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Date : 20071023

Dossier : IMM-5467-06

Référence : 2007 CF 1096

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

INDRABALAN RATNASINGAM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 20 septembre 2006 par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La SAI a alors accueilli l’appel du ministre et renvoyé l’affaire à la Section de l’immigration (la SI) de la Commission pour que celle‑ci décide si le demandeur est interdit de territoire suivant l’article 35 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). L’instance a trait à la question de savoir si la question de l’interdiction de territoire du demandeur pour cause de crimes contre l’humanité est réglée par suite d’une audience concernant le statut de réfugié.

LES FAITS

[2]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule qui est arrivé au Canada le 12 octobre 1996 et a demandé l’asile. Il ressort des notes prises par l’agent d’immigration au point d’entrée, datées du 12 octobre 1996, que le demandeur lui a alors dit qu’il avait été policier au Sri Lanka.

 

[3]               La revendication du statut de réfugié du demandeur a été transférée à la Section du statut de réfugié (la SSR). Celle‑ci a instruit la revendication le 14 avril 1997 et a déterminé que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention le 2 juillet suivant.

 

[4]               Le 23 août 1997, le demandeur a été avisé par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) qu’il satisfaisait aux conditions d’admissibilité au statut de résident permanent et qu’une décision finale serait rendue dans les 18 mois suivants.

 

[5]               Le 30 avril 2003, soit près de six ans après avoir reçu l’avis de CIC au sujet de sa demande de résidence permanente, le demandeur a été convoqué à une entrevue portant sur son travail de policier au Sri Lanka. À l’entrevue, l’agent examinateur a mentionné que le long délai entre l’avis de CIC et l’entrevue était attribuable au fait que d’[traduction] « autres priorités » avaient été confiées à CIC et que l’entrevue du demandeur [traduction] « n’était pas réellement une priorité ». À la suite de l’entrevue, l’agent examinateur a rédigé un rapport selon lequel il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait commis des crimes contre l’humanité au sens de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, ou avait été complice de tels crimes et qu’il était donc interdit de territoire au Canada suivant l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Le rapport de l’agent examinateur a été transmis à la SI en vue d’une enquête.

 

[6]               Le 19 avril 2004, la SI a mis fin à l’enquête au motif que le principe de la chose jugée empêchait le ministre d’alléguer que le demandeur était interdit de territoire, étant donné que la question aurait pu être soulevée devant la SSR lors de l’audience relative au statut de réfugié du demandeur. La SI a conclu que toutes les conditions préalables à l’application de ce principe étaient remplies et qu’il n’existait aucune circonstance exceptionnelle justifiant de ne pas appliquer le principe dans la présente affaire. Elle a toutefois ajouté de manière incidente, au paragraphe 43 :

¶ 43     Aucun élément de preuve ne m’a été soumis et qui établit le lien entre l’intéressé et des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre précis. La seule autre façon pour le ministre de prouver son allégation serait d’établir que M. Ratnasingam était complice de ces crimes (précis). […] Le dossier dont je dispose ne renferme aucun élément de preuve quel qu’il soit de la nature des services de police dans lesquels servait M. Ratnasingam, ou des actes commis par ces services de police.

 

Le ministre a interjeté appel de cette décision à la SAI.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[7]               Le 20 septembre 2006, la SAI a accueilli l’appel du ministre et a renvoyé l’affaire à la SI pour que celle‑ci la réexamine en conformité avec ses motifs. Les motifs pour lesquels la SAI a accueilli l’appel avaient deux volets :

¶ 15     Le tribunal est d’avis qu’il devrait être fait droit à l’appel parce que les conditions préalables à l’application du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, type de principe de la chose jugée, n’ont pas été établies et que, de toute façon, même si ces conditions préalables avaient été respectées, le tribunal a des motifs valides d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans la présente affaire. Ces motifs soutiennent aussi la conclusion selon laquelle une enquête permettant de vérifier l’allégation à l’égard de l’intimé ne constituerait pas une poursuite abusive.

 

[8]               En ce qui concerne son application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la SAI a conclu que la SI « a commis une erreur de fait ou de droit en déterminant que le ministre et la SSR ou l’agent d’audience […] ont des intérêts communs ». Elle a statué que la SSR (maintenant la Section de la protection des réfugiés ou SPR) est une section indépendante de la Commission et que, si le ministre et la SSR avaient des intérêts communs au point où la SSR était considérée comme un « ayant droit » du ministre lors de l’audience relative au statut de réfugié, la SSR « serait dénuée de toute indépendance institutionnelle, et ses décisions seraient sujettes à révision pour cette raison ».

 

[9]               La SAI a poursuivi en disant que, peu importe que les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée soient remplies ou non, la SI avait des motifs valables d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser d’appliquer ce principe dans la présente affaire. En expliquant pourquoi le fait de convoquer le demandeur à une enquête ne constituait pas un abus de procédure, la SAI a affirmé :

¶ 25     De l’avis du tribunal, il serait contraire à l’objectif de la LIPR et à l’approche du Parlement à l’égard des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité d’interpréter les dispositions de la LIPR pour conclure que, une fois qu’on a accordé le statut de réfugié au sens de la Convention à une personne sans avoir soulevé ni carrément abordé la question des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, la question ne peut être soulevée au cours d’un procès subséquent. Un examen de la transcription de l’enquête permet d’établir que la question de l’exclusion n’a pas été soulevée par la commissaire qui a traité la demande ni par l’agent d’audience qui l’assistait. […]

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[10]           Le contexte législatif sous‑tendant la présente instance est important. Le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en vertu des dispositions de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2 (l’ancienne loi). Sa demande de résidence permanente a aussi été présentée sous le régime de l’ancienne loi. La LIPR est entrée en vigueur le 28 juin 2002. Selon son article 190, la demande de résidence permanente du demandeur devait être tranchée conformément aux dispositions de la LIPR après le 28 juin 2002. Par conséquent, c’est la LIPR qui s’applique en l’espèce. Les dispositions pertinentes de cette loi sont reproduites à la fin du présent jugement, à l’annexe A.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]           La Cour doit examiner deux questions en l’espèce :

1.         La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’étaient pas remplies?

2.         La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que, même si les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée étaient remplies, elle avait des motifs valables d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser d’appliquer ce principe?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[12]           Dans Rahman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1321, [2006] A.C.F. no 1661 (QL), le juge Noël s’est penché sur la norme de contrôle qui s’applique à l’analyse du principe de la chose jugée effectuée par la SAI. S’appuyant sur l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, le juge Noël a conclu que l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, le volet du principe de la chose jugée en cause dans Rahman et en l’espèce, se fait en deux étapes, chacune commandant une norme de contrôle différente. Je fais miens les passages suivants de la décision du juge Noël, car ils s’appliquent aussi à l’affaire dont la Cour est saisie en l’espèce :

10     Dans l’arrêt Danyluk, précité, la Cour suprême a souligné que l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée […] comporte deux étapes. Le juge Binnie, rédigeant l’opinion unanime de la Cour suprême, a résumé la méthode à adopter au paragraphe 33 :

 

Il s’agit, au cours de la première étape, de déterminer si le requérant (en l’occurrence l’intimée) a établi l’existence des conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée énoncées par le juge Dickson dans l’arrêt Angle, précité.  Dans l’affirmative, la cour doit ensuite se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée […]

 

¶ 12     La question de savoir si les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont remplies est une question de droit. Elle porte sur les droits en matière de procédure du demandeur et la SAI n’est pas plus spécialisée que la Cour dans l’application du droit en ce domaine. Ces facteurs pointent en direction d’une norme de contrôle stricte. En conséquence, la norme de contrôle applicable à l’analyse menée par la SAI sur la chose jugée, pour la première étape, est la décision correcte […]

 

¶ 13     Inversement, la deuxième étape comporte l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et l’évaluation de facteurs pertinents qui permettent de juger si des circonstances particulières justifiaient en l’espèce la non‑application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Les facteurs discrétionnaires commandent un niveau de retenue plus élevé […] En conséquence, la norme de contrôle appropriée applicable à la seconde étape est la décision manifestement déraisonnable. […]

 

[13]           En conséquence, c’est la norme de la décision correcte qui s’appliquera en l’espèce à la question de savoir si la SAI a commis une erreur en concluant que les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’étaient pas remplies. Par contre, la question de savoir si la SAI a commis une erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire de conclure qu’il n’y avait pas abus de procédure appelle une plus grande retenue et sera contrôlée au moyen de la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

ANALYSE

Question no 1 :            La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’étaient pas remplies?

 

Le principe de la chose jugée et la préclusion découlant d’une question déjà tranchée

 

[14]           Le principe de la chose jugée comporte deux volets – la préclusion fondée sur la cause d’action et la préclusion découlant d’une question déjà tranchée – et [traduction] « se fonde sur le concept de l’ordre public de façon à pouvoir mettre fin à un litige et empêcher qu’un individu soit poursuivi une deuxième fois au regard d’une même affaire » : Fenerty c. The City of Halifax (1920), 50 D.L.R. 435 (C.S. N.–É.). Dans Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1162, [2003] 3 C.F. 345, conf. par 2003 CAF 482, j’ai examiné les deux volets du principe de la chose jugée. J’ai écrit aux paragraphes 20 et 22 :

¶ 20     […] Bien que les notions de chose jugée, d’irrecevabilité pour identité des questions en litige et d’irrecevabilité pour identité des causes d’action soient souvent très étroitement liées, elles ont des sens distincts. Les principes sur lesquels reposent les deux formes d’irrecevabilité sont décrits dans la définition en deux volets donnée précédemment et ont été récemment expliqués par la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc. c. Merck & Co. (2002), 214 D.L.R. (4th) 429, aux paragraphes 24 et 25 :

 

Les principes concernant l’autorité de la chose jugée ont été établis par deux arrêts de principe de la Cour suprême du Canada : Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248 [. . .] et Grandview (Ville) v. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621 [. . .]. Dans l’arrêt Angle, précité, le juge Dickson a noté, à la page 254, que la chose jugée s’applique fondamentalement à deux formes d’irrecevabilité, soit l’irrecevabilité pour identité des causes d’action et l’irrecevabilité pour identité des questions en litige, qui reposent toutes les deux sur des principes similaires. Premièrement, tout litige doit avoir une fin et deuxièmement, une personne ne doit pas être poursuivie deux fois pour la même cause d’action.

 

Ces deux formes d’irrecevabilité, identiques au plan des principes, sont différentes dans leur application. L’irrecevabilité pour identité des causes d’action interdit à une personne d’intenter une action contre une autre personne dans le cas où la cause d’action a fait l’objet d’une décision finale d’un tribunal compétent. L’irrecevabilité pour identité des questions en litige est plus large et s’applique à des causes d’action distinctes. Elle intervient, selon la jurisprudence, lorsqu’une même question a déjà été tranchée, que la décision judiciaire donnant lieu à l’irrecevabilité est finale et que les parties à la décision judiciaire ou leurs ayants droit sont les mêmes que les parties à l’instance où est soulevée la question de l’irrecevabilité […] [Non souligné dans l’original.] […]

 

¶ 22     Le demandeur fait valoir que le principe de l’autorité de la chose jugée empêche le ministre d’entreprendre une nouvelle enquête fondée sur un motif de non-admissibilité qui était connu au moment des instances antérieures, mais qui n’a pas été soulevé. Les avocats du demandeur ont demandé à l’arbitre de suspendre l’instance pour cette raison. L’arbitre a décidé que l’enquête pouvait se poursuivre parce que les allégations étaient différentes de celles soulevées dans les instances antérieures. Il a établi une distinction fondée sur la nature des catégories de personnes non admissibles et sur le fait que les deux instances antérieures avaient été instruites sous le régime des dispositions en vigueur avant les modifications.

 

[15]           La thèse du demandeur est axée sur l’application de la préclusion fondée sur la cause d’action ou de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. La SAI a toutefois traité uniquement de la notion de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, soit le volet le plus large du principe de la chose jugée. Je souscris à son analyse dans la mesure où c’est la préclusion découlant d’une question déjà tranchée qui s’applique en l’espèce. La cause d’action dont était saisie la SSR, à savoir si le demandeur devait se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, n’était pas la même que celle soumise à la SI, laquelle consistait à déterminer si le demandeur était interdit de territoire pour atteintes aux droits humains ou internationaux aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Le juge Pinard est parvenu à une conclusion similaire dans Thambiturai c. Canada (Solliciteur général), 2006 CF 750, [2007] 2 R.C.F. 412, où il a écrit au paragraphe 21 :

¶ 21     Il est clair que le principe d’« irrecevabilité pour identité des causes d’action » ne s’applique pas en l’espèce. La cause d’action dont était saisie la SPR, qui consiste à savoir s’il y a lieu d’accueillir la demande de révocation du statut du demandeur, diffère de celle soumise à la Section de l’immigration, laquelle devait déterminer si le demandeur était une personne visée aux alinéas 36(1)c) et 40(1)a) de la Loi et par conséquent interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et fausses déclarations.

 

[16]           En ce qui concerne la notion de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, il faut déterminer si la SAI a eu raison de conclure que les conditions préalables n’étaient pas remplies. La Cour suprême du Canada a traité à maintes reprises des conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248; Danyluk, précité; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77). Dans Al Yamani, précitée, j’ai conclu que ces trois conditions sont les suivantes :

1.                  la même question a déjà été tranchée;

2.                  la décision judiciaire donnant lieu à l’irrecevabilité était finale;

3.                  les parties à la décision judiciaire ou leurs ayants droit sont les mêmes personnes que les parties à l’instance où est soulevée la fin de non-recevoir.

 

La même question

 

[17]           Le demandeur prétend que la question de savoir s’il est interdit de territoire suivant l’alinéa 35(1)a) de la LIPR a déjà été tranchée à deux reprises : 1) à son arrivée au Canada, lorsqu’un agent d’immigration au point d’entrée a considéré les catégories de personnes admissibles en vertu de l’ancienne loi; 2) à l’audience de la SSR, lorsque le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention. En ce qui concerne l’audience de la SSR, le demandeur affirme que le statut de réfugié au sens de la Convention ne lui aurait pas été reconnu s’il avait commis les actes décrits à l’alinéa 35(1)a) de la LIPR puisqu’il aurait été exclu de l’application de la Convention conformément à la section 1F.

 

[18]           Je ne souscris pas à l’interprétation du demandeur. Lors de l’audience de la SSR, la question de savoir si le demandeur était interdit de territoire au Canada n’a pas été soulevée, de sorte que les notions de préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de chose jugée ne s’appliquent pas. Le demandeur n’a jamais fait l’objet d’une enquête servant à déterminer s’il est interdit de territoire suivant l’alinéa 35(1)a) de la LIPR ou pour un autre motif d’interdiction de territoire prévu par la loi. En outre, bien que l’avis envoyé par CIC en date du 23 août 1997 indique clairement que le demandeur remplissait les conditions d’admissibilité au statut de résident permanent, il n’est mentionné nulle part qu’il a été jugé admissible au Canada. Il s’agit de deux décisions distinctes qui doivent être rendues relativement à la demande de résidence permanente du demandeur. De plus, la question de savoir si le demandeur est un réfugié au sens de la Convention – la question dont était saisie la SSR – est nettement différente de celle de savoir s’il est admissible au statut de résident permanent.

 

[19]           Comme le dossier le montre, aucune décision finale n’a été rendue entre 1997 et 2003 sur l’admissibilité du demandeur au regard de sa demande de résidence permanente. Par conséquent, les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’étaient pas remplies et le demandeur n’a pas démontré que la SAI a commis une erreur en accueillant l’appel du ministre. Ce seul motif justifie que la Cour rejette la présente demande de contrôle judiciaire. 

Les mêmes parties

 

[20]           À l’enquête, la SI a conclu que, même si le ministre et la SSR n’étaient pas les mêmes parties au sens de l’article 2 des Règles de la SSR (maintenant les Règles de la Section de la protection des réfugiés, D.O.R.S./2002‑228), on pouvait considérer que le ministre avait une « connexité d’intérêts » au regard de la décision de la SSR puisqu’il y avait une « identité d’intérêts entre le ministre et la SSR […] du point de vue des questions d’exclusion ».

 

[21]           La SAI a considéré que ce raisonnement était « source de complications », concluant que c’était une erreur de conclure à une identité d’intérêts étant donné que la SSR, une section de la Commission, est un tribunal indépendant. Selon elle, cette indépendance serait compromise si l’on considérait qu’il y a une « connexité d’intérêts » entre la SSR et le ministre.

 

[22]           Le défendeur, qui souscrit à la conclusion de la SAI, soutient que la SPR (et la SSR avant elle) a toujours été un [traduction] « un tribunal indépendant du ministre qui n’est certainement pas liée par l’opinion de ce dernier ». Il soutient également qu’il n’y a aucune identité d’intérêts entre le ministre et la SPR puisque celle‑ci ne défend les intérêts d’aucune partie, mais a plutôt, selon la loi, le mandat de trancher les questions qui lui sont soumises en s’appuyant sur la preuve et les arguments qui lui sont présentés.

 

[23]           Le demandeur ne souscrit cependant pas au raisonnement de la SAI et prétend que le ministre était partie à l’instance originale puisqu’il a eu la possibilité d’y assister, même s’il a décidé  de ne pas le faire. Selon lui, comme le ministre a eu [traduction] « pleinement et équitablement la possibilité d’être entendu » à l’audience relative au statut de réfugié, il ne peut plus contester son admissibilité devant la SI.

 

[24]           Le demandeur fait valoir également que, même si le ministre n’était pas partie à l’audience de la SSR, il a à tout le moins un intérêt dans cette audience puisqu’il existe [traduction] « une communauté ou une connexité d’intérêts évidente entre le ministre et la SSR au regard de la question de savoir si le demandeur a commis les actes visés au paragraphe 35(1) de la LIPR ».

 

[25]           Je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il dit que le ministre était partie à l’audience relative au statut de réfugié ou qu’il y avait connexité d’intérêts entre lui et la SSR. Comme la SAI l’a dit clairement dans sa décision, le ministre « peut intervenir dans une audience uniquement pour demander l’exclusion d’un demandeur de la protection des réfugiés. La SSR a le pouvoir de décider si le ministre a établi le bien‑fondé de l’exclusion » : au paragraphe 18 de la décision de la SAI. Lorsque le ministre agit comme une partie devant elle, la SPR doit examiner sa preuve et ses prétentions, mais pas plus qu’elle le fait de celles du demandeur.

 

[26]           En outre, la Cour suprême du Canada a déjà affirmé clairement qu’une personne ne peut être considérée comme une partie à une instance antérieure même si elle avait la possibilité d’intervenir : London Loan & Savings Co. of Canada c. Osborn, [1928] R.C.S. 451. Ce principe a été suivi par la Cour d’appel de l’Ontario dans Berge c. Langlois (1984), 6 D.L.R. (4th) 766.

 

[27]           Par conséquent, comme ni la première ni la troisième conditions préalables à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’étaient remplies, la SAI a eu raison d’accueillir l’appel du ministre et de renvoyer l’affaire à la SI pour que l’admissibilité du demandeur soit réexaminée.

 

Le régime prévu par la LIPR

 

[28]           Selon la LIPR, une personne est admissible au statut de résident permanent si elle satisfait aux conditions d’admissibilité prévues par la loi, notamment en matière de santé et de sécurité. Les vérifications qui sont alors effectuées prennent du temps. Aussi, la logistique de la Loi laisse croire que l’admissibilité d’un demandeur ne sera pas déterminée avant que le statut de réfugié au sens de la Convention ne lui soit reconnu dans le cours normal des choses. En outre, le simple fait que le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention dans le cours normal des choses ne signifie pas qu’il a droit au statut de résident permanent. Comme la juge Layden‑Stevenson l’a expliqué dans Khalil c. Canada, 2007 CF 923, [2007] A.C.F. no 1221 (QL), aux paragraphes 185 à 187 :

¶ 185       L’objet primordial que vise le législateur par la LIPR est exposé au paragraphe 3(3), qui dispose que l’interprétation et la mise en œuvre de la loi doivent avoir pour effet de promouvoir les intérêts du Canada sur les plans intérieur et international.

 

¶ 186       Le droit invoqué par les demandeurs, décrit au paragraphe 21(2) de la LIPR (qui dispose que, sur demande présentée en conformité avec les règlements, un réfugié devient résident permanent), est assorti d’une réserve importante. Un réfugié n’est recevable à obtenir la résidence permanente que s’il n’est pas interdit de territoire. S’il est interdit de territoire, la résidence permanente ne peut lui être accordée qu’à la faveur d’une dispense ministérielle. Comme je l’ai dit précédemment, le pouvoir d’accorder une dispense ministérielle ne peut pas être délégué.

 

¶ 187       Le législateur a le droit d’adopter une politique d’immigration et d’édicter des lois prescrivant les conditions auxquelles un non-citoyen sera autorisé à entrer au Canada et à y demeurer : Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, aux pages 733 et 734. Le législateur agit, ce faisant, dans l’intérêt public.

[Non souligné dans l’original.]

 

[29]           Lorsque la personne qui revendique le statut de réfugié est bien connue pour une raison liée à l’interdiction de territoire, le ministre peut intervenir devant la SSR (maintenant la SPR) et faire valoir que cette personne ne peut pas se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention. Ce n’est toutefois pas ce qui s’est passé en l’espèce.

 

Question no 2 :            La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle avait des motifs valables d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser d’appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée?

 

[30]           Le demandeur soutient que le décideur administratif a le pouvoir discrétionnaire de refuser d’appliquer la préclusion. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est assujetti à la norme de la décision manifestement déraisonnable. En l’espèce cependant, les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’étaient pas remplies, ce qui rend inutile l’examen de cette question.

 

[31]           Quant au pouvoir discrétionnaire, le demandeur soutient de toute façon que l’audience de la SI équivalait à un abus de procédure en raison du délai inacceptable et excessif attribuable au traitement de sa demande de résidence permanente. Il s’appuie sur Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, où la Cour suprême du Canada a dit au paragraphe 154 :

¶ 154     Le délai administratif abusif est répréhensible, et ce, peu importe qu’il ne ruine que la vie d’une personne sans affecter l’audition à laquelle elle a droit. La jurisprudence associée à cette évolution expose parfois ce point de vue différemment, mais le facteur clé est le suivant : le délai administratif jugé déraisonnable en raison de sa durée, de ses causes et de ses effets est abusif et contraire aux principes du droit administratif qui existent et qui devraient s’appliquer dans un système juridique équitable et efficace.

 

[32]           En l’espèce, le dossier révèle que le ministre a souvent considéré qu’il n’était pas urgent de convoquer le demandeur à une entrevue sur son admissibilité et que le ministre ne s’est pas présenté à l’audience de mise au rôle tenue par la SI lorsqu’il a fallu fixer une date d’audience. Entre temps, le demandeur a été avisé que son admissibilité était mise en doute six ans après avoir obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada. Le grave préjudice qui est causé au demandeur peut être pris en compte lorsqu’on détermine si une autre procédure est abusive. La preuve du préjudice est toutefois difficile à établir. Je reconnais que le demandeur a subi un préjudice à cause du retard et que ce retard était déraisonnable. Cependant, compte tenu de l’intérêt impérieux du public à ce que le Canada n’accepte pas d’immigrants qui ont commis des crimes contre l’humanité, la principale priorité est que la SI examine l’admissibilité du demandeur au fond : voir l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Al Yamani, précité, le juge Rothstein, aux paragraphes 34 à 40.

 

[33]           Par conséquent, la SAI n’a pas agi de manière manifestement déraisonnable en concluant que le [traduction] « le manque d’empressement » du ministre ne l’emporte pas sur l’intérêt qu’a le public à ce que les personnes déclarées coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ne puissent pas chercher refuge au Canada. Le demandeur aurait pu demander un mandamus enjoignant au ministre de trancher la question de son admissibilité dans un délai raisonnable.

 

LES DÉPENS

[34]           Le demandeur sollicite les dépens de la présente demande, quelle que soit l’issue de la cause. L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, D.O.R.S./2002‑232, prévoit que la Cour peut accorder des dépens dans une instance en matière d’immigration s’il existe des « raisons spéciales ». La Cour n’est pas convaincue que des « raisons spéciales » justifient l’octroi des dépens au demandeur. Dans la présente demande, qui porte sur la question de savoir si la SAI a eu raison de ne pas appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée – un volet du principe de la chose jugée – il ne conviendrait pas d’allouer les dépens puisque le défendeur n’est pas responsable du retard touchant la présente instance étant donné la nature de l’argumentation du demandeur. Je pense qu’un retard de plus de deux ans, malgré le fait que le cas du demandeur ne constituait pas une urgence pour le défendeur, aurait pu être démesuré et déraisonnable. Toutefois, il n’y a aucune cause d’action en dommages‑intérêts dans un cas semblable et le redressement approprié consiste à obtenir un mandamus enjoignant au défendeur de rendre une décision dans un délai raisonnable.

 

La tenue rapide d’une nouvelle audience de la SI sur la question de l’admissibilité

 

[35]           Avec l’accord des deux parties, la Cour demande à la SI de tenir rapidement une nouvelle audience sur l’admissibilité du demandeur. Ce dernier a attendu six ans entre le moment où le statut de réfugié lui a été reconnu et sa première enquête devant la SI, et trois autres années se sont écoulées pendant que la question de droit du principe de la chose jugée et de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée était portée en appel à la SAI et à la Cour.

 

LA CERTIFICATION D’UNE QUESTION

[36]           Aucune partie n’a demandé la certification d’une question en vue d’un appel. La Cour estime que les questions de droit en litige en l’espèce ont été bien établies dans la jurisprudence et que la présente demande ne soulève aucune nouvelle question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vue d’un appel.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B.

 

 


ANNEXE A

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

Atteinte aux droits humains ou internationaux

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

b) occuper un poste de rang supérieur — au sens du règlement — au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

c) être, sauf s’agissant du résident permanent, une personne dont l’entrée ou le séjour au Canada est limité au titre d’une décision, d’une résolution ou d’une mesure d’une organisation internationale d’États ou une association d’États dont le Canada est membre et qui impose des sanctions à l’égard d’un pays contre lequel le Canada a imposé — ou s’est engagé à imposer — des sanctions de concert avec cette organisation ou association.

 

(2) Les faits visés aux alinéas (1)b) et c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

Human or international rights violations

35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

(b) being a prescribed senior official in the service of a government that, in the opinion of the Minister, engages or has engaged in terrorism, systematic or gross human rights violations, or genocide, a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsections 6(3) to (5) of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act; or

(c) being a person, other than a permanent resident, whose entry into or stay in Canada is restricted pursuant to a decision, resolution or measure of an international organization of states or association of states, of which Canada is a member, that imposes sanctions on a country against which Canada has imposed or has agreed to impose sanctions in concert with that organization or association.

 

 

 

 

 

(2) Paragraphs (1)(b) and (c) do not apply in the case of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-5467-06

                                                           

INTITULÉ :                                                       INDRABALAN RATNASINGAM

                                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 17 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 23 OCTOBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Battista                                                   POUR LE DEMANDEUR

 

Marianne Zoric                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jordan Battista LLP                                             POUR LE DEMANDEUR

Avocats

160, rue Bloor Est, bureau 1000

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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