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Date : 20070810

Dossier : IMM-4300-06

Référence : 2007 CF 830

Ottawa (Ontario), le 10 août  2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

JANE EGRE SONIA CAMACHO

ALEJANDRA JACINTA ELISE PHILLIP

(aussi appelée Alejandra J.E. Phillip)

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la part de Jane Egre Sonia Camacho et de sa fille mineure, Alejandra Jacinta Elise Phillip, relativement à une décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendue à Toronto le 28 juin 2006.

 

Contexte

[2]               Mme Camacho est une citoyenne du Venezuela et de Trinité-et-Tobago (Trinité); sa fille est citoyenne de Trinité. Leur demande d’asile était fondée sur des allégations de violence conjugale, tant au Venezuela qu’à Trinité. Mme Camacho prétendait avoir été victime de violence au Venezuela de la part de son petit ami au début des années 1990, et cela l’avait amenée à fuir ce pays pour retourner à son lieu de naissance à Trinité.

 

[3]               En 1997, à Trinité, Mme Camacho a noué une relation de fait avec le directeur du casino où elle travaillait. Victime une fois de plus de violence, elle a tenté de s’enfuir mais, quand Alejandra est née en 1999, elle est retournée vivre avec son conjoint. Néanmoins, les menaces et la violence physique ont continué sans relâche et, en 2004, les demanderesses sont parties pour le Canada, sous prétexte de rendre visite à la mère de Mme Camacho. Plusieurs mois après son arrivée au Canada, Mme Camacho a demandé l’asile.

 

[4]               Mme Camacho a reconnu ne pas avoir sollicité une forme quelconque de protection de la part de la police ou de l’État, soit au Venezuela, soit à Trinité, avant de quitter ces deux pays. Pour ce qui est du Venezuela, elle a expliqué qu’elle ne parlait pas l’espagnol et qu’elle doutait que la police l’aiderait. Pour ce qui est Trinité, elle a expliqué qu’elle ne croyait pas que la police prendrait sa plainte au sérieux.

 

La décision de la Commission

[5]               La Commission a reconnu que la violence conjugale est un grave problème au Venezuela et à Trinité. Elle a cependant conclu que ces deux États sont des pays où le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question, qu’ils sont dotés d’un système judiciaire indépendant et qu’ils disposent de ressources et d’institutions qui protègent les victimes de violence.

 

[6]               La Commission a conclu que Mme Camacho n’était pas parvenue à réfuter la présomption de protection de l’État principalement parce qu’elle n’avait pas fait d’« efforts significatifs » pour épuiser tous les « recours pour obtenir la protection ». La Commission a aussi conclu que le défaut de Mme Camacho à cet égard était « objectivement déraisonnable ».

 

Les questions en litige

[7]               a)         Quelle est la norme de contrôle qui s’applique aux questions soulevées dans le cadre de la présente demande?

b)         La Commission a-t-elle commis dans sa décision une erreur susceptible de contrôle?

 

L’analyse

[8]               Les demanderesses allèguent que la Commission a commis une erreur en ne prenant pas dûment en considération des éléments de preuve faisant état de lacunes dans les services de protection de l’État qui sont offerts aux victimes de violence conjugale, tant au Venezuela qu’à Trinité. Elles affirment que la preuve soumise à la Commission était suffisante pour renverser la présomption de protection de l’État dans ces deux pays et que le fait de n’avoir pas reconnu la force probante de cette preuve constitue une erreur susceptible de contrôle. Il s’agit là de questions mixtes de fait et de droit qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : voir Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté), 2007 CAF 171, [2007] A.C.F. no 584, au paragraphe 38.

 

[9]               La présente espèce reposait sur la manière dont la Commission évaluait le caractère raisonnable du fait que Mme Camacho n’avait recouru à aucun moyen de protection de la part de la police ou de l’État avant de quitter le Venezuela et, plus tard, Trinité. La Commission a pris en considération les explications de Mme Camacho quant à ces décisions, et elle les a trouvées objectivement lacunaires. Il s’agissait là d’une décision raisonnable, compte tenu de la preuve dont disposait la Commission. Évidemment, une décision raisonnable est une décision fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision : voir Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 55.

 

[10]           Les arguments qu’invoquent les demanderesses en l’espèce exigent essentiellement que la Cour apprécie à nouveau la preuve concernant le caractère adéquat de la protection de l’État au Venezuela et à Trinité, et qu’elle réévalue la conduite de Mme Camacho dans le contexte de cette preuve. Cela n’est pas là le rôle que joue la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. En fait, il est difficile de trouver quoi que ce soit à redire à propos de la décision de la Commission, compte tenu de la mise en garde récente de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hinzman, précité, au paragraphe 57 :

« Les arrêts Kadenko et Satiacum ensemble montrent que, dans le cas de démocraties bien établies, il incombe au demandeur de prouver qu’il a épuisé tous les recours dont il pouvait disposer et celui‑ci ne sera exempté de son obligation de solliciter la protection de son pays qu’en certaines circonstances exceptionnelles : Kadenko, à la page 534, Satiacum, à la page 176. Selon l’ensemble de ces précédents, le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile. Compte tenu du fait que les États‑Unis sont une démocratie ayant adopté un ensemble complet de mesures garantissant que les personnes s’objectant au service militaire font l’objet d’un traitement juste, je conclus que les appelants n’ont pas produit suffisamment de preuve pour satisfaire à ce critère exigeant. En conséquence, je conclus qu’il était objectivement déraisonnable pour les demandeurs de ne pas avoir pris de mesure tangible pour tenter d’obtenir la protection des États‑Unis avant de demander l’asile au Canada. »

 

 

L’énoncé qui précède m’amène à dire que, en l’absence d’une explication convaincante, le fait de ne pas solliciter la protection de l’État au sein du pays d’origine sera habituellement fatal pour une demande d’asile – du moins si, dans l’État en question, le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question et si cet État est disposé à assurer un certain degré de protection à ses citoyens et possède les ressources nécessaires à cette fin. Les excuses qu’a données Mme Camacho pour ne pas avoir demandé de l’aide au Venezuela et à Trinité n’étaient guère convaincantes. En l’espèce, je ferais miens les propos de mon collègue, le juge Michael Phelan, dans Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté), 2005 CF 1126, [2005] A.C.F. no 1381, où il a déclaré qu’un demandeur d’asile ne réfute pas la présomption relative à la protection d’un État où le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question en ne faisant valoir qu’une « réticence subjective […] à solliciter la protection de l’État ».

 

[11]           En conclusion, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier, et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4300-06

 

INTITULÉ :                                       JANE EGRE SONIA CAMACHO ET AL

                                                            c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 25 JUILLET 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 AOÛT 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Debra Shelly                                                                             POUR LES DEMANDERESSES

 

Marianne Zoric                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocat

Robert Gertler & Associates                                                     POUR LES DEMANDERESSES

5341, Rue Dundas Ouest

Toronto (Ontario)  M9B 1B1

Tél. : 416-231-9188, poste 35

Fax : 416-231-9492

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

Tél. : 416-954-8046

Fax : 416-954-8982

 

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