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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111027

Dossier : IMM-7422-10

Référence : 2011 CF 1191

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

demandeur

et

 

SAMAR FAISAL BAIG

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Dans la présente demande, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par Mariam S. Pal, commissaire à la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI). Dans sa décision, la SAI a, pour des motifs d’ordre humanitaire, fait droit à l’appel interjeté par Samar Faisal Baig (la défenderesse) suivant le paragraphe 63(3) de la Loi; il s’agissait d’un appel contre la mesure de renvoi prise contre la défenderesse pour non‑respect des exigences applicables en matière de résidence permanente (article 28 de la Loi). La défenderesse, née au Pakistan, a de ce fait obtenu le statut de résidente permanente.

 

[2]               La défenderesse admet ne pas s’être conformée aux exigences de résidence prévues à l’article 28 de la Loi. Cependant, elle prétend craindre d’être persécutée par son père, ses voisins et les autorités religieuses au Pakistan parce qu’elle a eu un enfant avec un autre homme pendant son mariage. Elle a donc interjeté appel de la mesure de renvoi, faisant valoir qu’il y avait des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales compte tenu de l’intérêt supérieur de son enfant. La SAI a entendu l’appel le 9 novembre 2010. Le 2 décembre 2010, la SAI a fait droit à l’appel de la défenderesse pour des motifs d’ordre humanitaire. Le 17 décembre 2010, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               La seule question soumise à la SAI était donc de savoir si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient l’octroi de mesures spéciales dans les circonstances, malgré la validité de la mesure d’expulsion. La SAI a conclu qu’il y avait lieu de prendre des mesures spéciales, a fait droit à l’appel interjeté contre la mesure de renvoi et a accordé à la défenderesse le statut de résidente permanente. La SAI a passé en revue la liste non exhaustive des motifs d’ordre humanitaire résumés dans la décision Dorothy Chicay Bufete Arce c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2003] D.S.A.I. no 370, et a accordé un poids prépondérant à l’intérêt supérieur de l’enfant de la défenderesse, lequel serait directement touché par sa décision. La SAI a également accordé un poids considérable aux liens familiaux de la défenderesse au Canada, qui avait une tante et un cousin du côté maternel à Toronto, au fait qu’elle n’avait plus de contacts avec sa famille au Pakistan, à l’explication fournie par la défenderesse relativement à son long séjour à l’étranger, attribuable à la maladie de sa mère et à son incapacité à revenir au Canada parce que son passeport avait été confisqué, et aux circonstances spéciales de la présente affaire, en particulier la crainte de la défenderesse de retourner au Pakistan en raison du risque que son enfant et elle courraient.

 

[4]               Malgré les contradictions relatives au témoignage de la défenderesse et aux documents qu’elle avait remplis auparavant, son témoignage a été jugé crédible. Les réponses écrites contradictoires contenues dans le formulaire intitulé Perte de résidence et motifs d’ordre humanitaire n’ont pas été jugées crédibles puisque le formulaire n’était pas signé. La SAI s’est également fondée sur la preuve documentaire produite par la défenderesse, qui faisait état de la situation des femmes et des mères seules au Pakistan.

 

* * * * * * * *

 

[5]               La présente demande soulève deux questions, à savoir :

                                 i.            La SAI a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en ne motivant pas adéquatement sa décision?

 

                               ii.            La SAI a‑t‑elle tiré des conclusions de fait abusives et a‑t‑elle omis de prendre en considération des éléments de preuve contradictoires, commettant par le fait même une erreur susceptible de contrôle, lorsqu’elle a conclu que la défenderesse avait établi l’existence de motifs d’ordre humanitaire justifiant le maintien de son statut de résidente permanente?

 

 

[6]               La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale soulevées par le caractère inadéquat des motifs de la SAI est la décision correcte (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S 539, cité dans Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Charles, 2007 CF 1146, au paragraphe 24; et dans Junusmin c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 673).

 

[7]               La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la SAI et à son appréciation de la crédibilité et de la preuve est la décision raisonnable (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Tirer, 2010 CF 414, au paragraphe 11).

 

* * * * * * * *

 

I.          La SAI a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en ne motivant pas adéquatement sa décision?

 

[8]               Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en ne motivant pas ses conclusions, ce qui constituerait un manquement à son obligation d’équité procédurale. Plus particulièrement, le demandeur croit que la SAI a tiré des conclusions non justifiées incompatibles avec la preuve dont elle disposait, sans fournir d’explication intelligible. La défenderesse n’est pas d’accord, estimant que la SAI a correctement exposé les faits sur lesquels reposaient ses conclusions.

 

[9]               Je ne suis pas d’accord non plus avec le demandeur : la SAI a motivé sa décision. La SAI a pris en considération les principes pertinents, elle a exposé ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposaient ses conclusions, à savoir le témoignage de la défenderesse. La SAI n’a pas simplement résumé les observations des parties pour ensuite exposer sa conclusion (VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), au paragraphe 22).

 

[10]           Il n’existe aucune règle générale quant à ce qui constitue des motifs adéquats : le caractère adéquat des motifs est une question qui doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque espèce (VIA Rail, précité). Le demandeur souligne à bon droit que l’obligation de la SAI de fournir des motifs adéquats comporte l’obligation de traiter des éléments de preuve contradictoires pertinents (Junusmin, précitée, au paragraphe 28). Cependant, la SAI a tenu compte des contradictions dans le témoignage et les déclarations écrites de la défenderesse, et a par la suite tiré des conclusions quant à la crédibilité de la défenderesse et à la crédibilité des documents contradictoires soumis :

[16]     En ce qui a trait à l’entrevue de l’appelante à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau au mois de mai 2009, le tribunal constate que, même si l’appelante a affirmé qu’elle avait dû attendre quatre heures avant d’obtenir les services d’un interprète après avoir été emmenée à l’écart par les autorités de l’immigration, les documents contenus dans le dossier indiquent qu’elle a reçu de tels services de 18 h 45 à 22 h. […] Cependant, le tribunal estime que certaines des réponses contenues dans le formulaire Perte de résidence et motifs d’ordre humanitaire de l’appelante ne sont pas crédibles. Par exemple, la réponse à la question 4 indique que l’appelante a de la famille au Canada, ce qui contredit la réponse à la question 8 d’après laquelle elle n’a pas de famille ou de réseau communautaire au Canada. Enfin, d’après la réponse à la question 7, il n’y aurait aucune conséquence pour la famille de l’appelante si celle-ci était renvoyée du pays. Le tribunal constate que ce formulaire n’a pas été signé par l’appelante et estime que les réponses à plusieurs des questions ne sont pas crédibles, comme susmentionné.

 

[17]     […] Le tribunal juge que le défaut de l’appelante de se présenter à l’enquête en 2006 constitue un facteur défavorable, mais admet son explication […]

 

Conclusion

 

[18]     Par conséquent, le tribunal conclut que, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, il y a des motifs d’ordre humanitaire justifiant […] la prise de mesures spéciales […]

 

 

 

[11]           Tel qu’il ressort de la citation ci‑dessus, la SAI a exposé la preuve (témoignage et documents) et a ensuite tiré ses conclusions. La SAI a conclu que la défenderesse était un témoin crédible. En outre, elle a expliqué qu’elle ne jugeait pas crédible le formulaire Perte de résidence et motifs d’ordre humanitaire parce que la défenderesse ne l’avait pas signé. Au paragraphe 15 de sa décision, la SAI a examiné aussi les documents portant sur la situation des femmes au Pakistan. De plus, la SAI a clairement affirmé qu’elle avait accordé un poids considérable à l’intérêt supérieur du fils de la défenderesse – un enfant directement touché par sa décision – pour parvenir à sa conclusion. En conséquence, dans ses motifs, la SAI explique comment elle est parvenue à sa conclusion (Polgari c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CFPI 626). La SAI n’a pas simplement omis de tenir compte d’une preuve contradictoire (voir les décisions Orgona c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CFPI 346; et Cepeda-Gutierrez et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 17).

 

[12]           En conséquence, bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SAI, la SAI n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale, sa décision s’appuyant sur ses conclusions relatives aux faits et à la crédibilité. Il reste alors à déterminer si ces conclusions étaient raisonnables.

 

II.         La SAI a‑t‑elle tiré des conclusions de fait abusives et commis par le fait même une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que la défenderesse avait établi l’existence de motifs d’ordre humanitaire justifiant le maintien de son statut de résidente permanente?

 

[13]           Le demandeur soutient que la SAI n’a pas du tout tenu compte de la preuve, ayant simplement accepté le témoignage de la défenderesse comme étant crédible, malgré ses nombreuses contradictions. Les motifs à l’appui de la décision de la SAI de rejeter certains éléments de preuve ne s’appuieraient pas, selon lui, sur les éléments dont elle disposait.

 

[14]           Après avoir examiné la preuve, j’estime que le demandeur ne m’a pas convaincu que la SAI a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire, ou qu’elle a rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont elle disposait (voir l’alinéa 18.2(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7). Les erreurs relevées par le demandeur ne sont pas importantes au point de rendre la décision déraisonnable. De façon générale, il faut faire preuve d’une retenue judiciaire considérable à l’égard des conclusions tirées par la SAI en l’espèce, lesquelles ne peuvent être modifiées que si le raisonnement du tribunal est défectueux et que la décision rendue ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

[15]           Comme la défenderesse a raison d’affirmer que c’était au conseil du demandeur de l’interroger à l’audience devant la SAI, je ne crois pas que le fait que la SAI ait jugé crédible le
témoignage de la défenderesse, malgré la présence d’erreurs mineures, manque de transparence et d’intelligibilité (voir l’arrêt Dunsmuir, précité).

 

* * * * * * * *

 

[16]           En conséquence, vu la conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas établi que la SAI n’avait pas motivé adéquatement sa décision et qu’elle avait tiré une conclusion déraisonnable quant à la crédibilité de la défenderesse, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[17]           Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a, pour des motifs d’ordre humanitaire, fait droit à l’appel interjeté par la défenderesse contre une mesure de renvoi prise contre elle parce qu’elle ne s’était pas conformée aux exigences applicables en matière de résidence permanente établies dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7422-10

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. SAMAR FAISAL BAIG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 27 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Émilie Tremblay                                                POUR LE DEMANDEUR

 

Dan Bohbot                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DEMANDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

Dan Bohbot                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)

 

 

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