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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110520

Dossier : T-1604-10

Référence : 2011 CF 599

Ottawa, Ontario, le 20 mai 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

 

STEVE HURDLE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’ une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission), du 1er septembre 2010, imposant au demandeur des conditions spéciales dans une ordonnance de longue durée, aux termes de l’article 134.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la Loi).

 

 

 

 

I.          Contexte

 

[2]               Le 19 avril 2007, le demandeur a été condamné par la Cour du Québec, chambre criminelle (la Cour criminelle), pour agression sexuelle sur un enfant de moins de 14 ans, aux termes de l’article 271(1)a) du Code criminel, LRC 1985, c C-46 [Code criminel]. Il reçoit une sentence de prison de quatre mois, compte tenu de sa détention préventive pour une période équivalent à 52 mois. La Cour criminelle le déclare délinquant à contrôler pour une période de 7 ans, aux termes de l’article 753.(1) du Code criminel. Elle ordonne également au demandeur de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, LC 2004, c 10, pour une période de 20 ans, aux termes de l’article 490.012 du Code criminel ainsi qu’à l’article 161 du Code criminel, qui vise à prévenir qu’un délinquant sexuel soit en contact avec des personnes de moins de 16 ans et elle précise aussi les restrictions qu’elle impose à cet effet.

 

[3]               Le 28 juin 2007, la Commission impose au demandeur cinq conditions, aux termes de son ordonnance de surveillance de longue durée. Elle impose une condition d’hébergement de 180 jours, mais ne mentionne pas une durée précise pour les autres conditions. Le 8 janvier 2008, la Commission ajoute une prolongation de six mois à la condition d’hébergement du demandeur. Le 7 février 2008, la Commission inflige au demandeur une nouvelle condition qui lui interdit de se trouver dans un commerce pour enfants ou dans un rayon pour enfants à l’intérieur d’un commerce, et ce, sans la présence d’un adulte responsable informé de sa délinquance sexuelle et autorisé par l’agent de surveillance.

 

 

[4]               Le 10 avril 2008, la Commission est à nouveau saisie du dossier du demandeur, lors d’une audience post-suspension de sa surveillance de longue durée, parce que ce dernier est entré en contact avec sa conjointe, contrairement aux directives de son équipe de gestion de cas. La Commission annule alors la suspension qui avait été décidée par Service correctionnel du Canada (Service correctionnel), et impose au demandeur une nouvelle condition lui interdisant d’être en contact avec sa conjointe sans avoir obtenu l’autorisation préalable de son agent de surveillance.

 

[5]               Service correctionnel demande à la Commission d’ajouter une condition au certificat de surveillance de longue durée du demandeur. La Commission devient saisie à nouveau du dossier du demandeur les 27 juin et 2 juillet 2008. Le 2 juillet, la Commission inflige au demandeur une nouvelle restriction relative à ses contacts avec des mineurs ainsi qu’avec sa fille.

 

[6]               Le 8 septembre 2008, la Commission prolonge de 180 jours la condition d’hébergement et reconduit toutes les autres conditions, sans mentionner de durée précise. Le 14 septembre 2009, la Commission reconduit toutes les conditions imposées au demandeur depuis le début de sa surveillance de longue durée. Elle ajoute aussi les trois nouvelles conditions suivantes :

 

1)                  Ne pas faire usage ou être en possession d’un téléphone cellulaire ou d’un téléavertisseur ou tout autre appareil portatif de télécommunication;

 

2)                  Informer son employeur de son statut;

 

 

3)                  Divulguer intégralement sa situation financière conformément aux directives de son agent de surveillance.

 

[7]               Le 25 août 2010, le demandeur transmet ses représentations écrites quant aux conditions imposées et formule des demandes précises quant à la durée des conditions qui ont été imposées. Il demande une audience. Le 1er septembre 2010, la Commission reconduit la condition d’hébergement pour une période de 180 jours. Elle modifie également trois des conditions imposées. De plus, elle ajoute une condition supplémentaire, soit d’informer son agent de surveillance de tout déplacement. Elle retire aussi la condition de divulguer intégralement sa situation financière à son agent de surveillance.

 

II.         Questions en litige

 

[8]               Le demandeur formule ainsi ses questions, à l’encontre de la décision de la Commission du 1er septembre 2010 :

 

1)                  La Commission a-t-elle erré en refusant d’indiquer une durée aux conditions imposées dans  l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur et en omettant de motiver sa décision quant à la durée de ces conditions?

 

2)         La Commission a-t-elle erré en imposant les trois conditions spéciales suivantes dans le cadre de l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur?

 

(a)                         Interdiction de faire usage ou d’être en possession d’un téléphone cellulaire ou d’un téléavertisseur ou tout autre appareil portatif de télécommunication;

 

(b)                        Informer son employeur de son statut;

 

(c)                         Informer son agent de tout déplacement.

 

III.       Normes de contrôle applicables

 

[9]               La première question implique deux sous-questions. La Cour doit d’abord déterminer si la Commission avait l’obligation légale d’indiquer explicitement une durée aux conditions imposées par sa décision. Il s’agit d’une question de droit et la norme de la décision correcte s’applique (Normandin c Canada (Procureur général) 2005 CF 1605 au para 32) :

 

[32] Il n'est pas contesté que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte. La question à trancher en est une de droit pure, puisqu'il s'agit de déterminer le sens et la portée d'une disposition législative en tenant compte du contexte législatif dans lequel elle se trouve. La Commission ne jouit d'aucune expertise particulière en ce domaine, et n'est pas mieux placée que cette Cour pour trancher cette question. Je note, au demeurant, que la norme de la décision correcte a été récemment appliquée dans des situations connexes par cette Cour : voir McMurray c. Canada (Commission des libérations conditionnelles), [2004] A.C.F. no 565 (Q.L.); Normandin c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 1701 (Q.L.).

 

[10]           La deuxième sous-question en est une d’équité procédurale. La Commission a-t-elle suffisamment motivé sa décision? C’est la norme de la décision correcte qui s’applique (Cyr c Canada (Procureur général), 2010 CF 94 au para 18; et Tozzi c Canada (Procureur général) 2007 CF 825 au para 34 [Tozzi]).

 

[11]           Quant à la deuxième question principale, aux termes de l’article 134.1 de la Loi, la Commission possède le pouvoir d’imposer aux délinquants des conditions spéciales de surveillance selon les risques de récidive que présente chaque cas. La Cour doit faire preuve de retenue devant l’expertise de la Commission et c’est donc la norme de la décision raisonnable qui s’applique (Deacon c Canada (Procureur général), 2005 CF 1489 au para 67; et Miller c Canada (Procureur général), 2010 CF 317 au para 42).

 

1)         La Commission a-t-elle erré en refusant d’indiquer une durée aux conditions imposées dans l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur et en omettant de motiver sa décision quant à la durée de ces conditions?

 

A.        Précision de la durée des conditions

 

[12]           Le demandeur soutient que la Commission a erré en omettant de préciser la durée des conditions imposées dans l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur. Seule la condition d’hébergement comporte une durée de 180 jours. Selon le demandeur, la Commission ne peut procéder ainsi et attendre que Service Correctionnel lui demande un changement ou le retrait d’une condition pour agir. Un tel comportement de la Commission équivaut à déléguer le pouvoir décisionnel qui lui est dévolu aux termes l’article 134.1 de sa Loi habilitante. Le demandeur prétend que la Commission doit imposer, dès le début de la surveillance de longue durée, une limite de temps à toutes les conditions qu’elle impose. La Commission impose au demandeur de suivre un traitement psychiatrique. Cette condition ne comporte non seulement pas de limite de temps, mais aux dires du demandeur, elle constitue la délégation par la Commission de son pouvoir à une tierce personne, en l’occurrence le psychiatre, alors que le l’alinéa 134.1 de la Loi précise que la Commission est la seule autorité compétente pour fixer une limite de temps à une condition qu’elle impose.

 

[13]           Le défendeur soutient pour sa part que la Commission possède le pouvoir discrétionnaire de préciser une limite de temps aux conditions imposées. Ceci ne constitue toutefois pas une obligation légale telle que le prétend le demandeur. En cas de silence, quant à la durée des conditions imposées, ces dernières sont tenantes jusqu’à la fin de l’ordonnance, i.e. pour toute la durée de la période de surveillance, sous réserve de révision si un changement de circonstances survenait aux termes du paragraphe 134.1(4) de la Loi.

 

[14]           L’article 134.1 de la Loi encadre l’imposition de conditions par la Commission aux termes d’une ordonnance de surveillance de longue durée:

 

Conditions de la surveillance de longue durée

 

Conditions for long-term supervision

 

Conditions :

 

Conditions:

 

134.1 (1) Sous réserve du paragraphe (4), les conditions prévues par le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, au délinquant surveillé aux termes d’une ordonnance de surveillance de longue durée.

 

 

134.1 (1) Subject to subsection (4), every offender who is required to be supervised by a long-term supervision order is subject to the conditions prescribed by subsection 161(1) of the Corrections and Conditional Release Regulations, with such modifications as the circumstances require.

 

Conditions imposées par la Commission

 

Conditions set by Board

 

(2) La Commission peut imposer au délinquant les conditions de surveillance qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

 

(2) The Board may establish conditions for the long-term supervision of the offender that it considers reasonable and necessary in order to

Période de validité

Duration of conditions

 

(3) Les conditions imposées par la Commission en vertu du paragraphe (2) sont valables pendant la période qu’elle fixe.

 

(3) A condition imposed under subsection (2) is valid for the period that the Board specifies.

Dispense ou modification des conditions

 

Relief from conditions

 

(4) La Commission peut, conformément aux règlements, soustraire le délinquant, au cours de la période de surveillance, à l’application de l’une ou l’autre des conditions visées au paragraphe (1), ou modifier ou annuler l’une de celles visées au paragraphe (2).

(4) The Board may, in accordance with the regulations, at any time during the long-term supervision of an offender,(a) in respect of conditions referred to in subsection (1), relieve the offender from compliance with any such condition or vary the application to the offender of any such condition; or (b) in respect of conditions imposed under subsection (2), remove or vary any such condition

 

 

[15]           L’article 100 de la Loi énonce son objectif principal :

 

Objet

 

Purpose of conditional release

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

100. The purpose of conditional release is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by means of decisions on the timing and conditions of release that will best facilitate the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens.

 

[16]           Dans l’arrêt Normandin c Canada (Procureur Général), 2004 CF 1404 au para 19, la juge Tremblay-Lamer a analysé et défini quelle était l’intention du législateur quant au rôle de la Commission dans l’application de la Loi et au regard de cet objectif:

 

[…] Il ne fait aucun doute que l'intention du législateur est que la CNLC emploie son expertise dans la prise de décisions appropriées qui permettront de protéger la société tout en facilitant la réinsertion du délinquant. La Cour devra faire preuve d'une plus grande retenue pour ce type d'expertise.

 

[17]           Dans un jugement confirmant la décision de la Juge Tremblay-Lamer, la Cour d’appel fédérale rappelait que la Commission possède un pouvoir discrétionnaire « large et souple » dans l’application de l’article 134.1 de la Loi. Ce pouvoir implique celui de déterminer les conditions de libération du délinquant et d’en fixer la durée (Normandin c Canada (Procureur général), 2005 CAF 345 aux para 44 et 52) :       

[44] Le pouvoir conféré à la Commission par le paragraphe 134.1(2) est un pouvoir discrétionnaire large et souple et la discrétion s'exerce à trois niveaux. Premièrement, la Commission peut imposer ou ne pas imposer des conditions de surveillance à un délinquant à contrôler. Deuxièmement, c'est aussi la Commission qui est investie du pouvoir de déterminer s'il est raisonnable et nécessaire de le faire pour assurer la protection du public et favoriser la réinsertion sociale du délinquant. Troisièmement, elle en fixe la durée.

 

[52] Le législateur n'a pas voulu introduire cette limitation dans le cas des délinquants à contrôler qui, eux, débutent leur période de surveillance prolongée alors que le délinquant en libération d'office (statutory release) s'achemine vers la fin de sa sentence. Le risque de récidive étant élevé pour les délinquants à contrôler et la période de surveillance étant de longue durée, il n'est pas déraisonnable de croire que le législateur a voulu laisser intact le vaste pouvoir discrétionnaire qu'il a octroyé à la Commission au paragraphe 134.1(2) de la Loi afin de lui permettre de rencontrer les besoins spécifiques des délinquants à contrôler (et à réinsérer socialement) ainsi que ceux de la collectivité à qui on fait assumer le risque de la libération du délinquant.

 

[18]           Il appert donc de la législation et de la jurisprudence que le législateur n’a pas voulu imposer d’obligation légale stricte à la Commission quant à la détermination d’une durée aux conditions imposées, lui laissant un large pouvoir discrétionnaire à cet égard. À l’opposé de la position du demandeur, le fait que la Commission n’ait pas explicitement indiqué de durée aux conditions imposées ne signifie pas qu’elles en sont pour autant dépourvues. Ainsi, les conditions imposées s’éteignent de facto avec l’expiration de l’ordonnance de surveillance. Contrairement aux prétentions du demandeur, toutes les conditions imposées ont une durée déterminée.

 

[19]           Dans le cas en l’espèce, la Commission s’est gardé une marge de manœuvre afin d’évaluer la conduite du demandeur, lequel a été jugé à faible potentiel de réhabilitation. Elle a décidé de ne pas se lier en précisant un terme moindre que la durée de l’ordonnance, aux conditions imposées antérieurement. En agissant ainsi, la Commission a voulu protéger la société contre les comportements déviants du demandeur tout en favorisant une réinsertion progressive sans récidive. Une telle mesure s’inscrit entièrement dans les objectifs de la Loi et les pouvoirs qu’elle confère à la Commission. La Cour constate qu’il n’existe pas d’erreur à cet égard; notre intervention n’est donc pas justifiée.

 

[20]           Quant à l’argument du demandeur à l’effet que l’imposition d’un traitement psychiatrique pour une durée indéterminée constituerait une délégation du pouvoir de la Commission, la Cour ne peut souscrire à pareil argument. En effet, il va de soi que la Commission doit s’en remettre aux tiers qui possèdent l’expertise nécessaire pour assurer une réinsertion du demandeur dans la société, tout en diminuant les risques de récidive comme le prescrit la Loi. Seul un psychiatre peut dans ce cas assurer ce cheminement du demandeur. Il ne s’agit pas d’une délégation de son pouvoir car il n’en demeure pas moins que c’est la Commission qui aura à prendre la décision à savoir si le demandeur a suffisamment progressé pour voir certaines de ses conditions levées.

 

[21]           De plus, tel que le soulignait le procureur du défendeur à l’audience, en réponse à une question de la Cour, et contrairement aux prétentions de demandeur, le texte même des décisions du 14 septembre 2009 et du 1er septembre 2010 précisent : CONDITION (S) SPÉCIALE(S) IMPOSÉE(S) ET PÉRIODE OU ELLE(S) S’APPLIQUE(NT) (s’applique(nt) jusqu’à la fin de la mise en liberté à moins qu’une période fixe soit spécifiée). Il ne fait aucun doute qu’une durée a donc été déterminée pour chacune des conditions inscrites dans l’ordonnance de la Commission.

 

 

 

 

B.         Motivation de la décision

 

[22]           Le demandeur soumet de plus, que la Commission doit motiver ses décisions, qu’elle a donc erré en droit en ne mentionnant pas pourquoi elle choisissait une durée qu’il qualifie d’indéfinie aux conditions imposées. Il soutient que cette obligation est d’autant plus réelle et exige un degré certain de précision puisque les conditions imposées limitent la liberté d’un citoyen canadien. Il prétend également que la Commission aurait dû motiver la raison pour laquelle une condition de 180 jours d’hébergement a été imposée puisqu’il s’agit d’une restriction majeure à sa liberté.

 

[23]           Le défendeur soutient pour sa part que la décision de la Commission est motivée, à durée déterminée et intelligible puisque la Commission a assujetti les conditions imposées à la durée de l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur. Les conditions ont été imposées au demandeur en raison de son comportement peu collaborateur durant sa surveillance de longue durée et des informations contenues à son dossier correctionnel. Elles se fondent aussi sur son manque de collaboration, de transparence et les bris répétés de ses conditions spéciales. 

 

[24]           L’article 101 f) de la Loi énonce les principes applicables :

 

Principes

 

Principles guiding parole boards

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

 

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are:

 

 

f) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

(f) that offenders be provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

 

[25]           Dans l’arrêt Tozzi, précité, aux para 63, 64 et 65, la juge Gauthier précisait ce qui consistait une décision motivée de la Commission aux termes de l’article 101 f) de la Loi :

 

[63] Finalement, comme l’indique le paragraphe 101(f) de la Loi, la CNLC et la Section d’appel ont l’obligation de rendre des décisions motivées.

 

[64] La question de savoir si les motifs sont suffisants dépend des circonstances de chaque espèce. Règle générale, les motifs sont suffisants lorsqu’ils remplissent les fonctions pour lesquelles l’obligation de motiver a été imposée (Via Rail c. Lemonde, [2000] A.C.F. no 1685, paragraphe 21).

 

[65] Ici, le législateur visait à assurer l’équité et la clarté du processus et à donner au délinquant la possibilité de faire réviser la décision.

 

[26]           En l’espèce, les motifs de la décision du 1er septembre 2010 se retrouvent dans près de cinq pages. La Commission précise entre autres les facteurs contributifs à la criminalité du demandeur, elle constate que le Centre d’évaluation et de recherche de l’Université de Montréal [CERUM] considère le demandeur à risque élevé de récidive pour des crimes de nature pédophile et sexuelle. Elle relate également tout le cheminement du demandeur durant sa surveillance post-détention et souligne, entre autres, que le demandeur a enfreint certaines des conditions qui lui ont été imposées. Avant de détailler chacune des conditions imposées, elle explique les considérations qui ont menées à leur imposition :

 

[...] Au terme de son analyse, la Commission constate que vous présentez toujours un risque élevé de récidive dans des délits de nature sexuelle mettant en cause de très jeunes filles. Vous ne semblez pas comprendre ce risque et ne démontrer aucun effort pour le diminuer et éviter toute nouvelle victime. Vous en êtes à une deuxième condamnation pour bris de conditions et malgré les suspensions, vous récidivez à nouveau.

 

De plus, les intervenants chargés de votre surveillance sont constamment obligés de demander de nouvelles conditions spéciales ou des précisions sur celles déjà imposées, parce que vous tentez continuellement de les contourner. A titre d’exemple, vous avez refusé de prendre, en établissement, la médication prescrite en regard de votre délinquance sexuelle vous basant sur le fait qu’elle ne vous était imposée qu’en communauté.

 

La Commission observe que vous vous refusez à reconnaître les situations à risque. Vous n’en faites qu’à votre tête, maintenant le risque de récidive à un niveau élevé, tel que le confirme le rapport final du CERUM.

 

[27]           La décision de la Commission est claire et bien motivée puisqu’elle informe le demandeur des raisons pour lesquelles les conditions lui sont imposées. La Commission n’a pas l’obligation de préciser la durée de chacune des conditions. En l’absence de précision quant à la durée des conditions elles se terminent avec la fin de la période de surveillance du demandeur, tel que le précise le texte même de la décision.

 

[28]           La Cour rejette l’argument du demandeur selon lequel l’imposition de la période de 180 jours d’hébergement en centre communautaire n’a pas été suffisamment motivée. Au contraire, la Commission explique clairement que l’imposition de cette condition est motivée par les actes de pédophilie pour lesquels le demandeur a été condamné, le risque élevé de récidive qu’il représente, confirmé par plusieurs intervenants, son manque de collaboration durant sa période de surveillance et les bris répétés des conditions qui lui ont été imposés. La Commission respecte l’équité procédurale puisqu’elle a motivé sa décision. L’intervention de la Cour n’est pas requise.

 

2)         La Commission a-t-elle erré en imposant les trois conditions spéciales suivantes dans le cadre de l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur?

 

(a)        Interdiction de faire usage ou être en possession d’un téléphone cellulaire ou d’un téléavertisseur ou tout autre appareil portatif de télécommunication;

 

[29]           Le demandeur soutient que la Commission a erré en imposant, dans sa décision du 1er septembre 2010, la condition de l’interdiction de faire usage d’un téléphone cellulaire ou tout autre appareil portatif de télécommunication, sans expliquer pourquoi cette restriction est raisonnable et nécessaire à la protection du public. L’explication se retrouve dans une décision antérieure du 14 septembre 2009. Selon le demandeur, l’explication que ces mesures sont raisonnables et nécessaires en raison du  risque qu’il représente pour la société est trop générale, elle ne fait que reprendre le texte de Loi et ne satisfait pas aux exigences d’équité procédurale.

 

[30]           Le demandeur affirme également que le libellé de cette condition a une portée excessive. Elle n’est pas nécessaire pour remplir l’objectif de la Loi, qui est la protection des victimes du demandeur et de la société. Selon le demandeur, il serait déraisonnable de conclure qu’il va utiliser ces appareils pour commettre un délit sexuel. Le demandeur n’a jamais été condamné pour des crimes relatifs à la possession ou à la diffusion de matériel pornographique. La Commission ne tient pas compte les principes de la réadaptation, de la réinsertion sociale et de la décision la moins restrictive pour le demandeur, ce qui selon lui, serait contraire aux termes des  articles 100, 101d) et 134.1(2) de la Loi. La Commission erre puisqu’elle ne considère pas les alternatives moins restrictives à cette interdiction absolue et omet de considérer que ces appareils pourraient servir à la réinsertion sociale du demandeur (par exemple, à des fins académiques ou pour signaler ses déplacements). Elle ne tient pas non plus compte du fait qu’aux termes de l’article 161 du Code criminel, il est déjà interdit au demandeur d’utiliser un ordinateur dans le but de communiquer avec une personne âgée de moins de 16 ans.

 

[31]           Le défendeur rappelle que cette condition a été établie pour la première fois par la Commission dans sa décision du 14 septembre 2009, et non dans la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Puisque cette décision n’est pas assujettie au présent contrôle judiciaire, elle ne peut maintenant être contestée. Aux dires du défendeur, le demandeur ne démontre pas le caractère déraisonnable de cette condition. Il n’y a aucun changement entre la situation du demandeur le 14 septembre 2009 et sa situation actuelle. Le demandeur nécessite toujours un encadrement serré en raison de son risque de récidive.

 

[32]           La jurisprudence a clairement établi qu’une condition qui a été renouvelée suite à une nouvelle décision rendue par la Commission peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Normandin c Canada (Procureur général) 2005 CF 1605, le contrôle judiciaire entendu par le Juge De Montigny concernait une décision dont la condition en litige avait été établie dans une décision précédente de la Commission. Cette condition faisait l’objet de son troisième renouvellement :

 

[1] Le demandeur cherche à faire annuler, par le biais d'une demande de contrôle judiciaire, une décision rendue par la Commission nationale des libérations conditionnelles (la « Commission » ) le 8 novembre 2004. Dans cette décision, la Commission renouvelait pour la troisième fois une condition d'assignation à résidence d'une durée de 90 jours, dans le cadre d'une ordonnance de surveillance au sein de la collectivité émise sous l'autorité de l'article 753.1 du Code criminel.

 

[33]           Qu’en est-il du caractère raisonnable de la condition imposée? L’objectif de la Loi énoncé à son article 100 vise à protéger la société tout en favorisant la réintégration sociale des délinquants. L’article 101 de la Loi précise les principes qui doivent guider la Commission dans l’exécution de son mandat. La protection de la société demeure le critère déterminant mais d’autres critères sont également à prendre en considération :

 

Principes

Principles guiding parole boards

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

 

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are:

 

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;

 

b) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

 

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender;

 

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

 

(d) that parole boards make the least restrictive determination consistent with the protection of society;

e) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en oeuvre de ces directives;

 

(e) that parole boards adopt and be guided by appropriate policies and that their members be provided with the training necessary to implement those policies; and

f) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

(f) that offenders be provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

 

[34]           Aux termes du paragraphe 134.1(2) de la Loi, les conditions imposées doivent être raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réintégration sociale du délinquant. En l’espèce, et au regard de la preuve au dossier, la Cour est d’avis que l’imposition de l’interdiction de faire usage ou d’être en possession d’un téléphone cellulaire ou d’un téléavertisseur ou tout autre appareil portatif de télécommunication, dans l’état actuel des choses, n’est pas déraisonnable. Les motifs précisés par la Commission nous apparaissent raisonnables dans les circonstances. Le demandeur s’est montré peu coopératif et a enfreint ses conditions. Il a, dans le passé, commis plus d’un crime pédophile à caractère sexuel, dont un sur une très jeune enfant et démontré peu de capacité de réhabilitation.

 

(b)                Informer son employeur de son statut;

 

[35]           Le demandeur soutient également que cette condition est excessive. Le demandeur n’a jamais commis de délit dans le cadre de son emploi, pas plus qu’il n’a utilisé sa situation d’autorité liée à son emploi pour commettre un délit sexuel. Une telle condition l’expose, selon lui, à des représailles inutiles et le place dans une situation périlleuse. Il soutient également que les articles 100, 101 et 134.1(2) de la Loi ne sont pas respectés. La Commission a également omis de considérer que le demandeur était déjà soumis à l’article 161 du Code criminel qui lui interdit de chercher, d’accepter ou de garder un emploi, rémunéré ou non, ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d’autorité vis-à-vis des personnes âgées de moins de seize ans.

 

Par ailleurs, le défendeur oppose le même argument que précédemment, à savoir que cette décision ne peut être portée en contrôle judiciaire puisqu’elle a été établie dans la décision du 14 septembre 2009 et que le demandeur n’a pas démontré que la décision était déraisonnable. Il soulève également l’absence de changement dans la situation du demandeur, lequel nécessite toujours un encadrement élevé.

 

[36]           Une condition faisant l’objet d’un renouvellement dans une nouvelle décision de la Commission peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. C’est le cas de la condition en l’espèce. Quant à son caractère raisonnable ou pas, la Cour considère que la Commission, compte tenu de son expertise et de sa spécialisation, est la mieux placée pour évaluer cette question. À défaut d’erreurs grossières dans l’appréciation des faits ou d’absence totale de transparence ou d’intelligibilité de la décision de la Commission, ce qui n’est pas le cas ici; il n’y donc pas lieu pour la Cour d’intervenir.

 

(c)           Informer son agent de tout déplacement.

 

[37]           Le demandeur soutient que cette condition est également excessive, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de la Loi et constitue un obstacle à sa réintégration. Elle représente un fardeau excessif pour le demandeur et devient impossible à respecter. La condition serait trop vague et laisserait place à une discrétion absolue à l’agent de surveillance quant à ses modalités d’application. Le mot déplacement n’a pas été défini. Selon le demandeur, la Commission ne procède, en outre, aucunement à une pondération des principes de réinsertion sociale, de réadaptation .La Commission aurait le devoir de rendre une telle décision la moins restrictive possible aux termes des articles 100, 101d) et 134.1(2) de la Loi. Dans le document intitulé « Évaluation en vue d’une décision » du 5 août 2010, le Service Correctionnel reconnaît qu’une telle condition n’est pas la mesure la moins restrictive et que des alternatives existent.

 

[38]           Le défendeur soutient pour sa part que cette décision est justifiée pour la protection de la société et la réinsertion sociale du demandeur, dont le potentiel a déjà été évalué comme faible. Aux termes de l’article 101(a) de la Loi, la protection de la société demeure le critère déterminant dans tous les cas. La Cour doit se montrer déférente face à la décision de la Commission.

 

[39]           Connaître les déplacements du demandeur permet d’assurer un certain contrôle sur son comportement et ce, dans le but de protéger la société. Compte tenu des motifs de la Commission et du comportement du demandeur, la décision de la Commission nous apparaît raisonnable dans les circonstances. Elle fait partie des issues raisonnables possibles (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47) Il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.

 

IV.       Conclusion

 

[40]           Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1604-10

 

INTITULÉ :                                       STEVE HURDLE

 

                                                            c

 

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               11 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      20 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maxime Hébert Lafontaine

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicholas R. Banks

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Labelle, Boudrault, Côté et Associés

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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