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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110224

Dossier : IMM-1312-10

Référence : 2011 CF 220

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 février 2011

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

 

KERWIN DIZON CUNANAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté, le 25 février 2010, l’appel déposé contre une mesure de renvoi.

[2]               Le demandeur s’adresse à la Cour pour faire annuler la décision et demander que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci

 

Le contexte

 

[3]               Kerwin Dizon Cunanan (le demandeur), né le 4 septembre 1987, est citoyen des Philippines. Il est arrivé au Canada le 4 juin 2002 en tant qu’enfant à charge de son père, parrainé par sa mère dans la catégorie du regroupement familial. Le demandeur habite avec ses parents, sa sœur et son frère, et soutient qu’ils forment une famille très unie.

 

[4]               Le demandeur a fréquenté une école secondaire au Canada, mais n’a pas terminé sa douzième année. Il n’a suivi aucun autre programme d’études ou de formation. 

 

[5]               Le demandeur a commencé à consommer et à vendre de la drogue à l’âge de 17 ans. Il s’agissait de marihuana, de cocaïne et d’ecstasy. 

 

[6]               Le 16 janvier 2007, le demandeur et cinq autres personnes sont entrés par effraction dans l’appartement d’un trafiquant de drogue connu. Le demandeur avait recruté deux des membres de ce groupe pour perpétrer l’infraction. Ils ont agressé le trafiquant en question, l’ont ligoté et l’ont laissé avec sa petite amie dans la salle de bains. Le groupe était alors muni d’une arme à balles BB. Ils ont volé 600 $ en espèces, un appareil de jeu vidéo et de la marihuana.   

 

[7]               Le demandeur a été arrêté subséquemment, pendant qu’il était en liberté sous caution pour ces infractions. Sa mère était sa caution à ce moment‑là, et le demandeur vivait avec sa famille. Il a été trouvé en possession de neuf grammes de cocaïne.   

 

[8]               Le demandeur a été accusé de vol qualifié, d’introduction par effraction, de défaut de se conformer à un engagement et de possession d’une substance désignée. Il a plaidé coupable et a été déclaré coupable le 21 juillet 2008. Il a ensuite témoigné contre ses coaccusés. Il a été condamné à 23 mois d’emprisonnement et à trois ans de probation, peine qu’il a commencé à purger le 19 août 2008.     

 

[9]               Le 10 juin 2009, le demandeur s’est vu refuser la libération conditionnelle pour des motifs liés à l’absence d’emploi et de scolarité, à ses fréquentations antérieures et à la gravité des infractions. Il a été remis en liberté le 21 décembre 2009 et est actuellement en libération conditionnelle.

 

[10]           Une mesure de renvoi valide a été prise contre le demandeur par suite de sa déclaration de culpabilité pour les infractions susmentionnées. 

 

La décision de la Commission

 

[11]           La validité de la mesure n’étant pas contestée, la Commission devait déterminer s’il existait des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. La Commission a conclu que le fardeau de la preuve reposait sur le demandeur.

[12]           La Commission a jugé que, dans l’ensemble, le demandeur était crédible mais qu’il n’avait pas démontré de manière satisfaisante pourquoi il s’était engagé dans la réadaptation et ce qu’il avait appris de son expérience négative.

 

[13]           La Commission a examiné et pondéré les facteurs énoncés dans Ribic c. Canada, [1985] I.A.B.D. no 4, et approuvés dans Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339. Ces facteurs sont :

1.                   la gravité de l’infraction ayant donné lieu à la mesure de renvoi;

2.                   la possibilité de réadaptation;

3.                   le temps passé au Canada et le degré d’établissement de l’intéressé;

4.                   le soutien dont bénéficie l’intéressé au sein de sa famille et de la collectivité;

5.                   la famille au Canada et les bouleversements qu’un renvoi lui occasionnerait;

6.                  l’importance des difficultés que causerait à l’intéressé un retour dans le pays de nationalité.

 

La gravité de l’infraction

 

[14]           La Commission a fait remarquer qu’il s’agissait d’une infraction très grave, comme en attestent la peine d’emprisonnement de 23 mois et 10 jours imposée au demandeur et la peine maximale d’emprisonnement à perpétuité dont il était passible. La Commission a souligné que le demandeur avait recruté des personnes pour perpétrer l’infraction et que cela lui avait valu une part plus grande des produits du crime. Elle a également constaté qu’une arme à balles BB avait été utilisée pour commettre l’infraction, qui était préméditée, et que la présence de cette arme au domicile de la victime avait mis le demandeur et le public en danger. 

 

[15]           La Commission a également souligné que le demandeur ne s’était pas conformé à son engagement et avait été trouvé en possession d’une substance désignée pendant sa liberté sous caution. Elle a noté que le demandeur était un consommateur de plusieurs substances et que sa dépendance, évaluée à 200 $ par jour, avait commencé à l’école secondaire. La Commission a relevé que le demandeur avait déjà fait le trafic de drogues pour financer sa consommation Elle n’était pas convaincue que le crime reproché au demandeur était un fait isolé. Elle a plutôt relevé une aggravation des habitudes de consommation et des activités criminelles. La Commission a conclu qu’il s’agissait d’un facteur défavorable.

 

La possibilité de réadaptation

 

[16]           La Commission a estimé que la possibilité de réadaptation était faible. Elle a reconnu que le demandeur avait participé à divers programmes de traitement de la toxicomanie et qu’il avait des liens très solides avec sa famille. Cependant, elle estimait que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était conscient des causes de sa toxicomanie et de ses agissements criminels. Elle a souligné le fait que le demandeur avait consommé de la drogue après avoir suivi des programmes de traitement dans le passé. La Commission a fait remarquer que le demandeur avait dit à son conseiller en toxicomanie qu’il n’avait rien consommé depuis mars 2007 alors que, dans son témoignage, il avait affirmé avoir cessé de consommer pendant sa détention. La Commission a souligné que le demandeur n’avait pas exprimé spontanément de remords pour sa conduite. Elle n’a accordé aucun poids à son plaidoyer de culpabilité. 

 

[17]           De plus, la Commission a estimé que le demandeur présentait un risque élevé de récidive. La possibilité de perdre sa liberté ne l’a pas empêché de récidiver alors qu’il était en liberté sous caution. La Commission a conclu que le demandeur ne connaît pas les raisons principales de ses agissements criminels ou la cause de sa toxicomanie. Elle a donc conclu qu’il s’agissait d’un facteur défavorable.

 

Le temps passé au Canada et le degré d’établissement

 

[18]           La Commission a souligné que le demandeur vit au Canada depuis huit ans, mais qu’il n’a pas réussi à s’intégrer à la société. Pour cette raison, à laquelle s’ajoute la gravité de son comportement négatif, la Commission a accordé à ce facteur un poids favorable très minime ou nul. Elle a jugé que la présence de la famille au Canada représentait un facteur positif sur le plan de l’établissement. Elle a souligné que le demandeur n’a pas terminé ses études secondaires et n’a pas d’emploi ou de formation professionnelle, et qu’il n’a ni biens, ni compte bancaire, ni économies. Le facteur économique ne joue pas en faveur du demandeur. Dans l’ensemble, la Commission a conclu qu’il s’agissait d’un facteur neutre.

 

Le soutien familial et communautaire et les répercussions d’un renvoi sur la famille

 

[19]           La Commission n’était pas convaincue que le soutien familial offert au demandeur était suffisamment solide pour l’aider véritablement à se réadapter ou pour l’empêcher d’adopter un comportement criminel à l’avenir. Le demandeur peut compter sur l’aide des membres de sa famille immédiate et élargie au Canada, et il les accompagne à l’église. La Commission a toutefois précisé qu’il en avait été ainsi même lorsque le demandeur consommait, qu’il se livrait à des activités criminelles et alors qu’il n’avait pas respecté son engagement. De plus, le demandeur se trouvait sous la surveillance de sa mère lorsqu’il a récidivé durant sa liberté sous caution. La Commission a accordé un poids favorable modéré à ce facteur.

[20]           En ce qui concerne les répercussions du renvoi sur les membres de sa famille, la Commission a reconnu que les difficultés émotionnelles seraient démesurées. Néanmoins, elle a souligné que le demandeur avait été retiré de sa famille pendant l’année de son incarcération. Elle a également rappelé que la famille a de la parenté au Philippines et qu’elle pourrait communiquer avec le demandeur par des moyens électroniques et lui rendre visite là‑bas. La Commission a conclu que la preuve n'établissait pas que quelqu'un dans la famille dépendait du soutien financier du demandeur. La Commission a donc accordé un poids neutre à ce facteur.

 

Les difficultés découlant du renvoi du demandeur aux Philippines

 

[21]           La Commission n’a pas estimé qu’il s’agissait d’un facteur favorable. Le demandeur est né et a grandi aux Philippines, et il est arrivé au Canada à l’âge de 15 ans. Il parle couramment la langue de son pays. Des membres de sa famille habitent toujours là‑bas et, bien que le demandeur n’ait aucune compétence manifeste, un renvoi ne le désavantagerait pas plus que s’il devait se trouver un emploi au Canada. La Commission a estimé qu’un renvoi n’entraînerait pas de difficultés excessives ou démesurées.

 

[22]           Après pondération de tous les facteurs énoncés dans la décision Ribic, précitée, la Commission a confirmé la mesure de renvoi. 

 

Les questions à trancher

 

[23]           Le demandeur estime que les questions suivantes doivent être examinées :

            1.         Y a-t-il des éléments de preuve permettant d’étayer les observations du demandeur relativement aux questions énoncées ci‑dessous, et ces questions sont-elles sérieuses, soit individuellement, soit collectivement?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de fait ou de droit, a‑t‑elle manqué à son devoir d’équité ou suscité une crainte de partialité en rejetant l’appel contre la mesure de renvoi prise à l’endroit du demandeur?

 

[24]           Je reformulerais les questions de la façon suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a‑t‑elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments de preuve dont elle était saisie?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en n’avisant pas le demandeur de la contradiction relevée entre son témoignage de vive voix et la preuve documentaire?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[25]           Le demandeur allègue que la décision de la Commission est fondée sur de nombreuses conclusions de fait erronées.

 

[26]           D’après le demandeur, la Commission a commis une erreur en concluant que quelqu’un aurait pu être blessé avec l’arme à balles BB utilisée par le demandeur, car cette arme n’était pas chargée. La Commission a commis une erreur en jugeant que le crime n’était pas isolé, parce que, avant la déclaration de culpabilité, le demandeur n’avait jamais adopté de comportement violent, utilisé une arme ou commis un vol ou un vol qualifié. La Commission a eu tort de dire que les remords du demandeur n’étaient pas spontanés. Elle a également eu tort de conclure que le demandeur avait organisé le vol qualifié, puisqu’il avait expliqué que c’était un ami qui l’avait organisé et qui lui avait demandé d’amener deux personnes. La Commission a également commis une erreur quant au motif auquel elle a attribué le refus de sa libération conditionnelle. La libération conditionnelle lui avait été refusée seulement parce qu’il n’avait pas pu prouver qu’il aurait un emploi s’il était remis en liberté.
 

[27]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une grave erreur en concluant que sa dépendance à la drogue lui coûtait 200 $ par jour. En fait, le demandeur avait dit dans son témoignage que le coût était de 200 $ par semaine. Cette erreur a entaché les conclusions de la Commission à plusieurs égards : la Commission a accordé un poids favorable moindre au soutien familial, elle a sous‑estimé le bénéfice que le demandeur tirerait des programmes de réadaptation et comme la somme de 200 $ par jour dépassait largement son revenu, la Commission a déduit que le demandeur avait recours à des moyens illicites et violents pour augmenter son revenu.

 

[28]           De plus, le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en n’accordant aucune valeur au fait qu’il avait plaidé coupable et témoigné contre ses coaccusés pour la Couronne. La Commission a mal interprété la preuve en déclarant que le demandeur avait recruté des personnes et les avait ensuite dénoncées à la police. Le demandeur a rappelé qu’il avait plutôt coopéré avec la police et qu’il avait ensuite accepté, comme condition imposée relativement à la détermination de sa peine, de témoigner au procès des coaccusés. En coopérant avec la Couronne, le demandeur a démontré qu’il était prêt à respecter les lois canadiennes et à s’engager dans sa réadaptation. 

 

[29]           Enfin, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit en négligeant de l’informer de la contradiction relevée entre une lettre de son conseiller en toxicomanie et le témoignage du demandeur quant à la date à laquelle il avait cessé de consommer de la drogue. La lettre mentionne que le demandeur a cessé de consommer en mars 2007, mais le demandeur a précisé dans son témoignage qu’il avait arrêté de consommer en août 2008, au début de son incarcération. La Commission avait l’obligation de communiquer cette contradiction au demandeur pour qu’il puisse y répondre.

 

[30]           Ces diverses erreurs ont amené la Commission à rendre une décision déraisonnable.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[31]           Le défendeur affirme que le pouvoir de la Commission de surseoir à une mesure de renvoi est lié aux faits et guidé par des considérations de politique générale. Les commissaires possèdent une expertise considérable pour trancher les appels fondés sur la Loi. En raison de la vaste portée du pouvoir discrétionnaire, c'est la raisonnabilité qui s’applique comme norme, et elle ne permet pas à la Cour de réapprécier les éléments de preuve.   

 

[32]           Le défendeur soutient que la décision de la Commission ne renferme aucune erreur grave. 

 

[33]           En ce qui concerne l’arme à balles BB, la Commission n’a pas cherché à savoir si l’arme était chargée ou non. La Commission a estimé que le demandeur s’était montré insouciant quant à la gravité de la violence qui aurait pu se produire dans l’appartement où vivait la victime. Cette conclusion était fondée sur l’identité de la victime, un trafiquant de drogue connu, et non sur la présence, ou l’absence, de balles dans l’arme.

 

[34]           En ce qui concerne l’erreur relative au coût de la dépendance du demandeur, savoir s’il était de 200 $ par jour ou par semaine, le défendeur affirme qu’il ne s’agit pas d’une erreur importante. À 200 $ par semaine, il s’agit encore d’une dépendance assez sérieuse pour motiver une invasion de domicile. Les préoccupations de la Commission tenaient à l’aggravation du comportement du demandeur causée par la toxicomanie, qui ne s’en trouve pas moindre si le demandeur dépense 200 $ par semaine.

 

[35]           Le défendeur soutient que la Commission n’a pas eu tort de conclure que le crime n’était pas isolé. Elle a examiné les faits : le vol qualifié était prémédité, le demandeur a recruté deux personnes, le demandeur a commencé à consommer de la drogue bien avant le vol, il a vendu de la drogue pour financer sa dépendance et il a été arrêté une deuxième fois pour possession de cocaïne alors qu’il était en liberté sous caution. Il était raisonnable de conclure que le vol qualifié n’était pas un crime isolé.

 

[36]           Le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur en n’accordant aucune valeur à la coopération du demandeur avec la Couronne. Elle a examiné le comportement du demandeur et a conclu que le fait de recruter des personnes aux fins du délit et de les dénoncer ensuite à la police ne peut pas constituer un acte digne de mention dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire ni être considéré comme un facteur atténuant. La Commission n’y a donc accordé aucun poids, comme il lui était loisible de le faire.

 

[37]           Enfin, le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que les programmes de réadaptation du demandeur n’avaient pas convaincu la commission des libérations conditionnelles que le demandeur ne représentait plus un risque. La libération conditionnelle avait été refusée en l’absence d’une preuve d’emploi, d’études ou de counseling, de sorte que le demandeur posait un risque impossible à gérer.

 

[38]           Le défendeur affirme que la Commission a dûment tenu compte des facteurs énoncés dans la décision Ribic, précitée, mais qu’elle a estimé que la possibilité de réadaptation du demandeur ne justifiait pas la prise de mesures spéciales. La Commission a tenu compte de tous les éléments de preuve dans son appréciation de chaque facteur et a conclu que le danger que le demandeur posait pour lui‑même et le public, en cas de récidive, était élevé. Cette décision faisait partie des issues possibles acceptables, et il n’est pas du ressort de la Cour de la modifier. 

 

[39]           Le défendeur soutient qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. La Commission n’était pas tenue de communiquer au demandeur, pour qu’il ait la possibilité de fournir des précisions, les aspects de son témoignage qu’elle ne trouvait pas convaincants. En outre, la contradiction relevée entre le témoignage du demandeur et la lettre du conseiller en toxicomanie n’était pas un élément fondamental de la décision de la Commission. D’autres éléments de preuve présentés à la Commission corroboraient le témoignage du demandeur selon lequel il n’avait pas cessé sa consommation de drogue en 2007, notamment son arrestation pour possession en mars 2008. 

 

Analyse et décision

 

[40]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Reconnaissant qu’un renvoi peut occasionner de grandes difficultés, le Parlement confère à la Commission le pouvoir de prendre des mesures spéciales en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi. Pour l'application de cette disposition, la Commission doit effectuer une évaluation fondée sur des faits et guidée par des considérations de politique générale. Les commissaires possèdent une expertise considérable pour trancher les appels fondés sur la Loi. Celle-ci confère un vaste pouvoir discrétionnaire à la Commission, et il convient d’exercer un degré élevé de retenue. La norme de contrôle appropriée est donc la raisonnabilité (voir Khosa, précité, paragr. 57 à 60).

 

[41]           La norme de raisonnabilité ne permet pas à la Cour de réapprécier les éléments de preuve qui ont été présentés à la Commission. De même, la Cour ne peut conclure qu’il était déraisonnable pour la Commission d’accorder plus de poids à un facteur qu’à un autre. La Cour s’intéresse seulement « […] à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel […] ». Elle ne doit intervenir que si la décision ne fait pas partie des « […] issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragr. 47).

 

[42]           Question 2

            La Commission a‑t‑elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments de preuve dont elle était saisie?

            L’examen du dossier révèle que la Commission a commis une erreur quant à la gravité de la toxicomanie du demandeur. La Commission a déclaré que la consommation du demandeur lui coûtait 200 $ par jour. Cependant, les éléments de preuve présentés à la Commission établissent plutôt le coût de la dépendance du demandeur à 200 $ par semaine. Il s’agit à mon avis d’un écart important.

 

[43]           L’ampleur de la consommation de drogue était un facteur pertinent dans l’évaluation faite par la Commission de la possibilité de réadaptation, comme en témoigne le commentaire de la Commission au paragraphe 19 de la décision :

Encore une fois, sa consommation se chiffrait à 200 $ par jour, ce qui, selon la compréhension du tribunal, est assimilable à un niveau de dépendance très élevé.

 

Au paragraphe 27 de la décision :

Le tribunal n’est pas convaincu que les programmes que l’appelant a suivis sont suffisants pour régler son problème de consommation de taille, qui a trait à plusieurs substances.

 

 

Et au paragraphe 29 de la décision :

L’endroit où l’appelant se situe sur le spectre de la possibilité de réadaptation doit être évalué dans le contexte de plusieurs éléments : la gravité des agissements criminels de ce dernier, les problèmes sérieux liés à sa consommation de drogues, sa motivation quant à la réadaptation, la durée de la période pendant laquelle il a participé au programme, la durée des programmes, le fait qu’il ignore depuis si longtemps la cause de son comportement mésadapté ou qu’il y a tellement longtemps qu’il ne s’attaque pas à cette cause, l’ampleur du soutien dont il bénéficie au sein de sa famille et de la collectivité, pour ne nommer que les éléments les plus importants […]

 

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

 

                                                           

[44]           Je n’ai aucun moyen de savoir comment ou dans quelle mesure la preuve exacte de la consommation de drogue aurait modifié la décision de la Commission dans cette affaire. Cette décision doit être prise par la Commission, et non par la Cour.

 

[45]           Par conséquent, j’estime qu’il s’agit d’une erreur de fait importante justifiant l’annulation de la décision de la Commission.

 

[46]           Le demandeur a soulevé d’autres questions, mais je n’ai pas à m’y attarder compte tenu de la conclusion rendue sur le deuxième point.

 

[47]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

[48]           Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à faire certifier.


JUGEMENT

 

[49]                       LA COUR statue comme suit : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions légales applicables

 

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

67.(1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé  :

 

 

 

. . .

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

67.(1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

. . .

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

72.(1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1312-10

 

INTITULÉ :                                       KERWIN DIZON CUNANAN

                                                            c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 SEPTEMBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                             LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 FÉVRIER 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nimanthika Kareira

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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