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Date : 20111028


Dossier : T-1010-11

Référence : 2011 CF 1231

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

MARCO PROULX

(alias Jacques Marco Proulx)

3304, promenade Wilhaven

Cumberland (Ontario)  K4C 1K4

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le 21 juin 2011, la juge Mactavish de la Cour a rendu, conformément au paragraphe 225.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, et modifications (la Loi de l’impôt sur le revenu), une ordonnance conservatoire autorisant le ministre du Revenu national (le ministre) à prendre immédiatement des mesures de recouvrement contre le contribuable défendeur, M. Marco Proulx.

 

[2]               Le 20 juillet 2011, M. Proulx a déposé une demande d’annulation de l’ordonnance de la juge Mactavish, conformément au paragraphe 225.2(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’avocat de M. Proulx a fait valoir, dans la présente procédure de révision, que la demanderesse n’avait pas divulgué les faits d’une manière complète et impartiale et que le défendeur n’était ni en train de liquider ses biens, ni en train de déménager dans l’État de Floride, aux États-Unis.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la demande d’annulation de l’ordonnance conservatoire du 21 juin 2011 doit être accueillie.

 

1. Contexte

[4]               Le défendeur, M. Marco Proulx, était l’unique actionnaire de la société Master-Park Inc. (MPI), une société constituée en 2004, qui exploitait une entreprise de stationnement. La société a été vendue pour la somme de 1,6 million $ en avril 2008, générant pour le défendeur des sommes forfaitaires de 500 000 $ qui lui ont été versées à titre de gains en capital en juin 2009, 2010 et 2011, à condition qu’il s’engage à ne pas travailler dans le domaine du stationnement en Ontario et au Québec durant cinq ans. Le défendeur n’a donc pas travaillé depuis le 1er avril 2008, et il vit depuis cette date sur les gains en capital produits par la vente de MPI.

 

[5]               Après la vente de MPI, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a entrepris une vérification des activités générales et des déclarations de TPS de MPI. Le différend initial concernait la taxe sur les produits et services (la TPS). Le défendeur avait le statut d’employé et avait reçu la somme de 350 000 $ à la vente de MPI, ce qui suscitait apparemment un doute à propos de la TPS, que le conseiller fiscal du défendeur avait tenté de dissiper en considérant plutôt le paiement comme un dividende. Par la suite, l’ARC a procédé à une vérification le 20 juillet 2008. La vérification devait porter sur les déclarations de revenus des sociétés pour les années se terminant le 31 juillet 2006 et le 31 juillet 2007, ainsi que sur les déclarations de taxe sur les produits et services et de taxe de vente harmonisée, et sur les déclarations de revenus des sociétés de l’Ontario, pour la période du 1er août 2005 au 31 juillet 2007. Le 19 août 2008, MPI était informée par écrit que la vérification commencerait le 10 septembre 2008. L’ARC reconnaissait à cette date que, outre les vérifications susmentionnées, l’ARC examinerait aussi les déclarations de revenus des particuliers produites par M. Marco Proulx.

 

[6]               Le 7 janvier 2011, la vérificatrice de l’ARC a envoyé à M. Proulx, par lettre, une proposition indiquant que l’ARC envisageait de redresser ses déclarations de revenus des particuliers pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007 afin d’y inclure, à titre de revenus, toutes les sommes portées au compte des prêts à l’actionnaire de MPI durant la période visée par la vérification. M. Proulx s’est vu accorder les 30 jours réglementaires pour répondre à cette proposition.

 

[7]               Le 7 avril 2011, l’ARC a envoyé à Marco Proulx des avis de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007. Le solde total dû par M. Proulx à l’ARC à la suite des trois années de nouvelles cotisations se chiffrait à 883 010,61 $. Sur cette somme, la somme de 457 192 $ représentait une hausse des impôts à payer, tandis que le reste représentait les intérêts et pénalités. Les nouvelles cotisations reflétaient les redressements proposés dans la lettre de janvier. Au 17 juin 2011, la dette fiscale de M. Proulx était passée à 891 640,10 $.

 

[8]               Le 31 mars 2011, l’ARC a envoyé à MPI un avis de nouvelle cotisation au titre de la taxe sur les produits et services et de la taxe de vente harmonisée, pour la période allant du 6 juillet 2005 au 30 septembre 2007. Le 21 avril 2011, l’ARC envoyait aussi à MPI des avis de nouvelles cotisations pour les exercices ayant pris fin les 31 juillet 2005, 2007 et 2008. Ces nouvelles cotisations n’intéressent pas cependant la présente procédure. Cela dit, il semble que le défendeur a volontairement divulgué et payé une dette de TPS d’environ 283 000 $.

 

[9]               Les 27 et 28 juin 2011, M. Northcote, un comptable agréé auquel s’était adressé M. Proulx pour s’occuper des vérifications, a déposé des avis d’opposition pour les trois nouvelles cotisations.

 

[10]           Avec le produit de la vente de MPI, M. Proulx a acheté en décembre 2008 un bungalow de 9 000 pieds carrés sur un terrain de 73 acres, à Cumberland, pour la somme de 1 725 000 $. Il a plus tard mis ce bien en vente pour la somme de 1 900 000 $. Le 14 septembre 2010 cependant, le bungalow a été détruit par un incendie. Le terrain de 73 acres, sur lequel aujourd’hui se trouve uniquement un grand garage de 1 700 pieds carrés, a été mis à nouveau sur le marché pour vente privée au cours du printemps de 2011, et, en juin 2011, il a été mis en vente par l’intermédiaire d’un agent immobilier.

 

[11]           L’assureur de M. Proulx a accepté de régler les hypothèques grevant l’immeuble, qui totalisaient environ 1 400 000 $. Il a aussi accepté de payer le séjour de M. Proulx dans un hôtel durant environ quatre mois, lui avançant environ 100 000 $. À ce jour, l’assureur a refusé de payer la valeur nette détenue par M. Proulx sur le bungalow (environ 600 000 $, représentant la différence entre les hypothèques payées et la valeur du bungalow), la valeur du contenu de la maison, estimée à 1 300 000 $, et diverses autres charges. La réclamation déposée contre l’assureur du défendeur est donc d’environ 2 000 000 $, outre des dommages-intérêts majorés et exemplaires. Le défendeur a poursuivi son assureur en paiement du solde dû, et son affidavit supplémentaire contient deux preuves de perte, avec pièces à l’appui, préparées par National Fire Adjustment Co. Inc., qui confirment à première vue la validité de la somme réclamée à l’assureur.

 

[12]           Après avoir vendu son entreprise en 2008, M. Proulx a acheté pour 800 000 $ de voitures exotiques et a voulu en faire un commerce, en achetant et vendant ces voitures. La demanderesse prétend que M. Proulx était propriétaire de 11 véhicules en 2008, dont neuf ont été vendus depuis 2009. M. Proulx fait des déclarations contradictoires à propos des dates où les véhicules ont été vendus. Dans son exposé des faits et du droit, il affirme que la plupart des ventes ont eu lieu avant le 15 décembre 2008, date de l’achat de sa maison. Or, dans son affidavit du 19 juillet 2011, un diagramme montrant les dates auxquelles ses véhicules ont été achetés et vendus ne corrobore pas cette affirmation et confirme que la plupart des véhicules ont été vendus en 2009, dont deux tout récemment, le 3 juin 2011. M. Proulx expliquait dans son affidavit du 19 juillet 2011, et en contre‑interrogatoire, qu’il n’avait pas en réalité vendu ces deux véhicules, mais les avait simplement transférés au nom de sa fiancée aux fins d’assurance. Il affirme aussi, en contre‑interrogatoire, qu’il y a de nombreuses erreurs dans l’affidavit de l’agent de recouvrement à propos des voitures qu’il avait effectivement achetées, et des dates auxquelles elles avaient été vendues. Il explique cela par le fait que ces voitures n’ont pas à être immatriculées si elles sont achetées d’une personne qui réside en dehors de la province ou vendues à une telle personne et si elles ne circulent pas sur les routes de l’Ontario. Quoi qu’il en soit, on ne sait pas très bien comment M. Proulx aurait pu acheter et vendre les véhicules à l’intérieur d’une période de huit mois (du 1er avril au 15 décembre 2008) et employer le produit de la vente comme acompte pour l’achat de sa maison, comme il l’a prétendu.

 

[13]           En juillet 2010, alors même que la récession se faisait sentir sur les activités secondaires d’achat et de vente menées par le défendeur, celui-ci s’est vu offrir l’occasion de revenir aux activités de stationnement, en lançant une entreprise qui achetait des parcomètres en Espagne et les louait à des propriétaires de terrains de stationnement. Le défendeur disposait, en Floride, ainsi qu’à Buffalo et dans le Nord de l’État de New York, d’une clientèle toute prête, formée d’amis qu’il s’était faits à Ottawa et qui maintenant étaient promoteurs immobiliers en Floride. Quand sa maison a brûlé et que son assureur a refusé de satisfaire à ses réclamations, le défendeur a alors été à court d’argent liquide et a décidé de saisir l’occasion qui s’offrait. Le défendeur et son associé, actionnaire à 49 p. 100, ont alors constitué une société au Canada et une autre, plus tard, au Delaware, et se sont enregistrés en Floride pour exercer les activités de location de parcomètres. Le défendeur et son associé affirment qu’ils entendent développer ces activités aux États-Unis, jusqu’à ce que le défendeur soit en mesure de poursuivre ses activités d’exploitation de stationnements en Ontario et au Québec.

 

[14]           M. Proulx et sa fiancée ont acheté à Gatineau, le 20 mai 2011, pour la somme de 625 000 $, une maison, moyennant une hypothèque de 350 000 $. La vente a été enregistrée au bureau d’enregistrement immobilier de Hull le 7 juin 2011, mais M. Proulx, craignant que l’ARC n’enregistre un privilège sur ce bien, n’en a rien dit à la vérificatrice de l’ARC durant sa conversation avec elle à la fin de juin 2011. Il reconnaît que c’était là une erreur, mais il ajoute que son comptable a dit à la vérificatrice de l’ARC, à la fin de juin 2011, qu’il avait acheté un bien à Gatineau; cette révélation est confirmée dans un affidavit établi sous serment par le comptable le 10 août 2011. En outre, M. Proulx a acheté en Floride un bateau qui semble-t-il a une valeur de 120 000 $ et qu’il a fait livrer à Gatineau.

 

[15]           À la suite de l’ordonnance conservatoire rendue par la juge Mactavish, l’ARC a enregistré un privilège contre le bien-fonds du défendeur à Cumberland, pour la somme totale de la cotisation (892 250 $). Ce privilège allait priver le défendeur de la possibilité d’hypothéquer ce bien pour acheter des équipements destinés à ses nouvelles activités de stationnement.

 

2. Les principes juridiques applicables

[16]           Les parties s’accordent sur les principes juridiques applicables; il n’est donc pas nécessaire de les examiner d’une manière très détaillée. En application du paragraphe 225(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministre peut, lorsqu’une personne n’a pas payé un montant exigible en vertu de la Loi, lui donner un avis d’au moins 30 jours de son intention d’ordonner la saisie et la vente des biens meubles de cette personne. Si l’intéressé est encore en défaut de paiement au terme des 30 jours, le ministre peut délivrer un certificat de défaut et ordonner la saisie des biens meubles de cette personne. Cependant, le paragraphe 225.1(1) de la Loi dispose que le ministre ne peut, avant le 90e jour suivant la date de mise à la poste de l’avis de cotisation, prendre certaines mesures de recouvrement, à moins que ces restrictions au recouvrement ne soient levées par ordonnance de la Cour conformément au paragraphe 225.2(2). Selon cette disposition, le juge doit, aux conditions qu’il estime raisonnables dans les circonstances, et s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire (par opposition à un simple soupçon) que le recouvrement de tout ou partie d’une cotisation établie à l’égard d’un contribuable serait compromis par l’octroi d’un délai, autoriser le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l’égard du montant de la cotisation. Pour l’application du critère, « il ne s’agit pas de déterminer si le recouvrement lui-même est compromis mais plutôt s’il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué » (Danielson c. Canada (Sous-procureur général), 86 D.T.C. 6518, à la page 6519 (C.F.)). (Voir aussi l’arrêt Sa Majesté la Reine c. Golbeck, 90 D.T.C. 6575, à la page 6575 (C.A.F.), et la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Services M.L. Marengère, 2000 D.T.C. 6032 (C.F.).)

 

[17]           Quand une autorisation a été accordée conformément au paragraphe 225.2(2), le contribuable peut demander à un juge de la Cour de réviser l’autorisation : Loi de l’impôt sur le revenu, paragraphe 225.2(8). Lorsque la Cour est saisie d’une demande de révision, le ministre a l’obligation ultime de justifier la décision. Cependant, c’est au contribuable qu’il appartient d’abord de prouver qu’il y a des motifs raisonnables de douter que le critère a été respecté (La Reine c. Satellite Earth Station Technology Inc. (1989), 30 F.T.R. 94, aux pages 8 et 9 (C.F.), 17 A.C.W.S. (3d) 955; Canada (Ministre du Revenu national) c. Duncan, [1992] 1 C.F. 713, (1991), 47 F.T.R. 220; Canada (Ministre du Revenu national) c. Rouleau (1995), 101 F.T.R. 57 (C.F.), 57 A.C.W.S. (3d) 1051).

 

[18]           Le critère a été résumé avec à-propos par mon collègue le juge Lemieux :

Les parties s’accordent à dire que la révision d’une ordonnance conservatoire en application du paragraphe 225.2(8) de la Loi requiert au minimum l’application du critère en deux volets élaboré par le juge MacKay dans la décision La Reine c. Satellite Earth Station Technology Inc., [1989] 2 C.T.C. 291, [1989] 30 F.T.R. 94. Selon le juge MacKay, la révision d’une ordonnance conservatoire selon le paragraphe 225.2(8) « comporterait […] des aspects d’un appel et d’une nouvelle audience. »

Pour le premier volet du critère, le demandeur (ici Mme Reddy) a la charge initiale « de rassembler des preuves, soit sous forme d’affidavits ou de contre‑interrogatoires des déposants pour le compte de la Couronne, soit sous ces deux formes, pour établir qu’il existe a des motifs raisonnables de douter que le critère exigé par le paragraphe 225.2(2) a été respecté ».

 

Pour le deuxième volet du critère, le juge MacKay écrivait que « la charge ultime que le paragraphe 225.2(2) fait reposer sur la Couronne est maintenue lorsque l’ordonnance prononcée par le tribunal est révisée en vertu du paragraphe 225.2(8) ». Il ajoutait ce qui suit :

 

Lorsque la preuve présentée par le contribuable requérant suscite un doute raisonnable quant à la suffisance des éléments de preuve initialement produits par la Couronne dans une requête ex parte, la procédure établie par le paragraphe 225.2(8) permet implicitement au tribunal qui révise l’autorisation déjà accordée de tenir compte de la preuve initialement présentée au nom du ministre à l’appui de l’ordonnance de protection, ainsi que de toute autre preuve, produite par l’une ou l’autre des parties à la requête en révision sous forme d’affidavits ou de contre‑interrogatoires des déposants. La preuve doit être examinée par rapport au critère établi par le paragraphe 225.2(2) lui‑même et à la jurisprudence pertinente, […]

 

Canada (Ministre du Revenu national) c. Reddy, 2008 CF 208, aux paragraphes 6 à 8, 2008 D.T.C. 6185.

 

 

 

[19]           Finalement, il est évident qu’une ordonnance de recouvrement ex parte est une mesure extraordinaire. L’ARC doit donc montrer la plus extrême bonne foi et s’assurer d’une divulgation complète et impartiale. Une ordonnance conservatoire peut donc être radiée si le ministre n’a pas observé et respecté la norme élevée de divulgation à la Cour, norme qui est applicable dans les demandes ex parte (voir la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Services M.L. Marengère, précitée, au paragraphe 63, et la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Duncan, précitée, à la page 9). Il s’agit là d’un moyen autonome à l’appui d’une demande de révision, et ce moyen peut déboucher sur la radiation d’une ordonnance conservatoire (voir la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Robarts, 2010 CF 875, au paragraphe 6, 374 F.T.R. 87).

 

3. Analyse

[20]           Je commencerai la présente analyse par l’argument du défendeur pour qui la demanderesse n’a pas divulgué les faits d’une manière complète et impartiale, ajoutant que l’ordonnance conservatoire a été rendue sans l’avantage d’une information complète, et qu’elle était fondée sur des faits non avérés présentés dans le dessein de salir la réputation du défendeur. S’il est établi, cet argument suffirait à radier l’ordonnance.

 

[21]           L’ordonnance a été obtenue sans qu’avis en soit donné au défendeur, en raison de l’affirmation du ministre selon laquelle il :

[traduction]

[…] a des motifs raisonnables de croire que l’octroi au défendeur d’un délai pour payer le montant de la cotisation établie à son égard compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant :

a) le défendeur est en train de liquider ses actifs et de déménager dans l’État de Floride, aux États-Unis;

b) le seul actif important restant du défendeur, à savoir un terrain vacant d’une contenance d’environ 73 acres sur lequel se trouve un important garage de 1 700 pieds carrés, a récemment été mis en vente; et

c) le défendeur a disposé, et continue de disposer, de ses biens mobiliers.

 

Avis de requête, à la page 2 du dossier de requête ex parte déposé le 20 juin 2011.

 

 

 

[22]           L’avocat du défendeur soutient que les deux affidavits sur la base desquels la requête ex parte a été présentée (l’un établi par Mme Shelley Strader, agente de recouvrement, et l’autre par Donna MacAleese, vérificatrice) sont remplis d’inexactitudes, de lacunes et d’insinuations qui ne pouvaient qu’induire la Cour en erreur sur ses véritables intentions. Je passerai maintenant brièvement en revue chacune de ces allégations.

 

[23]           D’abord, Mme Strader écrivait dans son affidavit que le ministre avait établi de nouvelles cotisations totalisant 883 010 $ au regard d’un [traduction] « revenu non déclaré ». Or, l’ARC n’a vérifié que le compte d’actionnaire de la société de M. Proulx et a requalifié comme avantages imposables les prêts à l’actionnaire. Par ailleurs, la somme de 883 010 $ comprend des intérêts et des pénalités se chiffrant à environ 430 000 $. Mme Strader n’allègue pas expressément une évasion fiscale ou une fraude fiscale, mais il reste que son affidavit est inexact sur ce point et aurait pu facilement conduire la juge saisie de la requête à en déduire que le défendeur est un fraudeur fiscal.

 

[24]           L’avocat du défendeur affirme aussi que le ministre aurait dû révéler à la Cour que l’ARC avait connaissance de l’intention de M. Proulx de faire appel de l’avis de cotisation, compte tenu que les deux auteurs des affidavits de l’ARC savaient en juin que M. Proulx entendait déposer un avis d’opposition, l’ARC ayant été informée de cette intention de M. Proulx par son conseiller fiscal. D’ailleurs, Mme Strader et Mme MacAleese ont toutes deux confirmé ce fait durant leur contre-interrogatoire. Il était donc strictement véridique, mais trompeur, d’affirmer que [traduction] « à ce jour, aucun avis d’opposition n’a été déposé par M. Proulx » (affidavit de Mme Shelley Strader, au paragraphe 6). Il est bien possible, comme l’affirme le ministre, que, même si l’intention de M. Proulx d’interjeter appel avait été révélée, le délai additionnel de recouvrement de la dette fiscale par suite de la procédure d’appel n’aurait fait que militer en faveur de l’ordonnance conservatoire. Ce point aurait dû être laissé à l’appréciation du juge; il n’appartenait pas à la demanderesse de décider unilatéralement de ce qui était pertinent et de ce qui ne l’était pas.

 

[25]           M. Proulx affirme que le ministre aurait dû révéler qu’il exerçait des activités secondaires consistant à acheter et vendre des voitures musclées et autres véhicules exotiques, au lieu d’affirmer (par l’entremise de l’affidavit de Mme Strader) qu’il était propriétaire de 11 véhicules en 2008, dont neuf avaient été vendus depuis 2009, la vente la plus récente ayant eu lieu le 3 juin 2011. Selon M. Proulx, la conclusion à tirer de cette affirmation est qu’il est en train de liquider ses biens, alors qu’en réalité la plupart des ventes ont eu lieu avant la fin de 2008 et que leur produit a servi à l’achat de sa maison à Cumberland.

 

[26]           Comme je le disais plus haut, M. Proulx a fait des déclarations contradictoires sur la date de la vente des véhicules. S’agissant de son affirmation selon laquelle la vente des deux voitures le 3 juin 2011 à sa fiancée répondait uniquement à des impératifs d’assurance, le ministre n’aurait pas pu avoir connaissance de ce fait, car il s’agissait d’une entente verbale. Par ailleurs, le défendeur a admis en contre-interrogatoire que cette activité n’était pas enregistrée auprès de l’ARC. Je partage donc l’avis du ministre selon lequel il aurait été impossible à celui-ci de savoir que M. Proulx achetait et vendait des voitures. Le ministre a appris que M. Proulx vendait des voitures musclées lorsqu’il a procédé à une recherche en ligne dans le cadre de son enquête. Au vu des résultats de la recherche, le ministre a dit avoir procédé à une recherche diligente auprès du ministère des Transports de l’Ontario pour s’informer du nombre de véhicules ayant appartenu à M. Proulx depuis 2008, et de la vente de ces véhicules. Il a plus tard présenté cette information à la Cour au soutien de sa demande ex parte. Je suis d’accord avec le ministre pour dire qu’il ne peut être blâmé pour les inexactitudes à ce chapitre, puisqu’il se fondait sur des renseignements obtenus du ministère des Transports de l’Ontario, l’unique source accessible au public. Il est fort possible, comme l’a expliqué M. Proulx, que les acheteurs des voitures n’étaient pas des résidants de l’Ontario, ou qu’ils considéraient les voitures exotiques comme des investissements et n’ont donc pas enregistré tout de suite le transfert de titre auprès du ministère des Transports, si tant est qu’ils l’aient fait. Cela n’est pas la faute du ministre.

 

[27]           M. Proulx condamne aussi l’article de presse qui a été déposé comme pièce, et qui montrait que sa maison avait été détruite par le feu. On peut lire ce qui suit, aux paragraphes 9 et 10 de l’affidavit de Mme Strader :

[traduction]

9. Le 14 septembre 2010, le bungalow a été détruit par le feu. Selon l’article de presse, le commissaire des incendies de l’Ontario enquête actuellement sur la cause de l’incendie. Est jointe au présent affidavit la pièce « D », qui est un article de CBC intitulé « Fire engulfs Cumberland Home: the biggest residential fire this year: fire service » (« Le feu détruit une maison de Cumberland : le plus gros incendie résidentiel cette année d’après le service des incendies »).

10. À ce jour, je ne sais pas si M. Proulx a été indemnisé par son assureur.

 

 

 

[28]           Je reconnais avec M. Proulx que l’on peut conclure de cela que sa maison a brûlé et que l’assureur a refusé de l’indemniser parce qu’il soupçonne un incendie volontaire. Il n’était pas nécessaire d’évoquer un article de presse publié le jour de l’incendie, d’autant plus que le rapport du commissaire des incendies a été présenté deux jours après l’incendie, et le rapport de police un jour après l’incendie, les deux rapports concluant que cet incendie n’était pas suspect comme tel et qu’il n’était pas établi qu’il était le résultat d’un acte criminel. L’ARC aurait pu obtenir ces rapports, comme elle le fait parfois au cours de ses enquêtes. Il est vrai, comme le prétend le ministre, que nulle part n’est allégué un incendie volontaire dans les documents de requête de la demanderesse, ni dans l’affidavit de Mme Strader. Mais une telle précision n’était pas nécessaire pour que la conclusion puisse être tirée.

 

[29]           M. Proulx soutient aussi que l’ARC aurait pu déposer un résumé de titre pour sa maison de Cumberland, résumé qui avait été obtenu la veille du jour où Mme Strader avait établi son affidavit sous serment, et qui montrait que deux importantes hypothèques grevant le bien-fonds avaient été remboursées après l’incendie. Le ministre a plutôt choisi de déposer la copie d’un résumé de titre obtenu en avril, qui ne faisait pas état des hypothèques remboursées. Le ministre a répondu que le résumé de titre était annexé comme pièce uniquement pour montrer que M. Proulx était propriétaire du bien-fonds, ajoutant que le remboursement des deux hypothèques n’était pas pertinent dans une requête en ordonnance conservatoire.

 

[30]           Encore une fois, je suis d’accord avec M. Proulx pour dire que le ministre n’a pas fait à la Cour une divulgation complète et impartiale. Le remboursement des deux hypothèques était effectivement pertinent, quel qu’ait pu être l’auteur du remboursement. Si c’était le défendeur lui‑même, alors ce remboursement montrait qu’il ne s’enfuyait pas avec son argent et qu’il remboursait ses dettes; si c’était l’assureur, alors le remboursement montrait que l’assureur honorait la police d’assurance et payait ce qu’il devait.

 

[31]           Quant au fait que l’ARC n’était pas informée des sommes payées au défendeur par la compagnie d’assurance, cela n’est pas tout à fait exact. Il semble que l’ARC savait que l’assureur avait payé les frais de séjour du défendeur à l’hôtel durant plus de quatre mois, ce que ne ferait certainement pas un assureur qui soupçonne un incendie criminel. Par ailleurs, l’affirmation du ministre selon laquelle il n’avait pas connaissance du nom de la compagnie d’assurance, ni d’indemnités d’assurance versées au défendeur est à mon avis dénuée de fondement. En contre‑interrogatoire, Mme Strader a admis que l’ARC n’avait fait absolument aucune recherche à propos du versement de telles indemnités. L’ARC avait les numéros de téléphone de M. Proulx et de son comptable; or elle a décidé de n’appeler ni l’un ni l’autre avant de déposer son dossier de requête ex parte visant l’obtention d’une ordonnance conservatoire. Cela était manifestement inacceptable.

 

[32]           Finalement, M. Proulx a fait plusieurs autres allégations qui ne peuvent être admises. D’abord, il a prétendu que le ministre aurait dû divulguer une conversation que son comptable avait eue avec Mme Strader à la fin du mois de juin dernier, au cours de laquelle M. Northcote avait indiqué que le défendeur ne quitterait pas le pays, puisqu’il venait d’acheter une maison à Gatineau avec sa fiancée. M. Proulx fait aussi valoir que le ministre aurait dû avoir connaissance du yacht qu’il avait acheté en Floride et qu’il aurait dû en faire état dans la demande ex parte. Finalement, M. Proulx affirme que le ministre aurait dû procéder à une enquête raisonnable, qui aurait englobé une recherche de titre à Gatineau pour confirmer qu’il avait acheté une maison avec sa fiancée.

 

[33]           Ces prétentions sont dépourvues de bien-fondé. D’abord, le ministre n’aurait pas pu connaître, à la date de la demande ex parte, les faits révélés par le comptable de M. Proulx au cours de la conversation qu’il avait eue à la fin du mois de juin dernier avec Mme Strader. Deuxièmement, il est déraisonnable de croire que le ministre contacterait l’Agence des services frontaliers du Canada, à laquelle le défendeur avait remis des documents de passage de frontière et payé des droits de douane et un montant de TPS, alors que le ministre n’avait même pas connaissance de l’existence du bateau acheté en Floride. Troisièmement, le ministre ne pouvait savoir que M. Proulx était propriétaire d’un bien immobilier au Québec; M. Proulx a d’ailleurs nié qu’il était propriétaire d’un tel bien au Québec durant la conversation qu’il avait eue avec Mme Strader le 28 juin 2011.

 

[34]           En dépit des observations que l’on trouve dans les paragraphes 32 et 33, je suis d’avis que la demanderesse n’a pas révélé à la juge saisie de la requête, d’une manière complète et impartiale, tous les faits intéressant l’ordonnance sollicitée. La qualification des nouvelles cotisations selon laquelle elles concernaient un [traduction] « revenu non déclaré », la déclaration selon laquelle aucun avis d’opposition n’avait été déposé sans qu’il soit davantage précisé que le défendeur avait clairement exprimé l’intention de déposer un tel avis, l’insinuation voulant que l’incendie qui avait détruit la maison de M. Proulx à Cumberland était peut-être un incendie criminel, la non-production du dernier résumé de titre montrant que deux hypothèques avaient été remboursées, et l’absence de communication avec M. Proulx ou avec son comptable avant que ne soit sollicitée l’ordonnance conservatoire, bien qu’ils ne soient pas motivés par la malice, ébranlent fortement la demande ex parte que le ministre a déposée le 20 juin 2011. Eu égard à l’urgence avec laquelle de telles demandes sont examinées, il est concevable que ces déficiences aient pu induire en erreur la juge saisie de la requête. Quoi qu’il en soit, il est sans aucun doute juste de dire que les observations du ministre n’étaient pas conformes à la norme applicable à une procédure ex parte. Les auteurs des affidavits et le ministre avaient l’obligation de veiller à ce qu’une information complète et actuelle soit présentée à la juge, et ils devaient attirer son attention sur tous les faits pertinents, même ceux qu’ils estimaient inutiles ou inopportuns. Cela n’a pas été fait, et, pour ce seul motif, l’ordonnance conservatoire doit être radiée.

 

[35]           Quoi qu’il en soit, je suis aussi d’avis que le défendeur a montré d’une manière convaincante qu’il y a des motifs raisonnables de douter que le recouvrement du montant de la cotisation établie serait compromis par un délai. Comme je l’ai dit plus haut, le ministre a obtenu l’ordonnance conservatoire en invoquant deux moyens : M. Proulx était en train de liquider ses biens et il était en train de déménager dans l’État de Floride, aux États-Unis.

 

[36]           S’agissant de l’intention apparente du défendeur de se réinstaller en Floride, la preuve invoquée par la demanderesse est très mince. Dans son affidavit, Mme Strader écrivait que, lorsque les agents de l’ARC avaient communiqué avec le comptable de M. Proulx le 13 avril et le 3 mai 2011, le comptable leur avait dit que M. Proulx était à l’extérieur du pays jusqu’à la fin de mai. Puis, le 14 juin 2011, Mme MacAleese fut informée par M. Northcote que M. Proulx était en Floride à la recherche d’un travail. Mme Strader affirmait aussi que le panneau « À vendre » concernant le terrain de 73 acres indiquait un numéro de téléphone cellulaire dans l’État de Floride et qu’une recherche en ligne avait révélé un numéro de téléphone cellulaire de la Floride attribué au lieu de domicile de M. Proulx. Fait révélateur, nulle part dans son affidavit Mme Strader ne mentionne que M. Proulx déménage en Floride; ce n’est rien de plus qu’une rubrique de son affidavit, rubrique que la demanderesse aborde dans ses observations écrites sans se référer à des paragraphes particuliers de l’affidavit.

 

[37]           Après examen minutieux de la preuve à la lumière des observations respectives des parties, je suis d’avis que le défendeur a apporté des explications satisfaisantes et prouvé qu’il a l’intention de rester au Canada. M. Proulx a expliqué que la pièce invoquée se rapportant à la recherche en ligne vient d’un site Web de réunion, qui concerne une entreprise pour laquelle le défendeur avait travaillé plusieurs années auparavant. En outre, la pièce montre non seulement un numéro de téléphone cellulaire de la Floride, mais aussi un numéro de téléphone traditionnel d’Ottawa. Cette explication semble tout à fait crédible et elle n’a pas été contredite par la demanderesse. Quant au fait que le panneau « À vendre » indique uniquement le numéro de téléphone cellulaire de la Floride, le défendeur a précisé qu’il passe quelques mois en Floride durant l’hiver depuis qu’il a vendu son entreprise de stationnement. Une fois mis en vente le terrain de 73 acres pendant qu’il passait ses vacances en Floride, il était logique pour lui de donner son numéro de téléphone cellulaire à cet endroit. Quant au fait que M. Proulx va régulièrement en Floride pour raisons professionnelles, son explication est tout à fait concevable et plausible. En conséquence de l’accord de non-concurrence et de non-sollicitation qu’il a conclu le 1er avril 2008, date de la vente de MPI, il ne peut pas exercer à nouveau des activités de stationnement au Québec et en Ontario avant le 1er avril 2013. Il a d’ailleurs indiqué que son concurrent est disposé à lui verser 1 million $ pour qu’il reste à l’écart de la région de l’Ontario durant deux années additionnelles. Non seulement ce point n’a pas été contredit par la demanderesse, mais il est même admis, dans les observations écrites produites par la demanderesse en réponse à la demande de révision de M. Proulx, que M. Proulx [traduction] « a montré qu’il n’a pas l’intention de se réinstaller en Floride » (dossier de la demanderesse, page 144, au paragraphe 11).

 

[38]           M. Proulx s’est aussi acquitté de son obligation initiale concernant l’allégation selon laquelle il est en train de liquider ses biens, ayant prouvé qu’il y a des motifs raisonnables de douter qu’un délai compromettrait le recouvrement du montant de la cotisation établie. Il est vrai que son bien‑fonds de Cumberland a été mis en vente. Cependant, il est en vente depuis déjà quelque temps, il l’était avant l’incendie de septembre 2010, et il l’était après l’incendie, et il est peu probable qu’il se vende rapidement. En outre, le défendeur réclame environ 2 millions $ à sa compagnie d’assurance pour l’incendie de sa maison. Finalement, il a acheté une nouvelle maison avec sa fiancée à Gatineau pour le prix de 625 000 $, et il est encore propriétaire de plusieurs voitures exotiques. Il n’est donc finalement pas établi que le défendeur s’est employé à liquider ses biens et à les transférer aux États-Unis entre la cotisation du 31 mars 2011 et l’ordonnance conservatoire du 21 juin 2011. Pour tous les motifs susmentionnés, je suis donc disposé à conclure que le défendeur s’est acquitté de son obligation initiale de prouver qu’il y a des motifs raisonnables de douter que le recouvrement de tout ou partie du montant de la cotisation établie à son endroit serait compromis par un délai de paiement de ce montant.

 

[39]           Finalement, je suis aussi d’avis que le ministre ne s’est pas acquitté de son obligation ultime de montrer que l’ordonnance conservatoire était au départ justifiée, même si l’on tient compte de l’ensemble de la preuve qui a été soumise à la Cour. Les avocates du ministre ont fait valoir, tout comme elles avaient fait valoir devant la juge Mactavish, que M. Proulx tentait de liquider ses biens et de mettre l’argent hors de portée de l’ARC. Dans leur réponse à la demande de révision déposée par M. Proulx, les avocates du ministre ont ajouté, subsidiairement, que, quelle que soit l’intention de M. Proulx à propos de ses biens, le délai de paiement du montant établi compromettrait le recouvrement de sa dette envers l’ARC compte tenu que son revenu ne suffisait pas à couvrir ses dépenses personnelles et ses frais de subsistance, sans compter que, pour cette raison, son avoir diminuait rapidement.

 

[40]           S’agissant du premier argument de la demanderesse, la preuve est, au mieux, contrastée. Il est bien possible que le terrain vacant de M. Proulx à Cumberland aurait pu se vendre rapidement, qu’il a sollicité une hypothèque de 300 000 $ sur ce bien-fonds pour financer ses nouvelles activités et n’en a été empêché que par le privilège enregistré par l’ARC dans le sillage de l’ordonnance conservatoire, et qu’il a vendu la plupart de ses voitures exotiques ces dernières années. En revanche, les explications avancées par le défendeur sont tout aussi vraisemblables. La tentative de vente du bien immobilier ne justifie pas en elle-même une ordonnance conservatoire, d’autant qu’il était en vente depuis de nombreux mois, et qu’il l’était même déjà avant que la maison construite sur le terrain ne soit la proie des flammes. Par ailleurs, M. Proulx a acheté une nouvelle maison au Québec avec sa fiancée, et ses nouvelles activités commerciales en Floride (dans lesquelles il voulait investir la valeur nette de son bien de Cumberland) n’ont rien d’étrange compte tenu de la clause restrictive qui l’empêche de travailler en Ontario et au Québec jusqu’au 1er avril 2013. M. Proulx a expliqué aussi que son entreprise basée aux États-Unis est constituée dans l’État du Delaware, mais que cette entreprise est quant à elle possédée en propriété exclusive par une société canadienne. Cette structure était recommandée par ses conseillers (une lettre de Deloitte et Touche le prouve); au cœur de cette recommandation est l’affirmation selon laquelle M. Proulx entend demeurer résidant du Canada. Il semble que les gains déposés dans un compte aux États-Unis sont ensuite rapatriés dans le compte d’entreprise de la société canadienne auprès de la Banque Royale à Ottawa. Cela ne saurait être le comportement d’une personne qui entend fuir le pays ou mettre son argent hors d’atteinte de l’ARC.

 

[41]           Il y a même plus. L’ex-épouse du défendeur a produit un affidavit confirmant qu’elle-même et le défendeur partagent la garde de leur fille, avec laquelle il passe beaucoup de temps. Elle ajoute : [traduction] « En dépit de toutes les difficultés que Marco a connues, je crois véritablement qu’il ne quitterait jamais le pays ni n’abandonnerait sa fille. » (Dossier de requête supplémentaire, volume 1, à la page 373.)

 

[42]           Il y a aussi un affidavit de son associé, M. Pompei Balestra, affidavit selon lequel ce dernier a lancé l’entreprise de parcomètres aux États-Unis avec M. Proulx, qui lui enseigne le métier à mesure que grandit l’entreprise. M. Balestra écrit qu’ils ont l’intention de développer leur entreprise de location de parcomètres aux États-Unis, jusqu’à ce que le défendeur soit en mesure de poursuivre ses activités de stationnement en Ontario et au Québec, après quoi ils envisagent de développer leurs activités dans ces deux provinces. Cela est également confirmé par un affidavit de sa fiancée, qui écrit que tous leurs amis et leurs proches vivent dans la région d’Ottawa-Gatineau et qu’elle est [traduction] « certaine qu’il n’a aucune intention de liquider ses biens restants et de s’installer en Floride en permanence ».

 

[43]           Toutes ces preuves sont non contredites et tendent à confirmer la version de M. Proulx. Si je les considère dans leur globalité, je ne crois pas qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le défendeur dilapiderait, liquiderait ou d’une autre manière transférerait ses biens pour qu’ils échappent au ministre. Autrement dit, je ne crois pas que le dossier, considéré globalement, c’est‑à‑dire à la fois le dossier qui a été soumis à la juge Mactavish, et les affidavits et pièces supplémentaires déposés pour les besoins de la présente demande de révision, puisse suggérer la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi (voir la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. 514659 BC Ltd, 2003 CFPI 148, au paragraphe 6, 120 A.C.W.S. (3d) 907; Papa (Re), 2009 CF 49, au paragraphe 16.

 

[44]           Le ministre a raison de dire que ce qui importe, ce n’est pas l’intention du contribuable, mais l’effet ou le résultat des mesures que le contribuable a prises à l’égard de ses actifs (voir la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Delaunière, 2007 CF 636, au paragraphe 67, 160 A.C.W.S. (3d) 377). Les actes du contribuable doivent être examinés d’une manière objective et réaliste, et le ministre n’a pas à prouver la fraude, la tromperie ou l’existence d’un motif préjudiciable.

 

[45]           Le ministre exprime l’avis que le revenu de M. Proulx ne suffit pas à couvrir ses dépenses personnelles et ses frais de subsistance. M. Proulx n’a pas déclaré de revenu pour les années d’imposition 2009 et 2010, et son entreprise en Floride lui a rapporté 5 000 $ par mois au cours des quelques derniers mois. Or, il semble que les paiements hypothécaires mensuels de M. Proulx pour la maison qu’il a achetée à Gatineau, de même que ses paiements sur les deux véhicules qu’il loue, dépassent à eux seuls son revenu mensuel de 5 000 $. Le ministre affirme aussi que, si l’on prend en considération l’ensemble du passif de M. Proulx, sa valeur nette est inférieure à ce qu’il doit à l’ARC.

 

[46]           Le défendeur rétorque que les chiffres du ministre ne prennent pas en compte sa réclamation d’assurance de l’ordre de quelque 2 millions $, la valeur nette qu’il détient dans les véhicules qu’il loue, et le fait que les paiements hypothécaires sur la maison de Gatineau ont été réduits à la suite de la nouvelle hypothèque ordinaire à taux d’intérêt moindre qu’ils ont été en mesure de négocier, après que sa fiancée eut vendu sa maison à elle. Le défendeur ajoute aussi que son revenu augmentera de façon exponentielle parce que chaque location de parcomètres qui est ajoutée à mesure que croît l’entreprise s’ajoute à son revenu mensuel, et il précise que sa fiancée n’est en congé de la fonction publique que durant une année et qu’elle sera en mesure de contribuer à partir de l’an prochain à leur revenu conjoint.

 

[47]           Le défendeur conjecture quelque peu sur sa capacité de gain, mais ce qu’il dit n’est pas entièrement sans fondement. Il connaît évidemment l’industrie du stationnement et il y a fort bien réussi par le passé. L’accord de non-concurrence qu’il a dû signer quand il a vendu MPI, et l’empressement apparent de la société à qui il a vendu MPI à proroger cet accord pour deux années supplémentaires, tendraient à confirmer le propos de M. Proulx quand il dit que son revenu d’entreprise a des chances de croître. La même conclusion peut être tirée de la lettre du président et chef de la direction de la société Xpress Parking Solutions, une société canadienne avec laquelle M. Proulx travaille en Floride, lettre où l’on peut lire que le président de cette société traite avec M. Proulx depuis 20 ans, qu’il lui sait gré de sa connaissance du marché canadien et qu’il attend avec impatience de le voir commercialiser leurs produits au Canada dès que son engagement de non-concurrence aura pris fin.

 

[48]           Compte tenu de l’ensemble de cette preuve, je suis d’avis que la manière dont le ministre évalue la situation financière du défendeur ne rend pas exactement compte de sa véritable situation. On ne m’a donc pas convaincu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’octroi d’un délai de paiement du montant de la cotisation établie compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

 

4. Conclusion

[49]           Pour les motifs qui précèdent, la requête du défendeur sera accueillie. Par conséquent, l’ordonnance ex parte de la juge Mactavish en date du 21 juin 2011 est annulée, et il est ordonné au ministre d’abandonner immédiatement la prise ou la poursuite des mesures de recouvrement se rapportant à la dette fiscale du défendeur, et notamment de faire radier le privilège enregistré contre le bien-fonds du défendeur à Cumberland. Cette décision est sans préjudice du droit du ministre de présenter une nouvelle demande en cas de changement dans les circonstances.

 

[50]           Les dépens sont adjugés au défendeur.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1. La requête présentée par le défendeur est accueillie.

 

2. L’ordonnance rendue le 21 juin 2011 est annulée.

 

3. Le ministre doit immédiatement abandonner la prise ou la poursuite des mesures de recouvrement se rapportant à la dette fiscale du défendeur, et notamment faire radier le privilège enregistré contre le bien-fonds du défendeur à Cumberland.

 

4. La présente ordonnance est rendue sans préjudice du droit du ministre de présenter une nouvelle demande en cas de changement dans les circonstances.

 

5. Les dépens sont adjugés au défendeur.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1010-11

 

INTITULÉ :                                       SA MAJESTÉ LA REINE c. MARCO PROULX

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 août 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 28 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sophie Matte

Priya Sankarapapa

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

David Debenham

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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