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Date : 20070216

Dossier : T-945-06

Référence : 2007 CF 178

Ottawa (Ontario), le 16 février 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HANSEN

 

ENTRE :

 

WALTER SAPPIER

appelant

 

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD

et REGIS WALOVEN

en sa qualité d’administratrice de la succession de Bernadette Sappier

 

 

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]        En vertu de l’article 47 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 (la Loi), l’appelant en appelle d’une décision dans laquelle la représentante du ministre (l’agente des successions ou l’agente) a approuvé le testament de Bernadette Sappier et nommé Mlle Waloven administratrice de la succession.

 

Faits

[2]        Le 21 janvier 2006, soit six jours avant son décès, Bernadette Sappier (la testatrice) a signé un document présenté comme étant son testament. Ce jour-là, Regis Waloven et Sylvia Craft, les sœurs de Mlle Sappier, ainsi que Mel Perley, la nièce de Mlle Sappier, ont rendu visite à la testatrice à son domicile où elle résidait avec l’appelant, Walter Sappier, sur une réserve de la Première nation Tobique. Le testament en cause en l’espèce a été rédigé et signé au cours de cette visite.

 

[3]        L’appelant affirme qu’il est l’époux de la testatrice, à qui il a été marié pendant plus de cinquante ans. Il semble toutefois qu’au début des années 1960 Mlle Sappier ait divorcé d’avec l’appelant et épousé une personne avec laquelle elle a vécu pendant plusieurs années, après quoi elle est retournée vivre avec l’appelant. On ignore si l’appelant et Mlle Sappier se sont remariés.

 

[4]        Le testament écrit à la main est rédigé comme suit :

[traduction] Je, Bernadette Sappier, désire que Regis Waloven s’occupe de mes biens pour en disposer selon ma volonté. Respectez mes volontés.

 

[5]        Le testament énumère alors plusieurs articles ménagers, des biens personnels, une maison sur la réserve dont la testatrice était propriétaire et qu’elle louait, une automobile et le nom de trois banques. Le testament est signé par la testatrice et, semble‑t‑il, par Sylvia Craft, à titre de témoin.

 

[6]        Environ une semaine après le décès de sa sœur, Mlle Waloven a présenté le testament aux Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC). Le 3 février 2006, l’agente des successions a écrit à Mlle Waloven lui demandant des indications sur le déroulement de l’administration de la succession puisque aucun exécuteur n’était nommé dans le testament et qu’elle était la seule bénéficiaire désignée. Mlle Waloven a présenté une demande pour être administratrice de la succession. Le 15 février 2006, l’agente a approuvé le testament et nommé Mlle Waloven à titre d’exécutrice testamentaire.

 

[7]        Le 16 février 2006, l’appelant a communiqué avec AINC pour se renseigner sur la nomination d’un exécuteur de la succession de son épouse. Une fois informé du testament et de la nomination, l’appelant a contesté la validité du testament et la nomination de Mlle Waloven à titre d’exécutrice.

 

[8]        À l’appui de sa contestation, l’appelant a fourni une lettre du médecin de famille de la testatrice datée du 20 février 2006. La lettre indique ce qui suit :

[traduction] J’étais en effet le médecin de Bernadette et je me suis occupé d’elle jusqu’à son décès. Cette dame avait un carcinome du poumon, avec plusieurs tumeurs secondaires au cerveau. Elle prenait des narcotiques qui pouvaient très bien entraver sa pensée rationnelle, sa compréhension et son évaluation de documents juridiques. La patiente est finalement décédée des tumeurs cérébrales secondaires.

 

 

[9]        L’appelant a également présenté deux affidavits. Dans son propre affidavit daté du 24 février 2006, l’appelant soutient que, pendant la semaine qui a précédé son décès, la testatrice prenait des médicaments contre la douleur, dormait beaucoup et ne semblait pas le reconnaître, ni lui ni les autres personnes qui lui rendaient visite. Il affirme également que, pendant la visite des sœurs et de la nièce de la testatrice au moment où le testament a été établi, il est demeuré dans le salon et pensait qu’il s’agissait uniquement d’une visite. Il ne croit pas que la testatrice aurait tout légué à sa sœur ou qu’elle était mentalement capable d’établir un testament.

 

[10]      Le deuxième affidavit est daté du 24 février 2006 et a été établi sous serment par Orpha Sutherland, la soignante de l’appelant depuis juillet 2005. Elle soutient qu’elle était présente au domicile tous les jours, entre 16 heures et 9 heures, pendant la semaine qui a précédé le décès de la testatrice. Elle jure que pendant cette période la testatrice ne réagissait pas et qu’elle ne semblait pas la reconnaître, ni reconnaître la plupart des gens qui lui rendaient visite. Elle soutient également que, lorsque les sœurs et la nièce de la testatrice sont venues rendre visite à cette dernière, elles ne voulaient pas qu’elle entre dans la pièce, et elle les a entendues mentionner un testament.

 

[11]      Le 3 mars 2006, AINC a informé Mlle Waloven qu’il avait reçu une lettre contestant la validité du testament et recommandait qu’elle suspende le processus d’exécution pendant l’examen du dossier. Le même jour, AINC a informé l’avocat de l’appelant de l’examen du dossier et qu’il avait demandé à Mlle Waloven de suspendre le processus d’exécution pendant l’examen.

 

[12]      L’agente des successions a communiqué avec plusieurs personnes ayant connu la testatrice. Le 30 mars 2006, l’agente a interviewé la sœur de la testatrice, Sylvia Craft, qui a dit que, même si la testatrice prenait des médicaments contre la douleur, elle comprenait tout et la reconnaissait, de même que son frère Bud, le père Curtis et le chef Stewart Paul. Mlle Craft a déclaré qu’elle était présente lorsque la testatrice a établi son testament, que la testatrice n’a pas été forcée de signer le testament et que la testatrice a même demandé à sa nièce Mel Perley de surveiller la porte pour que l’appelant n’entre pas dans la pièce pendant qu’elle disait à Mlle Waloven quoi écrire dans le testament. 

 

[13]      Le 30 mars 2006, l’agente a également interviewé Roxanne Sappier, la nièce de la testatrice qui aidait aussi à prendre soin de l’appelant et qui était au domicile presque tous les jours jusqu’au décès. Mlle Sappier a dit qu’elle était présente lorsque la testatrice a indiqué à sa sœur, Mlle Waloven, l’endroit où elle gardait ses bagues. Lorsque Mlle Waloven a compté les sept bagues qu’elle avait trouvées, la testatrice lui a indiqué où il y en avait trois autres, et Mlle Waloven les a trouvées. Elle a aussi confirmé que la testatrice avait signé elle-même ses chèques jusqu’au moment de son décès et avait pris des mesures pour que quelqu’un aide l’appelant.

 

[14]      Le 19 avril 2006, l’agente a parlé à Gerald Bear, un conseiller de la Première nation Tobique. Ce dernier a déclaré que la testatrice l’avait reconnu lorsqu’il lui avait rendu visite le jour où elle avait quitté l’hôpital.

 

[15]      Le 19 avril 2006, un gestionnaire d’AINC a parlé à Stewart Paul, chef de la Première nation Tobique. Le chef Paul a déclaré qu’il avait rendu visite à la testatrice avant son décès et a ajouté ce qui suit :

[traduction] Je la connaissais depuis toujours. Elle était une cliente (conseiller juridique) jusqu’à ce que nous ayons un désaccord et, lorsque je suis allé la voir ce jour-là, elle était aussi alerte qu’elle l’avait toujours été et se souvenait même de mon numéro de téléphone à la résidence lorsque je lui ai demandé de me téléphoner si elle changeait d’idée et qu’elle souhaitait rédiger un autre testament.

 

[16]      Le 4 mai 2006, l’avocat d’AINC a informé l’avocat de l’appelant que, en qui concernait la validité du testament, la décision ministérielle avait été prise le 15 février 2006 et que, par conséquent, le délai de deux mois à l’intérieur duquel un appel pouvait être logé était expiré. L’avocat d’AINC a également indiqué que les questions liées à la cérémonie d’inhumation et à l’administration de la succession devraient être réglées avec l’exécutrice puisque AINC ne jouait plus de rôle dans l’administration de la succession une fois qu’un exécuteur avait été nommé.

 

[17]      Le 10 mai 2006, l’agente des successions a informé Mlle Waloven que l’examen du dossier était terminé et qu’elle demeurerait l’exécutrice. 

 

[18]      Le 7 juin 2006, l’appelant a déposé un avis d’appel concernant la décision du 10 mai 2006.

 

Les questions en litige

[19]      L’appelant formule les questions en litige en ces termes :

 

  1. Le testament de Bernadette Sappier devrait-il être déclaré nul, en vertu du paragraphe 46(1) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, en fonction d’un des motifs énumérés aux alinéas 46(1)a), b), c) et (ou) f) de la Loi?

 

  1. La décision prise par la représentante du ministre le 10 mai 2006 approuvant le testament et nommant Mlle Waloven à titre d’exécutrice testamentaire devrait-elle être annulée, en vertu de l’article 47 de la Loi sur les Indiens?

 

Les dispositions législatives pertinentes

[20]      Les articles 46 et 47 de la Loi sont rédigés comme suit :

 

46. (1) Le ministre peut déclarer nul, en totalité ou en partie, le testament d’un Indien, s’il est convaincu de l’existence de l’une des circonstances suivantes :

46. (1) The Minister may declare the will of an Indian to be void in whole or in part if he is satisfied that:

a) le testament a été établi sous l’effet de la contrainte ou d’une influence indue;

(a) the will was executed under duress or undue influence;

b) au moment où il a fait ce testament, le testateur n’était pas habile à tester;

(b) the testator at the time of execution of the will lacked testamentary capacity;

c) les clauses du testament seraient la cause de privations pour des personnes auxquelles le testateur était tenu de pourvoir;

(c) the terms of the will would impose hardship on persons for whom the testator had a responsibility to provide;

d) le testament vise à disposer d’un terrain, situé dans une réserve, d’une façon contraire aux intérêts de la bande ou aux dispositions de la présente loi;

(d) the will purports to dispose of land in a reserve in a manner contrary to the interest of the band or contrary to this Act;

e) les clauses du testament sont si vagues, si incertaines ou si capricieuses que la bonne administration et la distribution équitable des biens de la personne décédée seraient difficiles ou impossibles à effectuer suivant la présente loi;

(e) the terms of the will are so vague, uncertain or capricious that proper administration and equitable distribution of the estate of the deceased would be difficult or impossible to carry out in accordance with this Act; or

f) les clauses du testament sont contraires à l’intérêt public.

(f) the terms of the will are against the public interest.

(2) Lorsque le testament d’un Indien est déclaré entièrement nul par le ministre ou par un tribunal, la personne qui a fait ce testament est censée être morte intestat, et, lorsque le testament est ainsi déclaré nul en partie seulement, sauf indication d’une intention contraire y énoncée, tout legs de biens meubles ou immeubles visé de la sorte est réputé caduc.

 

(2) Where a will of an Indian is declared by the Minister or by a court to be wholly void, the person executing the will shall be deemed to have died intestate, and where the will is so declared to be void in part only, any bequest or devise affected thereby, unless a contrary intention appears in the will, shall be deemed to have lapsed.

 

47. Une décision rendue par le ministre dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 42, 43 ou 46 peut être portée en appel devant la Cour fédérale dans les deux mois de cette décision, par toute personne y intéressée, si la somme en litige dans l’appel dépasse cinq cents dollars ou si le ministre y consent.

 

47. A decision of the Minister made in the exercise of the jurisdiction or authority conferred on him by section 42, 43 or 46 may, within two months from the date thereof, be appealed by any person affected thereby to the Federal Court, if the amount in controversy in the appeal exceeds five hundred dollars or if the Minister consents to an appeal.

 

Analyse

[21]      En résumé, l’appelant allègue que la représentante du ministre aurait dû déclarer le testament nul parce qu’il a été établi sous l’effet d’une influence indue et que, au moment où elle a fait ce testament, la testatrice n’était pas habile à tester. L’appelant soutient que la décision était déraisonnable parce que l’agente a omis de tenir compte des renseignements et des documents fournis par l’appelant et qu’elle a fondé sa décision entièrement sur les renseignements fournis par l’intimée. 

 

[22]      Bien que l’intimée ait tout d’abord adopté la position selon laquelle la décision faisant l’objet du présent contrôle a été prise le 15 février 2006 et que, par conséquent, l’appel de l’appelant a été déposé au-delà du délai de deux mois prévu par la loi, l’intimée n’a pas insisté sur la question et a demandé à la Cour de résoudre la question en statuant sur le fond. Compte tenu de mes conclusions sur le fonds de l’appel, l’examen de la question de savoir si cet appel a été déposé au‑delà du délai prescrit par la loi est inutile.

 

[23]      Les deux parties s’appuient sur le jugement de la juge Dawson dans Morin c. Canada 2001 CFPI 1430, aux paragraphes 58 et 59, dans lequel elle analyse comme suit la norme de contrôle à appliquer dans un appel interjeté contre une décision du ministre en vertu de l’article 47 de la Loi :

  ... L'approche pragmatique et fonctionnelle requiert la prise en compte de plusieurs facteurs : l'existence d'une clause privative, la nature de la décision visée par le contrôle, l'objet du texte législatif et la spécialisation du décideur. 

 

En l'espèce, il n'y a pas de clause privative, le point de savoir si le testament de 1986 révèle une intention testamentaire est essentiellement un point de fait, l'objet des dispositions applicables de la Loi sur les Indiens est de mettre en équilibre des droits individuels (et les points à décider ne sont donc pas polycentriques), enfin il n'a pas été démontré que le décideur avait un champ particulier de spécialisation. La norme de contrôle devrait donc se situer quelque part entre la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[24]      Puisque la juge Dawson a conclu que la décision était manifestement déraisonnable, il ne lui était pas nécessaire de décider si la norme à appliquer était la norme de la décision raisonnable simpliciter ou la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[25]      En l’espèce, l’appelant allègue que la norme devrait être la norme de la décision raisonnable simpliciter sans offrir aucune analyse. L’intimée soutient que la norme devrait être la norme de la décision manifestement raisonnable, compte tenu de l’expertise du décideur. L’intimée souligne qu’AINC a créé un sous-groupe pour s’occuper des questions concernant les successions des Indiens et que les membres de ce groupe traitent de ces questions tous les jours.

 

[26]      La question en litige dans cette instance est de savoir si le testament aurait dû être déclaré nul en vertu des alinéas 46(1)a), b), c) et f) de la Loi. Puisqu’il s’agit de questions mixtes de fait et de droit et que l’intimée ne m’a pas convaincue que les décideurs du sous-groupe possèdent une expertise plus grande que celle de la Cour à l’égard de l’application de la loi aux faits en rapport avec les questions liées à cette disposition législative, je conclus que la norme de contrôle appropriée est la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[27]      Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’appelant soutient que le testament devrait être déclaré nul en vertu des alinéas 46(1) a), b), c) et f) de la Loi. L’appelant n’a cependant pas invoqué d’argument ni présenté d’élément de preuve sur la manière dont les clauses du testament seraient la cause de privations pour des personnes auxquelles la testatrice était tenue de pourvoir ni comment les clauses du testament sont contraires à l’ordre public. Par conséquent, je n’aborderai pas ces questions.

 

[28]      La question suivante est celle de savoir si la testatrice était sous l’effet d’une influence indue au moment où elle a établi son testament. Dans son ouvrage intitulé Canadian Law of Wills, 4e éd., à la page 42, Thomas G. Feeney énonce ce qui suit :

[traduction] Le fardeau de la preuve de l’influence indue incombe à ceux qui contestent le testament. Ceux-ci doivent prouver que l’esprit du testateur était subjugué par la pression exercée par une autre personne. Il ne suffit pas de montrer la simple persuasion; pour constituer une influence indue, l’influence exercée sur le testateur doit équivaloir à la contrainte. Selon la définition qui en a été donnée, la contrainte signifie que le testateur a été mis dans un état d’esprit tel que, s’il pouvait exprimer le fond de sa pensée, il dirait ce qui suit : « Ceci n’est pas ma volonté, mais je dois le faire. »

 

[29]      Dans l’arrêt Pocock c. Pocock et al., [1952] O.R. 155 (C.A. Ont.), la Cour d’appel a examiné la jurisprudence en lien avec l’influence indue. Elle a confirmé que la fardeau de la preuve incombait à la partie alléguant l’influence indue de montrer de manière affirmative que ceux qui ont prétendument exercé une influence indue sur le testateur ont réellement exercé leur pouvoir sur le testateur et que c’est à cause de l’exercice de ce pouvoir sur le testateur que le testament a été établi. En l’absence d’une preuve claire, il ne suffit pas de démontrer un doute, un mobile ou une opportunité pour prouver l’influence indue.

 

[30]      L’appelant souligne les faits suivants au soutien de l’affirmation selon laquelle la testatrice était sous l’effet d’une influence indue au moment de l’établissement du testament : le testament a été établi par une des sœurs de la testatrice ou les deux; le testament prétend léguer tous les biens de la testatrice à une des sœurs présentes au moment où le testament a été établi; le rôle de la nièce qui surveillait la porte pendant que le testament était établi et signé.

 

[31]      Il n’est pas nécessaire d’examiner les faits sur lesquels les intimées s’appuient pour montrer que la testatrice n’était pas sous l’effet d’une influence indue. À mon avis, les faits sur lesquels s’appuie l’appelant sont, au mieux, de nature circonstancielle et sont loin d’établir au moyen de preuves claires que la testatrice a été contrainte par l’une des personnes présentes à ce moment-là de faire le testament.

 

[32]      L’appelant allègue également que le testament aurait dû être déclaré nul au motif de l’absence de la capacité de tester. Dans l’arrêt Re Schwartz, [1970] 2 O.R. 61-84 (C.A. Ont.), confirmé par (1971) 20 D.L.R. (3d) 313 (C.S.C.), le juge Laskin a énoncé le critère de la capacité de tester comme suit :

[traduction] … Le testateur doit avoir une compréhension suffisamment claire et une assez bonne mémoire pour connaître, de lui-même et de manière générale, (1) la nature et l’étendue de ses biens; (2) les personnes à qui il souhaite léguer ses biens; (3) les dispositions testamentaires qu’il fait; il doit, de plus, avoir la capacité (4) d’évaluer ces facteurs les uns par rapport aux autres et (5) de formuler un désir ordonné de la disposition de ses biens.

 

[33]      L’existence d’une présomption d’habileté de tester est bien établie. Toutefois, comme le juge Sopinka l’a énoncé dans l’arrêt Vout c. Hay, [1995] 2 R.C.S. 876 (C.S.C.), au paragraphe 27 :

En présence de circonstances suspectes, la présomption [de l’habileté à tester] disparaît et c'est à nouveau à la personne qui demande l'homologation du testament qu'incombe le fardeau ultime de prouver la connaissance et l'approbation. En outre, si les circonstances suspectes se rattachent à la capacité mentale, cette personne assume encore le fardeau ultime d'établir la capacité de tester. La preuve de ces deux questions doit être faite selon la norme civile. Le rôle des circonstances suspectes n'a rien de mystérieux à cet égard. La présomption ne fait qu'imposer un fardeau de présentation à la partie qui attaque le testament. Celle‑ci peut s'en acquitter en présentant ou en indiquant certains éléments qui, s'ils sont acceptés, tendraient à prouver l'absence de connaissance et d'approbation, ou encore de capacité de tester. Le cas échéant, le fardeau ultime retombe sur la partie qui demande l'homologation du testament.

 

[34]      À l’appui de sa position selon laquelle la testatrice n’avait pas la capacité de tester, l’appelant a présenté la lettre mentionnée plus tôt, émanant du médecin de famille de la testatrice. L’appelant allègue que cette lettre montre que la testatrice n’était pas mentalement capable au moment de l’établissement du testament.

 

[35]      J’accepte la prétention de l’intimée selon laquelle la lettre ne fournit aucune indication quant à l’état mental de la testatrice au moment où elle a donné les directives concernant son testament et l’a signé. Même si la lettre indique que l’incapacité mentale est une conséquence possible des médicaments, elle ne mentionne pas que la testatrice était ainsi touchée au moment pertinent. La lettre n’offre pas non plus de renseignement sur le moment où le médecin a vu la testatrice pour la dernière fois.

 

[36]      L’appelant s’appuie également sur les faits décrits dans son affidavit et dans l’affidavit de Orpha Sutherland. Toutefois, aucun d’eux n’indique si cette incapacité de reconnaître s’est produite seulement à quelques occasions ou si elle était continue pendant la période pertinente. Plus particulièrement, il n’existe pas d’indication à l’égard de l’état d’esprit de la testatrice au moment où elle a fait son testament.

 

[37]      Le témoignage de l’appelant est directement contredit par le témoignage de Roxanne Sappier et celui du chef Stewart Paul décrits ci-dessus. Certes, Mlle Sappier n’était pas été présente au moment où le testament a été fait, mais elle était dans la maison tous les jours au cours de la semaine ayant précédé le décès de la testatrice. Même si l’on ne sait pas de façon claire quand le chef Paul a parlé à la testatrice, j’en déduis que c’était après l’établissement du testament puisqu’il a dit à la testatrice de lui téléphoner si elle souhaitait rédiger un autre testament.

 

[38]      De plus, l’agente a obtenu des déclarations de la part des sœurs de la testatrice qui étaient présentes au moment où le testament a été fait. Bien que je comprenne que la déclaration de Mlle Waloven est celle d’une partie intéressée, l’autre sœur de la testatrice a également déclaré que la testatrice avait l’esprit clair, a énuméré tous ses éléments d’actif et souhaitait que Mlle Waloven s’occupe de la succession.

 

[39]      Eu égard à l’ensemble de la preuve, je suis incapable de conclure que la décision de l’agente concernant la validité du testament était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, je ne rendrai aucune ordonnance d’adjudication de dépens en faveur de l’intimée.

 

[40]      À la demande des parties, l’intitulé a été modifié à l’audience comme suit : Sa majesté la reine du Chef du Canada est remplacée par le Procureur général du Canada à titre d’intimé. L’ordonnance qui suit tiendra compte de cette modification.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  L’intitulé est modifié comme suit : Sa Majesté la Reine du Chef du Canada est remplacée par le Procureur général du Canada à titre d’intimé.

 

2.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

 

 

« Dolores M. Hansen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                      T-945-06

 

INTITULÉ :                                                    Walter Sappier

                                                            c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA représentée par LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD

                                                            et

                                                            Regis Waloven en sa qualité d’administratrice de la succession de Bernadette Sappier

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              FREDERICTON (NOUVEAU-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 5 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LA JUGE HANSEN

 

DATE DES MOTIFS :                                   LE 16 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elizabeth Watters-Gray

 

POUR L’APPELANT

Jake Harms

 

POUR LES INTIMÉES

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elizabeth Watters-Gray

Perth-Andover (Nouveau-Brunswick)

 

 

POUR L’APPELANT

John H. Sims, c.r.

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

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