds, fournir des garanties et nommer des représentants pour le compte de l'appelante, et il l'a fait.

 

[32]        À titre d'actionnaire majoritaire, Mme Howard aurait pu, si elle l'avait voulu, mettre fin aux fonctions qu'exerçait son époux à titre d'administrateur, de président ou de secrétaire de l'appelante. Elle ne l'a pas fait. Il lui aurait fallu, bien sûr, s'assurer que l'appelante se conformait à ses obligations envers Keg Restaurants Ltd. Il y aurait peut-être eu aussi d'éventuelles conséquences à prendre en compte relativement aux opérations de financement avec une partie liée à l'appelante ainsi qu'aux services de gestion et d'autre nature assurés par contrat. Il aurait peut‑être fallu aussi qu'elle prenne en compte sa garantie personnelle envers Keg Restaurants Ltd. Et il aurait peut‑être fallu également qu'elle prenne en compte l'effet possible d'une telle mesure sur la valeur des actions de l'appelante qu'elle détenait ainsi que sur son emploi au service de GRR.

 

Les dispositions légales applicables

 

256(1) Sociétés associées — Pour l'application de la présente loi, deux sociétés sont associées l'une à l'autre au cours d'une année d'imposition si, à un moment donné de l'année :

 

256(1) Associated corporations — For the purposes of this Act, one corporation is associated with another in a taxation year if, at any time in the year,

 

[...]

 

[. . .]

 

b) la même personne ou le même groupe de personnes contrôle les deux sociétés, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit;

 

(b) both of the corporations were controlled, directly or indirectly in any manner whatever, by the same person or group of persons;

 

[...]

 

[. . .]

 

(1.2) Précisions sur les notions de contrôle et de propriété des actions — Pour l'application du présent paragraphe et des paragraphes (1), (1.1) et (1.3) à (5) :

 

(1.2) Control, etc. — For the purposes of this subsection and subsections 256(1), 256(1.1) and 256(1.3) to 256(5),

 

[...]

[. . .]

 

b) il est entendu :

 

[...]

 

(b) for greater certainty,

 

[. . .]

(ii) d'autre part, qu'une personne ou un groupe donné de personnes peut contrôler une société même si une autre personne ou un autre groupe de personnes contrôle aussi ou est réputé contrôler aussi la société;

 

(ii) a corporation may be controlled by a person or a particular group of persons notwithstanding that the corporation is also controlled or deemed to be controlled by another person or group of persons;

 

[…]

 

[. . .]

 

(5.1) Contrôle de fait — Pour l'application de la présente loi, lorsque l'expression « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, » est utilisée, une société est considérée comme ainsi contrôlée par une autre société, une personne ou un groupe de personnes — appelé « entité dominante » au présent paragraphe — à un moment donné si, à ce moment, l'entité dominante a une influence directe ou indirecte dont l'exercice entraînerait le contrôle de fait de la société. [...]

 

(5.1) Control in fact — For the purposes of this Act, where the expression “controlled, directly or indirectly in any manner whatever,” is used, a corporation shall be considered to be so controlled by another corporation, person or group of persons (in this subsection referred to as the “controller”) at any time where, at that time, the controller has any direct or indirect influence that, if exercised, would result in control in fact of the corporation [. . .]

 

 

 

Analyse

 

[33]        Dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Duha Printers (Western) Ltd. c. La Reine, [1998] 1 R.C.S. 795, le juge Iacobucci a écrit ce qui suit sur le sens du mot « contrôle » dans la Loi avant que l'on apporte les modifications étendant ce mot au contrôle de fait (ou de facto) pour les besoins des sociétés associées :

 

[35]      Il est bien reconnu que, sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu, le « contrôle » d'une société s'entend normalement du contrôle de jure et non pas du contrôle de facto. Notre Cour a cité et approuvé à maintes reprises le critère suivant, énoncé par le président Jackett dans Buckerfield's, précité, à la p. 507 :

 

[TRADUCTION] On pourrait sans doute adopter de nombreuses méthodes pour la définition du mot « contrôle » figurant dans un texte tel que la Loi de l'impôt sur le revenu. Il pourrait par exemple s'agir du contrôle exercé par les « dirigeants », lorsque les dirigeants et le conseil d'administration sont distincts, ou il pourrait s'agir du contrôle exercé par le conseil d'administration. [...] Le mot « contrôle » pourrait peut‑être s'entendre du contrôle de fait exercé par un ou plusieurs actionnaires, qu'ils détiennent ou non la majorité des actions. Je suis d'avis cependant que, dans l'article 39 de la Loi de l'impôt sur le revenu [l'ancien article traitant des sociétés associées], le mot « contrôlées » évoque le droit de contrôle auquel donne lieu le fait de détenir un nombre d'actions tel qu'il confère la majorité des voix à leur détenteur dans l'élection du conseil d'administration. [Je souligne.]

 

Les arrêts dans lesquels notre Cour a appliqué le critère qui précède sont notamment Dworkin Furs, précité, et Vina‑Rug (Canada) Ltd. c. Minister of National Revenue, [1968] R.C.S. 193.

 

[36]      Ainsi, le contrôle de jure est devenu la norme canadienne, et le critère généralement admis à cet égard consiste à se demander si la partie qui détient le contrôle a, en vertu des actions qu'elle possède, la capacité d'élire la majorité des membres du conseil d'administration. Toutefois, il faut reconnaître, au départ, que ce critère est vraiment une tentative de vérifier qui exerce un contrôle effectif sur les affaires et les destinées de la société. Autrement dit, bien que les administrateurs aient généralement, en vertu de la loi qui régit la société, le droit explicite de gérer la société, l'actionnaire majoritaire exerce indirectement ce contrôle en raison de sa capacité d'élire le conseil d'administration. Ainsi, c'est en réalité l'actionnaire majoritaire, et non pas les administrateurs eux‑mêmes, qui exerce un contrôle effectif sur la société. Le président Jackett a reconnu expressément cela en énonçant le critère de l'arrêt Buckerfield's. En fait, la source invoquée à l'appui de ce critère est l'opinion incidente suivante que le lord chancelier, le vicomte Simon, a exprimée dans British American Tobacco Co. c. Inland Revenue Commissioners, [1943] 1 All E.R. 13, à la p. 15 :

 

[TRADUCTION] Les détenteurs de la majorité des voix dans une société sont ceux qui exerce un contrôle effectif sur ses affaires et ses destinées. [Je souligne.]

 

[37]      Vue sous cet angle, il devient évident que l'application formaliste d'un critère comme celui énoncé dans Buckerfield's, qui ne tient pas compte suffisamment de la raison d'être de ce critère, peut mener à un résultat malheureusement artificiel. Il revient donc à notre Cour de déterminer si, juste avant la fusion, Marr's exerçait un contrôle effectif sur les affaires et les destinées de Duha no 2 en raison de sa participation majoritaire dans la société.

 

[34]        À l'évidence, la Cour suprême souligne que, lorsqu'on aborde la question du contrôle de droit (ou de jure), l'objectif est de déterminer, en tant que question de droit, qui exerce un contrôle effectif.

 

[35]        Après l'introduction de la notion du contrôle de fait (ou de facto) pour les sociétés associées, la Cour d'appel fédérale a écrit le passage qui suit dans l'arrêt Silicon Graphics Limited c. La Reine, 2002 CAF 260, [2003] 1 R.C.F. 447, lequel a été décrit plus tard par l'ancien juge en chef de la présente Cour dans la décision Lenester Sales Ltd. c. La Reine, 2003 CCI 531, conf. par 2004 CAF 217, comme étant l'énoncé classique sur le sens du contrôle de fait :

 

[66]      La jurisprudence laisse entendre qu'en décidant de la question de savoir si un contrôle de fait existe, il est nécessaire d'examiner les ententes externes (Duha Printers, précité, au paragraphe 55); les résolutions des actionnaires (Société Foncière d'Investissement Inc. c. Canada, [1995] A.C.I. no 1568 (QL), au paragraphe 10); et la question de savoir si une partie peut modifier le conseil d'administration ou si la convention des actionnaires accorde à une partie la possibilité d'influencer la composition du conseil d'administration (International Mercantile Factors Ltd. c. Canada, [1990] 2 C.T.C. 137 (C.F. 1re inst.), à la page 148; confirmé par (1992), 94 DTC 6365 (C.A.F.); et Multiview Inc. c. Canada, [1997] 3 CTC 2962 (C.C.I.), aux pages 2966 à 2970).

 

[67]      Par conséquent, je suis d'avis que pour que l'on puisse conclure à un contrôle de fait, une personne ou un groupe de personnes doivent avoir le droit et la capacité manifestes de procéder à une modification importante du conseil d'administration ou des pouvoirs du conseil ou d'influencer d'une façon très directe les actionnaires qui auraient autrement la capacité de choisir le conseil d'administration.

 

[36]        Dans l'arrêt 9044‑2807 Québec inc. c. La Reine, 2004 CAF 23, dont l'intitulé en première instance était Transport M.L. Couture inc. c. La Reine, la Cour d'appel fédérale a écrit :

 

[24]      Il n'est pas possible d'énumérer tous les facteurs qui peuvent être utiles afin de déterminer si une société est ou non assujettie à un contrôle de fait (Duha Printers, [1998] 1 RCS 795, paragraphe [38]). Cependant, quels que soient les facteurs retenus, ils doivent démontrer qu'une personne ou un groupe de personnes possède la capacité manifeste de modifier le Conseil d'administration de la société visée ou d'influencer de façon très directe les actionnaires qui auraient autrement la capacité de choisir le Conseil d'administration (Silicon Graphics, [2002] C.A.F. 260, paragraphe [67]). En d'autres mots, la preuve doit démontrer que le pouvoir décisionnel de la société visée réside dans les faits ailleurs qu'entre les mains de ceux qui possèdent le contrôle de jure.

 

[25]      Le premier juge s'est fondé principalement sur le contrôle opérationnel exercé par Transport Couture, la dépendance économique de ML1 et ML2 à son égard et les relations familiales entre les actionnaires pour conclure que Transport Couture contrôlait, dans les faits, ML1 et ML2. L'appelante ne met pas en question la pertinence des facteurs retenus par le premier juge. Elle prétend cependant que la preuve ne permettait pas au premier juge de conclure que le contrôle opérationnel de ML1 et ML2 était entre les mains de Transport Couture ou que ML1 et ML2 étaient à l'égard de Transport Couture en état de dépendance économique.

 

[26]      Selon moi, la preuve supporte amplement la décision du premier juge. Comme il l'indique au paragraphe 36 de ses motifs, si Transport Couture avait décidé de ne pas renouveler son contrat de gestion et de ne plus retenir les services de ML1 et ML2, ni Marie‑Louis Couture dans le cas de ML1, ni son épouse dans le cas de ML2 n'aurait été en mesure de poursuivre les activités de ces sociétés.

 

[...]

 

[28]      En ce qui a trait au contrôle opérationnel, la preuve a révélé que ce sont les frères Couture et Claude Rodrigue, cadre de Transport Couture, qui prenaient toutes les décisions importantes et qui négociaient les achats de camions, les emprunts et le financement. L'implication de Louis‑Marie Couture était nulle et celle de son épouse se limitait à une session d'information une fois par mois.

 

[...]

 

[30]      Quant au dernier facteur retenu par le premier juge (la relation familiale entre actionnaires), le passage suivant des motifs en démontre la pertinence et la force dans le contexte de la présente affaire (paragraphe 38) :

 

[...] il est raisonnable de croire que monsieur et madame Couture comptaient sur leurs enfants pour s'occuper adéquatement de leurs placements dans ces deux sociétés [ML1 et ML2]. Compte tenu de leur situation de personnes à la retraite et de l'état de santé de monsieur Couture, il est raisonnable de conclure qu'ils étaient sous l'influence de leurs cinq fils, qui détenaient ensemble toutes les actions de Transport Couture [...]

 

[31]      En fin d'analyse, la preuve révèle que Marie‑Louis Couture et son épouse, animés par le lien de confiance qu'ils avaient avec leurs cinq fils, s'en sont remis à Transport Couture et lui ont relégué tous les pouvoirs décisionnels qu'ils détenaient en tant qu'actionnaires de ML1 et ML2.

 

[32]      C'est donc à bon droit selon moi que le premier juge a conclu que Transport Couture était en mesure d'exercer un contrôle de fait sur ML1 et ML2 pendant la période pertinente et que ML1, ML2, Transport Couture et 1864 Québec inc. étaient par conséquent des sociétés associées au sens du paragraphe 256(1).

 

[37]        La Cour d'appel fédérale a confirmé la décision de la juge Lamarre, de la Cour canadienne de l'impôt, dans Mimetix Pharmaceuticals Inc. c. La Reine, [2001] A.C.I. no 749 (QL), 2001 CanLII 787, conf. par 2003 CAF 106, une décision dans laquelle, pour examiner le contrôle de fait, la Cour s'est penchée sur les facteurs suivants : l'influence économique déterminante, le contrôle des activités quotidiennes, le contrôle de la destinée de la société en prenant la totalité des décisions, la personne qui se trouve en position financière d'exercer le genre de pression qui lui permettrait d'imposer sa volonté sur l'entreprise et la personne qui est autorisée à signer les chèques.

 

[38]        La Cour d'appel fédérale a confirmé la décision de la juge Lamarre Proulx, de la Cour canadienne de l'impôt, dans Plomberie J.C. Langlois inc. c. La Reine, 2004 CCI 734, conf. par 2006 CAF 113, une décision où notre Cour avait conclu que dans la situation particulière où deux actionnaires à 50 %, non liés et n'exerçant pas un contrôle de droit, nommaient l'un des deux comme unique administrateur, c'était ce dernier qui exerçait un contrôle de fait sur la société. La Cour avait tenu compte d'une définition du contrôle tirée d'un dictionnaire juridique : « Maîtrise exercée sur la gestion d'une entreprise ou d'un organisme; pouvoir assurant à son détenteur une influence dominante dans la direction ou l'orientation des destinées d'un groupe, d'une société, etc. » La juge Lamarre Proulx avait ensuite conclu :

 

[40]      Je suis d'avis que monsieur Simoneau a exercé sur l'appelante une telle maîtrise. En tant qu'administrateur unique, il avait le pouvoir lui assurant une influence dominante dans la direction de l'appelante. L'autre actionnaire, en tant qu'actionnaire égal, avait le pouvoir de lui enlever cette autorité mais il ne l'a pas fait durant les années en litige. En conclusion, monsieur Simoneau a exercé, durant ces années, un contrôle de fait sur l'appelante au sens du paragraphe 256(5.1) de la Loi. C'était là, selon les parties, le seul point que j'avais à décider dans cette affaire.

 

[39]        Dans la décision Société Foncière d'Investissement Inc. c. La Reine, [1995] A.C.I. no 1568 (QL), l'ancien juge en chef Bowman de la Cour canadienne de l'impôt a écrit :

 

[9]        Apparemment, le Parlement du Canada avait peur que les mots « directement ou indirectement, de quelque manière que se soit » n'aillent pas assez loin. Il a donc essayé d'en renforcer l'effet à l'aide du paragraphe 256(5.1).

 

[10]      Je suis convaincu que les résolutions votées par les autres actionnaires ont eu pour effet de conférer à monsieur Allain un contrôle pratiquement absolu sur les affaires de S.F.I. Pendant les années où les résolutions étaient en vigueur, il avait l'autorité complète de diriger tous les aspects des activités commerciales et financières de la corporation. Je reconnais que les autres actionnaires avaient le pouvoir de lui enlever cette autorité, mais aussi longtemps qu'on lui permettait de l'exercer, il était dans une position de contrôle sans borne.

 

[11]      L'exception qui se trouve dans la deuxième phrase du paragraphe 256(5.1) souligne l'ampleur de cette disposition. Cette exception existe lorsque le contrôle découle de certaines ententes commerciales où il n'y a aucun lien de dépendance entre « l'entité dominante » (monsieur Allain) et la corporation. Il y avait un lien de dépendance entre monsieur Allain et la corporation non seulement à cause du fait qu'il avait des liens de dépendance très étroits avec la corporation qu'il gérait, mais aussi à cause du fait que les deux actionnaires majoritaires étaient ses filles.

 

[12]      Conséquemment, les appels sont rejetés.

 

La portée de l'arrêt Silicon Graphics

 

[40]        Dans l'arrêt Silicon Graphics, la Cour d'appel fédérale a clairement indiqué en 2002 que, pour pouvoir conclure à un contrôle de fait, une ou plusieurs personnes doivent avoir le droit et la capacité manifestes, selon le cas :

 

1.         de procéder à une modification importante du conseil d'administration ou des pouvoirs du conseil;

 

2.         d'influencer d'une façon très directe les actionnaires qui auraient autrement la capacité de choisir le conseil d'administration.

 

[41]        Dans la décision 9044‑2807 Québec inc., le juge du procès avait examiné des faits liés au contrôle de l'exploitation, à la dépendance économique et aux liens familiaux, et il avait fait référence à l'examen fait, dans Société Foncière, de l'influence économique, contractuelle et morale sur les activités d'une société. Cependant, la Cour d'appel fédérale, en confirmant la décision du juge Archambault dans son arrêt de 2004, a expressément signalé que l'appelante n'avait pas contesté la pertinence des facteurs que le juge du procès avait pris en considération.

 

[42]        Dans Lenester Sales Ltd., le juge du procès avait fait référence à l'énoncé classique de la Cour d'appel fédérale sur le contrôle de fait dans l'arrêt Silicon Graphics Ltd. et avait conclu que Giant Tiger Stores Ltd. n'avait aucun droit de cette nature sur sa titulaire de licence et sa franchisée, l'appelante Lenester Sales. Et d'ajouter le juge du procès :

 

[33]      Même si l'on applique une interprétation un peu plus large proposée dans certaines décisions comme Société Foncière D'Investissement Inc. c. R. et Transport M.L. Couture Inc. c. R., il est manifeste que GTS n'avait aucune influence directe ou indirecte qui se serait soldée par un contrôle de fait sur Lenester ou Sushi.

 

Il avait ensuite conclu que, de toute façon, l'exception visant les concessions ou franchises que prévoit le paragraphe 256(5.1) s'appliquait manifestement. Dans son arrêt de 2004, la Cour d'appel fédérale a indiqué dans ses motifs oraux que le juge du procès avait pris en considération les deux critères énoncés dans la jurisprudence et elle a conclu que, selon l'un ou l'autre de ces deux critères[1], les sociétés n'étaient pas contrôlées par Giant Tiger Stores Ltd.

 

[43]        Si l'on ne prend en considération que les affaires Silicon Graphics, 9044‑2807 Québec inc. et Lenester Sales, on pourrait dire que la portée de ce qui peut être ou doit être pris en compte au moment d'appliquer la définition ou le critère de l'arrêt Silicon Graphics n'est pas claire car elle autorise une interprétation large ou étroite et, de ce fait, la pertinence possible de l'influence économique, contractuelle ou morale, du contrôle de l'exploitation, de la dépendance économique, des liens familiaux, etc., n'est pas réglée.

 

[44]        Toutefois, la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue en 2003 dans l'affaire Mimetix Pharmaceuticals semble très claire car elle a confirmé la décision de la juge du procès par de brefs motifs oraux du juge Rothstein et a conclu que la juge n'avait pas commis d'erreur de droit car il ressortait clairement de ses motifs qu'elle avait rendu sa décision en se fondant sur la question de savoir qui contrôlait les activités quotidiennes, qui prenait la totalité des décisions, qui signait la totalité des contrats, des factures et des chèques de l'entreprise et qui était en mesure d'exercer une pression économique de façon à ce que sa volonté l'emporte relativement à l'entreprise et relativement à la société (et non seulement par rapport à l'actionnaire exerçant un contrôle de droit).

 

[45]        Plus récemment, en 2006, la Cour d'appel fédérale a confirmé la décision de la présente Cour dans l'affaire Plomberie Langlois, où la juge Lamarre Proulx avait beaucoup insisté sur le fait que l'un des deux actionnaires à 50 %, qui n'était pas lié et qui n'exerçait pas de contrôle, était l'unique administrateur et avait le dernier mot dans toutes les décisions à prendre, tandis que l'autre actionnaire ne jouait qu'un rôle opérationnel et non décisionnel. Le juge Noël (plus tard juge en chef) a conclu les motifs de la Cour d'appel fédérale en écrivant :

 

[18]      Selon moi, la preuve permettait à la première juge de conclure que malgré la répartition égale du capital-actions de l'appelante, M. Simoneau était l'« entité dominante » de l'appelante au sens du paragraphe 256(5.1) et exerçait sur elle le contrôle de fait.

 

[46]        Après examen des décisions Plomberie Langlois et Mimetix Pharmaceuticals, la question semble avoir été très clairement analysée et tranchée par la Cour d'appel fédérale, et ce, d'une manière que la présente Cour n'est pas habilitée à réexaminer. Je prendrai donc en considération ces sources d'influence plus générales en appliquant aux faits particuliers de l'espèce le sens donné au contrôle de fait dans l'arrêt Silicon Graphics. Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'il s'agit là de la bonne manière de procéder.

 

[47]        Dans l'arrêt Duha Printers, la Cour suprême du Canada a souligné que, pour examiner et appliquer le critère du contrôle de droit, il est important de reconnaître au départ que ce critère est en réalité une tentative pour vérifier qui contrôle réellement, en droit, les activités et la destinée de la société. Rien ne justifie, selon moi, que cette approche prescrite à l'égard du contrôle de droit ne s'applique pas de la même façon au contrôle de fait, de sorte que, pour examiner et appliquer le critère, les facteurs et les considérations qui se rapportent au contrôle de fait, la Cour devrait tenter de déterminer qui, en réalité, contrôle réellement les activités et la destinée de la société.

 

Application aux faits de l'espèce

 

[48]        Je suis convaincu que, d'après la preuve produite en l'espèce, M. Howard a exercé durant toute la période en cause un contrôle de fait sur la société appelante, et ce, même si son épouse exerçait sur cette dernière un contrôle de droit. Il s'ensuit que l'appelante est associée aux deux sociétés GRR et MorCourt sur lesquelles M. Howard exerçait un contrôle de droit. Il y a donc lieu de rejeter l'appel.

 

[49]        Premièrement, dans l'ensemble, il est tout simplement difficile d'imaginer comment M. Howard aurait pu exercer un contrôle quotidien de fait plus réel, ou davantage de contrôle à long terme, sur la gestion et l'exploitation de l'appelante et de son entreprise. Dans le même ordre d'idées, il est difficile d'imaginer comment Mme Howard aurait pu avoir eu ou exercé un contrôle de fait nettement moins réel. En fait, selon le témoignage de M. Howard, c'est précisément ce qui était envisagé au départ et ce qui s'est passé durant toute la période en cause.

 

[50]        Monsieur Howard était l'unique administrateur, le président et le secrétaire de l'appelante. Il était le directeur de l'exploitation et le directeur général des trois restaurants, dont celui de l'appelante. Le directeur général du restaurant de l'appelante relevait de lui. Il n'avait pas besoin de l'autorisation de son épouse ou de consulter cette dernière pour prendre une décision quelconque en ces capacités.

 

[51]        C'est M. Howard qui s'est chargé de la totalité des discussions, des négociations et des communications avec Keg Restaurants Ltd., le franchiseur, relativement au restaurant franchisé de l'appelante. Lui seul avait entretenu une relation d'une vingtaine d'années avec Keg Restaurants Ltd. Lui seul avait de l'expérience dans le fonctionnement, la gestion ou l'exploitation d'un restaurant Keg ou de tout autre restaurant.

 

[52]        Monsieur Howard a sollicité seul les conseils de nature professionnelle dont il avait besoin pour le compte de l'appelante. C'est à lui que ces conseils ont été donnés. C'est lui qui se prononçait sur le plan d'action recommandé après n'en avoir que peu parlé avec son épouse et l'avoir peu consultée, et lui seul le mettait à exécution.

 

[53]        Monsieur Howard a pris les mesures nécessaires pour que ses sociétés s'occupent des activités bancaires et du financement de l'appelante. Il a veillé à ce que ses sociétés exécutent les services et les fonctions d'administration, de comptabilité et de bureau principal de l'appelante. La comptabilité de cette dernière a été intégrée à celle de GRR. L'appelante n'a utilisé que le compte bancaire de GRR.

 

[54]        Monsieur Howard a demandé et obtenu le consentement de Keg Restaurants Ltd. pour céder la franchise de GRR à l'appelante, et il ne l'a obtenu qu'après avoir garanti que rien ne changerait quant à la gestion, les activités et le fonctionnement de l'appelante et de son restaurant.

 

[55]        Monsieur Howard possédait la société qui était propriétaire du terrain et du bâtiment du restaurant du boulevard McGillivray et qui était la locatrice de l'appelante pour son seul bâtiment pour son unique entreprise. Le loyer facturé et payé était fixé par M. Howard.

 

[56]        Monsieur Howard avait un lien de dépendance avec l'actionnaire majoritaire contrôlante. Ils étaient liés. Les Howard étaient mariés depuis des dizaines d'années; ils étaient restés mariés et ils vivaient ensemble.

 

[57]        Selon la preuve, Mme Howard n'avait aucune source de revenu autre que le revenu d'emploi qu'elle touchait de GRR. Nous n'avons aucune preuve des immobilisations qu'elle possédait. Cela, notamment, met en doute la valeur de sa garantie personnelle ainsi que l'étendue de sa dépendance à l'égard du succès constant avec lequel son époux exploitait ces trois restaurants.

 

[58]        Madame Howard ne pouvait vendre à quiconque sa participation majoritaire sans le consentement de Keg Restaurants Ltd. Si elle avait pu le faire et vendre ses actions à quelqu'un d'autre que son époux, l'entreprise de ce dernier aurait perdu ses droits d'exclusivité parce qu'ils n'exploitaient plus trois restaurants. Cela aurait pu avoir un effet néfaste sur la valeur des actions de l'appelante ainsi que sur la valeur des sociétés de son époux.

 

[59]        Deuxièmement, M. Howard a aussi exercé une influence considérable quand son épouse l'a désigné comme unique administrateur au moment d'acquérir sa participation de 76 % dans l'appelante. Les droits d'exclusivité de GRR auraient empêché que la société qu'elle contrôlait ouvre un restaurant Keg sans le plein soutien de GRR, qui appartenait à son époux. Se fondant sur les conseils qu'il avait reçus, M. Howard a proposé à son épouse d'acquérir la participation de 76 % dans la nouvelle société aux conditions recommandées, dont celle que rien d'autre ne change. Cela donne certes à penser que la possibilité qu'elle avait d'acquérir des actions était subordonnée au fait qu'il soit l'unique administrateur, etc. C'est cette offre‑là qu'elle a convenu d'accepter. Il semble aussi d'après la preuve que la nouvelle société qu'ils possédaient conjointement — l'appelante — n'allait pouvoir obtenir le contrat de franchise pour exploiter le nouveau restaurant que si M. Howard était l'unique administrateur, etc. Telle est la proposition qui a été soumise à Keg Restaurants Ltd. et telle est la proposition que M. Howard a faite à son épouse, proposition qu'elle a acceptée et dont elle a convenu.

 

[60]        Tout cela fait que M. Howard détenait et a exercé une influence très marquée sur la décision qu'a prise Mme Howard de le désigner comme unique administrateur.

 

[61]        Troisièmement, bien que Mme Howard eût pu remplacer M. Howard comme unique administrateur de l'appelante, elle ne l'a pas fait[2]. Si elle avait voulu le faire, il aurait fallu qu'elle se soucie de l'effet que cette mesure aurait eu sur le contrat de franchise. Si elle avait envisagé de prendre cette mesure contre le gré de son époux, il aurait fallu qu'elle tienne compte du fait que l'appelante louait ses locaux commerciaux de la société de son époux et qu'elle obtenait de cette société la totalité de ses services de gestion et des services connexes.

 

[62]        Si Mme Howard avait voulu un jour vendre ses actions, remplacer son époux en tant qu'unique administrateur ou nommer d'autres administrateurs, elle aurait manifestement été influencée par plusieurs facteurs liés aux postes qu'occupait son époux auprès de l'appelante.

 

[63]        L'appel est rejeté, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2014.

 

 

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de février 2015.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :

 

2014 CCI 357

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

 

2012-2500(IT)G

 

INTITULÉ :

 

McGILLIVRAY RESTAURANT LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

 

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

 

Le 10 juillet 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

 

L'honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :

 

Le 28 novembre 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Thor J. Hansell

Avocats de l'intimée :

Me Julien Bédard

Me Neil Goodridge

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

Me Thor J. Hansell

 

Cabinet :

Aikins MacAulay & Thorvaldson

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Il est à noter que les motifs oraux par lesquels l'appel a été rejeté ne font pas état de l'arrêt antérieur de la Cour d'appel fédérale dans Mimetix Pharmaceuticals, en 2003.

 

[2] Selon des commentaires formulés dans Plomberie Langlois et Société Foncière, il s'agit là d'un indice d'un contrôle de fait réel au cours d'une telle période. Il s'agit aussi d'un aspect important que la Cour d'appel fédérale a pris en compte dans l'arrêt Silicon Graphics, à l'alinéa 72g).

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.