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 Date : 20110822


Dossier : IMM-7548-10

Référence : 2011 CF 1016

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON-RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 août 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

SYEDA KAZMI KHATOON

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite une ordonnance visant à annuler la décision du 18 novembre 2010 rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), qui avait conclu que la demanderesse était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (la LIPR). La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Pakistan. Elle s’est mariée à deux reprises. Ses deux anciens époux sont décédés. Son premier époux était un musulman sunnite, tout comme elle l’était à ce moment-là. Après le décès de son premier époux, elle a épousé un musulman chiite et s’est convertie au chiisme. Elle a prétendu devant la Commission avoir fait l’objet de persécution aux mains de son ancienne belle-famille; cependant, la question de savoir si elle a été persécutée par sa belle-famille sunnite ou sa belle-famille chiite n’était pas claire. Elle mentionnait, dans le récit circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), avoir été persécutée par la famille de l’un de ses anciens époux, et a prétendu à l’audience qu’il s’agissait de la belle-famille de son autre époux. De plus, les motifs pour lesquels elle avait été menacée n’étaient pas clairs pour la Commission. Selon la preuve dont la Commission était saisie, sa belle-famille sunnite lui demandait de se reconvertir au sunnisme et s’intéressait aux biens que son deuxième conjoint lui avait laissés. À d’autres moments, la demanderesse a relaté que c’était la belle-famille de son deuxième époux qui l’avait menacée et qui s’intéressait aux biens laissés par son premier époux. Lorsqu’on l’a questionné à l’audience au sujet de ces incohérences, la demanderesse a été incapable de donner une explication satisfaisante.  

 

[3]               La demanderesse a aussi relaté dans son témoignage que ses agents de persécution l’avaient « poussée » à une occasion. Elle a aussi relaté, à une autre occasion, que ses agents de persécution l’avaient poursuivi en moto et tiré en sa direction au moment où elle était dans un taxi. Elle ne pouvait se souvenir des détails de ce prétendu incident, qu’elle n’avait pas signalé aux policiers. La Commission ne croyait pas que ces incidents se soient produits.

 

[4]               La demanderesse a présenté des éléments de preuve postérieurs à l’audience, au titre de l’article 37 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2002‑228). L’avocat de la demanderesse a présenté un rapport, préparé le 7 juin 2010 par la Dre J. Pilowsky de Toronto. Il s’agissait d’un rapport de psychologue, dans lequel on prétendait que la demanderesse avait quelques troubles cognitifs et souffrait de dépression et d’anxiété. La psychologue a écrit ce qui suit dans son rapport :

[traduction]

[l]ors de l’une des fois ou l’on a saccagé sa maison, la tête de la patiente a donné contre le sol; depuis ce temps, elle souffre d’importantes dysfonctions cognitives en ce qui a trait à sa mémoire, sa concentration ainsi que son attention. 

 

 

[5]               La Commission n’a accordé aucun poids à ce nouveau rapport d’expert : il s’agit du motif pour lequel la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire. Elle prétend que la Commission a commis une erreur en concluant ainsi.

 

[6]               La demanderesse prétend aussi que les motifs donnés pour rejeter le rapport contiennent des lacunes, ne respectent pas les normes d’intelligibilité et de transparence et ne résistent pas à un examen poussé, comme ils le devraient. À cet égard, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte

 

[7]               À mon avis, les motifs sur lesquels repose la décision de la Commission de n’accorder aucun poids au rapport médical répondent au critère juridique régissant le caractère suffisant des motifs. Ceux-ci sont clairs et convaincants. Lorsqu’on lit la décision dans le contexte de l’instance dans son ensemble, y compris la transcription, l’on dénote quatre motifs qui répondent au critère en matière d’intelligibilité et de justification.

 

[8]               Le premier motif pour lequel le rapport a été rejeté concerne le moment où la question de la perte de mémoire a été soulevée. La Commission mentionne ce qui suit :

Dans ses observations écrites, le conseil déclare que la question de la mémoire ou de l’absence de mémoire de la demandeure d’asile a été soulevée lors de l’audience. Je ne me rappelle pas que la question de la mémoire ou de l’absence de mémoire de la demandeure d’asile ait été abordée lors de l’audience, et je n’ai rien noté à cet égard. Mes notes indiquent au contraire que la demandeure d’asile se rappelle être venue au Canada à trois reprises, ce qui témoigne de la qualité de sa mémoire. Par conséquent, le conseil a soumis un rapport psychologique relativement à la perte de mémoire de la demandeure d’asile ou encore à ses troubles de mémoire causés, notamment, par l’accident vasculaire cérébral qu’elle a eu en août 2008. Il a également présenté un article intitulé Memory Problems after a Stroke [troubles de la mémoire après un accident vasculaire cérébral]. Rien dans l’exposé circonstancié de la demandeure d’asile ne concerne l’accident vasculaire cérébral dont elle aurait été victime. La demandeure d’asile n’en a pas non plus fait mention dans son témoignage oral. Le témoignage oral du fils de la demandeure d’asile n’a pas non plus abordé cette question. Le fait que la demandeure d’asile présente à cette étape tardive des éléments de preuve documentaire qui appuient des allégations qui n’ont pas été soulevées pendant l’audience est contraire aux lignes directrices de la Commission et à l’article 31 du Formulaire de renseignements personnels. Je n’accorde aucune importance aux éléments de preuve documentaire de la demandeure d’asile qui ont été présentés après l’audience. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[9]               Bien que l’avocat du défendeur concède que les trous de mémoire aient été mentionnés à plusieurs occasions au cours de l’audience, la transcription des procédures indique que l’on n’a jamais considéré ceux-ci comme étant attribuables à une question d’ordre médical; on affirmait plutôt que l’incapacité de la demanderesse à se souvenir d’un incident était typique des témoins qui doivent relater des faits s’étant produits il y a de cela plusieurs années. La demanderesse a souffert d’un accident vasculaire cérébral (un AVC), mais cela n’a jamais été mentionné, que ce soit dans le FRP de la demanderesse, dans son témoignage ou dans celui de son fils, et aucune mention relative à la perte de mémoire n’a été faite avant la tenue de l’audience. La Commission était effectivement saisie de trois rapports médicaux, dont certains étaient détaillés, dans lesquels on ne soulevait pas la question de la perte de mémoire suivant l’accident vasculaire cérébral ou l’agression. Ce n’est seulement qu’après l’audience que la question des explications médicales relatives au témoignage livré par la demanderesse. En résumé, la Commission a tenu compte de la présentation tardive du rapport médical et il était raisonnable que cela constitue l’une des raisons pour ne pas y accorder de poids.

 

[10]           Deuxièmement, la Commission a mentionné que la mémoire de la demanderesse était correcte, en cas de besoin, mais qu’elle devenait de plus en plus embrouillée lorsqu’elle était confrontée à des incohérences marquées. La Commission a relevé que les pertes de mémoire de nature sélective survenaient à des moments importants du témoignage de la demanderesse, comme lorsqu’on lui posait des questions sur l’identité de la personne qui l’accompagnait dans le taxi au moment où des motocyclistes avaient fait feu en sa direction. La Commission relate ce qui suit dans les motifs :

Ce n’est que lorsqu’elle a été interrogée au sujet de sa déclaration écrite concernant sa belle-famille sunnite que sa mémoire a commencé à défaillir et qu’elle a donné un témoignage incohérent. […] Comme la demandeure d’asile a été prise à relater une incohérence majeure […]

 

 

[11]           En résumé, la Commission a eu égard autant au moment où les trous de mémoire se sont produits qu’à l’objet de ces trous de mémoire. La question de la capacité de la demanderesse à se souvenir des incidents est devenue, selon l’appréciation de la Commission, inextricablement liée aux inférences en matière de crédibilité. Relever les incohérences entre ce dont un demandeur se souvient et ne se souvient pas et en tirer les conclusions qui s’imposent en matière de crédibilité relève de la compétence du juge des faits.

 

[12]           Troisièmement, le rapport d’expert est, à première vue, d’une valeur limitée. Le rapport contient le passage suivant :

 

[traduction]

La demanderesse me dit que, lorsque son degré de stress augmentait au cours de l’audience quand on lui posait des questions, elle souffrait de perte de mémoire et donnait des réponses confuses.

 

 

[13]           Un degré de précision beaucoup plus élevé est nécessaire afin de démontrer que les conclusions de faits devraient être annulées au motif d’un problème de santé, ou, plus précisément, pour démontrer comment un problème de santé peut justifier un témoignage auquel l’on n’a pas prêté foi. En l’espèce, la psychologue n’a pas observé le témoignage de la demanderesse, ni examiné ce dont cette dernière se souvenait et oubliait, ni les questions ou les circonstances ayant déclenché la capacité de se rappeler ce qui s’était passé, ou un soudain trou de mémoire.

 

[14]           Fait encore plus important, le rapport repose sur le fait que les incidents dont la Commission doute de l’existence. La Commission a conclu que la preuve de la demanderesse était marquée par des incohérences entre le récit circonstancié de son FRP et son témoignage. Plusieurs exemples concrets ont été donnés, lesquels portent tous sur les éléments essentiels de la demande d’asile de la demanderesse. La Commission a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande.

 

[15]           Le rapport attribue la perte de mémoire aux coups que la demanderesse a reçus à la tête lorsqu’elle a été victime d’une agression « lorsque sa maison a été saccagée », un incident dont la Commission doute de l’existence. Il s’agit, évidemment, des mêmes incidents, dont la Commission rejette l’existence dans les faits, que la psychologue invoque pour justifier les trous de mémoire de la demanderesse. Les mots du juge Maurice Lagacé, dans la décision Diaz Serrato c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 176, sont particulièrement à propos :

La SPR a bien effectué une analyse approfondie de l’ensemble de la preuve déposée à l’appui de la demande du demandeur et elle avait le droit d’accorder peu de poids au rapport psychologique étant donné qu’il était fondé sur les propres allégations du demandeur. L’expert médical a essayé, au moyen de son rapport, de justifier la faiblesse du témoignage du demandeur, mais il n’était pas présent lors de l’audience pour entendre ce témoignage et pour apprécier les incohérences dans la demande d’asile. À cet égard, la SPR a eu l’avantage d’entendre le demandeur et d’avoir lu sa déclaration écrite, et elle pouvait déterminer si le syndrome de stress post‑traumatique constituait une justification valable des incohérences.

 

 

Si, comme il ne fait aucun doute en l’espèce, la SPR a bien examiné le rapport, mais n’a pas cru que l’avis psychologique s’y trouvant expliquait les incohérences, alors elle avait le droit de lui accorder peu ou pas de poids (Min c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 1676, paragraphe 6).

 

 

[16]           En résumé, la décision de ne pas accorder de poids au rapport est raisonnable et les motifs de cette décision, bien qu’ils aient pu être plus complets et contenir une analyse plus détaillée, répondent à la norme relative au caractère suffisant des motifs. Finalement, les tribunaux doivent être vigilants en ce qui concerne la différence entre une perte de mémoire véritable causée par un problème de santé ou un traumatisme et une perte de mémoire qui survient de manière intermittente et à des moments stratégiques pour expliquer certaines lacunes ou incohérences dans le témoignage d’un témoin. En l’espèce, la Commission a observé le témoin et a examiné le rapport. Elle a conclu que les problèmes de mémoire relevaient plutôt de la dernière catégorie et n’a donné aucun poids au rapport. Il s’agissait d’une décision qu’elle pouvait prendre en vertu de son pouvoir discrétionnaire.

 

[17]           Le poids à accorder à la preuve relève du pouvoir discrétionnaire et doit être apprécié selon la norme de la raisonnabilité. L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, prévoit que lorsqu’une décision de la Commission repose sur une appréciation ou une pondération de la preuve dont elle saisie, comme c’est le cas en l’espèce, cette décision est susceptible de révision que si elle est fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[18]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[19]           Aucune question à certifier n’a été proposée et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est par la présente rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune n’est soulevée.  

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7548-10

 

INTITULÉ :                                       SYEDA KAZMI KHATOON 

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 22 août 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Ali Amini

POUR LA DEMANDERESSE

 

M. Brad Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ali Amini

Avocat
Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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