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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20101224

Dossier : IMM-1858-10

Référence : 2010 CF 1334

Ottawa (Ontario), le 24 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

ELEAZAR RODRIGUEZ CORONADO et

BRENDA YUNUENT RODRIGUEZ CORONADO

 

 

 

Partie demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

Partie défenderesse

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « Loi »), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le « tribunal »), rendue le 2 mars 2010, selon laquelle la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger aux termes de la Loi.

 

Les faits

[2]               La demanderesse, Eleazar Rodriguez Coronado, est une citoyenne du Mexique qui habitait Atlalanhuacan, Morelos et qui craint la persécution en raison de sa dénonciation des agissements de son père sur sa fille Brenda.

 

[3]               Il appert que la demanderesse aurait passé son enfance dans un milieu familial difficile en raison de l’alcoolisme et de la violence de son père.

 

[4]               En 1996, la demanderesse qui n’était pas mariée, tombe enceinte de sa fille Brenda. Peu avant la naissance de cette dernière, son fiancé Eusebio Martinez les quitte et la demanderesse continue à habiter chez ses parents.

 

[5]               En novembre 2006, la demanderesse confronte son père au sujet d’attouchements sur sa fille Brenda. Elle dénonce la situation auprès des autorités. Conséquemment son père est détenu, mais seulement pour agression physique sur son épouse.

 

[6]               En 2007, le père entreprend des démarches pour régler son problème d’alcool, sans résultat.

 

[7]               En 2008, la demanderesse, qui n’habite plus chez ses parents, leur confie Brenda à diverses reprises. Son père récidive, recommence à boire et s’en prend à Brenda.

 

[8]               Le 22 juin 2008, Brenda est attaquée par deux hommes masqués dans la maison qu’elle habite avec sa mère. Sa mère dépose une plainte à la police. Quelques jours plus tard Brenda identifie l’un des assaillants masqués comme étant un ami de son grand-père.

 

[9]               La police enquête, mais cet individu ne peut être retrouvé au village.

 

[10]           Dans les jours qui suivent, la demanderesse est menacée. Si elle ne retire pas sa plainte, sa fille et elle en subiront les conséquences.

 

[11]           Celui qui profère les menaces suit la demanderesse, elle chute et prend un congé de vingt (20) jours en raison de maux de tête conséquents à cette chute. Elle décide alors de fuir au Canada avec sa fille Brenda.

 

La décision contestée

 

[12]           Le tribunal conclut d’abord que la demanderesse principale vit une crainte réelle en raison du comportement de son père quand il est ivre, mais que la crainte alléguée à l’encontre des individus qui les auraient agressées, elle et sa fille, après avoir porté plainte aux autorités n’est pas fondée.

 

[13]           Dans un deuxième temps, le tribunal conclut qu’il existe une possibilité de refuge interne (une « PRI ») au Mexique. Conséquemment, il refuse la demande d’asile de la demanderesse.

 

Les questions en litige

 

[14]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant que la demanderesse n’était pas crédible quant à l’agression dont elle et sa fille auraient fait l’objet aux mains de tiers?

2.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant que la demanderesse pouvait bénéficier d’une PRI en déménageant ailleurs au Mexique?

 

L’analyse

 

A.        La norme de contrôle

 

[15]           L’évaluation de la crédibilité et l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif, qui doit apprécier l’allégation d’une crainte subjective d’une demanderesse d’asile (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, 83 ACSW (3e) 264 au paragraphe 14). La norme de contrôle applicable dans des circonstances semblables était celle de la décision manifestement déraisonnable. Depuis, on applique la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[16]           L’existence d’une PRI est une question mixte de faits et de droit. Conséquemment, elle doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable. À cet effet, le juge Beaudry écrit au paragraphe 9 de la décision Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 487, [2009] FCJ No 617 (QL) que :

Suivant Dunsmuir, la Cour doit continuer de faire preuve de retenue dans la détermination d’une PRI et cette décision est révisée selon la nouvelle norme de la raisonnabilité. Conséquemment, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus au par. 47). Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel.

 

B.         La crédibilité de la demanderesse

[17]           Les questions de crédibilité, d’évaluation des faits et d’appréciation de la preuve relèvent entièrement de la discrétion du tribunal, à titre de juge des faits (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 767, 148 ACWS (3e) 118 et Khangura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 191 FTR 311, 97 ACWS (3e) 1228).

 

[18]           La demanderesse soutient que le tribunal a erré puisqu’il retient sa crainte quant à la possibilité d’agression par son père, mais refuse de croire en sa version des faits quant à la crainte d’agression de la part de tiers. Or, une lecture attentive de la décision du tribunal nous convainc que tous les éléments de preuve mis de l’avant ont été considérés. À cet effet, le tribunal s’est fondé sur la déclaration de la demanderesse en entrevue. Elle y affirmait ne craindre que son père. Il devenait donc raisonnable pour le tribunal d’en arriver à cette conclusion. Celle-ci n’exclut pas de ce fait toute autre crainte comme le soutient la demanderesse, mais plutôt confirme qu’elle doit se protéger de son père.

 

[19]           Après révision de la preuve et audition des procureures des parties, la conclusion tirée par le tribunal concernant le manque de crédibilité de la demanderesse nous apparaît tout à fait raisonnable, compte tenu entre autres de l’expertise et de la spécialisation du tribunal, lesquelles permettent de bien apprécier la crédibilité des témoins et les éléments de preuve présentés (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3e) 886 (CAF).

 

C.        La possibilité de refuge interne

[20]           Dans la décision Gutierrez, précitée, le juge Beaudry, au paragraphe 21, résume les principes généraux applicables lorsque la question de PRI est soulevée. Il écrit que :

Quant à la possibilité de refuge interne la Cour a statué qu’on ne peut exiger du revendicateur qu’il s’expose à un grand danger physique ou qu’il subisse des épreuves indues pour se rendre dans une région pour y demeurer. Dans Rasaratnam c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.) la Cour a statué que deux critères s’appliquaient dans l’établissement d’une PRI : 1) le revendicateur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une possibilité de refuge; et 2) la situation dans la partie du pays que l’on identifie comme PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le revendicateur d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances.

 

 

[21]           La jurisprudence de cette Cour est constante. Pour qu’elle intervienne, il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité de la revendicatrice alors qu’elle tente de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents, de famille ou d’aide dans un tel lieu ne constitue pas en soi une atteinte à la vie ou à la sécurité de la revendicatrice (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, [2000] ACF no 2118 (QL) au paragraphe 15).

 

[22]           Dans la décision Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1126, [2008] ACF no 1397 (QL), le juge suppléant Tannenbaum, s’exprimant dans un cas où la demanderesse se faisait abuser et menacer par son ex-mari, affirme au paragraphe 34 que : 

Pour contrer ces observations, la demanderesse n’a pu faire mieux que d’alléguer vaguement les risques d’être repérée découlant de l’incapacité de son État de la protéger, toutefois elle ne s’est pas prévalue de cette protection avant de quitter son pays et demander refuge du Canada. Elle n’a d’autre part présentée aucune preuve réelle et concrète de l’existence de conditions l’empêchant de se relocaliser dans son pays. Dans ces circonstances la Commission pouvait raisonnablement conclure à la possibilité d’un refuge interne au Mexique. 

 

[23]           Il est raisonnable et même exigé qu’un revendicateur d’asile épuise tous ses recours dans son pays avant de demander une protection internationale (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF no 1256 (QL)). D’ailleurs, le juge suppléant Tannenbaum dans la décision Hernandez, précitée, circonscrit bien aux paragraphes 31 à 33 le fardeau de preuve du revendicateur à savoir que la menace doit être réelle partout dans son pays.

 

[24]           La demanderesse reproche essentiellement au tribunal d’avoir fondé sa décision sur des conclusions de faits erronées. La procureure de la demanderesse a fait valoir à l’audience que le tribunal a erré en considérant que les ressources nécessaires à sa protection pouvaient se trouver à Puebla. Selon la procureure, les éléments de preuve au dossier révèlent que les ressources existantes ne s’attachent qu’au réconfort psychologique des victimes. Elles n’auraient donc rien à voir avec la protection physique d’une personne qui se sent menacée, comme dans le cas en l’espèce.

 

[25]           Les procureures du défendeur citent certains éléments de preuve documentaire au dossier qui établissent clairement que de telles ressources existent entre autres à Puebla et qu’elles permettent d’obtenir des ordonnances judicaires, auxquelles la police donne suite. Ainsi, le tribunal n’aurait pas commis d’erreur d’appréciation des faits.

 

[26]           Elles soutiennent également que le tribunal a correctement appliqué les deux propositions du test à savoir d’abord qu’il existe une possibilité de refuge interne où la demanderesse ne risquait pas d’être persécutée, entre autres à Puebla et qu’il n’était pas déraisonnable pour la demanderesse de se relocaliser à un des endroits mentionnés.

 

[27]           Le tribunal a conclu que la demanderesse n’a pas réussi à établir que son père était en mesure de la retrouver, si elle se relocalisait ailleurs au Mexique, ni même qu’il voulait ce faire.

Quant à l’argument de la demanderesse à l’effet qu’il était difficile pour elle de se trouver un emploi dans une des PRI au Mexique, le tribunal n’a pas commis d’erreur dans l’appréciation de sa situation. En l’espèce, cette Cour est d’avis que la demanderesse pourrait aisément, en raison de son éducation et de son expérience de travail, jouir d’une protection suffisante à Puebla ou se relocaliser dans une autre partie de son pays et ce, sans contrainte excessive.

 

[28]           La décision du tribunal se fonde tant sur le témoignage de la demanderesse que sur les éléments de preuve documentaire versés au dossier. Dans son appréciation, le tribunal tient correctement compte de la situation de la demanderesse et de la possibilité pour cette dernière de se relocaliser ailleurs au Mexique. La demanderesse devait nous démontrer que le tribunal a commis une erreur révisable, eu égard au critère de la décision raisonnable. Malheureusement, elle ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve.

 

[29]           Cette demande ne présente aucune question importante de portée générale.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1858-10

 

INTITULÉ :                                       ELEAZAR RODRIGUEZ CORONADO et BRENDA YUNUENT RODRIGUEZ CORONADO contre

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               29 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      24 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Odette Desjardins

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

 

Sara Gauthier et Zoé Richard

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Odette Desjardins

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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