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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111122

Dossiers : IMM-840-11

IMM-841-11

 

Référence : 2011 CF 1331

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

OSAMEDE OGBEBOR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur est un citoyen du Nigéria, et il demande le contrôle judiciaire de deux décisions. Ces deux décisions ont été rendues par le même agent d’examen des risques avant renvoi le 7 janvier 2011.

 

[2]               Dans sa première décision, l’agent a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur après avoir conclu que le demandeur n’avait pas établi de risque de persécution visé à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) ni de risque d’être soumis à la torture, de menace à sa vie ou de risque de traitements ou peines cruels et inusités visés à l’article 97 de la LIPR. Le dossier de la Cour no IMM-840-11 concerne cette décision.

 

[3]               Dans la deuxième décision, l’agent a refusé la demande du demandeur présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR visant à faire en sorte que sa demande de résidence permanente soit traitée au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Le dossier de la Cour no IMM-841-11 concerne cette décision.

 

[4]               Les deux demandes de contrôle judiciaire ont été entendues ensemble. Les présents motifs traiteront donc des deux demandes, et une copie en sera versée à chacun des dossiers de la Cour.

 

[5]               À ce stade, la Cour note que le demandeur a affirmé que le défendeur avait produit un affidavit. Cependant, la question n’est toujours pas claire de savoir si le décideur disposait de tous les éléments de preuve que le défendeur a tenté de produire au dossier de la Cour.

 

[6]               La Cour se souvient également que les deux parties à l’audience ont convenu que la présente affaire n’en était pas une de mains nettes. En outre, le défendeur a insisté pour dire que l’affaire reposait sur une question de crédibilité. Dans cette optique, la Cour examinera maintenant les décisions faisant l’objet du présent contrôle.

 

Les décisions faisant l’objet du présent contrôle

[7]               Dans sa décision d’ERAR, l’agent a examiné les trois motifs de risque invoqués par le demandeur, liés respectivement : 1) au fait d’être un homosexuel au Nigéria; 2) au fait d’être une personne séropositive pour le VIH au Nigéria; 3) à la menace de la Reform Ogboni Fraternity (ROF) au Nigéria.

 

[8]               Dans le présent contrôle, le demandeur a choisi de contester les conclusions de l’agent d’ERAR uniquement en ce qui a trait à son état de personne séropositive pour le VIH. Le demandeur a confirmé à l’audience qu’il ne contestait pas les conclusions de l’agent concernant son homosexualité et la menace de la ROF au Nigéria.

 

[9]               Le demandeur a donc choisi de traiter uniquement des conclusions concernant le VIH. La Cour demeure toutefois consciente des conclusions de l’agent d’ERAR sur les questions de l’homosexualité et de la ROF.

 

[10]           Sur la question du risque lié au fait d’être une personne séropositive pour le VIH au Nigéria, l’agent a affirmé qu’il croyait que le demandeur était crédible quant au fait qu’il était effectivement séropositif pour le VIH. L’agent a conclu que les lettres de médecin et les documents médicaux produits par le demandeur établissaient que celui-ci était séropositif pour le VIH. L’agent a également admis que le demandeur était actuellement suivi bien qu’il ne présentât pas de symptômes de la maladie.

 

[11]           L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il y avait plus qu’une simple possibilité qu’il se voie refuser des services de santé ou soit persécuté en raison de sa séropositivité pour le VIH au Nigéria ou qu’il soit soumis à la torture ou soit gravement maltraité du fait de sa séropositivité pour le VIH. En conséquence, l’agent d’ERAR a conclu que [TRADUCTION] « les contraintes d’ordre général et économique qui limitent la capacité du Nigéria à fournir des soins de santé au demandeur ne constituent pas un facteur qui peut être pris en compte relativement à l'application de l’article 97 et à la limitation de l’accès du demandeur à des soins de santé du fait de sa séropositivité pour le VIH » (dossier du demandeur à la page 92).

 

[12]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé au risque d’être soumis à la torture, que sa vie serait menacée ou qu’il serait exposé au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Nigéria.

 

[13]           Dans sa décision statuant sur la demande fondée sur des considérations humanitaires (décision CH), l’agent a conclu qu’eu égard au degré d’établissement du demandeur, à ses attaches familiales et communautaires et à son travail, le demandeur n’éprouverait pas de difficultés excessives s’il devait quitter le Canada de façon définitive. À l’audience devant la Cour, le défendeur n’a pas contesté directement le degré d’établissement.

 

La question en litige

 

[14]           La Cour est d’avis que la question en litige en l’espèce est la suivante :

 

L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation du risque lié à l'état de personne séropositive pour le VIH du demandeur au Nigéria?

 

La norme de contrôle

 

[15]           Bien que le demandeur soutienne qu’il y a deux normes de contrôle applicables parce que, selon lui, l’agent a erré aussi bien en droit qu’en fait, la Cour est d’avis que l’affaire concerne essentiellement l’appréciation des éléments de preuve par l’agent d’ERAR, appréciation qui est susceptible de contrôle selon la norme de raisonnabilité. En vertu de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, de la Cour suprême du Canada, les conclusions de fait d’un tribunal administratif sont susceptibles de contrôle selon la norme de raisonnabilité (voir également Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Martinez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 31, [2010] ACF no 41). Par conséquent, il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation faite par l’agent d’ERAR, et la décision sera annulée seulement si elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir).

 

Analyse

 

[16]           Compte tenu de la preuve et des observations des parties, la Cour conclut au caractère déraisonnable de l’évaluation que l’agent a faite des risques auxquels est exposée une personne séropositive pour le VIH qui vit au Nigéria.

 

[17]           Bien que la Cour convienne avec le défendeur que les agents d’ERAR ne sont pas tenus de procéder à une analyse du système de santé d’un État étranger et de tirer des conclusions au sujet de la capacité financière et des priorités stratégiques de l’État (Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 365, [2007] 3 RCF 169), en l’espèce, l’agent était tenu de traiter des éléments de preuve documentaires dont il disposait et qui concernaient le risque qu’il y aurait à renvoyer au Nigéria une personne séropositive pour le VIH comme le demandeur. En omettant de traiter d’éléments de preuve pertinents quant à la présente affaire, l’agent s’est montré sélectif dans son utilisation des éléments de preuve.

 

[18]           Plus précisément, l’agent s’est beaucoup appuyé dans sa décision sur le plus récent rapport sur la situation des droits de la personne au Nigéria du Département d’État des États-Unis. Lorsqu’il a traité de la question de l’accès des personnes atteintes du VIH à des soins de santé, l’agent a concentré son analyse sur le fait que l’obstacle majeur aux traitements était le coût des déplacements de la campagne aux villes. L’agent a mentionné que le demandeur avait vécu dans des grandes villes au Nigéria (Lagos et Benin) et qu’il n’aurait donc pas à voyager afin de recevoir des traitements. Cependant, le rapport sur la situation des droits de la personne au Nigéria du Département d’État des États-Unis énonce également ce qui suit : (i) il y a une discrimination évidente de la part des prestataires de soins de santé et de la population générale; (ii) les personnes atteintes du VIH peuvent se voir refuser des soins de santé ou l’accès à un hôpital, et des données médicales confidentielles peuvent être communiquées sans le consentement du patient; (iii) les personnes atteintes du VIH perdent souvent leur emploi, ce qui se répercute sur le coût et l’accessibilité des traitements.

 

[19]           Les coûts liés aux déplacements entre le lieu de résidence et les centres de traitement du VIH/SIDA ne constituent donc pas le seul obstacle. Ces coûts ne sont qu’un obstacle parmi d’autres. De fait, le coût des déplacements ne peut pas être le seul obstacle auquel font face les personnes atteintes du VIH qui vivent déjà en ville.

 

[20]           À tout le moins, l’agent était tenu d’analyser et nuancer les éléments de preuve qu’il retenait à la lumière des éléments de preuve susmentionnés. En omettant de le faire, l’agent a commis une erreur.

 

[21]           L’agent a également conclu que le demandeur était actuellement asymptomatique et qu’il ne subirait donc pas de discrimination. L’agent d’ERAR a noté que, selon une lettre rédigée par le médecin du demandeur, la docteure Marina Klein, étant donné que le demandeur ne présentait actuellement aucun symptôme de la maladie, il ne contracterait aucune maladie reliée au VIH s’il continuait à prendre des médicaments antirétroviraux. L’agent a conclu que [TRADUCTION] « cela signifie que, s’il prend ses médicaments selon les besoins, il ne présentera aucun signe extérieur ou physique identifiable d’une personne atteinte du VIH » (dossier du demandeur à la page 91).

 

[22]           Encore une fois, comme je l'ai dit précédemment, les éléments de preuve donnent à penser que plusieurs facteurs peuvent influer sur la capacité d’une personne atteinte du VIH à recevoir des traitements. Par exemple, dans sa lettre, la docteure Klein explique que le facteur clé qui aide le demandeur à demeurer asymptomatique est un traitement régulier et constant (dossier du demandeur à la page 46). L’agent aurait dû traiter de ces facteurs (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL)). Bien qu’il ait pu être loisible à l’agent de ne pas accorder beaucoup de poids à ces facteurs à la lumière de l’ensemble de la preuve, la Cour estime qu’il n’était pas loisible à l’agent de méconnaître ces éléments de preuve en l’espèce. En faisant cela, la Commission a également limité son analyse au présent plutôt que de procéder à une évaluation des risques actuels et éventuels.

 

[23]           En outre, la Cour note que la conclusion de l’agent au sujet de la question de savoir si des membres de la famille du demandeur pourraient payer son traitement du VIH au Nigéria est incohérente. D’une part, l’agent affirme que Lugard, le frère du demandeur, a offert une aide financière dans le passé, tandis que, dans une partie précédente de sa décision, l’agent met en doute l’existence du frère du demandeur (dossier du demandeur aux pages 90 et 92).

 

[24]           Pour ce qui concerne la décision CH, puisque les résultats de la décision d’ERAR constituent un facteur essentiel pris en compte, et puisque la décision d’ERAR comporte une erreur susceptible de contrôle, la Cour conclut que la décision CH est également susceptible de contrôle. L’utilisation sélective des éléments de preuve par l’agent a amené celui-ci à commettre une erreur lorsqu’il a évalué si le retour du demandeur au Nigéria lui causerait des difficultés excessive parce qu’il vit avec le VIH.

 

[25]           Enfin, pour ce qui concerne les arguments du défendeur au sujet de la crédibilité, la Cour est d’avis que les questions de crédibilité ne peuvent pas pallier les conclusions erronées de l’agent, et aucune décision à ce sujet n’a été portée à l’attention de la Cour.

 

[26]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR et la demande de contrôle judiciaire de la décision CH seront accueillis.

 

[27]           Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale, et il n’y a aucune question qui mérite d’être certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR dans le dossier IMM-840-11 et la demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-841-11 sont accueillies, et les affaires sont renvoyées pour qu’un autre agent d’ERAR statue de nouveau sur celles-ci relativement aux conclusions concernant le VIH;

 

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée;

 

3.         Une copie des présents motifs est versée au dossier de la Cour no IMM-841-11.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-840-11

                                                            IMM-841-11

 

INTITULÉ :                                       OSAMEDE OGBEBOR c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE  DE L’AUDIENCE :              Le 2 novembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Shams Law Firm

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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