ENTRE :
et
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 16 décembre 2008.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 février 2009.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NOËL
LE JUGE BLAIS
Dossier : A-262-08
Référence : 2009 CAF 29
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE NOËL
LE JUGE BLAIS
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
DENNIS MANUGE
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
Les questions en litige
[1] La procédure utilisée par l’intimé dans la présente instance, laquelle fait l’objet de l’appel, heurte de plein fouet deux brocards de droit : on ne peut faire indirectement ce qu’il est interdit de faire directement et nul ne peut se faire justice à lui-même.
[2] Cet appel d’une décision de la Cour fédérale soulève les trois questions d’ordre procédural suivantes. Elles ne mettent pas en cause le fond même du litige. L’intimé pouvait-il procéder par action plutôt que par voie de contrôle judiciaire pour attaquer la légalité de l’article 24 de la Partie III(B) de la police d’assurance SISIP901102 (ci-après désignée SISIP), sa constitutionnalité et le fait qu’il viole son droit à l’égalité en vertu de l’article 15 de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte)? La Partie III(B) de SISIP régit l’octroi de prestations d’invalidité de longue durée pour les membres des Forces canadiennes qui ont souscrit à cette police d’assurance et qui ont été libérés des Forces après le 30 novembre 1999.
[3] L’intimé pouvait-il par la suite, avec la bénédiction du juge de la Cour fédérale, transformer son action en recours collectif?
[4] Enfin, dans la mesure où l’intimé devait procéder par contrôle judiciaire, ce qu’il n’a pas fait, le juge pouvait-il réputer l’action de l’intimé être un contrôle judiciaire pour ensuite le retransformer en une action, pour finalement transformer cette dernière en recours collectif? Comme nous le verrons, c’est en pratique ce que le juge a fait dans son approche alternative à la résolution du problème qui lui était soumis. Je crois que le seul fait de poser ainsi la question équivaut à y répondre. Mais je fournirai des explications supplémentaires à la réponse.
[5] J’ajouterais, pour compléter le tableau, que l’intimé se plaint du fait que l’appelante a manqué à ses obligations en vertu du droit public, qu’elle avait une obligation de fiduciaire à l’égard de l’intimé qu’elle n’a pas respectée, qu’elle a agi de mauvaise foi et qu’elle s’est injustement enrichie par sa conduite.
[6] À partir de cette pléiade de violations alléguées, l’intimé réclame que lui soient remboursées les sommes qui ont été déduites de son revenu tiré de SISIP et que lui soient versés des dommages généraux, punitifs, exemplaires et accrus, ainsi que les intérêts et les frais.
[7] Le juge de la Cour fédérale s’est posé la question dont il était saisi et qu’il a ainsi résumée : l’action de l’intimé devrait-elle être convertie en un recours collectif en vertu de la Règle 334.16 des Règles des Cours fédérales? C’est ce qui explique les questions d’ordre procédural soulevées en appel et que j’ai préalablement identifiées et définies.
La disposition en litige
[8] Je reproduis l’article 24 de la Partie III(B) pour une meilleure compréhension du litige.
24. Other Relevant Sources of Income
a. The monthly benefit payable at Section 23 shall be reduced by the sum of:
(i) the monthly income benefits payable to the member under the Canadian Forces Superannuation Act; and
(ii) the Primary monthly income benefits payable to the member under the Canada or Quebec Pension Plans (including retroactive payments covering the period during which such benefits were prefunded under this Division 2); and
(iii) the employment income of the member unless the member is participating in a rehabilitation program approved by the Insurer in which case the monthly benefit will be reduced in accordance with Section 28; and
(iv) the total monthly income benefits payable to the member under the Pension Act (including dependant benefits and retroactive payments covering the period during which such benefits were prefunded under this Division 2).
[Emphasis added]
[9] Avant d’aborder le nœud du litige en appel, un bref résumé des faits ainsi que du cheminement des procédures s’impose.
Les faits, l’origine de SISIP et de la Charte des nouveaux vétérans et les procédures
a) Les faits et l’origine de SISIP et de la Charte des nouveaux vétérans
[10] L’intimé était un membre des Forces canadiennes jusqu’à ce que, pour des raisons médicales, il soit obligatoirement mis un terme à son engagement. La période de service de l’intimé s’est échelonnée du 9 septembre 1994 au 29 décembre 2003, soit sur plus de neuf années.
[11] En 2002, avant que son engagement ne prenne fin, l’intimé a reçu une pension d’invalidité en vertu de la Loi sur les pensions, S.R.C. 1985, ch. P-6 (Loi sur les pensions) applicable à certains membres des Forces canadiennes, navales, de l’armée et aériennes. La prestation mensuelle était de l’ordre de 386,28 $. Elle s’ajoutait au salaire mensuel de 3 942 $ que l’intimé recevait.
[12] Lors de sa libération des Forces canadiennes, l’intimé s’est qualifié pour l’octroi de prestations d’invalidité de longue durée en vertu de SISIP.
[13] La participation à SISIP était obligatoire. J’y reviendrai plus loin pour faire l’historique de sa naissance et de son évolution. Pour le moment, il suffit de dire que l’article 24 de SISIP réfère à l’article 23 et stipule que le bénéfice mensuel payable à l’intimé s’élève à 75% de son revenu mensuel brut, mais duquel il faut déduire le montant de la prestation mensuelle qui lui est octroyée en vertu de la Loi sur les pensions. Ainsi, en conséquence de cette déduction, l’intimé reçoit 59% de ce qui était son revenu avant sa libération des Forces canadiennes, lequel, je le rappelle, se compose de 75% de son revenu mensuel et du montant de la prestation versée en vertu de la Loi sur les pensions. C’est cette déduction qu’il estime illégale, injuste et discriminatoire pour lui ainsi que pour possiblement quelque 4 260 autres compagnons d’armes soumis au même régime.
[14] Je crois qu’il est à propos à ce stade-ci d’expliquer l’origine de SISIP et de la Charte des nouveaux vétérans de 2006.
[15] Dans les années 60, il fut estimé que les revenus de plus de 50% des militaires, une fois leur service militaire terminé, étaient inadéquats. Ces revenus provenaient des prestations versées en vertu de la Loi sur les pensions et de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, S.R.C. 1985, ch. C-17. Même si on y ajoutait les bénéfices reçus en vertu du Régime de pension du Canada (S.R.C. 1985, ch. C-8) ou du Québec (L.R.Q., ch. R-9), les revenus de ceux qui étaient libérés pour des raisons médicales étaient souvent inadéquats.
[16] L’étude alors faite de la situation allait donner naissance à SISIP en vertu de l’article 39 de la Loi sur la Défense nationale, S.R.C. 1985, ch. N-5 (LDN). SISIP fut conçu et mis en œuvre par le chef d’état-major de la défense. À l’origine, l’adhésion à SISIP se faisait sur une base volontaire. Le fonds était composé uniquement des primes payées par les membres, sans participation du gouvernement à ce niveau.
[17] En 1969, la police d’assurance SISIP 901102 fut émise. Elle prévoyait le versement de prestations pour une invalidité de longue durée. Mais elle ne couvrait que les invalidités qui n’étaient pas attribuables au service militaire. Par contre, celles payables en vertu de la Loi sur les pensions l’étaient, elles, pour des incapacités reliées au service militaire. Donc les prestataires en vertu de la Loi sur les pensions ne pouvaient toucher de prestations en vertu de SISIP.
[18] Afin de garder à leur plus bas niveau le montant des primes que devaient verser les participants à SISIP, la police d’assurance renfermait une clause selon laquelle les prestations versées devaient être diminuées des prestations reçues en vertu d’autres régimes tels ceux régis par la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes et le Régime de pension du Canada. Il s’agit là d’une pratique assez courante dans les régimes d’assurances privés ou publics.
[19] Petit à petit, le Conseil du Trésor se mit à financer le coût de SISIP. De 50% en 1971, la contribution gouvernementale s’éleva à 85% du coût des primes en 1993. C’est encore celle qui prévaut à ce jour.
[20] Au cours de la même période, des modifications furent également apportées aux montants des prestations versées. Celles-ci furent haussées à 75% du revenu touché par un prestataire avant sa libération.
[21] En outre, la protection offerte par SISIP fut élargie en 1976 pour permettre que soient dorénavant couvertes les personnes souffrant d’une invalidité attribuable à des blessures subies dans l’exercice de leur service militaire. L’extension de la protection s’est faite pour remédier à l’insuffisance de celle offerte aux membres des Forces canadiennes par la Loi sur les pensions.
[22] C’est à partir de ce moment que naît la source du litige qui nous occupe. Puisque par suite de ces modifications les prestataires pouvaient maintenant cumuler les prestations de SISIP et celles de la Loi sur les pensions, l’article 24 de SISIP fut modifié pour y ajouter un sous-alinéa (iv) afin d’éviter qu’il n’y ait une double indemnisation. Ce sous-alinéa entraîne une réduction du montant mensuel des prestations payables en vertu de SISIP correspondant au montant des prestations payées mensuellement en vertu de la Loi sur les pensions.
[23] Le sous-alinéa (iv) venait ainsi compléter les sous-alinéas (i), (ii) et (iii) lesquels, toujours dans l’optique de ne pas permettre une double indemnisation, soustrayaient respectivement du montant mensuel des prestations en vertu de SISIP les prestations mensuelles touchées en vertu de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, celles payables en vertu du Régime de pensions du Canada ou du Québec et, enfin, les revenus d’emploi du prestataire (sauf une exception qui n’est pas pertinente au présent litige).
[24] En 1982, la participation à SISIP devint obligatoire pour tous les membres des Forces canadiennes.
[25] Le 20 octobre 2000 fut sanctionnée la Loi portant modification de la législation concernant les avantages pour les anciens combattants, L.C. 2000, ch. 34. Elle opérait un changement au niveau de l’appartenance aux Forces canadiennes et quant au droit aux prestations. Les membres des Forces canadiennes qui, malgré une invalidité découlant de leur service militaire, avaient la capacité de continuer à faire leur service militaire pouvaient maintenant demeurer membres des Forces canadiennes. De même, ils pouvaient à partir de ce moment cumuler revenus d’emplois et prestations d’invalidité reçues en vertu de la Loi sur les pensions. Comme ces personnes travaillent et ne reçoivent pas de prestations de SISIP, le sous-alinéa 24a)(iv) de la police SISIP 901102 ne s’applique pas de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire la déduction qui y est prévue pour les prestations reçues en vertu de la Loi sur les pensions.
[26] En outre, en 2006 fut proclamée la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, S.C. 2005, ch. 21 (ci-après appelée Charte des nouveaux vétérans). Cette Charte des nouveaux vétérans remplace les prestations mensuelles versées en vertu de la Loi sur les pensions par le paiement d’un montant forfaitaire. Parce qu’il ne s’agit plus d’une prestation mensuelle au sens du sous-alinéa 24a)(iv) de SISIP, le montant forfaitaire touché n’est pas, pour les nouveaux prestataires, déduit des prestations d’invalidité qu’ils reçoivent en vertu de SISIP. Mais cette Charte des nouveaux vétérans n’affecte en rien l’application du sous-alinéa 24a)(iv) aux anciens prestataires qui ont continué de se faire appliquer la déduction des montants reçus en vertu de la Loi sur les pensions.
[27] Cette apparente différence de traitement entre les nouveaux et les anciens prestataires ne pouvait manquer d’attirer l’attention. Et, de fait, celle de l’Ombudsman des Forces canadiennes elle capta. Dans un rapport en date d’octobre 2003, il émit l’opinion que, pour les anciens prestataires comme l’intimé, la déduction des montants de prestations payées en vertu de la Loi sur les pensions de ceux des prestations de SISIP était injuste. Il réitérait sa conclusion dans deux missives adressées au ministre de la Défense nationale respectivement en octobre 2005 et en mars 2007.
b) Les procédures
[28] De guerre lasse avec l’administration, l’intimé s’est tourné vers les tribunaux pour y soumettre ses revendications.
[29] Le 15 mars 2007, il a déposé une action au greffe de la Cour fédérale à Halifax, Nouvelle-Écosse. Le 17 avril 2007, il a présenté une requête en vertu de la règle 334.12 des Règles des Cours fédérales pour faire autoriser son action comme recours collectif et se faire nommer représentant du groupe.
[30] L’intimé a apporté par la suite des modifications à sa déclaration au soutien de son action. Une déclaration modifiée fut déposée au greffe de la Cour fédérale à Halifax en date du 19 décembre 2007.
[31] L’audition sur la demande de certification d’un recours collectif eut lieu du 12 au 14 février 2008. Le jugement fut rendu le 20 mai 2008. C’est de ce jugement dont il est fait appel. Je m’empresse donc d’en résumer les grandes lignes pour les fins de notre débat.
La décision de la Cour fédérale
[32] Devant la Cour fédérale, l’appelante a formulé une double opposition au processus choisi par l’intimé. Premièrement, elle s’est opposée au fait que l’intimé ait procédé par action en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (Loi). Deuxièmement, elle s’est en conséquence objectée à la certification de l’action en un recours collectif.
[33] L’appelante a soumis au juge de la Cour fédérale que l’intimé aurait plutôt dû procéder en vertu de l’article 18 de la Loi par voie de contrôle judiciaire. Elle a invoqué à l’appui de ses prétentions la décision de notre Cour dans l’arrêt Canada c. Grenier, 2005 CAF 348.
[34] Je reviendrai sur cet arrêt lorsque je ferai l’analyse de la décision de la Cour fédérale. Il suffit de dire pour l’instant que l’arrêt Grenier établit le principe que la contestation de décisions rendues par un office fédéral doit se faire par le truchement d’une demande de contrôle judiciaire conformément aux articles 18, 18.1 et 28 de la Loi. Les articles 18 et 28 confèrent une compétence exclusive en la matière à la Cour fédérale ou à la Cour d’appel fédérale selon le cas.
[35] Le juge de la Cour fédérale a conclu que les conséquences découlant du sous-alinéa 24a)(iv) de SISIP et dont l’intimé se plaignait ne résultaient pas d’une décision d’un office fédéral. Selon lui, l’intimé contestait plutôt une politique gouvernementale exprimée par l’article 24. À partir de cette conclusion, il écarta l’application des principes de l’arrêt Grenier.
[36] Toutefois, examinant la question en cascade, il se dit d’avis que, si contrairement à ce qu’il avait décidé, il s’agissait effectivement d’une décision soumise au contrôle judiciaire de l’article 18, il était alors opportun de le convertir en action plutôt que de demander à l’intimé de débuter à nouveau ses procédures : voir le paragraphe 20 des motifs de sa décision. Je reviendrai sur la justification qu’il a fournie au soutien de son raisonnement et de sa conclusion.
[37] De là, il franchit l’étape additionnelle de déterminer si l’action devait être transformée en recours collectif, ce qu’il fit en définitive. Compte tenu de la conclusion à laquelle j’en viens sur le mérite de la décision de la Cour fédérale, il n’est pas nécessaire d’épiloguer plus longuement sur les raisons qui ont amené le juge à accepter la demande de certification de l’action en un recours collectif.
Analyse de la décision du juge de la Cour fédérale
[38] La première démarche dans l’analyse de la problématique en cause consiste à déterminer la nature et l’objet de la contestation de l’intimé. S’agit-il d’une politique gouvernementale, d’une décision d’un office fédéral ou, selon le paragraphe 18.1(1) de la Loi, d’une question (matter) qui « touche directement » l’intimé :
18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande. |
18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought. |
Politique gouvernementale, décision d’un office fédéral ou question (matter) qui touche directement (directly affected) le plaignant?
[39] SISIP, tel que déjà mentionné, est une police d’assurance au bénéfice des membres des Forces canadiennes. Le chef d’état-major de la Défense nationale en est le titulaire. La situation est en soi assez particulière et unique.
[40] En vertu de l’article 18 de la Loi sur la Défense nationale, le chef d’état-major de la Défense nationale assure la direction et la gestion des Forces canadiennes. Il en est juridiquement responsable.
[41] L’article 39 de cette même loi stipule que les biens reçus en don et qui sont non publics sont dévolus au chef d’état-major de la Défense nationale. Sauf si le legs comporte des restrictions, il peut à sa discrétion ordonner qu’il en soit disposé au profit des membres des Forces canadiennes ou des personnes à leur charge. Je reproduis le paragraphe 39(1) :
39. (1) Les biens non publics reçus en don sans être spécifiquement attribués à une unité ou un autre élément des Forces canadiennes sont dévolus au chef d’état-major de la défense; sous réserve de toute instruction expresse du donateur quant à leur destination, celui-ci peut, à son appréciation, ordonner qu’il en soit disposé au profit de l’ensemble ou d’une partie des officiers et militaires du rang, anciens ou en poste, ou des personnes à leur charge.
|
39. (1) Non-public property acquired by contribution but not contributed to any specific unit or other element of the Canadian Forces shall vest in the Chief of the Defence Staff and, subject to any specific directions by the contributor as to its disposal, may be disposed of at the discretion and direction of the Chief of the Defence Staff for the benefit of all or any officers and non-commissioned members or former officers and non-commissioned members, or their dependants. |
[42] C’est en vertu de cet article 39 que, suite à la recommandation du chef d’état-major de la Défense nationale du temps, fut créé SISIP par le ministre de la Défense nationale, l’honorable Léo Cadieux: voir l’affidavit d’André Bouchard, volume d’appel, onglet 6, page 92, paragraphe 14. Contrôle et gestion du plan d’assurance furent confiés au Directeur du personnel au ministère de la Défense nationale : ibidem, à la page 101.
[43] La mise en œuvre de SISIP résulte d’une décision conjointe du ministre de la Défense nationale et du chef d’état-major de la Défense nationale. Elle trouve son fondement législatif dans l’article 39 de la Loi sur la Défense nationale. Il est difficile dans les circonstances, selon la preuve non-contredite au dossier, de conclure que SISIP, et l’article 24 qu’il renferme, n’émanent pas d’une décision d’un office fédéral tel que défini par l’article 2 de la Loi, c’est-à-dire une décision prise par une personne ou un groupe de personnes (ministre et chef d’état-major) exerçant une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale (la Loi sur la Défense nationale).
[44] J’avoue ne pas bien comprendre la distinction opérée par le juge de la Cour fédérale selon laquelle il ne s’agit pas d’une décision, mais d’une politique, ce qui exempterait celle-ci d’un contrôle judiciaire. Régulièrement, au sein de l’administration publique, des politiques ou des programmes sont mis en œuvre par le truchement de décisions ministérielles ou gouvernementales révisables par contrôle judiciaire. En admettant même qu’il s’agisse ici d’une politique ou d’un programme d’indemnisation des membres des Forces armées canadiennes en cas d’invalidité, les décisions prises par l’administration publique fédérale dans la gestion de la politique ou du programme, qu’il s’agisse de décisions relatives à l’admissibilité aux prestations, ou comme en l’espèce au montant de celles-ci, en passant par la durée de la protection d’assurance, demeurent des décisions d’un office fédéral révisables par voie de contrôle judiciaire.
[45] En outre, l’intimé se plaint d’être directement affecté par l’article 24 de SISIP et par la réduction des prestations requise par le sous-alinéa (iv). Il fait de l’article 24 l’objet (matter) même de sa demande de redressement. Selon le paragraphe 18.1(1) de la Loi, il s’agit là d’un objet (matter) soumis au contrôle judiciaire : voir l’arrêt Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.F.) où il fut accepté que le mot « matter » utilisé en anglais ne se limite pas à une décision ou à une ordonnance et sert à englober une variété de gestes ou d’activités administratives.
[46] Avec respect, le juge s’est trompé dans l’analyse de l’objet de la demande de redressement de l’intimé. Il s’est également fourvoyé en écartant les principes de l’arrêt Grenier au motif que les préoccupations exprimées dans Grenier quant à la finalité des décisions, aux contestations indirectes de celles-ci et à la déférence qu’il convient d’avoir à l’égard d’un décideur administratif ne s’appliquent pas ou que peu en l’espèce : voir le paragraphe 21 des motifs de sa décision. Comme nous le verrons, ces considérations, particulièrement celles relatives aux contestations indirectes et à la déférence, sont pertinentes en l’espèce.
Contrôle judiciaire ou action en dommages?
[47] Il est important de revenir sur l’arrêt Grenier et sur l’intention du législateur en matière de droit administratif fédéral.
a) L’intention du législateur et l’arrêt Grenier
[48] Comme l’arrêt Grenier le fait ressortir, l’intention du législateur en adoptant la Loi sur les Cours fédérales et en créant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale était claire et nette. Il a voulu confier à ces deux cours la supervision et le contrôle exclusifs de la légalité des décisions et des activités de l’administration fédérale.
[49] Le législateur a fait ce choix pour des raisons de cohérence, d’efficacité, de célérité, d’équité, de sécurité juridique ainsi que de finalité des décisions de l’administration dans l’intérêt public. Je me permets de reproduire les paragraphes 21 à 29 et 31 et 32 de l’arrêt Grenier :
[21] En vertu de l'article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale possède une compétence concurrente avec les tribunaux des provinces pour entendre une demande en dommages-intérêts formée au titre de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. Je reproduis en partie l'article 17 :
17. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne. (2) Elle a notamment compétence concurrente en première instance, sauf disposition contraire, dans les cas de demande motivés par : a) la possession par la Couronne de terres, biens ou sommes d'argent appartenant à autrui; b) un contrat conclu par ou pour la Couronne; c) un trouble de jouissance dont la Couronne se rend coupable; d) une demande en dommages-intérêts formée au titre de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. |
17. (1) Except as otherwise provided in this Act or any other Act of Parliament, the Federal Court has concurrent original jurisdiction in all cases in which relief is claimed against the Crown. (2) Without restricting the generality of subsection (1), the Federal Court has concurrent original jurisdiction, except as otherwise provided, in all cases in which (a) the land, goods or money of any person is in the possession of the Crown; (b) the claim arises out of a contract entered into by or on behalf of the Crown; (c) there is a claim against the Crown for injurious affection; or
(d) the claim is for damages under the Crown Liability and Proceedings Act.
|
(je souligne)
[22] Par contre, le Parlement a cru opportun de réserver et d'octroyer à la Cour fédérale une compétence exclusive de contrôler la légalité des décisions rendues par tout office fédéral :
18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour : a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral; b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.
(2) Elle a compétence exclusive, en première instance, dans le cas des demandes suivantes visant un membre des Forces canadiennes en poste à l'étranger : bref d'habeas corpus ad subjiciendum, de certiorari, de prohibition ou de mandamus. (3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d'une demande de contrôle judiciaire. |
18. (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction
(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and (b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal. (2) The Federal Court has exclusive original jurisdiction to hear and determine every application for a writ of habeas corpus ad subjiciendum, writ of certiorari, writ of prohibition or writ of mandamus in relation to any member of the Canadian Forces serving outside Canada. (3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1. |
(je souligne)
[23] Dans l'affaire Canada c. Capobianco, [2005] J.Q. no. 1155, 2005 QCCA 209, la Cour d'appel du Québec a reconnu cette compétence exclusive et a conclu que le recours en dommages institué devant la Cour supérieure du Québec était prématuré puisque la réclamation du demandeur reposait essentiellement sur la prémisse que les décisions prises à son endroit par les offices fédéraux, desquelles résultait son préjudice, étaient illégales : seule la Cour fédérale avait compétence pour sanctionner cette illégalité qui, au terme du paragraphe 3 de l'article 18, s'exerce par la procédure de contrôle judiciaire prévue par le Parlement.
[24] En créant la Cour fédérale et en édictant l'article 18, le législateur fédéral a voulu mettre un terme au morcellement existant du contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux. À l'époque, ce contrôle était effectué par les tribunaux des provinces : voir Patrice Garant, Droit administratif, 4ième éd., vol. 2, Les Éditions Yvon Blais inc., 1996, aux pages 11 à 15. L'harmonisation des disparités dans les décisions judiciaires devait se faire au niveau de la Cour suprême du Canada. Par souci de justice, d'équité et d'efficacité, sous réserve des exceptions de l'article 28, le Parlement a confié à une seule Cour, la Cour fédérale, l'exercice du contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux. Ce contrôle doit s'exercer et s'exerce, aux termes de l'article 18, seulement par la présentation d'une demande de contrôle judiciaire. La Cour d'appel fédérale est le tribunal investi du mandat d'assurer l'harmonisation en cas de décisions conflictuelles, dégageant ainsi la Cour suprême du Canada d'un volume considérable de travail, tout en lui réservant la possibilité d'intervenir dans les cas qu'elle juge d'intérêt national.
[25] Or, accepter que le contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux puisse se faire par le biais d'une action en dommages-intérêts, c'est permettre un recours en vertu de l'article 17. Permettre à cette fin un recours sous l'article 17, c'est tout d'abord soit ignorer, soit dénier l'intention clairement exprimée par le législateur au paragraphe 18(3) que le recours doit s'exercer seulement par voie de demande de contrôle judiciaire. La version anglaise du paragraphe 18(3) met l'emphase sur ce dernier point en utilisant le mot « only » dans l'expression « may be obtained only on an application for judicial review » .
[26] C'est aussi réintroduire judiciairement le partage des compétences entre la Cour fédérale et les tribunaux des provinces. C'est faire renaître dans les faits une ancienne problématique à laquelle le législateur fédéral a remédié par l'adoption de l'article 18 et l'attribution d'une compétence exclusive à la Cour fédérale et, dans les cas de l'article 28, à la Cour d'appel fédérale. C'est précisément cette intention législative que la Cour d'appel du Québec a reconnue dans l'affaire Capobianco, précitée, afin d'éviter que l'action en dommages, introduite en Cour supérieure du Québec et s'attaquant à la légalité des décisions d'offices fédéraux, ne conduise, en fait et en droit, à un démembrement dysfonctionnel du droit administratif fédéral.
La compromission de la sécurité juridique
[27] Permettre un recours en vertu de l'article 17, que ce soit en Cour fédérale ou devant les tribunaux des provinces, pour faire sanctionner l'invalidité de décisions d'organismes fédéraux, c'est aussi permettre une atteinte au principe de la finalité des décisions et à la sécurité juridique qui s'y rattache.
[28] Il ne m'est pas nécessaire de discourir longuement sur l'importance des principes de l'autorité de la chose jugée et de la finalité des décisions. De même, je n'ai pas à épiloguer sur l'abondante jurisprudence qui reconnaît et promeut ces principes. Je me contenterai de dire que ces principes existent dans l'intérêt public et que l'intention du législateur de protéger cet intérêt ressort du court délai octroyé pour contester une décision administrative.
[29] Le législateur fédéral a prévu au paragraphe 18.1(2) que le délai de présentation d'une demande de contrôle judiciaire est de trente (30) jours à compter du moment où la décision contestée de l'organisme fédéral fut communiquée au demandeur (sujet à une extension des délais autorisée par la Cour). Au sujet de cette limite temporelle, notre Cour écrit dans l'affaire Berhad, précitée, au paragraphe 60 :
[60] À mon avis, la raison primordiale pour laquelle un armateur qui s'estime lésé par les conclusions d'une inspection de sécurité de son navire doit épuiser les recours prévus par la loi avant d'intenter une action en responsabilité civile est l'intérêt public dans le caractère définitif des décisions qui font suite aux inspections. L'importance de cet intérêt public est reflétée dans les délais relativement brefs qui sont imposés à quiconque veut contester une décision administrative - un délai de 30 jours à compter de la date à laquelle la décision est communiquée, ou tel autre délai que la Cour peut accorder sur requête en prorogation de délai. Ce délai n'est pas capricieux. Il existe dans l'intérêt public, afin que les décisions administratives acquièrent leur caractère définitif et puissent aussi être exécutées sans délai, apportant la tranquillité d'esprit à ceux qui observent la décision ou qui veillent à ce qu'elle soit observée, souvent à grands frais. En l'espèce, la décision du président n'a été contestée qu'un an et demi après qu'elle a été rendue, lorsque les intimées ont déposé leur action en dommages-intérêts.
[…]
La promotion des contestations indirectes
[31] Le principe de la finalité des décisions commande également, dans l'intérêt public, que les possibilités de contestations indirectes d'une décision administrative soient limitées et circonscrites, particulièrement lorsque le législateur a opté pour une procédure de contestation directe de cette décision, à l'intérieur de paramètres définis.
[32] Dans l'affaire Berhad, précitée, où les propriétaires d'un navire poursuivaient en dommages Sa Majesté la Reine, suite à une décision administrative de deux inspecteurs d'ordonner la saisie de leur navire, notre Cour réitère aux paragraphes 61, 62, 65 et 66 le principe applicable en semblable matière :
[61] Il y va aussi de l'intérêt public que les actions en responsabilité civile ne servent pas de moyen de contestation incidente de décisions qui sont ou devraient être définitives. L'arrêt R. c. Consolidated Maybrun Mines Ltd., [1998] 1 R.C.S. 706, est ici instructif parce que, un peu comme dans la présente affaire, il concerne la contestation incidente d'une ordonnance qui imposait l'adoption de certaines mesures destinées à protéger l'environnement, alors qu'un recours direct en révision aurait pu être déposé en vertu de la Loi sur la protection de l'environnement. Dans le cas qui nous occupe, l'ordonnance de détention qui exigeait que certaines réparations soient effectuées visait non seulement à protéger le milieu marin, mais également à assurer la sauvegarde de vies humaines.
[62] Dans l'arrêt Maybrun, la Cour suprême, après examen du texte législatif et de l'intention qui l'avait motivé, a jugé qu'une personne accusée de ne pas s'être conformée à une ordonnance prise en vertu de ce texte « ne peut, en défense, chercher à attaquer la validité de l'ordonnance alors qu'elle ne s'est pas prévalue des mécanismes d'appel prévus par le [texte législatif] » : ibidem, au paragraphe 65. De l'avis de la Cour, permettre une telle contestation incidente encouragerait un comportement contraire aux objectifs du texte législatif et tendrait à miner son efficacité : ibidem, au paragraphe 60. Les circonstances de cette affaire diffèrent légèrement de celles de l'espèce, mais les conclusions de la Cour suprême conservent néanmoins toute leur valeur ici. Si un accusé, qui a droit à une défense pleine et entière, n'est pas autorisé dans une instance pénale à prendre comme bouclier une contestation incidente de l'ordonnance administrative qui est à l'origine de l'accusation portée contre lui, il me semble que, dans les mêmes circonstances, l'on doive dissuader une partie d'utiliser une contestation incidente comme une épée dans une instance civile du genre de celle que les intimées ont introduite.
[...]
[65] La Cour suprême a dit clairement que, lorsqu'une cour de justice est conduite à revoir une décision administrative, par voie de contrôle judiciaire ou par voie d'appel, elle doit déterminer, par une analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer. L'approche à adopter est dictée par le fait que la décision contestée est celle d'un organe administratif, et non par la procédure d'après laquelle la décision est contestée, puis éventuellement réformée par les tribunaux. La Cour suprême a dissipé tout doute sur cette question dans les motifs de l'arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, où la juge en chef McLachlin, rédigeant l'arrêt de la Cour, écrivait aux paragraphes 21 et 25 :
Le terme « contrôle judiciaire » comprend le contrôle des décisions administratives autant par voie de demande de contrôle judiciaire que par exercice d'un droit d'appel prévu par la loi. Chaque fois que la loi délègue un pouvoir à une instance administrative décisionnelle, le juge de révision doit commencer par déterminer la norme de contrôle applicable selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle.
[...]
Le contrôle des conclusions d'une instance administrative doit commencer par l'application de la méthode pragmatique et fonctionnelle.
[66] Selon moi, le même principe est applicable lorsque la contestation de la décision, comme c'est le cas ici, prend la forme d'une action en responsabilité civile découlant de la décision, plutôt que la forme d'une demande de contrôle judiciaire de la décision. Prétendre le contraire serait accroître les risques de contestations incidentes comme moyen d'éluder la retenue qui souvent résulte d'une analyse pragmatique et fonctionnelle. Ce serait faire fi de l'intention du législateur et du message envoyé par la Cour suprême dans l'arrêt Dr. Q, précité, message qui privilégiait, s'agissant de la retenue que doivent montrer les cours de justice envers les décisions des organes administratifs, une démarche plus nuancée et plus contextuelle. Les cours de justice doivent préserver le principe de la primauté du droit, mais leur pouvoir de contrôle ne doit pas être mis sans nécessité à contribution : voir l'arrêt Dr. Q, précité, aux paragraphes 21 et 26.
[...]
(je souligne)
[50] Il est évident que le législateur n’a pas voulu absoudre l’administration fédérale de sa responsabilité pour les gestes qu’elle pose et qui peuvent résulter en un préjudice ou un dommage. L’article 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, est on ne peut plus clair à ce sujet.
[51] Mais il est aussi évident que le législateur a voulu opérer au plan procédural une distinction entre la légalité d’une décision ou d’une politique gouvernementale et la responsabilité qui découle de celles-ci. La légalité se vérifie par un contrôle judiciaire peu coûteux, destiné à procéder rapidement afin de sécuriser et les administrés et l’administration, et d’éviter la paralysie de cette dernière. La responsabilité, pour sa part, se sanctionne par l’action en justice, généralement une poursuite en dommages pour réparer le préjudice causé par la décision ou la politique gouvernementale. L’un des mécanismes procéduraux choisis par le législateur, le contrôle judiciaire, est une procédure sommaire, diligente et preste. Comme le dit et l’exige l’article 18.4 de la Loi, la Cour fédérale « statue à bref délai et selon une procédure sommaire ». L’autre, l’action en justice, est une procédure élaborée et lente, compte tenu de l’indemnisation recherchée.
[52] Les affaires Grenier et Berhad (Her Majesty the Queen in the Right of Canada, B.S. Warna and D.A. Hall v. Budisukma Puncak Sendirian Berhad, Maritime Consortium Management Sendirian Berhad, 2005 CAF 267, permission d’appeler à la Cour suprême du Canada refusée avec dépens le 25 mai 2006) illustrent le conflit d’ordre procédural et les conséquences de procéder selon l’un ou l’autre mode procédural.
[53] Pour avoir posé un geste perçu comme menaçant et comme une tentative de frapper un agent des services correctionnels, M. Grenier fut placé en isolement préventif pour une période de quatorze (14) jours à la suite d’une décision du directeur du pénitencier où M. Grenier était incarcéré.
[54] M. Grenier n’a pas contesté la légalité de la décision du directeur du pénitencier. Près de trois ans plus tard, il a poursuivi en responsabilité la Couronne fédérale, lui réclamant des dommages-intérêts pour cette décision qu’il estimait illégale.
[55] Dans l’affaire Berhad, un navire à son arrivée à Vancouver fut inspecté et, par ordonnance des inspecteurs, détenu parce que tellement rouillé qu’il fut jugé impropre à la navigation, à moins qu’un certain nombre de réparations, y compris certaines d’ordre structural, n’y soient apportées pour en rétablir la navigabilité. La légalité de l’ordonnance de détention fut contestée par voie du mécanisme de renvoi prévu au paragraphe 307(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. 1985, ch. S-9. Au terme de ce renvoi, le Directeur général de la sécurité maritime à Transports Canada et Président du Bureau d’inspection des navires à vapeur maintint la décision des inspecteurs tout en assouplissant certaines des mesures de réparation ordonnées.
[56] Il n’y eut pas d’appel au ministre de cette seconde décision comme le permet l’article 307. Les réparations ordonnées furent faites au navire et celui-ci quitta pour la Chine.
[57] Près d’une année et demie plus tard, une action en responsabilité fut logée par les propriétaires du navire contre la Couronne fédérale et les deux inspecteurs à l’origine de l’ordonnance de détention. Quelques 4 350 000 $ furent réclamés en dommages. Cette réclamation avait pour assise la légalité de la décision des inspecteurs concernant la navigabilité du navire ainsi que la légalité de leur ordonnance de détention de ce dernier.
[58] Il est possible que l’exécution d’une décision ou la mise en œuvre d’une politique gouvernementale parfaitement légale puisse se faire d’une manière fautive ou abusive et, ainsi, engager la responsabilité de l’administration fédérale. En d’autres termes, malgré qu’une décision ou qu’une politique soit conforme à la loi, l’exécution ou la mise en œuvre de l’une ou de l’autre peut être négligente ou fautive. En pareil cas, une poursuite en responsabilité par action en justice, fondée non pas sur la légalité de la décision ou de la politique, mais sur l’exécution ou la mise en œuvre fautive de celles-ci, est appropriée. Dans ces circonstances, la Cour fédérale partage sa compétence d’attribution avec les Cours supérieures des provinces. Dans l’affaire L’Agence Canadienne d’inspection des aliments c. Institut professionnel de la Fonction publique du Canada et autres, [2008] J.Q. no. 8906, J.E. 2008-1865, la Cour d’appel du Québec s’est récemment penchée sur la question. Elle en arrive aux conclusions suivantes que l’on retrouve aux paragraphes 37 et 58 et que je partage :
37 De la même façon qu’en matière de réglementation municipale « l’invalidité n’est pas le critère de la faute et ne devrait pas être le critère de la responsabilité », il était compris, jusqu’à récemment, qu’une décision ou des mesures valablement prises par un organisme, à l’intérieur de sa compétence, peuvent être génératrices de faute en cas d’erreur ou de négligence. Dans cette perspective, seule l’activité exercée avec soin et diligence est couverte par l’immunité de poursuite dont bénéficient certaines décisions de corps publics. La responsabilité civile d’un organisme peut ainsi être engagée, malgré la conformité de l’action avec la loi, lorsqu’un dommage résulte d’un exercice défectueux des pouvoirs attribués.
58 Dans notre affaire, les intimés ne prétendent pas que les décisions et mesures prises par l’Agence sont illégales ni n’en recherchent de façon collatérale la nullité. Ils soutiennent, à ce stade préliminaire, que même si leur légalité est tenue pour acquise, elles n’en peuvent pas moins constituer des actes fautifs générateurs de responsabilité civile. Dans ce cadre, il ne saurait être question de risque de jugements contradictoires.
[59] Mais lorsque la contestation porte sur la légalité même de la décision ou la politique gouvernementale, le législateur a voulu, en règle générale, que celle-ci soit déterminée de façon prioritaire afin que, dans l’intérêt public, le doute soit dissipé et que la décision ou la politique gouvernementale puisse être exécutée ou mise en œuvre ou qu’il puisse y être apporté des correctifs si elles devaient s’avérer illégales. Il ne faut pas oublier également que les décisions ou les politiques gouvernementales souvent emportent aussi des coûts pour les administrés qui doivent s’y conformer. On peut penser par exemple aux décisions d’inspecteurs ou du ministre dans le domaine de l’environnement qui nécessitent la mise en place par l’industrie de mesures dépolluantes ou anti-pollution onéreuses. De là l’importance de la finalité qui doit s’attacher aux décisions ou aux politiques gouvernementales.
b) Un élément de souplesse envisagé par le législateur
[60] Je dis en règle générale car le législateur, au paragraphe 18.4(2) de la Loi, a prévu une exception dérogatoire au processus qu’il a établi. Lorsqu’elle l’estime indiqué, la Cour fédérale peut ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme une action, en d’autres termes qu’une telle demande soit convertie en une action. Dans l’affaire Macinnis c. Canada, [1994] 2 C.F. 464, le juge Décary, au nom d’une Cour d’appel unanime, rappelait le caractère exceptionnel du paragraphe 18.4(2). Aux pages 470, 471 et 472, il écrivait :
Il ne faut pas perdre de vue l’intention clairement exprimée par le Parlement, qu’il soit statué le plus tôt possible sur les demandes de contrôle judiciaire, avec toute la célérité possible, et le moins possible d’obstacles et de retards du type de ceux qu’il est fréquent de rencontrer dans les procès.
[…]
Mais le vrai critère que le juge doit appliquer est de se demander si la preuve présentée au moyen d’affidavits sera suffisante, et non de se demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d’un procès pourrait être supérieure.
[61] Bien que la conversion d’une demande de contrôle judiciaire en une action ne soit pas limitée à des questions de preuve (voir Drapeau c. Canada (Minister of National Defence) (1995), 179 N.R. 398), elle revêt néanmoins un caractère d’exception.
[62] Cette exception d’ordre procédural prévue au paragraphe 18.4(2) de la Loi ne porte pas atteinte à l’intégrité du mécanisme de contrôle judiciaire de l’administration fédérale envisagé par le législateur, lequel a voulu qu’il soit exercé exclusivement par les Cours fédérales.
[63] En obligeant un justiciable à procéder par contrôle judiciaire, le législateur maintient la juridiction exclusive des Cours fédérales. Si demande de conversion il y a, l’audition se fait devant la Cour fédérale. Une fois la conversion autorisée, l’action procède en Cour fédérale et, selon l’arrêt Berhad, celle-ci doit accorder à la décision ou à l’activité administrative dont la légalité est contestée la déférence requise par la loi, s’il en est.
[64] La possibilité de conversion en une action n’existe pas lorsque le contrôle judiciaire doit s’exercer en Cour d’appel fédérale, le législateur ayant privilégié sans exception la procédure sommaire et expéditive : voir le paragraphe 28(2) de la Loi.
c) Le recours approprié en l’instance
[65] Le procureur de l’intimé reconnaît d’emblée que si l’article 24 de SISIP et particulièrement le sous-alinéa (iv) sont légaux et non discriminatoires, son client n’a droit à ni remboursement, ni dommage. En d’autres termes, dommages et remboursements sont conditionnels et incidents à l’illégalité de la disposition en cause ou à ce qu’elle soit déclarée inopérante. Mettre au plan procédural, comme l’intimé l’a fait en l’espèce, l’emphase sur les dommages et le remboursement plutôt que sur la légalité de la disposition équivaut à mettre la charrue devant les bœufs. En somme, c’est la queue qui fait bouger le chien.
[66] Nous sommes ici en présence d’une question de droit bien définie, bien cernée dont la détermination requiert peu d’éléments de preuve. À vrai dire, elle peut fort bien procéder au mérite à partir d’une simple admission des faits.
[67] Comme le fait remarquer à juste titre l’appelante, si l’intimé avait procédé par contrôle judiciaire plutôt que par action comme il l’a fait, il aurait déjà obtenu de la cour une réponse quant à la légalité de la disposition en cause.
[68] Même si la disposition en litige existe depuis plusieurs années, il n’y avait aucun obstacle temporel à ce que l’intimé procède par demande de contrôle judiciaire. Ce dernier ne s’en prend pas à la décision initiale d’ajouter le sous-alinéa (iv) à l’article 24 de SISIP. Il s’en prend plutôt à la décision mensuelle d’opérer, des prestations qu’il reçoit, la déduction des montants touchés en vertu de la Loi sur les pensions de sorte que le délai de prescription de trente (30) jours du paragraphe 18.1(2) de la Loi pour intenter un contrôle judiciaire ne s’applique pas en pratique. La déduction faite en vertu du sous-alinéa 24a)(iv) constitue « un acte d’un office fédéral » que, sur une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut déclarer nul ou illégal : voir l’alinéa 18(3)b) de la Loi et l’arrêt Krause c. Canada, précité, au paragraphe 23.
[69] Comme justification de la procédure qu’il a choisie, l’intimé a avancé la crainte que d’autres acteurs impliqués dans la gestion de SISIP, tel le Conseil du Trésor, ne soient pas liés par une décision de la Cour fédérale rendue à la suite d’une procédure de contrôle judiciaire.
[70] Avec respect, je ne vois aucun fondement raisonnable à une telle crainte. Si la Cour fédérale devait déclarer nul ab initio ou illégal le sous-alinéa 24a)(iv) de SISIP, il va de soi que les déductions cessent et que les remboursements sont de mise.
[71] Enfin, l’intimé a également fourni la justification suivante pour sa démarche. Il voulait procéder par voie de recours collectif car il dit craindre que les autres membres des Forces qui, comme lui, subissent les déductions, ne soient pas remboursés et que les déductions continuent d’être faites à leur égard.
[72] Encore là, je crois fermement qu’il s’agit d’une crainte sans fondement car l’assise même de la déduction serait éliminée.
[73] Enfin, sans me prononcer sur l’opportunité de le faire, je note que, depuis le 13 décembre 2007, les articles 334.1 et 334.12 des Règles des Cours fédérales permettent maintenant qu’une demande de contrôle judiciaire (sauf celle faite en vertu de l’article 28 de la Loi) puisse être introduite par un membre d’un groupe de personnes au nom du groupe. Le requérant peut alors demander à la Cour fédérale que sa demande de contrôle judiciaire soit une instance autorisée comme recours collectif. Il n’est donc point nécessaire d’opérer une conversion de la procédure de contrôle judiciaire comme c’était le cas sous les anciennes règles gouvernant le recours collectif, lequel se limitait alors aux actions.
Le cheminement suivi en l’instance
[74] Je rappelle que l’intimé a exercé son recours par voie d’une action en justice et qu’il a demandé à la Cour fédérale que l’instance soit convertie en recours collectif. Le juge de la Cour fédérale a accédé à cette demande.
[75] En procédant par action comme il l’a fait, l’intimé s’est fait justice et a mis la Cour fédérale devant un fait accompli. Face à l’opposition de l’appelant réclamant qu’il aurait dû procéder par demande de contrôle judiciaire, il a recherché et obtenu l’indulgence de la Cour fédérale.
[76] De fait, le juge de la Cour fédérale a considéré l’action comme une demande de contrôle judiciaire et s’est ensuite livré à l’exercice de conversion : voir les paragraphes 19 et suivants des motifs de sa décision. Mais il ne s’agissait pas d’un contrôle judiciaire de sorte qu’il ne pouvait exercer la discrétion de convertir que lui confère le paragraphe 18.4(2) de la Loi.
[77] L’intimé devait suivre la procédure édictée par la Loi. Laisser entre les mains du justiciable le choix de procéder par action plutôt que par contrôle judiciaire, comme l’exige le législateur, pourrait permettre que soit écartée complètement la compétence de la Cour fédérale à l’égard de l’administration fédérale, ainsi que celle de la Cour d’appel fédérale sous l’article 28 de la Loi : voir par exemple le paragraphe 13 des motifs de l’arrêt Parrish & Heimbecker Ltd. v. Canada (Minister of Agriculture and Agri-Food) 2008 CAF 362 où le juge Pelletier écrit :
13 This case falls squarely within the principle stated in Grenier and illustrates its underlying rationale. Presumably, P&H could have brought its claim in any of the provincial superior courts and, on the basis of the allegations in its pleadings, asked that court to determine the legality of the revocation of the original permits and the issuance of the replacement permits. Had another shipper encountered the same problem, it could have chosen to proceed in another of the provincial superior courts and asked for a determination of the same issue. Different cases could yield different conclusions leading to an unraveling of the fabric of consistency in the judicial review of federal administrative action.
[Emphasis added]
[78] L’appelante qui fait l’objet des revendications de l’intimé est en droit de s’attendre à ce que la procédure soit suivie et d’exiger qu’elle le soit. En faisant de l’action prise par l’intimé une demande de contrôle judiciaire, le juge a créé une fiction judiciaire qui déchoit l’appelante du droit et de la possibilité de bien connaître les tenants et aboutissants de la position de l’intimé quant à l’illégalité de la disposition en cause. De ce fait, elle la prive également de la possibilité de s’opposer efficacement à une demande de conversion. Elle la prive en définitive du bénéfice d’un processus procédural obligatoire établi par le législateur auquel les Règles des Cours fédérales ne permettent ni à l’intimé, ni au juge de déroger : Dawe c. M.N.R. (Customs & Excise) (1994), 174 N.R. 1 (C.A.F.); Brandlake Products Ltd. c. Adidas (Can) Ltd., [1983] 1 C.F. 197 (C.A.). Je ne peux entériner cette façon de procéder. La détermination de la procédure qu’il convenait de suivre en l’espèce implique une question de droit soumise à la norme de la décision correcte : voir The Minister of Citizenship & Immigration v. Hinton & Hinton, 2008 CAF 215, au paragraphe 35.
La récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire TeleZone Inc.
[79] Alors que les présents motifs subissaient l’épreuve de la traduction, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu sa décision dans l’affaire TeleZone Inc. v. Canada (Attorney General), [2008] O.J. No. 5291, 2008 ONCA 892 où elle conclut que l’arrêt Grenier de notre Cour est erroné. Les points de vue divergents étant établis de part et d’autre, je me serais contenté d’un silence face à la décision de la Cour d’appel de l’Ontario n’eut été du fait qu’au plan des principes, cette décision pose problème à trois niveaux qu’il me faut souligner. Je me garde donc bien de me prononcer sur les cas d’espèce qui lui étaient soumis et sur lesquels elle a adjugé.
[80] Premièrement, la décision s’écarte du principe fondamental d’interprétation moderne des lois voulant qu’une loi et ses dispositions doivent s’interpréter d’une manière contextuelle, c’est-à-dire les unes par rapport aux autres, dans le contexte de l’objectif recherché par le législateur et d’une manière qui favorise la réalisation de cet objectif.
[81] La Cour d’appel de l’Ontario s’est plutôt livrée à une interprétation littérale de l’article 18 de la Loi, et par le fait même de l’article 28 de la même Loi, en en limitant la portée à une codification des anciens remèdes de common law que constituaient les brefs de prérogatives.
[82] Mais les articles 18 et 28 ainsi que la Loi elle-même sont plus qu’une simple codification de remèdes. Ces dispositions et la Loi elle-même reflètent l’établissement d’une politique de contrôle judiciaire de la légalité de l’activité administrative fédérale par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale (je souligne). C’est la conclusion à laquelle l’arrêt Grenier de notre Cour en est venu après une analyse contextuelle de ces dispositions, de la Loi et des événements qui ont présidé à leur adoption.
[83] Deuxièmement, en omettant de faire une interprétation contextuelle des dispositions et de la Loi en cause, issues de la réforme du droit administratif fédéral, la Cour d’appel de l’Ontario a ignoré l’intention du Parlement fédéral. Loin de nous ramener à l’ère Dickens, les articles 18 et 28 de la Loi ainsi que la philosophie de la Loi participent d’une réalité moderne d’un état fédéral, et non simplement unitaire, où le Parlement a voulu que, dans l’intérêt public national, l’état fédéral et le citoyen puissent et doivent obtenir rapidement une réponse quant à la légalité des décisions prises et des politiques adoptées au moyen d’un contrôle judiciaire central, rapide et unifié plutôt qu’au moyen d’un autre processus judiciaire morcelé débouchant, comme l’histoire l’a démontré, sur des décisions contradictoires de différentes juridictions.
[84] Enfin, la Cour d’appel de l’Ontario s’est demandée si la Cour supérieure avait compétence pour entendre les actions en dommages intentées par les justiciables. Bien sûr que la Cour supérieure possède cette compétence et personne ne met cela en doute. Mais ce qu’il faut plutôt se demander, c’est si le justiciable peut, à son choix, attaquer la légalité d’une décision par le biais d’une action lorsque l’illégalité de cette décision est, en tout ou en partie, un pré-requis (sine qua non) à son recours en dommages. À cette question, les articles 18 et 28 de la Loi, la philosophie et l’historique de la Loi elle-même et les objectifs recherchés par le Parlement apportent, sans équivoque à mon avis, une réponse négative.
Conclusion
[85] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel et j’annulerais la décision de la Cour fédérale certifiant l’action de l’intimé comme une instance en recours collectif. Vu le consentement de l’appelante, j’accorderais à l’intimé un délai de trente (30) jours à compter de la date du présent jugement pour signifier et déposer une demande de contrôle judiciaire. Je suspendrais l’action prise
par l’intimé jusqu’à ce qu’une adjudication finale soit faite sur la demande de contrôle judiciaire. L’appelante n’ayant pas réclamé de frais, je n’en accorderais aucun.
« Je suis d’accord
Marc Noël, j.c.a. »
« Je suis d’accord
Pierre Blais, j.c.a. »
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-262-08
INTITULÉ : SA MAJESTÉ LA REINE c. DENNIS
MANUGE
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 16 décembre 2008
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE BLAIS
DATE DES MOTIFS : Le 3 février 2009
COMPARUTIONS :
Me Susan Inglis
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POUR L’APPELANTE
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POUR L’INTIMÉ
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sous-procureur général du Canada
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POUR L’APPELANTE
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Halifax, Nouvelle-Écosse |
POUR L’INTIMÉ
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