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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110120

Dossier : IMM-1474-10

Référence : 2011 CF 69

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

LAETITIA UMUBYEYI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le présent jugement et ses motifs traitent des questions soulevées par une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle on a refusé d’accorder à Laetitia Umubyeyi (la demanderesse) le statut de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger. Dans sa décision, datée du 25 janvier 2010, la Commission lui a refusé ce statut en raison du fait que le témoignage de la demanderesse était vague et manquait de précisions quant à la raison pour laquelle elle avait quitté le Rwanda. De plus, la demanderesse n’avait pas démontré une possibilité sérieuse d’être persécutée, ni un risque d’être soumise à la torture, ni une menace à sa vie, ni toute autre chose de cette nature.

 

[2]               Le caractère équitable de l’audience de la demanderesse est au cœur du présent contrôle, puisque celle-ci allègue que plusieurs divergences ont été relevées dans le travail de l’interprète, après l’audience, par suite de l’examen de l’enregistrement de l’audience par une tierce personne. La demanderesse affirme que les divergences causées par l’interprète et les erreurs de fidélité qu’il a commises étaient liées à des éléments essentiels de la décision de la Commission.

 

[3]               Le défendeur a réfuté cet argument en énonçant les exigences prévues par la loi en matière d’interprétation dans le cadre d’une audience devant la Commission et en déclarant qu’aucun préjudice n’avait été causé par les failles alléguées dans le travail de l’interprète. Aussi, les questions sur lesquelles des divergences peuvent être relevées ne sont pas centrales aux conclusions tirées par la Commission et peuvent donc être rejetées comme n’étant pas des éléments déterminants ni révélateurs d’un préjudice. Le défendeur fait donc valoir que la décision de la Commission était raisonnable et ne devrait pas faire l’objet d’un contrôle par la Cour.

 

La norme de contrôle applicable

[4]               La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale soulevées par des difficultés d’interprétation lors d’une audience devant la Commission est la décision correcte (Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1161; Goltsberg c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 886; Sherpa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 267). Cependant, la question de savoir si l’interprétation était précise et cohérente n’avait pas été soulevée devant la Commission. Même si cela avait été le cas, la Cour conduirait quand même son propre examen selon la norme de la décision correcte.

 

Analyse

[5]               Étant donné que la Cour n’a pas examiné l’enregistrement de l’audience devant la Commission et qu’on ne peut présumer que les subtilités du kinyarwanda lui sont familières, la Cour s’appuie sur l’affidavit de Danielle Abe Jambo afin d’établir que l’interprétation contenait des divergences. Bien que la transcription de l’audience devant la Commission ne fait que démontrer qu’il y avait eu quelques problèmes de communication et de compréhension, la Cour s’appuiera sur l’affidavit de Mme Abe Jambo afin d’établir que l’interprétation contenait effectivement des divergences.

 

[6]               Le droit à une interprétation correcte tire son origine de l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés. Bien qu’on ait considéré que ce droit appartenait aux accusés dans le cadre de procédures criminelles, il bien établi en droit qu’il est tout aussi applicable lors d’une procédure en immigration ou de nature administrative (Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191; voir, par exemple, Xu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 274, et Shokohi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 443).

 

[7]               Plus précisément, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un demandeur devant la Commission avait droit à une interprétation satisfaisant les normes de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l'impartialité et de la concomitance (Mohammadian, précité, au paragraphe 20). Le demandeur n’a pas à démontrer qu’il a subi un préjudice réel suite à la violation de son droit à une interprétation continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante (Mohammadian, précité, au paragraphe 20; Sherpa, précitée; Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 456). Il incombe cependant au demandeur de soulever cette question dès qu'il a la possibilité de le faire (Mohammadian, précité, au paragraphe 19; Sayavong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 275; Elmaskut c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 414).

 

[8]               En l’espèce, il semble que la Commission avait posé des questions générales à la demanderesse, au début de l’audience, pour savoir si elle comprenait bien l’interprète, et avait rappelé à ce dernier qu’il avait prêté serment. La demanderesse ne parle cependant pas anglais et il lui était donc impossible de vérifier lors de l’audience si ce qui était traduit l’était de façon continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante. Les remarques incidentes du juge Russell dans Sherpa, précitée, au paragraphe 62, sont utiles et entièrement applicables en l’espèce : « Mon examen du dossier m’amène à conclure que personne à l’audience, y compris la demanderesse et son avocat, n’aurait pu relever les erreurs qui ont été commises. Elles ne sont devenues apparentes que lorsque l’enregistrement est devenu disponible et que des comparaisons ont été faites. »

 

[9]               Comme le démontre l’affidavit de Mme Abe Jambo, le travail de l’interprète contenait des erreurs, des omissions et des divergences, dont certaines constituaient des éléments de la décision de la Commission. Bien que l’arrêt Mohammadian, précité, et la jurisprudence qui a suivi ses motifs n’exigent pas que les erreurs d’interprétation soient importantes, certaines décisions donnent à penser que les erreurs doivent causer un préjudice (voir, par exemple, Sherpa, précitée; Nsengiyumva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 190, au paragraphe 16; Banegas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 928, au paragraphe 7). La Cour se sert des indications du juge Phelan lorsqu’il a déclaré dans Xu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 274, au paragraphe 12 :

Aussi important que puisse être ce droit, le fardeau reposant sur la personne qui soulève un problème d’interprétation est lourd. Une telle allégation doit être suffisante pour réfuter la présomption selon laquelle l’interprète, qui a prêté serment de fournir une interprétation fidèle, a agi contrairement à son serment. La simple allégation d’une erreur d’interprétation n’est pas suffisante, car le fardeau consiste à prouver, selon la balance des probabilités, qu’il y a eu erreur d’interprétation.

 

[10]           En l’espèce, la preuve par affidavit est suffisante pour remettre en question le caractère adéquat de l’interprétation lors de l’audience devant la Commission. Il est compréhensible que le seuil de preuve pour déterminer que la demanderesse avait renoncé à son droit à une interprétation équitable soit élevé, et rien n’indique qu’elle avait effectivement renoncé à ce droit (Thambiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 15; Sherpa, précitée). Quoi qu’il en soit, même si une interprétation erronée avait été raisonnablement apparente lors de l’audience même, comme dans Elmaskut c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 414, l’affaire pourrait être renvoyée à la Commission pour nouvelle décision.

 

[11]           Plus précisément, la Cour s’inscrit en faux contre une erreur d’interprétation, à la 58e minute de l’audience, qui avait mené à une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse, laquelle se trouve au paragraphe 9 de la décision de la Commission. Il est évident que la crédibilité est au cœur des conclusions à tirer par la Commission. Il ne s’agit pas d’une question indépendante des autres conclusions : la crédibilité est centrale à la plupart, sinon à toutes les conclusions tirées par la Commission lors de l’appréciation d’une demande d’asile.

 

[12]           Vu l’importance de l’équité procédurale et compte tenu du fait que les erreurs d’interprétation ont entraîné des conclusions défavorables quant aux faits et quant à la crédibilité dans la décision de la Commission, il est justifié qu’une nouvelle audience soit tenue devant le même commissaire. En l’espèce, celui-ci n’a fait qu’apprécier l’affaire en fonction de l’interprétation qui lui avait été fournie, et rien n’indique qu’il n’ait pas traité l’affaire adéquatement ou qu’il ait commis des erreurs. Il s’est simplement fondé sur une interprétation erronée. Il est possible que le commissaire tire les mêmes conclusions relativement à la crédibilité ou à d’autres éléments de l’affaire. Cependant, il est clair que ces conclusions ne peuvent être fondées sur une interprétation erronée.

 

[13]           Aucune des parties n’a présenté de question en vue de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

-           la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée au même commissaire pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1474-10

 

INTITULÉ :                                       LAETITIA UMUBYEYI

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 20 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Isaac Owusu-Sechere

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Korinda McLaine

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Isaac Owusu-Sechere

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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