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Dossier : 2007-1802(IT)G

 

ENTRE :

 

DOUGLAS GILLESPIE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 26 novembre 2008, à Winnipeg (Manitoba).

 

Devant : L’honorable juge T. E. Margeson

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Wayne M. Onchulenko

Avocats de l’intimée :

Mes Melissa Danish et Jeff Pniowsky

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

  Les appels interjetés à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2003 et 2004 sont rejetés, et les cotisations établies par le ministre du Revenu national sont confirmées.

 

  Signé à Toronto (Ontario), ce 28e jour de janvier 2009.

 

 

« T. E. Margeson »

Juge Margeson

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juin 2009.

 

 

 

 

Erich Klein, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 26

Date : 20090128

Dossier : 2007-1802(IT)G

ENTRE :

 

DOUGLAS GILLESPIE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Margeson

  • [1] Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi des cotisations à l’égard de l’appelant pour les années d’imposition 2003 et 2004 en tenant pour acquis que celui‑ci n’avait pas droit au crédit d’impôt pour emploi à l’étranger (le « CIEE ») pour ces années.

 

  • [2] Ces cotisations font l’objet de l'appel.

 

La question en litige

 

  • [3] Les parties ont convenu que la seule question dont la Cour est saisie est de savoir si l’appelant aurait eu la qualité d’entrepreneur indépendant ou celle d’employé pendant les années en cause [traduction] « n’eût été l’existence de Doug Gillespie Consulting Inc. ».

 

  • [4] Autrement dit, l’appelant pourrait‑il raisonnablement être considéré comme un employé de Elbit Systems Ltd. (« Elbit ») en vertu de l'article applicable de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), modifiée (la « Loi »)?

 

La preuve

 

  • [5] L’appelant a déclaré résider à Winnipeg, au Manitoba, et ce, depuis 1985. Avant cela, il servait dans les Forces armées canadiennes, dans l’aéronavale plus précisément. Il s’occupait de l’entretien d'hélicoptères Sea King, d'avions Tudor ainsi que d'avions de transport lourd. Avant de s’installer à Winnipeg en 1985, il a travaillé sur les bases de Shearwater, en Nouvelle‑Écosse, de Moose Jaw, en Saskatchewan, et de Trenton, en Ontario.

 

  • [6] En 1988, l’appelant est allé travailler pour la British Aerospace à titre d’employé du ministère de la Défense nationale; en 1989, il est devenu employé de la British Aerospace. Le Canada a vendu au Botswana les aéronefs dont il assurait l’entretien, et il est resté pour continuer à s’en occuper. Il était la personne‑ressource des employés de l'armée de l'air botswanaise. Il a également rédigé le cours d’entretien pour celle-ci.

 

  • [7] L’appelant a appris qu’il y avait une possibilité d'emploi chez Elbit. Il s’agissait d’un poste de superviseur du personnel des forces aériennes vénézuéliennes, au Venezuela. Le projet concernait des avions F-5. L’appelant l'a considéré comme un défi.

 

  • [8] Le poste en question était mieux rémunéré, offrant trois fois plus que ce qu’il gagnait à l’époque. Son nouveau salaire était de l’ordre de 200 000 $ par année. Par contre, il devait prendre certains risques : il devait renoncer son assurance maladie et à son assurance dentaire; il s’agissait d’un pays violent; de plus, il devait acheter lui‑même ses logiciels, ordinateur et appareil photo.

 

  • [9] L’appelant a reconnu la pièce A-1, une lettre envoyée à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») par Elbit, dans laquelle, entre autres choses, on le désigne comme étant un entrepreneur indépendant, et non comme un employé d’Elbit. Ce document a été admis en preuve dans le seul but de montrer qu’il avait été envoyé, et non comme preuve de l’exactitude des déclarations qu’il contient.

 

  • [10] L’appelant a témoigné que la mention en question était exacte, et qu’il se considérait comme un entrepreneur indépendant au service d’Elbit, et non comme un employé de celle‑ci.

 

  • [11] L’appelant a reconnu la pièce A-2 comme étant son contrat de consultation, qu’il a reçu après avoir été contacté par un représentant d’Elbit. Son entrevue avait eu lieu au Canada. Le paragraphe 5b) de ce contrat stipulait qu’aucune disposition ne devait être interprétée comme créant une relation employeur‑employé. L’appelant considérait donc qu’il était un entrepreneur indépendant en vertu du contrat.

 

  • [12] L’appelant a toute d'obtenir une assurance responsabilité pour lui-même, mais ne va l'a pas pu en raison du coût élevé d’une telle assurance; alors, il a souscrit une assurance à son nom en passant par le régime d’Elbit.

 

  • [13] L’appelant a constitué Doug Gillespie Consulting Inc. (la « société ») en personne morale afin de se protéger davantage sur le plan de la responsabilité personnelle. Si l’avion devait avoir une panne après que l'appelant eut terminé son travail, c'est lui qui en serait responsable. Il s’agissait d’un grand risque. Quand l’appelant négociait les modalités de son contrat, aucune assurance n’était prévue. En outre, Elbit a accepté de lui accorder des congés payés et de payer ses frais médicaux engagés à l’étranger.

 

  • [14] L’appelant était chargé d’organiser et de mettre en place tous les éléments nécessaires pour effectuer la refonte structurale et l'inspection des avions, de commander des pièces de rechange, de faire le suivi du travail, de planifier le travail à effectuer, et de rédiger un manuel de formation pour les travailleurs. Il devait documenter les essais, remettre en état les systèmes hydrauliques, rassembler toute l’information relative aux tâches à accomplir et l’envoyer aux forces aériennes vénézuéliennes. Il a dû faire un état des lieux des appareils, étant donné que ceux‑ci nécessitaient davantage de travail qu’on ne l’avait d’abord cru. L’appelant a déterminé les quantités de pièces de rechange, d’équipement, etc. nécessaires, et les forces aériennes vénézuéliennes ont choisi dans leurs rangs les personnes qualifiées pour exécuter le travail. L’appelant a choisi la personne qui allait être chef en second du projet.

 

  • [15] L’appelant achetait tout le matériel et l’équipement additionnels nécessaires et présentait les factures à la société.

 

  • [16] Il a déclaré qu’Elbit faisait venir un [traduction] « spécialiste de la tôle » pour donner des [traduction]  « instructions pratiques » aux travailleurs. L’appelant faisait le suivi de toutes les pièces et était responsable de [traduction] « la logistique ». La dernière étape consistait en le remontage des avions. Après avoir rencontré le contremaître vénézuélien, l’appelant arrêtait le plan de travail de la journée et observait la progression du travail.

 

  • [17] On travaillait souvent de nuit. L'appelant devait organiser les repas et le transport des travailleurs. Il consacrait un temps considérable à l’achat des pièces de rechange. Quelle que soit la dépense qu’il engageait aux fins du projet, elle lui était remboursée. Il devait fournir des rapports d’étape mensuels à Elbit. Le gestionnaire de programme à Haïfa venait inspecter le travail périodiquement.

 

  • [18] L’appelant achetait tous les outils dont il avait besoin ou les recevait des forces aériennes vénézuéliennes. Il avait le droit de demander les services de différents travailleurs des forces aériennes vénézuéliennes.

 

  • [19] L’appelant décidait quand il était nécessaire d’avoir recours à des experts pour effectuer certaines tâches et pour des tests, et si ces experts avaient besoin d’un équipement particulier. Il devait garder des [traduction] « traces écrites » appropriées relatives au travail, et ces documents devenaient partie intégrante du dossier de l’appareil.

 

  • [20] La pièce A-4 est un manuel de formation en cours d’emploi, et les pièces A-5 à A‑8 sont des cahiers, soit les numéros 4, 5, 2 et 1 respectivement; il s'agit de manuels et de programmes conçus par l’appelant. La pièce A-9 est constituée d’échantillons de factures soumises à Elbit pour des dépenses que l’appelant avait engagées et dont il demandait le remboursement.

 

  • [21] L’appelant a déclaré qu’il devait répondre aux besoins des forces aériennes vénézuéliennes dans le cadre du projet, et qu’il devait remplacer certaines pièces par d’autres s’il était impossible d’obtenir une licence d’exportation des États-Unis.

 

  • [22] Il s’est également rendu en Israël afin d’obtenir la signature nécessaire. Le travail a commencé en 2002 et a pris fin en 2004.

 

  • [23] En ce qui concerne ce qu'il réclame en l'espèce, l’appelant avait consulté un comptable agréé, qui lui a conseillé de demander la déduction en cause, qui lui a été finalement refusée.

 

  • [24] Les pièces A-10, A-11 et A-12 sont des lettres envoyées par Elbit à l’appelant, lesquelles confirment prétendument son statut d'entrepreneur indépendant, mais ces lettres n’ont pas été acceptées à titre de preuve de l’exactitude des déclarations qu’elles contiennent.

 

  • [25] Lors du contre‑interrogatoire, la pièce R-1, soit le contrat de consultation, a été admise en preuve.

 

Les arguments présentés pour le compte de l’appelant

 

  • [26] L’avocat de l’appelant a soutenu qu’il n’y avait qu’une seule question en litige. N’eût été l’existence de la société, l’appelant aurait‑il été un entrepreneur indépendant ou un employé?

 

  • [27] Il n'y a pas de critère miracle qui permet de décider cette question. L’appelant travaillait‑il à son propre compte ou pour quelqu’un d’autre? Il est plus vraisemblable qu’il était un entrepreneur indépendant.

 

  • [28] Il est significatif que les deux parties ont signé un contrat. La question qui se pose alors est de savoir s'il reflète la réalité.

 

  • [29] Les deux parties ont choisi de ne pas nouer une relation employeur‑employé pour des raisons qui leur sont propres. Elles bénéficiaient toutes deux de l'entente qu'elles avaient conclue.

 

  • [30] L’appelant s’est vu assigner des tâches précises décrites dans la pièce A‑2 (le contrat de consultation), au paragraphe 2. a. Selon le paragraphe 5. b., l’appelant ne devait pas être considéré comme un employé. D’après le paragraphe 5. d., l’appelant était responsable de tout dommage découlant de son travail.

 

  • [31] Les lettres qui ont été déposées en preuve corroborent le contenu du contrat.

 

  • [32] Le ministre n’a déposé aucune preuve étayant sa position.

 

  • [33] En ce qui a trait à la question du contrôle, l’appelant avait le contrôle de son propre travail. Même s’il remettait des rapports de projet tous les deux mois, [traduction] « c’était son bébé ».

 

  • [34] L’appelant faisait ce qui lui semblait nécessaire. Il a désigné le chef en second et a planifié le travail des 25 autres travailleurs. Il s'arrangeait pour obtenir les outils et les gens de métier nécessaires à l’accomplissement du contrat. Il décidait des heures de travail. Il s’occupait de l’établissement des calendriers de travail, de la logistique, de l’approvisionnement en pièces de rechange, de la préparation des programmes, de l’organisation de la formation et de la rédaction de manuels.

 

  • [35] En ce qui a trait à la propriété des instruments de travail, l’appelant fournissait ses propres ordinateur, téléphone cellulaire et appareil photo, et il faisait l'acquisition d’autres outils.

 

  • [36] Pour ce qui est des chances de bénéfice et des risques de perte, l’appelant pouvait faire des bénéfices, et il pouvait subir des pertes du fait de sa responsabilité en ce qui concerne la sécurité. Quant à l’intégration, l’appelant ne faisait pas partie intégrante d’Elbit.

 

  • [37] Les faits de la présente affaire satisfont aux critères énoncés dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553.

 

  • [38] Comme on l’a décidé dans l’arrêt Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396, l’appelant pouvait organiser ses affaires comme il le désirait de façon à se prévaloir d’un avantage fiscal. Ses actes ont été conformes aux modalités du contrat.

 

  • [39] L’appel devrait donc être accueilli.

 

Les arguments présentés pour le compte de l’intimée

 

  • [40] Les avocats de l’intimée ont déclaré que c'est l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, qui s’applique et que l'arrêt Wolf, précité, a été réexaminé.

 

  • [41] L’objectif du CIEE est de permettre aux Canadiens de mener leurs activités commerciales à l’étranger plus facilement. L’article pertinent de la Loi comprend une mesure anti‑évitement voulant qu’on ne puisse constituer une société dans le seul but d’obtenir le CIEE alors qu’on est en fait l’employé d’une société qui n’est pas un employeur déterminé visé à l’alinéa 122.3(1.1)c) de la Loi.

 

  • [42] Les passages importants du contrat sont ceux qui portent sur des faits objectifs, et non les simples affirmations. L’appelant doit établir par une preuve prépondérante qu’il est un entrepreneur indépendant. Il doit fournir des preuves confirmant l'existence d'un tel statut. Les éléments de preuve qu’il a fournis ne sont rien de plus qu'une preuve intéressée.

 

  • [43] La réponse à l’avis d’appel a été rédigée conformément aux modalités du contrat.

 

  • [44] Pour répondre à la question de savoir s’il serait raisonnable de considérer l’appelant comme l’employé d’une personne ou d’une société de personnes qui n’est pas un employeur déterminé, la question de l’intention n’est pas pertinente, mais celle du contrôle l’est. L’intention est un critère hautement subjectif; la corroboration est importante à cet égard et l'est particulièrement en l’espèce. Dans la décision Huh c. Canada, [2000] A.C.I. no 531 (QL), 2000 DTC 2422, la Cour a dû faire face à une absence de corroboration, même si le témoignage du contribuable était long et détaillé. Les allégations qui ont été corroborées ont été acceptées; celles qui ne l’ont pas été ont été rejetées.

 

  • [45] De plus, dans la décision Huh, le simple énoncé de l’intention des contribuables n’a pas été accepté comme constituant une preuve suffisante de cette intention. Il n’y avait aucun document écrit justifiant la position des contribuables au sujet de la société. L’accord écrit qui a été déposé contredisait le témoignage oral. Aucun document n’a été fourni afin d’établir l’existence d’un compte en banque, et le témoignage oral selon lequel un tel compte existait a été rejeté.

 

  • [46] La décision Tobin c. Canada (M.R.N.), [2003] A.C.I. no 426 (QL), 2003 CCI 503, étaye la position voulant qu’il incombe à l’appelant de présenter des éléments de preuve réfutant les hypothèses contenues dans la réponse à l’avis d’appel. Cela n’a pas été fait. Des preuves corroborantes auraient dû être produites, et le témoignage oral de l’appelant était intéressé.

 

  • [47] L’appelant a déclaré qu’il présentait chaque mois un rapport à son employeur, mais il n’a pas produit de copies de tels rapports, ni aucun document indiquant qu’il en avait présenté. La meilleure preuve de l’intention d’une partie se trouve dans la nature de leurs actions. Il faut se demander si la preuve de l’appelant est crédible.

 

  • [48] L’appelant était un employé hautement qualifié de la British Aerospace, où il ne courait aucun risque de perte. Qu’est‑ce qui a changé quand il s’est mis au service d’Elbit?

 

  • [49] Comme dans l’affaire 1166787 Ontario Ltd. c. Canada., [2008] A.C.I. n58 (QL), 2008 CCI 93, l’indépendance dont l’appelant jouissait dans le cadre son travail n’était pas différente de celle qu’un employeur accorde à ses consultants professionnels, et en l’espèce, l’appelant ne courait aucun risque de perte découlant de l'exécution de son contrat, ce qui est également la conclusion qu'on a tirée à l'égard de l'appelante dans la cause susmentionnée.

 

  • [50] Dans la décision Logitek Technology Ltd. c. Canada (M.R.N.), [2008] A.C.I. no 309 (QL), 2008 CCI 331, le juge a déclaré :

 

19 […] Dans le cas de professionnels ou de travailleurs hautement qualifiés cependant, le contrôle nécessaire est établi si l’employeur a le droit de dire quoi faire au travailleur, même s’il ne peut lui dire comment le faire.

 

  • [51] En l’espèce, Elbit avait le droit d'assigner à l’appelant d’autres tâches que celles qu'il remplissait au Venezuela si elle le souhaitait. C’est Elbit qui a obtenu le contrat, et non l’appelant. Donc, ce dernier travaille‑t‑il à son propre compte ou est‑il un employé?

 

  • [52] En ce qui concerne la question des chances de bénéfice et des risques de perte, il doit s’agir d’un bénéfice ou d’une perte d’ordre commercial.

 

  • [53] Un chèque de paie régulier comme celui que l’appelant recevait est un élément indicatif d'un statut d'employé, et en l’espèce, les dépenses de l'appelant lui étaient remboursées.

 

  • [54] L’appelant ne travaillait pas à son propre compte. Quand Elbit a quitté le Venezuela, l’appelant a fait de même. Il s’agit du cas classique d’un professionnel qui est aussi un employé.

 

  • [55] Il était payé pour son travail. Il occupait un emploi normal à titre de superviseur technique.

 

  • [56] Son appel devrait être rejeté.

 

Réplique

 

  • [57] La différence essentielle qui existe entre le présent appel et les causes citées par l’intimée réside dans le contrat écrit. Ce ne sont pas toutes les dépenses engagées par l’appelant qui lui étaient remboursées, et il ne pouvait redéfinir le travail à accomplir.

 

Analyse et décision

 

  • [58] En l’espèce, les faits ne posent pas vraiment problème puisque l’avocat de l’appelant n’a pas remis en question, que ce soit de façon directe ou indirecte, les hypothèses formulées dans la réponse à l’avis d’appel, C’est plutôt la conclusion à tirer des faits qui est en cause.

 

  • [59] La Cour est convaincue que la question de la crédibilité ne se pose pas vraiment en l’espèce, étant donné que l’appelant lui est apparu comme un témoin franc, honnête, intelligent et bien informé. Il est vrai qu’aucune preuve corroborant son témoignage n’a été déposée, le contrat signé mis à part, mais cela enlève rien au caractère fort satisfaisant de la conduite générale de l’appelant en tant que témoin.

 

  • [60] La Cour est convaincue que l’appelant croyait s'engager dans une situation où il serait un entrepreneur indépendant par rapport à Elbit, du moins au début, mais que les faits ont quelque peu changé entre le moment où les négociations ont commencé et celui où le contrat final a été signé le 21 septembre 2001.

 

  • [61] La société a vu le jour après la signature du contrat de consultation, et l’appelant a déclaré qu’en constituant cette société, il avait pour objectif de se protéger davantage sur le plan de la responsabilité personnelle. Il a témoigné avoir fait appel à un cabinet comptable au moment de remplir ses déclarations de revenu pour les années en cause. De plus, il n’a été produit aucun élément de preuve montrant que l’obtention du CIEE était un facteur que l’appelant a pris en considération quand il a constitué la société, et quand bien même cela aurait été le cas, il n’y aurait rien eu de blâmable à cela.

 

  • [62] La question du fardeau de la preuve est extrêmement importante en ce qui a trait aux faits du présent appel, où certains facteurs établis en preuve tendent à indiquer l’existence d’une relation client‑entrepreneur indépendant, et d’autres facteurs établis en preuve portent à croire qu’on se trouve en présence d’une relation employeur‑employé.

 

  • [63] En présence de faits aussi contradictoires, il incombe à l’appelant de faire pencher la balance en sa faveur, sans quoi il ne peut obtenir gain de cause.

 

  • [64] En l’espèce, l’arrêt Wiebe Door, précité, s’avère utile. Les quatre critères suivants y sont énoncés :

 

  • a) Le degré de contrôle exercé par l’employeur ou l’absence d’un tel contrôle,

  • b) La propriété des instruments de travail,

  • c) Les chances de bénéfice et les risques de perte,

  • d) L’intégration du travail du prétendu employé dans l'entreprise du prétendu employeur.

 

La Cour ajoute à cette liste les conditions d’emploi et l’intention des parties telles qu’elles ressortent de la preuve produite par les parties et du contrat écrit conclu entre l'appelant et Elbit, s’il en existe un.

 

  • [65] Il est bien établi qu’il n'est pas nécessaire d'accorder la même importance à tous ces critères. Dans certains cas, l’un de ces critères se démarquera et pourra se voir accorder beaucoup d’importance tandis qu'aux autres pourrait être accordé moins de poids. Comme il a été indiqué dans l'arrêt Wiebe Door, précité, et dans d’autres décisions, il ne s’agit pas simplement d’une question de mathématique; ce n'est donc pas parce que la majorité des critères appellent une conclusion donnée que la nature de la relation est définie en conséquence.

 

  • [66] Dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., [2007] 1 R.C.F. 35, 2006 CarswellNat 492, la Cour d’appel fédérale a infirmé la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt, qui avait jugé que les danseurs de ballet étaient des employés. La Cour d’appel fédérale aconclu que le juge de la Cour de l’impôt avait omis de tenir compte de l’intention des parties.

 

  • [67] Dans l’arrêt Wolf, précité, la Cour d’appel fédérale a accordé une grande importance à l’intention des parties, telle qu’elle ressortait des modalités du contrat.

 

  • [68] Chaque cas doit être tranché en fonction de ses propres faits, après avoir pris en considération les critères susmentionnés.

 

  • [69] En l’espèce, la Cour examinera chacun de ces critères à la lumière des éléments de preuve qui ont été produits. L’arrêt Sagaz Industries Canada Inc., précité, invoqué par les avocats de l’intimée, revêt également de l’importance.

 

  • [70] Dans cet arrêt, la cour se pose la question « à qui appartient l’entreprise? » Le contribuable exploite‑il une entreprise à son propre compte ou est‑il intégré dans l’entreprise du prétendu employeur?

 

L’intention des parties

 

  • [71] En l’espèce, la seule preuve concernant l’intention des parties consiste dans le témoignage de l’appelant et le contrat écrit. Celui‑ci prévoit que la situation de l'appelant par rapport à Elbit sera celui d'un entrepreneur indépendant. Toutefois, cette intention s’accorde‑t‑elle avec les faits?

 

  • [72] La Cour n’accorde que peu d’importance aux lettres qui ont été présentées à l’appui des affirmations de l'appelant à cet égard. En outre, aucun représentant de l’employeur n’a été cité afin de corroborer le témoignage de l’appelant, ce qui aurait été faisable. Aucune explication n’a été donnée quant à l’absence d’une telle corroboration.

 

  • [73] L’appelant fait valoir qu’il était un entrepreneur indépendant, pourtant il a obtenu un certain nombre d’avantages relevant normalement d’une relation employeur‑employé, tels qu’un salaire sûr, un horaire régulier, des heures supplémentaires, une assurance responsabilité, des congés payés et le remboursement de ses dépenses, y compris de ses frais de déplacement. Tous ces avantages étaient prévus dans son contrat.

 

Le contrôle

 

  • [74] L’appelant exerçait son travail de façon largement autonome. Il a sélectionné le chef en second du projet; il demandait les ouvriers qualifiés appropriés et pouvait demander qu'ils soient remplacés; il dirigeait le travail quotidien sur le lieu de travail, veillait à ce que soient respectées les échéances, rédigeait des manuels pour les travailleurs et obtenait les pièces et l’équipement qu’il jugeait nécessaire. Il ne fait aucun doute qu’il exerçait un grand contrôle sur son travail.

 

  • [75] Toutefois, il n’était chargé que d’un seul projet. Il s’agissait d’un projet qui lui avait été confié par Elbit. C’était le seul dont il s’occupait. Il n’était pas libre de travailler pour des tiers. Elbit lui disait quand accomplir le travail et décidait du nombre d’heures qu’il devait travailler dans une semaine. Elbit pouvait lui dire quand arrêter et commencer son travail, et c'est ce qu'elle faisait. Il n’était pas libre d’engager quelqu’un d’autre pour le remplacer. Il devait fournir ses services lui-même.

 

  • [76] La Cour est convaincue que l’appelant était un technicien hautement qualifié qu’Elbit avait embauché afin d’accomplir un travail très technique. Toutefois, Elbit avait également le droit de lui assigner d’autres tâches, en plus de son travail au Venezuela.

 

  • [77] L’appelant devait s’acquitter de son travail conformément aux procédures établies, et même s’il pouvait recommander le retrait de certains travailleurs, ce n'est pas lui qui les embauchait, mais c'est plutôt Elbit qui les lui fournissait par le truchement des forces aériennes vénézuéliennes.

 

  • [78] De plus, le contrat prévoyait que l’appelant travaillerait neuf heures par jour, cinq jours par semaine, et que, dans des circonstances spéciales, il serait nécessaire de faire des heures supplémentaires.

 

  • [79] La Cour est convaincue par l’argument habile que les avocats de l’intimée ont avancé, voulant que l’appelant appartienne à la même catégorie que le travailleur dont il est question dans la décision 1166787 Ontario Ltd., précitée, dans laquelle la juge Miller a déclaré, au paragraphe 27 :

 

[27] […] La latitude dont Mme Lee disposait dans  l’accomplissement de ses tâches ne diffère pas de celle que tout employeur accorde à ses employés professionnels compétents.

 

  • [80] Par conséquent, la Cour conclut que dans le cas de tels employés, il n’est plus acceptable de conclure qu’un travailleur est un entrepreneur indépendant du simple fait qu’on ne lui indique pas comment faire le travail.

 

  • [81] En l’espèce, le degré de contrôle exercé par Elbit était suffisant pour indiquer l'existence d’une relation employeur-employé.

 

La propriété des instruments de travail

 

  • [82] La Cour est convaincue que ce facteur tend à indiquer l’existence d’une relation employeur-employé.

 

  • [83] Il est vrai que l’appelant était responsable de l’achat de ses propres téléphone cellulaire et ordinateur, mais la majeure partie de ses instruments de travail lui étaient fournis par Elbit, puisque celle‑ci lui remboursait tous ses achats.

 

Les chances de bénéfice et les risques de perte

 

[84]  La Cour est convaincue que l’appelant n’avait aucune chance de bénéfice et ne courait aucun risque de perte, d’un point de vue commercial.

 

  • [85] Le salaire de l’appelant était défini, et s’il travaillait, il recevait la rémunération prévue au contrat. Il ne lui était pas possible de gagner plus d’argent en travaillant plus fort ou en rallongeant ses journées de travail. Son salaire constituait son seul revenu.

 

  • [86] De même, il ne pouvait subir de perte étant donné qu’Elbit lui remboursait toutes ses dépenses.

 

L’intégration

 

  • [87] La Cour est convaincue que le travail de l’appelant était totalement intégré à celui d’Elbit. Il n'exploitait pas une entreprise à son propre compte. Elbit était la seule entité à laquelle il était lié par contrat, il ne se présentait pas comme étant libre d’offrir ses services à des tiers, et rien n’indique qu’il exploitait une entreprise à son propre compte.

 

  • [88] Lorsque la Cour se demande à qui appartenait l’entreprise, la réponse qui s’impose est que c’était l’entreprise d’Elbit.

 

Les conditions d’emploi

 

  • [89] En l’espèce, les conditions d’emploi revêtent moins d’importance que les autres facteurs, mais elles sont comparables à celles qui existeraient dans toute relation employeur-employé.

 

  • [90] Il s’agit du cas classique où les parties prétendaient nouer un certain type de relation dans un contrat écrit, mais où elles ont agi d’une manière tout à fait incompatible avec cette relation. En l’espèce, il convient d’invoquer le vieil adage voulant que les actes soient plus éloquents que les paroles.

 

  • [91] Les appels sont rejetés et les cotisations établies par le ministre sont confirmées.

 

    Signé à Toronto (Ontario), ce 28e jour de janvier 2009.

 

 

« T. E. Margeson »

Juge Margeson

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juin 2009.

 

 

 

 

Erich Klein, réviseur

 


 

RÉFÉRENCE :  2009 CCI 26

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :  2007-1802(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :  Douglas Gillespie c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 26 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :  L’honorable juge T. E. Margeson

 

DATE DU JUGEMENT :  Le 28 janvier 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Wayne M. Onchulenko

Avocats de l’intimée :

Me Melissa Danish,

Me Jeff Pniowsky

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

  Pour l’appelant :

 

  Nom :  Me Wayne M. Onchulenko

  Cabinet :  Levene, Tadman, Gutkin, Golub

 

  Pour l’intimée :  John H. Sims, c.r.

  Sous‑procureur général du Canada

  Ottawa, Canada

 

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